28 janvier 2009

Abandon de peuple

Le 14 janvier dernier, après que plus de mille Palestiniens enfermés dans une étroite bande de terre et soumis au pilonnage — terrestre, maritime, aérien — d’une des plus puissantes armées du monde eurent été tués par les troupes israéliennes, après qu’une école palestinienne transformée en refuge des Nations unies eut été bombardée [1], après qu’une résolution de la seule organisation qui représente vraiment cette «communauté internationale» sans cesse invoquée eut réclamé, en vain, l’arrêt des opérations militaires à Gaza, le 14 janvier donc, l’Union européenne montra avec quelle détermination elle pouvait réagir à ce déchaînement mêlé de violence et d’arrogance. Elle décida... de marquer une pause dans son processus de rapprochement avec Israël ! Toutefois, pour atténuer l’impact de ce qui aurait tout de même risqué de passer pour un chuintement réprobateur adressé à Tel-Aviv, elle fit savoir qu’il s’agissait là d’une mesure «technique», pas «politique». Et que la décision avait été prise par les «deux parties».

Israël a carte blanche. Son armée avait précédemment détruit la plupart des infrastructures palestiniennes financées par l’Union européenne. A peine une réaction, aucun recours juridique, nulle demande de réparation [2]. Puis Israël imposa un blocus à une population pauvre privée d’eau, de nourriture, de médicaments. Toujours rien, si ce n’est la sempiternelle remontrance renvoyant les protagonistes dos à dos au prétexte que la violence du plus fort ne s’accompagne pas toujours de la soumission du plus faible. Pourquoi Israël aurait-il donc imaginé que son impunité allait cesser ?

Il y a vingt ans, l’Etat hébreu avait d’ailleurs pris ses précautions en encourageant, contre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), la montée en puissance d’un adversaire de rêve, le Hamas, à la charte moyenâgeuse, à l’efficacité militaire incertaine, et qui ne cherche pas à «communiquer» auprès des opinions occidentales. Or, quand on souhaite bombarder et coloniser sans entraves, rien de tel que le prétexte de n’avoir pas de «partenaire pour la paix».

Rien ne contrarie non plus les desseins du gouvernement de Tel-Aviv aux Etats-Unis. Le 9 janvier, une résolution de la Chambre des représentants lui a reconnu le «droit de se défendre contre les attaques venues de Gaza». Le Sénat avait quelques heures plus tôt «réaffirmé le soutien déterminé des Etats-Unis à Israël dans sa bataille contre le Hamas». Sans doute par souci d’«équilibre», la première résolution présentait également «ses condoléances aux victimes innocentes palestiniennes et à leurs familles». Elle fut adoptée par trois cent quatre-vingt-dix voix contre cinq. La seconde, à l’unanimité. Le front de l’exécutif américain n’est pas mal tenu non plus. Quelques heures après avoir annoncé un cessez-le-feu unilatéral, M. Ehoud Olmert téléphona d’ailleurs au président des Etats-Unis pour le remercier de son soutien. Lequel s’exprime aussi par une aide financière annuelle, non remboursable, de 3 milliards de dollars. Depuis longtemps personne, M. Barack Obama pas davantage qu’un autre, n’a envisagé de la remettre en cause.

Adossé à de tels appuis, le projet des grands partis israéliens semble clair : détruire la perspective d’un véritable Etat palestinien dont la création est un objectif internationalement reconnu. Zébrée de murs et de barrages, grêlée de colonies, la Cisjordanie resterait un conglomérat de bantoustans perfusé par l’Union européenne. Et Gaza sera bombardé chaque fois qu’il plaira à son voisin de «riposter», de façon disproportionnée, à des attentats ou à des tirs de roquettes. Au fond, après soixante et un ans de défaites, d’humiliations, d’exils, de violation des accords signés, de colonisation, de guerres fratricides, alors que les gouvernements du monde entier les ont abandonnés à leur sort et ont autorisé que le droit international, y compris humanitaire, soit foulé aux pieds, il est presque miraculeux que les Palestiniens conservent la détermination de concrétiser un jour leur identité nationale.

S’ils y parviennent, ils ne le devront ni aux Européens, ni aux Américains, ni à la plupart des gouvernements arabes. A Gaza, une fois de plus, tous se sont comportés en complices de l’interminable spoliation d’un peuple.

Serge Halimi
Février 2009
Publié par Le Monde diplomatique.


[1] «Bon, il y a eu quelques pépins», a concédé M. Avi Pazner, porte-parole du gouvernement israélien (France Inter, 8 janvier 2009).
[2] Pierre Avril, «L’Europe paie, Israël détruit», Le Figaro, Paris, 16 janvier 2009.

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