11 mars 2010

Le Nigeria victime des convoitises coloniales


Les médias dominants occidentaux présentent les massacres dans la région de Jos au Nigeria comme "des violences ethniques", "des violences religieuses" ou "des violences ethnico-religieuses". C'est dans les mêmes termes que l'im-Monde avait présenté le génocide des Tutsi du Rwanda [1] pour, comme dans une tribune récente sur "les démons ethniques de la Côte d'Ivoire", justifier la présence de l'armée française dans ses ex-colonies.

La liste non exhaustive des titres de la presse illustre la pratique du copier-coller des dépêches d'agence par les médias, qui répètent ad nauseam des formules incantatoires... sans rien expliquer :
07/03/2010 :
• Nouvelle flambée de violences entre chrétiens et musulmans dans le centre du Nigeria, AP-Yahoo! Actualités.
08/03/2010 :
• Nigeria : funérailles des victimes de nouvelles violences entre chrétiens et musulmans, AP-Yahoo! Actualités.
• Nigeria : au moins 500 morts dans un nouveau déchaînement de violence religieuse, Le Parisien.
• La France condamne les violences interreligieuses meurtrières au Nigeria, Le Point.
• Les violences intercommunautaires reprennent à Jos, Courrier international.
• Le Nigéria a nouveau en proie aux violences ethniques et religieuses, euronews.
• Nigeria : plusieurs centaines de morts dans des violences interreligieuses, France Info.
• Nigeria : au moins 500 morts dans des violences ethniques [Au moins 500 personnes auraient été tués dans des violences inter-religieuses dans le centre du Nigeria], Metro.
• Nigeria : funérailles de victimes de nouvelles violences entre chrétiens et musulmans, NouvelObs.
• 500 personnes ont été massacrées au Nigeria dans des violences entre chrétiens et musulmans, RFI.
09/03/2010 :
• Une poudrière ethnique et religieuse, Courrier international.
• Le centre du Nigeria, théâtre de violences ethniques, Le Monde [2].
À chaque fois qu'ils parlent de l'Amérique latine, de l'Afrique ou de l'Asie, les médias dominants usent et abusent des expressions du langage colonial : les indigènes (rouges, noirs ou jaunes) sont des sauvages qui se massacrent entre eux pour des prétextes futiles (un bout de terre).
Il est vrai que, en matière de violences inter-ethniques, la civilisation occidentale peut donner des leçons à ces barbares : environ 18 millions de morts, dont 9 millions de civils, entre 1914 et 1918 ; environ 65 millions de morts, dont 45 millions de civils, entre 1939 et 1945... pour se partager le monde.

Presque tous les médias dominants disent à la fois la même chose et pas grand chose. Ils répètent le chiffre bien rond de 500 morts alors que personne ne l'a vérifié [3].
Ils répètent l'idéologie coloniale d'une rivalité ethnique séculaire ou celle d'experts labélisés par les médias qui évoquent «un conflit entre des éleveurs nomades musulmans de l'ethnie Fulani et des cultivateurs sédentaires chrétiens de l'ethnie Berom». Il est cocasse de voir que l'ordre des mots varie d'un média à l'autre au point d'être totalement incompréhensible. Ainsi, l'expression «éleveurs musulmans nomades», utilisée par Le Figaro, n'a aucun sens.

Passons sur les propos propagandistes du style : «Au Nigéria, les musulmans génocident les chrétiens» [Chrétienté.info du 08/03/2010].
Peu d'articles rappellent le contexte politique du Nigeria depuis dix ans et encore moins font l'effort d'explorer les raisons économiques, sociales et politiques de ces affrontements.

La Croix du 09/03/2010 :
«Pour mobiliser les troupes, il est plus facile de mettre en avant la différence religieuse. Mais la réalité est autre : le nord, pauvre, convoite les terres fertiles du sud, beaucoup plus riche. Le conflit n'est pas religieux, il est économique et politique.»
France 24 du 09/03/2010 :
Ce qui me semble gênant dans la façon dont la presse locale et internationale relate les faits, c'est d'opposer des ethnies, les Haoussas et les Fulanis, majoritairement musulmans, d'un côté, et les Berom, majoritairement chrétiens de l'autre. Ces violences, auxquelles nous assistons depuis 2001, sont d'abord le fait de milices armées, non de populations ou d'ethnies qui prennent des machettes pour s'entretuer.

En 1999, le président du gouvernement local de Jos, un chrétien du People Democratic Party (PDP, parti du président nigérian), a ainsi retiré aux musulmans leur "certificat d'indigénéité". Ce certificat donne des droits : accès à des postes dans l'administration des gouvernements locaux, aux écoles publiques et aux universités, à la propriété, par exemple.

Or si, au Nigeria, cette division entre indigènes et non indigènes est acceptée dans l'ensemble, ce n'est pas le cas dans l'État du Plateau. Les Haoussas, qui ont été les premières populations de la ville de Jos, se disent autant autochtones que les populations locales du Plateau. Ainsi, les affrontements qui ont lieu depuis 2001 sont, d'après ce que j'en comprends, une remise en question de cet équilibre politique précaire entre indigènes et non indigènes.
Le Figaro du 09/03/2010 :
Cet accès de violences organisées n'est que le dernier d'une longue vendetta, dans laquelle les deux ethnies jouent tour à tour le rôle de victimes et de bourreaux. D'après les ONG et les leaders communautaires, le massacre du week-end a été perpétré en représailles du précédent, qui avait fait 300 morts à Kuru Kuruma, à quelques dizaines de kilomètres de là le 19 janvier. Les mêmes scènes s'étaient alors déroulées : attaque d'un groupe armé, femmes et enfants assassinés à la machette. Mais cette fois les assassins étaient des Beroms chrétiens, et les victimes des musulmans.

Plus de 13 500 personnes sont mortes ainsi dans des massacres alternés depuis la fin de la dictature militaire en 1999, selon Human Rights Watch. Les raisons de ces tueries sont connues. Elles ne sont pas confessionnelles, comme l'admet l'archevêque de la capitale Abuja, Mgr John Onaiyekan. «On se tue pas à cause de la religion, a déclaré hier le prélat, mais pour des revendications sociales, économiques, tribales et culturelles.» Comme souvent en Afrique, la pauvreté joue un rôle central, et la violence est d'autant plus grande que les ressources à partager sont plus maigres.

Au Nigeria, cette compétition sanglante est aggravée par un système hérité de la colonisation britannique, et renforcé par les gouvernements successifs depuis l'indépendance, celui des «indigènes». Dans chacun des états fédérés, un ou plusieurs groupes ethniques, désignés officiellement comme les habitants originels, bénéficient de privilèges refusés aux autres citoyens, postes de fonctionnaires ou places à l'université par exemple. Le côté artificiel de ce concept identitaire n'est nulle part ailleurs plus flagrant que dans l'état du Plateau, créé en 1976 pour quelques ethnies, en majorité chrétienne, dont les Beroms victimes du dernier massacre. Les éleveurs haoussa-fulani, pourtant présents, parfois, depuis le XIXe siècle, réclament en vain le label «indigènes» se heurtant au refus des Beroms, qui s'accrochent à leurs avantages.
Ces affrontements s'inscrivent non seulement dans un contexte politique fragilisé par la transition à la suite de l'hospitalisation du président Umaru Yar'Adua et par le fait que Goodluck Jonathan ne semble pas pressé de quitter la présidence par intérim [4], mais aussi dans un contexte géopolitique de tension pour le contrôle du pétrole.
Un autre facteur de conflit tient à la répartition des ressources. Les redevances du pétrole et du gaz, dont le Nigeria est tellement dépendant, proviennent pour l'essentiel du delta du Niger, une zone où prédominent les minorités et qui englobe plusieurs États : Delta, Edo, Akwa-Ibom, Cross River, Rivers et Bayelsa. Se sentant trahis et abandonnés depuis des années, ces États ont accusé le gouvernement central de détourner leurs ressources au profit du développement d'autres zones, menaçant de reprendre le contrôle de leur production.
Courrier international du 09/03/2010 [5].
Au-delà du Nigeria, c'est toute l'Afrique de l'Est qui est un terrain de chasse pour les compagnies pétrolières occidentales :
Les grandes compagnies pétrolières se sont lancées dans la course. Le groupe français Maurel & Prom fore au large de la Tanzanie, l'américain Anadarko et le norvégien Statoil au large du Mozambique, dans le bassin de Rovuma.
Le groupe britannique Tullow s'est livré à une véritable bataille contre l'italien Eni pour le contrôle des gisements ougandais du lac Albert, qu'il n'a remporté que début février. Tullow était associé jusque-là au canadien Heritage Oil, qui lui a cédé ses 50% dans deux blocs pétroliers.
AFP-Google Actualités du 09/03/2010.
La guerre commerciale entre les compagnies pétrolières, l'intervention des multinationales, des États-Unis, de l'ONU et des organisations dites humanitaires dans les affaires des États soi-disants indépendants pèsent lourd sur l'avenir de l'Afrique de l'Est et sur celui du Nigeria en particulier.

09/03/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
Veille d'information Afrique, Monde en Question.
Veille d'information Nigeria :
Google Actualités
Yahoo! Actualités
Dossier documentaire & Bibliographie Afrique, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie Colonialisme, Monde en Question.

[1] GOUTEUX Jean-Paul, Le Monde, un contre-pouvoir ? - Désinformation et manipulation sur le génocide rwandais, L'esprit frappeur, 1999 [Acrimed - Le cobaye international - LMSI - No Pasaran - PressAfrique].
Le lecteur découvre comment Le Monde - mais il ne fut pas le seul - a épousé la version d'un conflit ethnique (démenti par tous les africanistes qui connaissent le sujet), accrédité la version présentée par les services de renseignement français et présenté les Tutsis comme aussi dangereux, si ce n'est plus, que les génocidaires. L'analyse de Jean-Paul Gouteux met également en évidence comment même des informations exactes peuvent être une condition de diffusion de la désinformation et comment Le Monde a confié à quelques prises de position dans les pages "Débats" le soin de dire une vérité que l'on ne parvenait à découvrir ni dans ses éditoriaux ni dans ses articles d'information.
[2] Voir comment l'im-Monde présentait les massacres de janvier :
• Au Nigeria, des violences interreligieuses éprouvent un pouvoir fédéral affaibli, Le Monde du 21/01/2010.
• 150 corps découverts dans des puits au Nigeria après des combats inter-religieux, Le Monde du 23/01/2010.
[3] Une dépêche AFP, publiée par Le Figaro, du 10/03/2010 dément le chiffre de 500 morts : Les massacres perpétrés le week-end dernier près de Jos, dans le centre du Nigeria, ont fait 109 morts, a déclaré aujourd'hui le responsable de la police de l'État du Plateau, démentant le bilan de 500 morts initialement annoncé.
[4] AFP-Google Actualités du 05/03/2010 :
Dix jours après son retour surprise au Nigeria après son hospitalisation à l'étranger, le président Umaru Yar'Adua n'a toujours pas été vu en public et les interrogations sur la direction du pays, assurée par son vice-président, sont toujours aussi vives.
Le pays est devenu "une sorte de no man's land", résume l'analyste politique Chidi Odinkalu, exprimant les interrogations relayées quotidiennement par la presse: qui gouverne ? quel est l'état de santé réel du président, en fonction depuis avril 2007 ?
Hospitalisé trois mois en Arabie saoudite pour une grave affection du coeur, M. Yar'Adua, 58 ans, est rentré par surprise au Nigeria dans la nuit du 23 au 24 février. Mais il est resté invisible, et aucun responsable politique ne l'a officiellement rencontré depuis.
Le 10 février, le vice-président Goodluck Jonathan est devenu président par interim, à la demande du Parlement qui craignait que l'absence prolongée du chef de l'État ne plonge dans le chaos le Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique et 8e exportateur mondial de pétrole. Mais cette situation, déjà contestée par des juristes et certains membres du gouvernement, est rendue encore plus incertaine par le retour au Nigeria de M. Yar'Adua.
Sa présence "est comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête" de M. Jonathan et pourrait préluder à un "désastre", a estimé mercredi Lai Mohammed, le porte-parole du principal parti d'opposition Action Congress (AC).
Lire aussi :
• L'ombre de Yar'Adua plane sur le pouvoir de Goodluck Jonathan, AFP-Jeune Afrique du 05/03/2010.
• Deux clans, deux Présidents à la tête du Nigeria, Le Monde - Le Quotidien du 05/03/2010.
[5] Lire aussi :
• Quand une péninsule pétrolière change de mains, Le Monde diplomatique, Octobre 2008.
• Régions pétrolifères en Afrique, Wikipédia.

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