1 juillet 2010

La tyrannie de l'épilation

L'épilation est-elle naturelle ?

Parmi les jeunes femmes que nous interrogeons sur leur pratique épilatoire, il s'en trouve pour nous dire qu'"il est naturel de s'épiler", que "le poil ce n'est pas la nature de la femme" ou même que "le poil est contre-nature" ou que "un corps épilé est totalement en harmonie avec la nature". Ceci peut paraître parfaitement absurde. Ces phrases ne font sens que si l'idée de nature renvoie, non pas à la nature biologique, mais à la nature version publicitaire. C'est-à-dire le naturel vu comme "manière d'être" ("personnalité"). Bref à l'idée de nature telle qu'elle est véhiculée dans l'idéologie individualiste. Mais après tout, l'humain étant un être culturel, sa "nature" ne saurait se définir indépendamment de tout ancrage culturel. Et lorsque l'on remet en cause l'universalité de la pratique de l'épilation, c'est alors (paradoxalement ?) sa dimension culturelle qui est avancée par les femmes interrogées comme argument légitimant.

L'épilation est-elle culturelle ?

Or qu'est-ce que la culture ? C'est ce qui permet l'humanisation. La culture naît de l'intersubjectivité, c'est à dire de l'interaction entre sujets, entre personnes. Ce partage permet la construction d'un système de significations communes. C'est la condition de l'émergence d'un imaginaire social, sans lequel aucun lien n'est possible. A l'inverse, des croyances, des valeurs ou des comportements qui sont diffusés à partir d'une source et qui se répandent par l'imitation, ne constituent pas de la culture. Les media de masse, contrôlés par le grand capital, ne produisent pas de culture ; ils en détruisent plutôt, en divertissant et en véhiculant le mépris de la culture. "La culture est une résistance au divertissement" écrivait Pier Paolo Pasolini. Et l'histoire naît de la création permanente de culture.

La norme du glabre (il ne faut pas montrer de poil) est l'exemple d'un ensemble de croyances ("le poil c'est sale"), de valeurs ("le poil c'est laid") et de comportements (couper, arracher, ou au minimum cacher ses poils) qui s'est imposé, au fil des dernières décennies, à partir des images médiatiques répétées à l'infini. Les hommes et les femmes qui s'épilent et pensent le faire par "choix personnel", ne nous disent pas qu'être lisse c'est beau et propre, ils/elles disent que "c'est esthétique et hygiénique". Des mots qui n'appartiennent pas à la langue populaire mais au discours pseudo-scientifique des magazines.

L'épilation contemporaine n'est ni naturelle ni culturelle, elle est idéologique

Dans le présent contexte d'une épilation généralisée (au moins en ce qui concerne les femmes pour l'instant), justifiée par une idéologie individualiste ("c'est mon choix personnel"), laquelle produit le plus grand conformisme (c'est le même "choix" pour presque toutes), conserver ses poils naturels, les assumer - c'est à dire ne pas les dissimuler - ne peut tenir que d'un acte de résistance. En effet, la femme qui conserve ses poils et ne les cache pas résiste à la pression sociale et à la normalisation médiatique. Et cela exige d'être capable de supporter la réprobation sociale. C'est un acte politique. Cette résistance est permise par la rencontre entre les gens (on ne résiste pas longtemps seul). Elle naît et se propage dans les interactions de personnes capables de penser et d'agir par elles-mêmes (des sujets). "Créer, c'est résister. Résister, c'est créer." (Appel du Conseil National de la Résistance). Résister ensemble - en l'occurrence à la norme de l'épilation -, c'est créer de la culture. C'est faire l'histoire, c'est construire l'humanité.

L'opposition entre nature et culture est factice. Le poil est à la fois naturel et culturel

Face à l'idéal du corps-machine, inaltérable, lisse et aseptisé, que véhicule l'idéologie dominante dans ses magazines et sa pornographie, nous revendiquons notre humanité, c'est-à-dire tout à la fois notre nature biologique (nos poils, nos odeurs, nos rides...) et le sens que nous lui donnons. Car dans le contexte actuel, être poilu a du sens. Ce sens, que nous créons collectivement, construit la culture. Nous cultivons la nature. Par un processus inverse l'épilation, en se présentant comme une évidence, naturalise (transforme un arbitraire social en nécessité naturelle). Et ce faisant elle détruit la culture et ne crée que de l'idéologie.

L'été sans épilation, M.I.E.L.

Lire aussi :
• DA SILVA Jean, Du velu au lisse - Histoire et esthétique de l'épilation intime, Complexe, 2009.
Pratique discrète, l'épilation génitale passe pour fort répandue aujourd'hui tant pour les femmes que pour les hommes. Présentée souvent comme une mode, elle possède des vocations multiples : identitaires, philosophiques, éthiques, religieuses, professionnelles.

Dans cette étude très documentée et menée avec alacrité, Jean Da Silva restitue toute la complexité de ce fait de société en le situant dans la perspective d'une histoire qui remonte au début du XXe siècle, mais aussi bien au-delà.

Il revient sur certains a priori concernant ce traitement particulier d'une zone corporelle intime et montre qu'il intéresse des mondes aussi divers que l'avant-garde artistique des années 1920, le naturisme d'après guerre, les cultures méditerranéennes, le fondamentalisme islamiste, la sexualité récréative japonaise, la pornographie, la mode, l'art contemporain, les conduites exploratoires homo ou hétérosexuelle.

Il s'attache aussi à l'hostilité que l'épilation pubienne ou axillaire a pu rencontrer. Cette approche tant historique qu'esthétique trace ainsi un chemin de traverse, inattendu et singulier, dans l'histoire récente de la sexualité.
• MONESTIER Martin, Les Poils - Histoire et bizarreries des cheveux, toisons, coiffeurs, moustaches, barbes, chauves, rasés, albinos..., Le Cherche midi, 2002.
Les poils se développent chez l'homme différemment selon les parties du corps. Depuis les origines du monde, ils interfèrent sans discontinuer dans tous les rapports humains, amoureux, sexuels, superstitieux, médicaux, pénaux, commerciaux et religieux. Dans la majorité des pays occidentaux, il existe plus de coiffeurs que de boulangeries, et plus de centres de traitement du poil que de cordonneries.

À l'heure actuelle, plus de 35 millions de personnes - dont 12 millions de coiffeurs - vivent et œuvrent dans le monde pour et à travers le poil. Tantôt courts, fins, lisses et droits, tantôt longs, épais, bouclés, la production de poils, leur emplacement, leur appellation, leur utilité, leur symbolisme, diffèrent selon les ethnies et les sexes. Signes de virilité, de sagesse, de raffinement ici, ils sont ailleurs stigmates de soumission, de traîtrise, de démonialité.

Reines du XIXe siècle, des milliers de femmes à barbe contemporaines subissent l'ostracisme du monde du travail et se tournent de plus en plus vers les tribunaux. Alors que les chauves se remémorent tristement la fuite de leurs poils capillaires, d'autres se font "raser" pour souscrire au diktat de la mode, ou encore pour "couper l'herbe sous le pied des poux, des morpions et des champignons".

Les collectionneurs de poils plongent quelquefois dans la délinquance pour obtenir une "pièce rare". Les fétichistes poussent les femmes à se raser le pubis, tandis que d'autres achètent des perruques et des moumoutes pour aisselles et pubis.

Le poil a été à l'origine de plusieurs guerres et de maintes rebellions. Indics de toutes les polices, ils se "mettent régulièrement à table" pour désigner les criminels, les violeurs, et les champions sportifs "truqueurs". Imputrescibles, les "poils du passé" aident à la résolution d'énigmes historiques.

Objet d'un trafic, au même titre que les cigarettes ou les objets d'art, les poils ont chaque année leur heure de gloire avec le "championnat international des barbus et chevelus" où s'affrontent les plus belles pilosités de la planète.
•ZWANG Gérard, Éloge du con - Défense et illustration du sexe féminin, La Musardine, 2001.
Cet Eloge du con, compilation d'articles écrits pour les Cahiers de Sexologie clinique, est une synthèse des principaux thèmes chers au docteur Zwang en même temps qu'un vibrant plaidoyer pour ce que François Mauriac nommait "l'ignoble petit mot de trois lettres".

Le premier texte, par un détour lexicologique, montre l'universelle dépréciation de la désignation du sexe féminin (source inépuisable d'injures, telle "n'être qu'un con") comparée aux flatteuses appellations du sexe viril. Dans les textes qui suivent, Zwang se fait l'apôtre d'une "esthétique vulvaire", redonne toute son importance (et sa place) au clitoris, s'insurge contre la mode de l'épilation et nous parle gravement de la sodomie.

Sans pédanterie, dans un style flamboyant, avec une grande culture et une passion communicative, parfois polémique mais certainement démystificateur, Zwang nous donne à voir le sexe féminin sous un éclairage inédit.
Dossier documentaire & Bibliographie Corps, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie Sexualité, Monde en Question.

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