3 décembre 2010

Wikileaks ou le triomphe de la médiacratie

Depuis le XIXe siècle, les médias dominants publient des feuilletons pour "fidéliser" leurs lecteurs. Au XIXe siècle, le feuilleton était une œuvre littéraire prépubliée dans les journaux (Charles Dickens, Dumas père et Balzac) puis il devint un genre littéraire à part entière (Eugène Sue, Maurice Leblanc, Gustave Le Rouge et Michel Zévaco) [1]. Au XXe siècle, les médias (presse, radio et télévision) appliquent la même technique au traitement de l'information qui est entièrement fabriquée comme un récit pour divertir... le consommateur [2].

Le feuilleton commence par une rocambolesque histoire d'espionnage

Les médias dominants nous racontent tous la même histoire rocambolesque concernant l'origine des fuites qui auraient permis à Wikileaks de détenir "251 287 câbles diplomatiques" :
Dans un échange de mails avec le hacker Adrian Lamo, le soldat Manning a décrit la facilité avec laquelle il se serait procuré ces masses de données : «J'entrais dans la salle informatique avec un CD musical à la main […] puis j'effaçais la musique et je créais un dossier compressé. J'écoutais Lady Gaga et je chantonnais sur la musique, tout en exfiltrant la plus grande fuite de l'histoire des États-Unis.»
Libération
Aucun média n'a enquêté pour vérifier la véracité de ce conte alors que le soldat Bradley Manning fut arrêté en mai 2010 par l'United States Army Criminal Investigation Command et détenu dans une prison militaire de Camp Arifjan, au Koweït.

Aucun média ne s'est préoccupé de savoir si Bradley Manning avait donné son accord à leur publication des fuites qui le condamnera à 52 ans de prison pour "transfert de données secrètes sur son ordinateur personnel et ajout de logiciel non autorisé sur un système informatique confidentiel" et "communication, transmission et envoi d'information traitant de sécurité nationale à une source non autorisée" [3]. Les médias ne s'encombrent pas du principe de précaution - éviter une conséquence indésirable - quand il nuit à leurs intérêts financiers.

Un feuilleton fondé sur le mensonge

Contrairement à ce prétendent les médias dominants et que tout le monde répète sans le vérifier, Wikileaks n'a pas mis en ligne les "251 287 câbles diplomatiques fuités des États-Unis" qu'il détiendrait.
"Dévoilé – comment l'Amérique voit le monde", titre Der Spiegel. Tout comme The New York Times, The Guardian, Le Monde et El País, l'hebdomadaire allemand publie quelques-uns des 250 000 documents de la diplomatie américaine révélés par le site Wikileaks le 28 novembre.
Presseurop
Mensonge, mensonge, mensonge car ni Wikileaks ni les médias dominants n'ont publié à ce jour la totalité des "251 287 câbles diplomatiques".
Au stade actuel de la publication des 251 287 télégrammes diplomatiques détenus par Wikileaks, leur consultation n'est pas franchement problématique. En effet, le site a décidé de publier les mémos au compte goutte et, pour l'instant, seuls 243 (pas 243 000, hein, juste 243) sont actuellement consultables.
Écrans Libération
L'intrique du feuilleton ne tient pas au contenu, qui n'apporte rien de nouveau, mais au procédé de mise en scène de sa publication.

Un feuilleton agrémenté par de pseudo-révélations

Les médias dominants n'ont publiés qu'une sélection d'une sélection, c'est-à-dire pas grand-chose. Alors que d'après Wikileaks l'Irak est le pays le plus discuté (15 365 câbles dont 6 677 en provenance d'Irak), les médias dominants publient en priorité des anecdotes sans intérêts sur les chefs d'État et focalisent ces soi-disantes révélations sur les relations entre l'Iran et Israël (qui ne savait pas que l'Iran représentait l'axe du Mal ?) et sur les relations supposées entre la Chine et la Corée du Nord (qui ne savait pas que la Corée du Nord représentait l'axe du Mal ?).

Il faut être naïf ou ignorant de la réalité des relations internationales pour croire que le discours diplomatique se réduirait à un discours politiquement correct et qu'en coulisse les diplomates ne sauraient pas s'exprimer plus crûment.

Les notes que Le Monde nous présente comme des faits réels ne sont que les opinions de diplomates, chacun tentant de bluffer l'autre. On peut publier des milliers de mémos, qui disent tous la même chose sur l'Iran et la Corée du Nord, sans qu'aucun ne soit le début de commencement d'une preuve sur le fondement de l'opinion répétée à satiété.

Un feuilleton contrôlé par cinq médias

Cette publication, sous la forme d'un feuilleton mondialisé, est une arnaque car elle est entièrement contrôlée, filtrée et conditionnée par cinq médias dominants (New York Times, Der Spiegel, The Guardian, El Pais et Le Monde). Ces médias appartiennent tous, comme par hasard, aux puissances occidentales qui furent les puissances colonisatrices du monde à partir du XVIe siècle.

Le discours de Wikileaks est un discours mensonger et démagogique :
les documents donneront aux citoyens dans le monde entier une vue sans précédents sur les activités à l'étranger du gouvernement américain.
Wikileaks
Ce discours est complaisamment relayé par les cinq médias mondiaux, qui ont formé un oligopole, car il leur sert d'alibi pour faire accepter la dictature de leur "position dominante" [4]. Ce petit détail devrait faire réfléchir tous ceux qui croient encore naïvement que Internet serait un espace de liberté.

La rhétorique orwélienne

Il faut dire et redire que seuls ces cinq médias dominants ont accès à l'ensemble des données de Wikileaks et qu'ils les distillent en accord avec les autorités américaines et selon un calendrier planifié en commun.

Il y a un précédent à cette imposture, présentée comme une avancée de la démocratie, c'est celui des archives du Vatican. La bibliothèque du Vatican possède des documents historiques de première main, notamment sur la colonisation des Amériques, qui ne sont pas accessibles même aux chercheurs. Or, le Vatican a eut l'idée géniale de créer un site intitulé "Archives Secrètes Vaticanes", qui ne contient qu'une infime sélection soigneusement contrôlée, filtrée et conditionnée des archives authentiques [5].

L'im-Monde procède de la même façon en nous présentant Julian Assange comme "un apôtre de la transparence intégrale" [6]. Le pire est dans l'argumentation qui suit :
Mais à partir du moment où cette masse de documents a été transmise, même illégalement, à WikiLeaks, et qu'elle risque donc de tomber à tout instant dans le domaine public, Le Monde a considéré qu'il relevait de sa mission de prendre connaissance de ces documents, d'en faire une analyse journalistique, et de la mettre à la disposition de ses lecteurs.
Le Monde
Ainsi, "à partir du moment où cette masse de documents [...] risque de tomber à tout instant dans le domaine public", il fallait que L'im-Monde et ses compères se l'approprient pour la contrôler, la filtrer, la conditionner et finalement la vendre.

L'im-Monde prétend que cette opération marketing est la "démocratie" :
Enfin, ce n'est pas un hasard si ces nouvelles révélations émanent des États-Unis, le pays le plus avancé technologiquement et, d'une certaine manière, la société la plus transparente, plutôt que de Chine ou de Russie.
Le Monde
Scandons donc tous en chœur avec Le Monde : "La liberté, c'est l'esclavage" et "L'ignorance, c'est la force" [7].

02/12/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
Dossier documentaire & Bibliographie Médias, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie Propagande, Monde en Question.

[1] Roman-feuilleton, Wikipédia.
[2] Serge LEFORT, Du récit au récit médiatique, Monde en Question, 29/07/2009.
Lire aussi : Serge LEFORT, Storytelling, Monde en Question, 28/07/2009.
[3] Bradley Manning, Wikipédia.
Lire aussi la version anglaise plus complète.
[4] Oligopole, Wikipédia.
[5] Archives Secrètes Vaticanes, Vatican.
[6] Pourquoi "Le Monde" publie les documents WikiLeaks, Le Monde, 28/11/2010.
[7] Georges ORWELL, 1984 [1949], Gallimard, 1972.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Article faible, argumentation pauvre et dénuée de toute objectivité. Vous affirmez des choses sans en fournir d'explications rationelles ni de sources jugées acceptables. Alors comment pourriez-vous être en mesure de jugé et d'expliquer ce qui se passe et ce qui s'est réellement passé. Comment pourriez-vous savoir si les gouvernements, les peuples ou encore les auteurs de la fuite diffusée au compte-goutte sur Wikileaks ont raison ou tors? A vous de me convaincre par de vraies arguments, et non des jugements de valeurs...

Anonyme a dit…

Mon commentaire précédent, je m'en rend compte maintenant, ne risque probablement pas d'être diffusé... pourtant, c'est ce que vous reprochez à Wikileaks: de manquer de transparence en filtrant l'information et diffuser celle-ci au compte goutte...non?!?! Malgré le fait que vous n'approuverez probablement pas ledit commentaire précédent, prouvez-moi que j'ai tors sur au moins ce point en le diffusant! ;)

Monde en Question a dit…

Votre commentaire est très drôle car vous faites exactement ce que vous reprochez à Serge.
A vous de me convaincre par de vrais arguments, et non des jugements de valeurs...

Anonyme a dit…

Les journaux font du sensationnalisme, cela fait partie de leur façon de fonctionner. C'est la forme, et pas le fond.

Si Wikileaks avait sorti tous les document d'un coup, on en aurait parlé pendant une semaine et ensuite, sauf pour une petite minorité, ça aurait été une vieille histoire.

En sortant les documents par quantité d'une cinquantaine par jour sur une longue période, ils donnent à chacun la possibilité d'être lu, analysé, relayé et exploité le plus possible.

Le contenu des documents eux mêmes est instructif, il faut prendre le temps de lire et voir à quel point ils contredisent le discours public des différents gouvernements, et à ce titre, sans offrir "la" vérité, Wikileaks nous fournit certains faits utiles à une meilleure compréhension des évènements.

http://wikileaks.ch/cablegate.html