7 février 2007

Violence féminine

Dans le milieu de la gauche néolibérale comme dans celui des courants multiples et contradictoires de la gauche antilibérale, il est communément admis, mais non démontré, que la violence serait exclusivement masculine. Ce dogme néo-féministe est aussi réactionnaire que le dogme catholique de l'Immaculée conception.

Ainsi, une universitaire peut tranquillement asséner «l'agressivité n'est pas une valeur féminine» sans que personne ne s'étonne de l'absence de preuves à l'appui de cette thèse. Au lieu d'en apporter le début d'une, elle expose des faits qui la contredisent, mais rétablit sa thèse par une savante pirouette : «[La violence féminine] est une réaction à la violence, hautement valorisée, des hommes.» [1]

Les faits sont têtus et n'entrent pas dans la case-prison, aussi caricaturale que réductrice, de l'idéologie néoféministe. Plutôt que de refaire l'analyse critique d'Annie Le Brun [2], il est plus démonstratif, selon la méthode de Karl Kraus [3], de citer un banal fait divers.


Une astronaute a été arrêtée lundi après avoir tenté de kidnapper sa rivale.

Perruque et imperméable : l'astronaute Lisa Novak n'a pas lésiné sur les moyens pour assouvir une crise de jalousie. Persuadée qu'une autre femme tournait autour de l'homme qu'elle aimait, ce capitaine de vaisseau de l'US Navy a conduit plus de douze heures d'affilée pour parcourir les 1.500 km reliant Houston au Texas à Orlando en Floride et retrouver sa rivale. Pis, elle a même été jusqu'à porter une couche pour ne pas avoir besoin de s'arrêter en route. Une fois arrivée, elle a aspergé sa rivale, Colleen Shipman d'une substance chimique avant de tenter de l'enlever.

Mariée et mère de trois enfants, Lisa Novak était en effet persuadée que cette dernière avait une aventure avec William Oefelein, lui-même astronaute et pilote de la navette Discovery.

[...]

Pour se défendre, Lisa Nowak a déclaré qu'elle avait simplement voulu effrayer Shipman et n'avait aucune intention de lui faire du mal. Les policiers ont pourtant retrouvé en sa possession une bombe lacrymogène, une cartouche neuve pour l'arme à air comprimé, un canif de dix centimètres et des copies de mails échangés entre Shipman et Oefelein.

Arrêtée lundi, elle a été inculpée de tentative d'effraction d'un véhicule, destruction de preuves et agression. Sa liberté sous caution lui a été refusée. Si elle est reconnue coupable d'enlèvement, Lisa Nowak encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Le Figaro, 06 février 2007 à 13h23 [4].

Lou QUÉTIERO
7 février 2007

[1] HANDMAN Marie-Elisabeth, La violence et la ruse - Hommes et femmes dans un village grec, Edisud, 1983.
[2] LE BRUN Annie, Vagit-prop, Lâchez tout et autres textes, Ramsay - J.J. Pauvert, 1990.
[3] Les guerres de Karl Kraus, Agone n°35/36, 2006.
[4] Autres articles :
Matin (Québec)
Canada.com
Planète Québec
Google actualité
Biographie Lisa Novak (en anglais)
NASA
Wikipédia

4 février 2007

Ségo, Sarko, miroir des sexes

Si nous doutions de notre passion pour la sphère de l'intime, de notre désarroi face à l'égalité sexuelle, cette campagne aura eu le mérite de nous le confirmer.

Le haut et le bas, le dur et le mou, le rugueux et le doux, l'ombre et la lumière, le jour et la nuit. Passif ou actif, phallique ou châtré, garçon ou fille, masculin ou féminin... Dans cet océan fusionnel où il baigne avec délice, le nourrisson construit son univers mental dans un monde qu'il tente de rendre rationnel à partir de la perception binaire d'une série d'oppositions.

Penser, c'est d'abord classer, et la pensée, c'est la pensée de la différence. Dans la piscine où parfois ses parents le conduisent, cet être en devenir perçoit qu'un des deux le maintient serré contre lui, ventre contre ventre, et qu'un autre le présente au monde, son dos bien calé contre un torse plat...

Il faut bien rendre ces oppositions cohérentes et, pour leur donner du sens, tenter de les ordonner. Mais classer, c'est discriminer, c'est établir une hiérarchie. Françoise Héritier a souligné à quel point la discrimination essentielle se fondait sur la valence différentielle des sexes. On range dans un même tiroir des séries d'éléments que l'on juge analogues : ainsi naissent ces chaînes signifiantes qui structurent la pensée et la culture. Pénis, pénétrant, actif, masculin, supérieur, sadique... Châtré, pénétré, passif, féminin, inférieur, masochiste...

En découvrant leur sexe, des bébés garçons et des bébés filles s'inscrivent à leur corps défendant dans des réseaux de significations qui leur échappent, mais auxquels ils ne peuvent échapper. Et leurs rêves se peuplent de ces monstres hybrides qui ne les quitteront jamais : une maman soulève ses jupes pour montrer sa verge, un petit garçon porte des bébés chiots dans son ventre et accouche par son anus, un papa qui gronde brandit un gros bâton qu'il enfonce dans la bouche de son enfant terrorisé...

Se séparer et se sexuer. Distinguer le «moi» et le «non-moi» à partir d'une unité primordiale. Echapper à cette atmosphère de mystère et d'angoisse qui plane autour des différences des appareils génitaux. J'ai pas faim, lâche le vélo, les filles sont bêtes, les garçons sont méchants. Nous n'en finirons plus d'accomplir des choix et de subir des deuils. Dans une logique inconsciente largement amplifiée par la culture qui apparie masculin et actif, féminin et passif, des filles et des garçons abandonnent une part d'eux-mêmes pour s'affilier à des modèles. «Enculé !» devient la pire insulte qu'un homme puisse faire à un homme. Eloigner les hommes des femmes, puisque leur contact, par une alchimie qui relève de la sorcellerie, ramollit les garçons et les dégrade, a toujours été le signe des sociétés bien ordonnées.

Il faudra bien des années, lorsque leur environnement les y autorise, pour que les hommes acceptent de se débarrasser du carcan de leur armure pour habiter leur corps et reconnaître leurs émotions, pour que les femmes investissent le pouvoir sans craindre d'y perdre leur identité. Pour renouer avec une bisexualité psychique fondamentale. Pour ne pas se laisser alarmer par ceux qui prédisent la fin du monde dans l'indifférence des sexes et qui ne font que pleurer la mort du patriarcat.

Car la logique binaire tente d'épuiser la complexité : une société qui privilégie l'écoute et le dialogue, bref, une société démocratique, devient une société «maternante». La lutte des classes laisse la place à la guerre des sexes, et à la domination des femmes par les hommes succéderait une «crise du masculin» face au pouvoir redoutable des mères.

Droite ou gauche ? Homme ou femme ? Le pouvoir est-il de droite ? La gauche est-elle féminine ?

Voici que, par un caprice du destin, une campagne électorale nous replonge au coeur même de ces atermoiements. Et l'engouement qu'elle suscite dépasse, on le sent bien, le choix d'un candidat et d'une classe politique. Comme si choisir entre droite et gauche nous ramenait aux arrachements fondamentaux de nos fondations psychiques.

«Qui va garder les enfants ?» Certes, il s'agit de choisir entre un homme et une femme, mais aussi entre une représentation masculine et une représentation féminine du pouvoir. Et, surtout, entre ce que c'est d'être un homme, ce que c'est d'être une femme dans notre pays. Et c'est ici que les repères se brouillent. Et que chacun scrute dans une série de micro-événements comment ordonner et donner du sens.

Sarko est-il macho ? Ségo joue-t-elle la fifille en gloussant sur sa «différence» ? Mais n'est-ce pas lui qui se féminise, les émotions à fleur de peau, le coeur en bandoulière lors de son discours d'intronisation ? L'ordre juste, ça ne fait pas un peu mec ? Et tu as vu leurs couples ? Qui décide, comment est-ce qu'ils communiquent, comment se jouent les rapports de pouvoir ? En posant la question d'une hausse de l'imposition, Hollande nous offre-t-il une scène de ménage publique où Monsieur tente de reprendre la culotte ? Comme le résume Montebourg, notre destin se réduirait-il à «une histoire de mec qui ne supporte pas que sa nana réussisse mieux que lui» ?

En nous faisant partager ses désarrois sentimentaux, en se jetant aux pieds de Cécilia pour la supplier de rester, Nicolas est-il un chevalier moderne qui séduit les foules ou un homme qui perd la face ? Si nous doutions de notre passion pour la sphère de l'intime, de notre désarroi face à l'égalité des sexes, cette campagne aura eu le mérite de nous le confirmer...

Mais peut-être pouvons-nous à présent rompre les charmes suscités par ce couple mythique de présidentiables et exiger des programmes clairs pour sortir du fantasme et étayer notre pensée. Car les candidats hommes ont bien compris que le pouvoir ne se fondait pas uniquement sur la place occupée mais aussi sur la capacité à instaurer la confiance, le respect mutuel, le relationnel, le partage et la crédibilité.

Et nous avons déjà appris de Golda Meir, Margaret Thatcher ou Indira Gandhi qu'il n'existe pas de comportement féminin au sommet du pouvoir et que le contexte politique d'un pays détermine les décisions bien plus que le sexe.

Dernier ouvrage paru : Quand la famille s'emmêle, Hachette Littératures, 2006.

Serge HEFEZ psychiatre
2 Février 2007
Libération

Marie-Ségolène Royal découvre la critique radicale des médias

Marie-Ségolène Royal, qui est de droite [1], expérimente ces jours-ci que la presse (qui ment) l'est aussi, mais qu'elle serait, finalement, d'un droite ouvertement sarkozyste, plutôt que timidement royaliste.

Et ça, manifestement, ça la fait chier d'abondance, Marie-Ségolène Royal.

Lapidée ces jours-ci par les mêmes journaleux serviles qui l'avaient habituée au contact apaisant de leur langues sucrées, Marie-Ségolène Royal, ulcérée soudain par leur versatilité moutonnière, découvre du coup la critique radicale des médias - et cela fait naturellement, pour lesdits, un nouveau sujet de papotage fat et grinçant.

Car les journalistes, il est temps de l'énoncer posément, sont bien souvent de tristes crétin(e)s.

Marie-Ségolène Royal, soudain, stigmatise, en substance, une-presse-constamment-occupée-à-lécher-le-postérieur-avantageux-de-Monsieur-Nicolas-Sarkozy, et le diagnostic n'est certes pas faux, mais pour autant, que je vous dise : Marie-Ségolène Royal me fait (décidément) rigoler - qui va bientôt faire semblant de se rendre compte aussi, au train où va son éveil aux réalités, que l'eau mouille, et que, en règle générale, après l'automne vient l'hiver.

Faudrait maintenant que tu cesses, on te l'a déjà plus d'une fois demandé, de nous prendre pour des buses oublieuses, camarade Marie-Ségolène, si je peux me permettre.

Parce qu'enfin, le rouleau compresseur médiatique dont Nicolas Sarkozy tient aujourd'hui les commandes est le même, exactement, qui a fait campagne, il y a deux ans, pour un "oui" franc, massif, et furieusement novateur à l'Europe des marchés, telle que voulue, notamment, par l'excellent monsieur Estaing.

A l'époque, cet effroyable ministère journalistique de la Propagande avait, que l'on sache, grandement ravi Marie-Ségolène Royal, qui, étant de droite, se trouvait, pour l'occasion, dans le même pack et le même élan que les ami(e)s politiques de Nicolas Sarkozy : et je n'ai pas le souvenir qu'on l'ait vue, à l'époque, agiter ses petits poings - ou qu'elle ait réclamé, pour ne citer que lui, le prompt bannissement de Jean-Pierre Elkabbach, qui, faisant campagne pour son camp, faisait campagne pour le sien.

Mêmes intérêts, même grossièreté : Marie-Ségolène Royal s'accommodait fort bien, alors, d'une entreprise politico-médiatique de décervelage qui forçait même l'admiration de retraités de feue la Pravda, et du défunt Politburo.

Plus récemment, je crois me rappeler que Marie-Ségolène Royal, une fois posé qu'elle aurait désormais son rond de serviette à TF1, ne s'est que fort peu manifestée, lorsque François Bayrou a dénoncé l'affolant privilège médiatique dont elle bénéficiait pour sa campagne présidentielle, à égalité (ou presque) avec Nicolas Sarkozy.

Vous l'avez entendue pester, Marie-Ségolène Royal, contre les cire-pompes à cartes de presse qui lui humectaient de salive, pas plus tard que le mois dernier encore, la petite-robe-noire-toute-simple ?

Ben non !

Pensez-vous !

Marie-Ségolène Royal se faisait facilement à la nulllité crasse de nos médias partisans, quand elle en était la principale bénéficiaire.

Elle s'arrangeait tout à fait bien du tombereau de conneries que déversait la presse (qui ment), sitôt qu'un sondage pronostiquait, mettons, l'écrasement royaliste de la vermine bolchevique - aka Laurent Fabius.

Etc.

Ne pas se laisser prendre, surtout, à ses nouvelles palinodies crypto-sergehalimiesques : Marie-Ségolène Royal découvre que sa presse domestique, si adorable quand elle ne dépeçait que les "petits" candidats, peut aussi la griffer - et ça la fait trépigner de rage.

Mais franchement, qui va la plaindre ?

Sébastien Fontenelle
3 Février 2007
Le Monde Citoyen

[1] Du moins était-ce l'avis, autorisé, de Pierre Bourdieu.