15 décembre 2010

Cantona joue Robin des bois

Que les médias dominants fassent la publicité de l'appel de Cantonna à retirer son argent des banques c'est normal car ils ont compris, eux, tout l'intérêt qu'ils pouvaient tirer des idées de Cantona. Ainsi, L'im-Monde prêche la lutte des classes en Chine et juge intolérable les grèves en France [1] et tout le monde de s'esbaudir devant ce double courage du quotidien qui se prétend de référence.

Que les blogs relaient benoîtement ce qu'on appelle un buzz, c'est-à-dire en clair faire parler de soi en colportant les conneries des autres, c'est normal à l'ère des réseaux dit sociaux par abus de langage - ce dont tout le monde se moque. Il serait fastidieux de citer tous les blogs, voici un florilège de quelques auteurs qui se disent à gauche (par ordre alphabétique pour ne pas faire de jaloux) :
• E. Cantona et les banques, Jef hébergé par Le Monde, 08/12/2010.
• CE SOIR (OU JAMAIS !), Paul Jorion, 03/12/2010.
• Ne pas détruire les banques : les saisir !, Frédéric Lordon hébergé par Le Monde diplomatique, 02/12/2010.
• Cantona : tester la trouille des banquiers, Jean Vinatier, 03/12/2010.

Que des organisations qui se disent à gauche de la gauche et qu'on aurait pu croire moins sensibles au battage médiatique, mais qui, comme pour le buzz orchestré autour de Wikileaks par cinq médias mondiaux, véhiculent les mêmes platitudes démagogiques ça pose question sur le consensus dominant qui s'apparente à la soumission librement consentie [2].

Pour Arlette Laguiller, employée de banque à la retraite, les choses sont comme d'habitude très simples :
La proposition d'Éric Cantona, invitant tous ceux qui disposent d'un compte en banque à retirer le même jour les fonds qui y sont déposés, a provoqué des réactions diverses, venant tout d'abord de ceux qui soutiennent le système bancaire - et pas seulement en paroles.
Ainsi, avec la morgue qu'on lui connaît, Christine Lagarde a tancé le footballeur, l'invitant à ne pas se mêler de ce qu'il ne connaît pas.
Sauf que, justement, l'activité des banques en général, et tout particulièrement dans la période récente, concerne toute la population, et au premier chef la population laborieuse. C'est pourquoi l'initiative de Cantona a été d'emblée populaire, sauf bien évidemment auprès de ceux qui étaient ainsi montrés du doigt.
[...]
Pour que le système bancaire et financier fonctionne au service de la collectivité, il serait indispensable d'enlever les banques des mains de ces profiteurs avides qui saignent le monde et de les unifier en une seule banque, dans chaque pays, sous le contrôle et l'autorité de la population.
Lutte Ouvrière, 06/12/2010
Olivier Besancenot quant à lui
juge "séduisant" l'appel d'Eric Cantona à vider ses comptes bancaires pour que "le système s'écroule mais pour le porte-parole du NPA qui s'exprime dans Libération mercredi "s'attaquer aux banques n'est qu'une partie du problème".
NPA, 01/12/2010
Six jours plus tard l'organisation fait un communiqué qui s'aligne sur les positions de LO :
Les moqueries de quelques ministres du gouvernement Fillon, comme Ch. Lagarde ou F. Baroin en charge de l 'économie et du budget, ne sauraient cacher l'agacement et la peur du monde de la finance et de ses serviteurs politiques à l'encontre de ceux et celles qui ont relayé l'appel d'E. Cantona à vider son compte de dépôt.
Au niveau européen, la Commission européenne et J.C. Juncker, chef de file des ministres des Finances sont partis en guerre contre cet appel.
Le succès rencontré témoigne du profond malaise, du mécontentement, du rejet à l'égard du système bancaire qui spécule à tout va en sachant très bien qu'en dernier ressort les finances publiques seront à leur disposition pour les renflouer, avec à la clef un plan d'austérité pour la population, comme le montre le cas de la Grèce et de l'Irlande.
[...]
Mais, cet appel focalise l'attention sur un des piliers de l'exploitation capitaliste. Aussi, pour construire une autre société débarassée de l'exploitation, il est essentiel d'exproprier les banques privées et de mettre en place un service public bancaire ayant le monopole des dépôts et du crédit sous le contrôle des salariés et des usagers.
NPA, 07/12/2010
La vidéo qui aurait "fait le tour du monde" date du 8 octobre 2010 ! Ce qui montre qu'il a fallu presque deux mois pour que la mayonnaise prenne en temps réel dans les quelques kilomètres carrés de l'hexagone...


Or, que dit Cantona dans l'entretien accordé à Presse Océan ? Voici le récit du quotidien du quotidien de Nantes Saint-Nazaire Loire-Atlantique :
Etienne Mvé lui pose une question sur son engagement pour la Fondation Abbé Pierre, sur la précarité et sur les Roms. Éric Cantona lui répond et laisse vagabonder sa pensée sur le système actuel.
Et son discours est aussi rouge que son pull. Selon l'ex-footballeur, il faut changer de politique. Mais les manifs, « ce n'est plus comme ça qu'il faut faire les choses ». Éric Cantona rêve de révolution. « Elle est très simple à faire », détaille-t-il. « Le système c'est quoi ? Le pouvoir des banques. Au lieu qu'il y ait trois millions de gens qui aillent dans les rues, ces trois millions ils vont à la banque et ils retirent leur argent et les banques s'écroulent ». Et « Canto » d'ajouter : « C'est pas compliqué. Les syndicats, il faut leur donner des idées des fois ».
Presse Océan
Vous avez bien entendu et bien lu. Alors où est l'arnaque ?

L'arnaque visible est que Cantona ne s'est pas exprimé en tant que le footballeur qu'il fut, mais en tant que l'acteur (dans les deux sens du terme) "incontournable des médias" qu'il est. C'est comme disent les journalistes un "bon client". Ce petit détail du lieu d'où parle "l'acteur" a échappé à tous les commentateurs, qui se répètent les uns les autres selon la trajectoire d'un anneau de Möbius.

L'arnaque visible est aussi de dire que retirer son argent de la banque serait un acte révolutionnaire. Que les médias dominants applaudissent à ce genre de propos, c'est de bonne guerre, mais que les médias de gauche et à gauche de la gauche s'en réjouissent parce que l'initiative du footballeur-acteur aurait été populaire, cela montre qu'ils ont renoncé par démagogie à défendre toute idée contraire au consensus dominant.

L'arnaque invisible est de faire croire qu'on puisse retirer tout son argent du jour au lendemain de la banque. Vous pouvez quitter votre banque pour une autre en transférant tous vos avoirs d'une banque à l'autre. Ce qui ne change rien ! Mais vous ne pouvez pas retirer au distributeur ou au guichet plus d'une certaine somme, variable selon votre plafond autorisé, par semaine glissante. C'est-à-dire que, si votre plafond est par exemple de 2000€, vous pouvez retirer cette somme aujourd'hui le 15 décembre et que vous devrez attendre le 23 décembre pour retirer la même somme. Qu'on se le dise !

Ceci est valable pour la France car au Mexique, par exemple, on peut retirer à tout instant la presque totalité de son compte - en laissant seulement 50€ - sans le clôturer. Au Mexique, on peut acheter aussi une voiture, une maison et bien d'autres choses en liquide. Pour en savoir plus, allez donc voir El infierno le très drôlatique film de Luis Estrada... avec Elizabeth Cervantes ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!

En 1976, le slogan d'une campagne publicitaire gouvernementale disait "En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées" [3]. Ainsi, le Président Giscard d'Estaing donna son agrément pour financer la construction d'avions renifleurs destinés à chercher le fameux pétrole... La géniale idée de Cantona est du même acabit.

12/12/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Note du 16/12/2010 :
L’arnaque fut quand l’État obligea les entreprises à verser sur un compte bancaire les salaires supérieurs à... une somme fixée par décret et donc à obliger les salariés à posséder un compte bancaire.
Au-delà d’un montant mensuel fixé par décret, le salaire est payé par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal.
Mode de paiement du salaire, Loi nº 73-4 du 2 janvier 1973 Journal Officiel du 3 janvier 1973.
• La révolution aura-t-elle lieu le 7 décembre ?, France Culture, 07/12/2010.
• Quel regard sur les banques : les incertitudes d’une réputation, Concordance des temps, 11/12/2010.
Lire aussi : Serge LEFORT, Robin des bois, Monde en Question.

[1] Références :
• Editorial, Le Monde, 10/08/2010.
• À nos lecteurs, Le Monde, 21/10/2010.
[2] Serge LEFORT, Wikileaks ou le triomphe de la médiacratie, Monde en Question.
[3] Trente ans de communication publique, Acteurs Publics.

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