14 février 2006

Deux poids deux mesures

Quand un quotidien danois met en images les préjugés racistes entretenus par l'extrême-droite, les médias français se solidarisent avec cette odieuse provocation au nom de la liberté de la presse.

Quand un quotidien anglais montre le passage à tabac de jeunes irakiens par des soldats, les médias français découvrent le principe de précaution pour ne pas mettre en cause les troupes d'occupation en Irak.

D'un côté, les radios, les journaux et les télévisions diffusent en boucle les mêmes images et les mêmes slogans contre "le monde arabo-musulman" assimilé au terrorisme. De l'autre, les mêmes médias s'autocensurent pour cacher la violence d'une occupation militaire réalisée au nom de la démocratie.

Cela en dit long sur le consensus régnant au sein des élites politico-médiatiques pour masquer les causes réelles de la misère sociale qui détruisent des millions de vies humaines dans le monde. En reprenant la thèse fumeuse d'un "choc des civilisations" et en faisant des musulmans les boucs émissaires de la crise économique, ils nous préparent à la guerre.

Serge LEFORT
14 février 2006

12 février 2006

Revue de presse : La caricature de la "liberté de la presse" (2)

Nous poursuivons, contre vents et marées, notre revue de presse critique sur l'odieuse caricature assimilant l'Islam au terrorisme.

01/02/2006
Le communiqué du MRAP : Informer : oui, provoquer à la haine raciste : non !
Suite à la parution des caricatures du prophète Mahomet publiées ce jour dans France-Soir, le MRAP, profondément attaché a la liberté d'expression, ciment de toute démocratie, exprime sa consternation devant cette inquiétante provocation.
Souvenons-nous que dans les années 30 les odieuses caricatures antisémites ont participé à l'excitation et à la banalisation de l'antisémitisme. Aujourd'hui, deux de ces caricatures, (celles représentant Mahomet coiffé d'une bombe et celle le montrant armé d'un cimeterre) publiées dans un contexte marqué par une islamophobie rampante ou déclarée, ne peuvent que servir à légitimer les tenants et les partisans de la dangereuse équation : Arabe = musulman = intégriste = terroriste.
Si la liberté d'expression permet à juste titre la critique de toutes les religions y compris l'islam, cependant il est des moments et des contextes où la prudence et la vigilance s'imposent à tous, tant dans l'utilisation de certains mots (karcher, racaille) que de certaines images, comme celles parues dans France-Soir. Il en va de la responsabilité de chacun pour éviter les dérives et dérapages aux conséquences incalculables.
MRAP

03/02/2006
Alors que la presse aux ordres s'appuie sur les déclarations de Sarkozy "La démocratie, c'est la possibilité de la critique, de l'échange des arguments, de la caricature (...) et ça ce n'est pas négociable", cet article rappelle les dernières occasions où le ministre de l'Intérieur a intimidé, menacé et censuré.
L'en dehors

04/02/2006
Témoignage Chrétien est, dans cette affaire, plus explicite que l'Humanité.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la violence de la polémique. D'abord la volonté évidente du Jyllands Posten de jouer la provocation. Dans un contexte national très délicat, où l'extrême droite danoise a atteint plus de 13 % des suffrages aux élections législatives de février et où le débat public sur l'islam peut atteindre des niveaux de radicalité impressionnants, la publication de ces dessins allait forcément susciter la polémique. Pour le quotidien chrétien Kristeligt Dagblad, les responsables du Jyllands Posten se sont comportés « comme des écoliers qui écrivent “con” au tableau pour voir ce que dira la maîtresse ».
Témoignage Chrétien

L'événement qui aurait dû en rester à la dimension d'un aléa bien peu glorieux de la vie médiatique et politique danoise où les services d'un caricaturiste, libre et excessif par définition (croquant notamment Mahomet portant un turban en forme de bombe), ont été utilisés, non sans arrière-pensées, par un quotidien conservateur proche du pouvoir, lui même allié au parti d'extrême droite d'une certaine Pia Kjaersgaard, dont les dérapages xénophobes sont permanents.
l'Humanité

05/02/2006

Combien de médias ont répercuté l'information sur l'incarcération de deux journalistes jordaniens ayant publié les caricatures ? Ce silence en dit long sur l'autocensure de nos valeureux journalistes dès que les faits s'éloignent de leurs préjugés racistes.
Actu-voila

Plantu tient sur RFI des propos beaucoup plus nuancés que dans Le Monde. Se désolidarise-t-il de l'hystérie ambiante ou balance-t-il entre logique commerciale et convictions personnelles ?
Plantu, dessinateur du journal Le Monde, qui a publié samedi deux des douze caricatures de Mahomet, déclarait sur l'antenne de RFI dimanche qu'un dessinateur doit «savoir s'arrêter, et accepter l'autocensure. Je propose des dessins, et je fais confiance aux rédacteurs en chef de les accepter ou non», a expliqué le caricaturiste. «Il faut être respectueux dans l'irrespect et je me rends compte qu'on utilise parfois des images irrespectueuses : le dessinateur flirte avec la ligne rouge ou jaune, je ne sais pas comment on la nomme, mais il doit respecter le lecteur».

«Il faut continuer à être un peu agressif dans le dessin, mais penser que les lecteurs ont des croyances. On peut ne pas être d'accord avec des « choses terrestres » et s'en prendre aux gens sur terre ! Mais quand on touche à des choses sacrés, il faut être respectueux et faire attention», a prévenu le dessinateur.

«Pour qu'ensemble, nous, caricaturistes, continuions à afficher nos convictions en images, nous devons faire attention ! Je pense que si autour de l'Onu et à Genève, on réfléchit au sens de l'image, essayons de nous dire que dans certaines situations, il faut faire attention ! Pour éviter de « faire mal » à des convictions religieuses. Aux dessinateurs du Proche-Orient, je dirais qu'il faut réfléchir au sens politique de nos images. L'image doit être gérée par des dessinateurs qui sont journalistes et le sacré doit être respecté», a-t-il expliqué.

Dans l'affaire des caricatures de Mahomet, «on a été dépassé par la manipulation de l'opinion internationale pour faire un fossé entre le monde occidental et musulman», a ajouté le dessinateur.
RFI

06/02/2006
Dans cette affaire, Libération a choisi le camp de la provocation du Jyllands Posten pour faire la démonstration de la "violence" du "monde arabo-musulman" sans s'interroger sur la violence d'une image coloniale et raciste. Antoine de Gaudemar va même beaucoup plus loin en caractérisant la victoire électorale du Hamas de "contexte explosif".
Un tour inattendu : ainsi, il est curieux de voir les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, enlisés en Irak et victimes de graves attentats terroristes sur leur sol, privilégier la défense des croyants musulmans, quand l'Union européenne met plutôt en avant le droit à la liberté d'expression. Malgré leurs divisions, tous les pays occidentaux semblent surtout soucieux de ne pas jeter de l'huile sur le feu et de contenir au maximum la flambée de violences dans le monde musulman. Car celle-ci intervient dans un contexte déjà explosif, marqué aussi bien par la prise du pouvoir du Hamas en Palestine que par la crise nucléaire iranienne et l'interminable conflit irakien.
Libération

Pierre Marcelle signe un tonique papier "La république catholaïque" qui dénonce l'hypocrite laïcité en France.
De la laïcité, reste une incantation bonne à faire tomber quelques voiles, mais à vite remettre au placard afin que perdurent le Concordat en Alsace-Lorraine, le financement des écoles confessionnelles et la messe dominicale sur les ondes publiques.
Libération

Jacques Camus semble découvrir la solidarité des Églises dès qu'il s'agit de toucher à leur fructueux business.
[...] nous déplorons vivement que l'Eglise catholique, le rabbin Sitruk ou le le président du Conseil français du culte musulman, Dalil Boubakeur, joignent leurs faibles voix aux hurlements des fanatiques qui feront toujours beaucoup plus de bruit qu'eux. Voilà pourquoi nous en voulons aussi beaucoup à ceux qui ont cru faire acte d'héroïsme journalistique en publiant inutilement les dessins. Si le prix à payer devait être un recul de la liberté de la presse, ce serait tragique. Et si ce devait être l'impossibilité de dialoguer, ce le serait encore plus.
La République du centre

Jacques Guyon, comme beaucoup d'autres éditorialistes (Philippe Tesson sur le plateau de Mots croisés par exemple), a une explication lumineuse. Ce ne sont pas les caricatures racistes qui posent problème, mais les réactions à leur publication qui sont le résultat d'un vaste complot !
Les derniers développements, ce week-end, de l'affaire des caricatures de Mahomet sont en train de démontrer que la colère des foules est loin d'être aussi spontanée qu'on aimerait nous le faire croire. Si l'émotion des croyants se sentant offensés par ces caricatures peut apparaître légitime, ce qui ne l'est pas du tout, c'est la façon dont certains groupes et certains gouvernants l'instrumentalisent. On commence à comprendre pourquoi il se sera passé plus de quatre mois entre les publications de ces caricatures dans la presse danoise et la flambée qui a gagné le monde musulman, du Pakistan à Gaza en passant par la Syrie et le Liban. On sait désormais que ce sont des militants islamistes radicaux danois qui, lors du pèlerinage de La Mecque, ont allumé la mèche. L'Arabie Saoudite, l'Iran et les Frères musulmans (qui viennent de remporter un succès électoral en Egypte et qui sont les inspirateurs du Hamas, vainqueur des législatives palestiniennes) ont sauté sur l'occasion.
La Charente libre

Autre exemple de la théorie du complot.
Selon la plupart des observateurs, les émeutes de ce week-end au Liban et en Syrie sont le résultat d'une instrumentalisation politique de la colère des opinions publiques arabes. Jouant sur la surenchère anti-occidentale, certains Etats soufflent sur les braises.
RFI

L'éditorial du quotidien de gauche La Jornada (Mexique) tranche avec le consensus des médias français et européens.
Informar, insultar, incendiar
La libertad de pensamiento y expresión no justifica la falta de respeto y menos aún la falta de sentido común. Dibujar al profeta con una bomba en vez de turbante tiene una lectura inequívoca: los seguidores de Mahoma son todos terroristas y el Islam es la religión de los dinamiteros, implicaciones escandalosamente falsas, ofensivas y altamente provocadoras en el delicado momento actual, en el que en las sociedades musulmanas existe la percepción, en buena medida justificada, de que Estados Unidos y sus aliados europeos han emprendido una guerra no contra el terrorismo, sino contra los pueblos árabes e islámicos. Desde esta perspectiva, las ilustraciones referidas no son una denuncia ni una crítica, y ni siquiera una defensa de valores: son, simplemente, una broma ofensiva y una estupidez.

Tampoco debe omitirse el hecho de que, en muchas ocasiones, los abusos en el ejercicio periodístico están directamente relacionados con el afán de causar escándalo para incrementar, así, las cifras de ventas circulación, rating­ de las empresas propietarias de los medios; esta indebida vinculación, que convierte el interés comercial corporativo en sensacionalismo periodístico requiere que dueños de medios, editores y periodistas en general se conduzcan con responsabilidad, con respeto y con un mínimo sentido de los entornos nacionales e internacionales, y que no olviden que el sentido de su tarea es informar, analizar y criticar, no insultar, y menos incendiar.

Informer, insulter, incendier
La liberté de pensée et d'expression ne justifie pas le manque de respect et encore moins le manque de sens commun. Dessiner le prophète avec une bombe en guise de turban a une lecture évidente : les partisans de Mahomet sont tous terroristes et l'Islam est la religion des dynamiteurs - implications scandaleusement fausses, offensantes et très provocantes dans le sensible contexte actuel, où dans les sociétés musulmanes il existe la perception, en bonne mesure justifiée, que les Etats-Unis et ses alliés européens ont entrepris une guerre non contre le terrorisme, mais contre les peuples arabes et islamiques. Dans cette perspective, les illustrations mentionnées ne sont pas une dénonciation ni une critique ni même une défense de valeurs : ils sont, simplement, une plaisanterie offensante et stupide.

On ne doit pas non plus omettre le fait que, à de multiples occasions, les abus dans l'exercice journalistique sont directement en rapport avec le souci de provoquer un scandale pour augmenter, ainsi, les chiffres de ventes - mesure des entreprises propriétaires des médias ; ce lien incorrect, qui convertit l'intérêt commercial corporatif en sensationnalisme journalistique requiert que propriétaires des médias, éditeurs et journalistes en général se conduisent avec responsabilité, avec respect et avec un minimum de pris en compte des environnements nationaux et internationaux, et qu'ils n'oublient pas que le sens de leur tâche est d'informer, d'analyser et de critiquer, non pas d'insulter, et encore moins d'incendier.
La Jornada

07/02/2006
A écouter : Un journaliste du Jyllands-Posten explique la démarche du quotidien.
Le Monde

Renaud Girard enfonce le clou du retournement de la responsabilité - air connu du colonialisme.
Mais que se passe-t-il donc en ce moment ? Est-ce nous, les Occidentaux, qui avons un problème avec l'islam, ou est-ce l'islam qui a un problème avec nous ? A l'évidence, c'est la seconde branche de l'alternative qui est la bonne.
Le Figaro

Robert Ménard affirme, contrairement à la loi, que "Il n'existe pas de limite à la liberté d'expression".
[...] parmi ces caricatures, l'une d'entre elles, représentant Mahomet avec un turban transformé en bombe, était absolument inacceptable et islamophobe. J'estime pourtant, même si ce dessin était odieux, qu'on avait le droit de le publier.

Sur le contexte politique, il est vrai que ces publications interviennent au Danemark à un moment où un débat a lieu autour de la question de l'immigration, mais ce contexte n'a rien à voir avec l'affaire elle-même. On a le droit de publier ces dessins, même si certains sont odieux et d'autres nuls.
Le Nouvel Observateur

Nicolas Sarkozy, qui a le culot de clamer que "la possibilité de la critique, de l'échange des arguments, de la caricature" "n'est pas négociable", pratique allègrement la censure quand il est mis en cause.
Il semble difficile, pour les magistrats du parquet, de participer au débat public : Didier Peyrat, vice-procureur chargé des mineurs à Pontoise, a reçu, jeudi 2 février, un avertissement pour avoir publié deux tribunes dans Libération et Le Monde, à l'occasion des violences urbaines de novembre 2005.
Samizdat

A propos d'une autre affaire de censure.
En réalité, ce n'est pas la liberté de la presse qui est en jeu, c'est la liberté de commettre un délit.
PaxaBlog

Lire aussi sur la publicité interdite par des catholiques :
Une association, Croyance et liberté, émanation de la conférence des évêques de France, a assigné en référé les créateurs (et l'afficheur de la publicité, l'inusable Decaux) pour voir interdire la diffusion de cette affiche, puis, en dernier lieu, l'interdiction de l'affichage d'une de ces affiches, à Neuilly (affiche immense, si j'ai bien compris) (selon le Nouvel Obs).
Cette publicité constituerait, du fait de son caractère "mercantile", "une blessure à l'égard d'un élément fondateur pour les catholiques", à savoir le dernier repas du Christ avant sa mort, dit l'association Croyance & Liberté.
Partie 1 - Partie 2 - Partie 3

Les trotskystes américains ont une position beaucoup plus claires que nos trotskystes franco-français.
Ces caricatures grossières destinées à insulter et à attiser les émotions des Musulmans, sont une provocation politique. Leur publication, à l'origine par un journal danois de droite ayant des liens historiques avec le fascisme allemand et italien, avait pour dessein d'attiser un sentiment antimusulman et anti-immigré.

La dissémination de telles ordures fanatiques est plutôt liée au virage pris par les élites dirigeantes européennes qui veulent s'aligner plus clairement derrière les interventions néocoloniales de l'impérialisme américain au Moyen Orient et en Asie centrale.

Dans les années 1920 et 1930, Jyllands-Posten fut tristement célèbre pour ses affinités avec le fascisme italien et la dictature allemande nazie. En 1933, il plaida pour l'instauration d'une dictature au Danemark.

La promotion du chauvinisme antimusulman et de toutes les formes de poison communautariste et nationaliste, est l'expression d'un système social qui est plongé dans une crise insoluble et qui est incapable de satisfaire les besoins les plus élémentaires des grandes masses de la population.
WSWS

08/02/2006
Le Monde, actionnaire principale de titres de la presse catholique et propriétaire du Monde des religions, tient un langage différent selon la clientèle à laquelle il s'adresse.
[...] nous avons déjà caricaturé des imams et des rabbins fanatiques, mais jamais je ne publierai un dessin montrant Mohammed en poseur de bombes ou Moïse tuant un enfant palestinien.
De telles caricatures sous-entendent que tous les musulmans sont des terroristes ou tous les juifs des tueurs d'enfants innocents. C'est la raison pour laquelle j'aurais refusé de publier les caricatures du prophète Mohammed le présentant avec une bombe dans le turban ou avec un cimeterre dans les mains. Je comprends donc parfaitement la tristesse et la colère de nombreux musulmans à travers le monde, qui n'acceptent pas d'être présentés comme des terroristes potentiels.

Publier des dessins islamophobes dans le contexte actuel, c'est attiser inutilement les tensions et apporter de l'eau au moulin des extrémistes de tous bords.
Le Figaro

La guerre des images est revendiquée au nom du "choc des civilisations". Car, pour cet auteur, il s'agit de défendre la "civilisation" judéo-chétienne contre la "barbarie" islamique. Opinion partagée par l'immense majorité de l'élite politico-médiatique.
On comprend, à rappeler ces données que, derrière la question des caricatures du Prophète, c'est notre rapport – nous : la France, l'Europe, l'Occident – avec le monde islamique qui est soulevé. Non pas selon les usages diplomatiques mais bien en termes de civilisations. D'abord écartons les hypocrites, les timorés, les habiles, les aveugles qui récusent l'évidence. Il y a bien un choc de civilisations.

On peut aussi envisager une capitulation rampante qui se donnerait la bonne conscience de la sagesse et de l'esprit de responsabilité. Pour acheter la paix, pourquoi s'encombrer de ces mauvais caricaturistes, de ces irresponsables ? Ont-ils du pétrole les adeptes de la liberté de pensée ? Sont-ils capables de défendre au péril de leur vie les grands principes qu'ils proclament ? Pour ne pas payer l'essence trop chère et garder nos parts de marché, pourquoi ne pas cesser de résister ? Va-t-on se battre pour douze caricatures sinistres ? Et allons au bout : l'Empire romain a été conquis par le christianisme ; pourquoi l'islam ne serait-il pas la nouvelle religion conquérante ? On s'adaptera. On se convertira. Il faut oser regarder ces choix en face. Que voulons-nous défendre de ce que nous avons acquis, siècle après siècle ? Que sommes-nous prêts à abandonner ? Par réalisme ? Par sagesse ? Ou par lâcheté ?
Le Figaro

Libération découvre très tardivement que des journalistes jordaniens ont été poursuivis pour avoir publié les dessins du Prophète et continue de propager le mythe raciste du monde arabo-musulman.
Libération

Plantu, toujours lui, "revendique l'autocensure"... pour ne pas caricaturer les religions judéo-chrétiennes.
Le Nouvel Observateur

Charlie Hebdo aurait triplé son tirage en publiant les caricatures de Mahomet. Les provocations d'un Philippe Val, grand défenseur de la guerre contre l'Irak et du colonialisme israélien (La théorie du complot) sont payantes !
Le Nouvel Observateur

Jean-Marcel Bouguereau signe un ignoble papier. Voir : La guerre des images.

Olivier Roy fait certainement la meilleure analyse sur la "géopolitique de l'indignation".
Le conflit sur les caricatures danoises est souvent présenté comme l'expression d'un "clash" des civilisations entre un Occident libéral et un islam qui refuserait la liberté d'expression. Il faut beaucoup d'ignorance et encore plus d'hypocrisie pour s'en tenir à cette thèse. La liberté d'expression est dans tous les pays occidentaux d'ores et déjà limitée, et par deux choses : la loi et un certain consensus social. L'antisémitisme est réprimé légalement. Mais l'atteinte à d'autres communautés aussi : en 2005, l'Eglise catholique de France a obtenu le retrait d'une publicité utilisant la Cène, mais remplaçant les apôtres par des femmes court vêtues. Cela relève exactement de la même démarche qu'entreprennent les associations musulmanes aujourd'hui. Quels journaux ont alors publié la publicité incriminée en défense de la liberté d'expression ?

Mais le mauvais goût passe pour l'islam, parce que l'opinion publique est plus perméable à l'islamophobie (qui très souvent recouvre en fait un rejet de l'immigration). Ce qui choque le musulman moyen, ce n'est pas la représentation du Prophète, mais qu'il y ait deux poids et deux mesures.

Rien d'étonnant à ce que les religieux conservateurs, chrétiens, juifs ou musulmans se retrouvent de plus en plus souvent ensemble pour réclamer des limites à la liberté de l'homme, que ce soit sur les questions d'avortement, de mariage homosexuel, de bioéthique ou de blasphème. Rien d'étonnant à ce que la conférence épiscopale, le grand rabbinat et le consistoire protestant aient fait savoir qu'ils comprenaient l'indignation des musulmans. Ce débat sur les valeurs n'oppose pas l'Occident à l'islam, il est à l'intérieur même de l'Occident.

Loin d'être neutre ou absente, l'Europe depuis trois ans a pris une posture beaucoup plus visible et interventionniste au Moyen-Orient, tout en se rapprochant des Etats-Unis. Contrairement à ce qui se passait il y a trois ans, Washington souhaite désormais une plus grande présence européenne, surtout dans la perspective d'un retrait progressif d'Irak. Cette plus grande exposition de l'Europe entraîne donc des tensions avec une coalition hétéroclite de régimes et de mouvements, qui ont alors pris en otage les musulmans européens.

Bref, Etats comme organisations font tout pour maintenir les musulmans d'Europe dans une mouvance moyen-orientale, et c'est de bonne guerre.
Mais ce parrainage pesant est de plus en plus mal vécu par la majorité des musulmans d'Europe : il est intéressant de voir que les grandes organisations prennent en fait leurs distances par rapport à la polémique sur les caricatures (il suffit de regarder sur le site de l'UOIF ou bien sur oumma.com). C'est dans le sens de cette déconnection entre islam d'Europe et crises du Moyen-Orient qu'il faut chercher la clé de la gestion de ces inévitables tensions et traiter les musulmans d'Europe comme des citoyens, comme on le fait avec chrétiens et juifs, même s'il faut rappeler régulièrement à tous les principes de la liberté d'expression et de la laïcité.
Le Monde

Olivier Truc, envoyé spécial à Copenhague, réalise une très instructive enquête sur "l'extrême droite danoise" qui "alimente une xénophobie bien-pensante".
[...] le Parti du peuple danois, formation d'extrême droite de Pia Kjaersgaard, est parvenu à imposer son agenda à la politique danoise. "Le Parti du peuple danois n'accepte pas que le Danemark se transforme en une société multiethnique. (...) Le libre accès au Danemark détruit notre Etat-providence", est-il clairement affirmé dans son programme. Depuis, son succès ne s'est pas démenti.

Pour de nombreux observateurs danois, l'affaire des dessins du journal Jyllands-Posten - principal publication de la droite et le plus gros tirage de la presse danoise - doit être replacée dans ce contexte. "Ce n'est pas un hasard si cette affaire a éclaté au Danemark. Aucun pays de l'UE n'est aussi islamophobe et xénophobe", affirme Bashy Quraishy, un Danois d'origine pakistanaise qui préside aujourd'hui Enar, le Réseau européen contre le racisme, financé par la Commission européenne.
Le Monde

09/02/2006
Alain Finkielkraut, connu pour ses positions odieusement racistes à propos de la révolte sociale des banlieues, se plaint de la haine qu'il attise pourtant à longueur de colonnes et d'antennes. Une perle parmi d'autres sous la plume alambiquée de ce guerrier sioniste.
Une infime minorité de ceux qui, du Pakistan à l'Algérie, protestent contre les dessins parus dans le quotidien de Copenhague Jyllands-Posten saurait situer le Danemark sur une carte de géographie.
Libération

Pierre Marcelle, lui, n'est décidément pas prêt à hurler avec les loups. Dans son style inimitable, il s'interroge.
Qu'est-ce qui, dans la livraison poliment blasphématoire du dernier Charlie, me fait ne pas me réjouir tout à fait (hormis pour ses comptes) de son statut de collector ? Quatre cent mille lecteurs et plus pour la reconquête de la liberté d'expression, il devrait pourtant y avoir là de quoi se réjouir. Or, ça ne marche pas. Je ne marche pas. Quelque chose là-dedans trompe l'oeil et m'effraie, qui ressemble par trop à une croisade. Depuis hier, je me surprends à scruter les nouveaux zélotes de Charlie, et à me demander si tel, qui dévotement le dévore, respecte à la folie le droit à la caricature ou déteste passionnément les «arabo-musulmans».
Libération

La presse britannique tient le même langage que l'éditorialiste de La Jornada au grand dam des responsables de Libération (après Antoine de Gaudemar, Serge July persiste et signe).
Après la publication des dessins du Jyllands-Posten par France Soir, l'éditorial du quotidien The Guardian mettait l'accent sur le «contexte». Publier une caricature de Mahomet, c'est un droit ; mais à quoi bon mettre ce droit à l'épreuve «quand le faire offensera inévitablement de nombreux musulmans et quand, surtout, il y a une puissante nécessité de construire une meilleure culture publique d'intégration qui puisse les embrasser eux et leur foi», interrogeait le quotidien. Et quand The Times refusait «l'exhibitionnisme», The Independent redoutait la confusion entre un journalisme de «controverse» et un journalisme «irresponsable». Le mot était lâché.
Libération

Denis Sieffert fait partie des rares analystes qui osent se démarquer d'une "affaire caricaturale".
Le premier piège réside dans l'image grossissante d'un « monde arabo-musulman » qui serait tout entier à feu et à sang. Non. Quelques milliers de personnes vociférant et saccageant des bâtiments consulaires danois et norvégiens, c'est déjà beaucoup trop ! Mais on est loin des centaines de millions de femmes et d'hommes qui se réclament de l'islam.

L'autre lecture biaisée vient du côté occidental. Elle nous raconte une histoire grandiloquente de liberté qui ne peut souffrir aucune entrave, ne connaît jamais l'autocensure, moque et caricature à tout-va sans se soucier des sensibilités et des situations. Laïques ou athées, nous serions donc tous condamnés à répéter avec l'un des frères Karamazov : « Si Dieu n'existe pas, tout est permis. »

Tout le monde sait bien que ce n'est pas si simple. Que cette liberté invoquée peut cacher des motifs moins nobles, et que règne ces temps-ci au royaume du Danemark une ambiance pourrie autour de la question de l'immigration. On en sait aussi un peu plus sur les engagements sulfureux du journal, Jyllands Posten, qui a lancé ce périlleux appel d'offres à des talents impatients d'explorer les limites de leur propre liberté, et de livrer au monde un message « courageux » et ô combien « original » sur le thème « islamistes violeurs » et « musulmans terroristes ». L'humour est évidemment chose subjective. Mais on peut tout de même se demander où est l'intérêt d'en passer par l'art supposé de la dérision pour reprendre les préjugés les plus vulgaires que colporte notre époque. Où donc est la dérision ici ?
Politis

Heidi Bojsen et Johan J. Malki Jepsen replacent les caricatures dans le contexte de "la xénophobie ambiante" qui règne au Danemark.
Cette question a une histoire beaucoup plus nuancée que ne le laisse croire le manichéisme dans lequel elle a été enfermée. Il nous semble impératif de rappeler le contexte spécifique dans lequel ces dessins ont fait leur apparition, en l'occurrence le contexte danois, sans lequel toute compréhension de l'enjeu en question serait illusoire et toute sortie de crise serait vaine.

La conséquence inévitable de cette effervescence du débat public a été une normalisation et une banalisation de la xénophobie pour un pan non négligeable de la société danoise au nom même du principe sacro-saint de la liberté d'expression. Dans notre société où la culture politique repose fortement sur le pragmatisme et le consensus, cette soupape populiste a principalement fonctionné pour stigmatiser les musulmans et l'islam, dont on méconnaît toute la complexité et la diversité.

A ceci s'ajoute le fait qu'au Danemark l'Eglise n'est pas séparée de l'Etat. Certains soutiennent, toutefois, que la politique y est séparée de la religion. Il existe néanmoins une religion d'Etat : le protestantisme luthérien. Les prêtres ont le statut de fonctionnaires. Les cours de «christianisme» sont obligatoires à l'école publique. L'inscription à l'état civil des nouveau-nés est effectuée exclusivement par l'administration de l'Eglise luthérienne.

La législation danoise n'a pas tardé à prendre le relais. Depuis 2002, le gouvernement a réduit l'aide sociale aux étrangers pendant les premiers mois de leur période de résidence.

C'est cette nouvelle pratique du pouvoir, fondée sur l'idée de «tolérance zéro» (ou intolérance ? ), inaugurée par le chef du gouvernement actuel, qui a été employée à l'égard des ambassadeurs des pays musulmans.

Leur contestation a le plus souvent été récusée. Il est nécessaire, du reste, de signaler que les deux autres grands quotidiens du Danemark, 'Politiken' (centre gauche) et 'Berlingske Tidende' (conservateur), ont ouvertement choisi, dès le début, de ne pas tomber dans le piège islamophobe de la pseudo-lutte pour la liberté d'expression invoquée par le quotidien par qui la crise est arrivée, Jyllands-Posten.

Les dessins n'ont pas été publiés en vue d'un véritable débat. Ils relèvent d'une entreprise de stigmatisation et de propagande xénophobe et populiste à l'encontre d'une minorité ethnique au Danemark. Le véritable enjeu est ici celui du respect de la diversité, que les sphères nationalo-populistes refusent, quitte à brandir la liberté d'expression lorsque celle-ci sert leurs intérêts. La liberté de la presse n'a jamais non plus été illimitée ! Il ne s'agit pas non plus de l'amputer.

Dans le cas présent, l'agresseur prétend être la victime. Une aberration !
Libération

Mouloud Aounit, président du Mrap, a animé le forum du Nouvel Observateur sur "Les caricatures de Mahomet".
Partie 1 - Partie 2