21 avril 2003

La gauche reste dans le coma

Un an après la défaite de Lionel Jospin, la gauche garde toujours le silence. Elle n'a pas fait l'analyse politique de la perte des 2,5 millions de voix par le PS et des 1,6 millions de voix par le PCF. Elle n'a rien dit sur Jospin, qui a déserté son camp au milieu de la bataille. Elle n'a pas fait le bilan de son appel suicidaire à voter pour Jacques Chirac [1].

Tous les articles ou les émissions, consacrés au rappel du « choc », selon Libération, ou du « séisme », selon Le Monde, évacuent le débat sur l'échec de la gauche et sur son ralliement à Chirac le 21 avril 2002.
Seul Jean-Pierre Chevènement a évoqué, dans l'émission Ripostes, « la crise politique » des partis représentés à l'Assemblée nationale, mais en donnant un chiffre erroné sur leur poids réel : 60% au lieu de 46% [2] et sans en analyser les causes.

Selon un sondage Ipsos, 62% des Français jugent que le Parti socialiste n'a « pas su tirer les leçons » du 21 avril. Les militants veulent tourner la page. Jospin s'obstine à jouer la mouche du coche. Et toute la gauche pratique la politique de l'autruche alors qu'elle a les pieds dans les sables mouvants.

La crise politique, ouverte le 21 avril 2002, a plongé la gauche dans le coma. Sur toutes les questions, elle n'offre aucune perspective. Elle n'a plus rien à dire de différent de Chirac. Elle lui a donné les pleins pouvoirs pour réaliser une politique antisociale.

Avant et pendant la guerre des États-Unis contre l'Irak, la gauche s'est couchée aux pieds de la bourgeoisie française pour préserver les contrats passés avec Saddam Hussein. Elle n'a pas eu un mot pour dénoncer la vente d'armes au dictateur de Bagdad – la fourniture d'une centrale nucléaire par exemple.
Elle a soutenu toutes les contorsions du ministre des Affaires étrangères à l'ONU. Elle n'a pas protesté sur l'ouverture de l'espace aérien aux avions britanniques. Elle réclame aujourd'hui, derrière Chirac, une part au pactole de la reconstruction pour les entreprises françaises c'est-à-dire au pillage de l'Irak.

La gauche s'est ralliée à Chirac pour soi-disant éviter que Le Pen l'emporte au second tour. Elle a grossi le danger de l'extrême droite pour camoufler sa défaite. Cette trahison risque de provoquer ce qu'elle redoutait. Car qui votent pour le démagogue populiste ? Des travailleurs, les plus pauvres, que la gauche a abandonnés à « la loi du marché » c'est-à-dire aux licenciements massifs, à la précarisation du travail, au blocage des salaires, à la privatisation des entreprises publiques, à la libéralisation des marchés financiers et à la dictature du profit.

Pierre Mauroy, Premier ministre, a inauguré cette politique dès 1983. Le Parti socialiste, soutenu par le Parti communiste, abandonna du jour au lendemain ses promesses électorales pour se convertir au « tournant de la rigueur ». Et Lionel Jospin, premier secrétaire du Parti socialiste, a déclaré : « Nous n'avons pas, bien sûr, changé de politique ». Le ralliement de la gauche au néolibéralisme avançait masqué.

L'extrême gauche n'a pas fait mieux. Elle a dilapidé son capital de 3 millions de voix. Elle n'a pas fait entendre une voix différente. Le PT s'arc-boute sur la défense des intérêts catégoriels des fonctionnaires et le refus de l'Europe avec des arguments nationalistes. La LCR a jeté aux orties ses références aux idées communistes pour courir derrière les mouvements contre la mondialisation. LO se replie sur la justification de son défaitisme [3].

Alors que les États-Unis poursuivent, depuis la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'URSS, leur fuite en avant vers la guerre mondiale pour imposer la loi du plus fort et faire payer aux autres pays sa crise économique, l'absence de perspective de la gauche et de l'extrême gauche à l'échelle internationale est une tragédie.

Serge LEFORT
21 avril 2003

[1] Voir notre article : Quelles perspectives après le 21 avril ?
[2] En 2002, les partis parlementaires représentaient 45,76% des inscrits, les partis non parlementaires 23,43%, les votes blancs ou nuls 2,42% et l'abstention 28,39%.
En 1995, les partis parlementaires représentaient 60,49% des inscrits, les partis non parlementaires 15,68%, les votes blancs ou nuls 2,21% et l'abstention 21,62%.
[3] Voir notre article : « Notre bilan est nul ».