1 février 2010

Good Night and Good Luck


Winchell, un film pratiquement inconnu en France, est l'envers de Good Night and Good Luck. Le premier raconte l'histoire du journaliste américain Walter Winchell et le second celle du journaliste américain Edward R. Murrow.

Walter Winchell fut, de son propre aveu, «un fils de pute» c'est-à-dire un acteur du système de désinformation. Profondément anticommunisme, il a naturellement soutenu la campagne du sénateur Joseph McCarthy. Il travaillait pour sa propre gloire, ce que montre bien le film, et acceptait toutes les compromissions susceptibles de renforcer son audience.

Edward R. Murrow, reconnu pour l'honnêteté et l'intégrité de son travail, fut l'un des journalistes qui contribuèrent à la chute du sénateur Joseph McCarthy. Journaliste au pluriel car ses reportages n'auraient jamais été diffusés sans la solidarité d'une équipe au sein de CBS. Malgré ses qualités professionnelles, il n'échappa pas à un système médiatique qui est soumis au marché depuis les origines de la presse.

Le mariage de la presse et des financiers, via la publicité, se réalisa dès les années 1830 :
En France, l'industrie du journalisme repose sur une base essentiellement fausse, c'est-à-dire plus sur les abonnements que sur les annonces. Il serait désirable que ce fût le contraire.
Girardin dans les années 1830.

La presse est une industrie avant d'être un sacerdoce.
Paul Thibaudet dans les années 1930.

Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective "business", soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit.
[…]
Or pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible.
Patrick Le Lay en 2004.
Balzac dénonça en vain l'emprise de l'agence Havas qui était à la fois entreprise de presse et de publicité et qui deviendra l'Agence France Presse (AFP) :
Jadis, les journaux avaient tous un rédacteur spécial pour les Nouvelles Étrangères, qui les traduisait et les Premierparisait. Ceci a duré jusqu'en 1830. [...] Depuis, les journaux de Paris ont eu tous le même traducteur, ils n'ont plus ni agents ni correspondants, ils envoient rue Jean-Jacques-Rousseau, chez M. Havas, qui leur remet à tous les mêmes nouvelles étrangères, en en réservant la primeur à ceux dont l'abonnement est le plus fort.
BALZAC Honoré de, Monographie de la presse parisienne, 1843 [Éditions du Boucher - BooksGoogle - Paris-Sorbonne] [1]
Ce préambule historique permet de mesurer les limites de l'honnêteté intellectuelle de quelques journalistes, qualité d'autant plus soulignée qu'elle est rare. Malgré toutes ces réserves, le film est excellent.
L'utilisation du noir et blanc, au-delà de la justification technique pour insérer des citations comme dans Les cadavres ne portent pas de costard, sert magnifiquement le propos.
L'interprétation de David Strathairn rappelle étrangement le combat solitaire que mena Karl Kraus contre la propagande de la presse.
La corruption de la presse est en effet à ses yeux, écrira le critique Jean Blain, la source de toutes les autres et il voit dans le triomphe du journalisme un danger contre la culture - danger qui tient entre autres à la corruption du langage et à la réduction de la culture à une marchandise. En outre, tandis que le journalisme exige, pour être exercé correctement, un sens moral et un sens des responsabilités au-dessus de la moyenne, il est plutôt devenu, estime Kraus, symbole d'impunité et d'irresponsabilité. Ce que Kraus demande à la presse n'est évidement pas de cesser d'exister, mais de cesser de se mentir à elle-même et mentir aux autres sur ce qu'elle est capable de faire et sur la réalité de ce qu'elle fait.
Radio Prague
Serge LEFORT
Citoyen du Monde exilé au Mexique

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Wikipédia

• MUHLMANN Géraldine, Journalisme contre McCarthysme - Good Night and Good Luck, Le Temps des médias n°6, 2006.

• Aspects de l'anticommunisme, Communisme n°62-63, 2001 [BooksGoogle].
• Le Maccarthysme, L'histoire n°27, 1980.
• ROUCH Jean, Le maccarthysme - Cinéma et idéologie, Cinéma n°160, 1971.

• PERRIER Hubert (sous la direction de), L'anticommunisme et la chasse aux sorcières aux États-Unis (1946-1954), Didier, 1995 [Amazon].
• ROUGÉ Jean-Robert (sous la direction de), L'anticommunisme aux États-Unis de 1946 à 1954, Presses Paris Sorbonne, 1995 [BooksGoogle].
• TOINET Marie-France, La chasse aux sorcières - Le Maccarthysme, Complexe, 1999 [Amazon - BooksGoogle - BiblioMonde].
• WIEDER Thomas, Les sorcières de Hollywood - Chasse aux rouges et listes noires, Philippe Rey, 2006 - Ramsay, 2008 [BiblioMonde - l'Humanité].
• ZINN Howard, "Nous, le peuple des États-Unis ..." - Essais sur la liberté d'expression et l'anticommunisme, le gouvernement représentatif et la justice économique, les guerres justes, la violence et la nature humaine, Agone, 2004 [BiblioMonde].
Lire aussi :
Dossier documentaire & Bibliographie Cinéma, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie Propagande, Monde en Question.

[1] L'argent des médias, Le Temps des Médias n°6, Printemps 2006 [SPHM].
Dossier documentaire & Bibliographie Agences de presse, Monde en Question.

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