27 mars 2010

Netanyahou guerrier du sionisme

Ce texte, datant de 1996, reste d'actualité.
L'intransigeance de M. Benyamin Nétanyahou a surpris certains. De ce premier ministre mal élu, théoriquement ficelé par la signature de ses prédécesseurs au bas des accords d'Oslo et en principe soumis à la volonté de l'Europe comme des États-Unis de voir avancer les négociations, ils attendaient un minimum de réalisme. Il n'en a rien été. En quatre mois, les décisions du dirigeant du Likoud ont provoqué parmi les Palestiniens une explosion de colère sans précédent depuis l'Intifada. «Chassez le naturel, il revient au galop.» Le proverbe s'applique ici on ne peut mieux. Car, si son entrée en politique remonte à moins de quinze ans, le chef du gouvernement israélien est un pur produit du sérail «révisionniste», mâtiné il est vrai d'ultralibéralisme américain.

On a présenté son père, Ben-Zion, comme un professeur d'histoire juive, spécialiste de l'Inquisition en Espagne. Information exacte, mais incomplète : il fut surtout, dans les années 30, le secrétaire particulier de Vladimir (Zeev) Jabotinsky, le fondateur du courant sioniste le plus réactionnaire, dit révisionniste. Homme de conviction, Ben-Zion Nétanyahou décida même, en 1962, de fuir le «socialisme» israélien en s'exilant, avec sa famille, aux États-Unis où il éleva ses fils dans la fidélité aux idées de Jabotinsky. Un retour en arrière, aux sources de l'extrême droite juive, s'impose donc.

Vladimir Jabotinsky se fait connaître durant la première guerre mondiale en créant la Légion juive, qui contribuera - tardivement - à la «libération» de la Palestine par les troupes du général Allenby en 1918. Intégré en 1921 dans l'Exécutif sioniste, il en dénonce les compromissions avec la puissance mandataire britannique et le quitte pour fonder, en 1923, le Betar [1], puis, en 1925, l'Alliance des sionistes révisionnistes. Entre-temps, par antibolchevisme, il s'est compromis avec les hommes de l'ataman Simon Petlioura, pourtant responsables, dans son Ukraine natale, d'épouvantables pogroms où périssent quelque 40 000 juifs [2]...

En quoi les révisionnistes s'opposent-ils à la majorité des sionistes, au point de quitter, en août 1935, l'Organisation mondiale, au sein de laquelle ils ont rassemblé jusqu'à 21 % des suffrages ? Au socialisme dans lequel le parti Mapaï dissimule son nationalisme, Jabotinsky préfère un modèle occidental à la fois politiquement autoritaire [3] et économiquement libéral, qui plaît à la bourgeoisie et aux classes moyennes affluant alors en Palestine. Pour le reste, les sionistes révisionnistes disent tout haut ce que les sionistes socialistes et libéraux pensent sans doute tout bas, mais estiment nécessaire de dissimuler.

Mieux vaut, considèrent David Ben Gourion comme Haïm Weizmann, s'abriter derrière la présence britannique pour conquérir la Palestine hectare après hectare, plutôt que de prétendre former, sans attendre et par la force, un État. Vladimir Jabotinsky, lui, ne veut pas de ce vague commonwealth national au statut et aux frontières mal définis. «Le but du sionisme, explique-t-il en 1924, est de créer un État juif. Son territoire : les deux rives du Jourdain. Le système : la colonisation de masse. La solution du problème financier : un emprunt national. Ces quatre principes ne peuvent être appliqués sans une approbation internationale. D'où le mot d'ordre de l'heure : une nouvelle campagne politique et la militarisation de la jeunesse juive d'Eretz Israël et de la diaspora [4].»

Un «mur d'acier» contre les Arabes

Voilà le fameux «mur d'acier». Marqué par les premières émeutes antijuives de 1921 et 1922, Vladimir Jabotinsky livre sous ce titre, dans l'hebdomadaire sioniste russe Rasswyet, le 4 novembre 1923, le fond de sa stratégie : «Tous les peuples indigènes - qu'ils soient civilisés ou sauvages - considèrent leur pays comme leur foyer national, dans lequel ils seront toujours les seuls maîtres. Ils n'accepteront pas volontairement non seulement un nouveau maître, mais même un nouveau partenaire. Ainsi les Arabes. (...) La colonisation sioniste, même la plus limitée, doit soit s'arrêter, soit s'accomplir au mépris de la volonté de la population indigène. C'est pourquoi cette colonisation ne peut se poursuivre et se développer que sous la protection d'une force indépendante de la population locale - un mur d'acier que la population indigène ne puisse percer. (...) Le mur d'acier, c'est le renforcement en Palestine d'un gouvernement sur lequel les Arabes n'auraient aucune influence, autrement dit un gouvernement contre lequel les Arabes se battront [5].»

Entre le sionisme révisionniste et les fascismes alors en pleine ascension, il y a plus que des ressemblances : une parenté. D'autant que les militants du mouvement portent volontiers la chemise brune, célèbrent le culte du chef et se comportent en armée disciplinée. Chez eux, la violence est une seconde nature : contre les grévistes ou les meetings juifs de gauche, ils font le coup de poing ; contre les militants nationalistes arabes, ils tirent des coups de fusil. Et lorsque les Palestiniens déclenchent leur grande révolte, en 1936, les révisionnistes, avec leur milice, la Haganah-B, aident les troupes britanniques à la réprimer dans le sang. Même le racisme n'est pas absent de la pensée de Jabotinsky : il affleure notamment dans sa nouvelle, Samson, qui rejette toute «mixité» entre juifs et non-juifs. Tant et si bien que David Ben Gourion surnommera Jabotinsky «Vladimir Hitler» - et les nazis des «révisionnistes allemands» . Le futur premier ministre d'Israël commentera même publiquement un article du Führer en affirmant : «Je pensais lire Jabotinsky - les mêmes mots, le même style, le même esprit [6].»

Idéologique et politique, le rapprochement se matérialise sur le terrain. Si Jabotinsky se défend d'admirer le Duce, Mussolini, lui, ne tarit pas d'éloges à son sujet. «Pour que le sionisme réussisse, il vous faut un État juif, avec un drapeau juif et une langue juive. La personne qui comprend vraiment cela, c'est votre fasciste, Jabotinsky», confiera-t-il en 1935 à David Prato, futur grand rabbin de Rome [7]. Généreux, le maître de l'Italie accepte d'accueillir une école navale du Betar à Civitavecchia, au nord de Rome. Lors de son inauguration, les étudiants révisionnistes entonnent Giovinezza, l'hymne fasciste, et crient : «Vive l'Italie ! Vive le roi ! Vive le duce ! [8]»...

A la mort de Jabotinsky, en 1940, ses héritiers se divisent pour un temps. La seconde guerre mondiale voit les tenants de l'Irgoun respecter la trêve dans le combat contre les Britanniques, qui sont en revanche la cible de nombreuses actions armées du groupe Stern, puis Lehi - ce dernier se déshonorera en proposant une alliance au Troisième Reich [9]... Tous se retrouveront néanmoins pour recourir au terrorisme dans leur «lutte de libération» : de l'attentat de l'Hôtel King David, qui fit 200 morts et blessés le 22 juillet 1946, au massacre du village palestinien de Deir Yassine (9 avril 1945), où tombèrent 250 civils, les pages les plus noires de la naissance de l'État d'Israël et de l'expulsion de 800 000 Palestiniens sont signées par les hommes de Menahem Begin et de M. Itzhak Shamir, dont on sait le rôle qu'ils joueront, trente ans plus tard, à la tête du Likoud et de l'État juif.

M. Benyamin Nétanyahou a de qui tenir.

Novembre 1996
Dominique Vidal
Le Monde diplomatique

Lire aussi :
Dossier documentaire & Bibliographie David BEN GOURION, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie Sionisme, Monde en Question.

[1] Acronyme de Brit (alliance) Trumpeldor, du nom d'un officier juif de l'armée tsariste, héros de la guerre russo-japonaise, mort en défendant la colonie juive de Tel Hai, en Haute-Galilée, contre les Bédouins du voisinage. L'hymne du Betar commence par ces mots : «Betar
De la fosse, pourriture et poussière
Naîtra une race
Par le sang et la sueur
Fière, généreuse, dure.
»
[2] Sur ce point, voir l'excellente Histoire de la droite israélienne, de Marius Schattner, coll. «Questions au XXe siècle», Complexe, Bruxelles, 1991.
[3] Les révisionnistes extrémistes, dits birionim (brigands), préconisent même ouvertement la dictature. Dans ses «Chroniques d'un fasciste» (sic), publiées par le journal Doar Hayam, leur chef, Aba Ahimeir, écrit en 1928 : «Je ne suis pas un démocrate et je suis fermement convaincu que la seule forme de gouvernement possible est celle d'une minorité active sur une majorité passive» (Cité par Yaacov Shalit, Jabotinsky and the Revisionist Movement - 1925-1948, Frank Cass, Londres, 1988, p. 365). A peine les nazis arrivés au pouvoir, Ahimeir suggérera à ses amis de prendre «la pulpe antimarxiste» et de rejeter «l'écorce antisémite». «Hitler, assure-t-il, ne nous a pas fait plus de mal que Staline.» (Cité par Marius Schattner, ibid, p. 110.)
[4] Cité par Walter Laqueur, Histoire du sionisme, Calmann-Lévy, Paris, 1973, p. 386.
[5] Cité par Lenni Brenner, The Iron Wall, Zed Books, Londres, 1984, pp. 74 et 75.
[6] Cité par Michel Bar-Zohar, Ben Gourion, Fayard, Paris, 1986, pp. 112 à 115.
[7] Cité par Lenni Brenner, Zionism in the Age of the Dictators, Croom Helm, Londres et Canberra, 1983, p. 117.
[8] Idem, p. 119.
[9] Même M. Itzhak Shamir le reconnaît, tout en rejetant la responsabilité sur Abraham Stern. Ce qui ne l'empêche pas de commenter ainsi ces démarches : «Elles n'étaient pas de mon goût et pourtant, du point de vue moral et national, j'estimais qu'elles n'étaient pas interdites.» (Voir Charles Enderlin, Shamir, Olivier Orban, Paris, 1991, pp. 80 à 82.)

25 mars 2010

USA-Israël - De l'alliance à la symbiose


Les liens stratégiques privilégiés qui existent entre l'État d'Israël et les États Unis d'Amérique sont un élément essentiel de la réalité politique au Proche Orient, et aucune analyse sérieuse des événements politiques qui s'y déroulent ne peut faire l'impasse sur les implications, à court et a long terme, de cette relation très particulière. Ceci dit, la nature de ces liens est souvent sujette à de graves mécompréhensions. Pour certains, Israël ne serait que le bras arme de l'impérialisme américain au Proche Orient, comme l'a été, par exemple, le Sud Vietnam dans les années soixante et soixante-dix, une espèce d'État-marionnette qui reçoit directement ses ordres du Département d'État et de la CIA. D'autres analystes considèrent, à l'inverse, qu'a travers ses puissants lobbys, État hébreu manipulerait la politique extérieure états-unienne en fonction de ses intérêts propres. C'est la thèse défendue, entre autres, par les professeurs américains John Marsheimer et Steven Walt. En fait ces sont toutes les deux des thèses réductrices : Israël n'est pas plus une marionnette des États-unis que ces derniers une marionnette manipulée par lobbys sionistes. Ce dont il est question, c'est d'une alliance entre deux pays allies, l'un, les USA, étant certes plus puissant que l'autre.

Une alliance forgée dans les années soixante

Cette alliance stratégique entre Israël et les États-unis n'a pas toujours existé, loin s'en faut. Elle date des années soixante, et en particulier d'après la guerre dite des six jours. Auparavant, c'était la France qui jouait le rôle d'allié stratégique et qui, entre autres, avait donné a Israël son premier réacteur nucléaire. On se souvient de la collaboration franco-israélienne dans la guerre du Sinaï et l'opération de Suez et de cette époque où l'ambassadeur de France en Israël avait son siège aux réunions du gouvernement israélien et où un petit politicard nommé Shimon Peres faisait des allers-retours fréquents entre Tel Aviv et Paris, essentiellement pour procurer des armes à l'État Hébreu. La venue au pouvoir de Charles de Gaulle et la nouvelle politique arabe de la France d'une part, et la décision états-unienne de jouer un rôle politique plus important au Proche Orient afin d'y asseoir son hégémonie politique et économique de l'autre, allaient sceller une nouvelle ère dans les relations entre Washington et Tel Aviv. Rapidement les F16 allaient remplacer les Mirages et le M16 les fusils d'assaut français, et une série d'accords stratégiques vont être signés entre Golda Meir et Lindon Johnson. Les nouvelles relations ne se limitent pas au militaire : Israël, qui a cette époque n'avait pas encore perdu son image d' «État-pionnier», sert, dans le contexte de la guerre froide, de relais dans les pays - d'Afrique sub-saharienne en particulier - ayant accédé a l'indépendance et qui ne sont pas prêts à se lier a la puissance impérialiste américaine. L'État hébreu sert aussi à vendre des armes et à envoyer des conseillers militaires dans certains pays d'Amérique Latine où les États-unis ne peuvent pas intervenir directement. Avec la venue des néo-conservateurs au pouvoir, la nature des relations entre Washington et Tel Aviv va encore changer.

Symbiose : suite et fin ?

Il ne s'agit plus cette fois uniquement d'une alliance politico-militaire, mais d'une véritable symbiose. Car la stratégie de guerre globale-permanente-et-préventive (GGPP) qui est la trame de la politique de Georges W. Bush a été élaborée par des think-tanks où stratèges israéliens et états-uniens ont réfléchi et travaillé la main dans la main. En politique extérieure, tout ce qui se fait à Washington est immédiatement communiqué au gouvernement israélien et vice versa. Sans parler de la coopération sur le terrain, comme par exemple, en Colombie. La fin de l'administration néo-conservatrice à Washington va-t-elle changer la donne ? S'il ne fait pas de doute que Barack Obama a une conception différente de celle de ses prédécesseurs en ce qui concerne la politique extérieure US, c'est avant tout parce que la stratégie néo-conservatrice s'est soldée par des fiascos mémorables : l'Irak, l'Afghanistan, le Liban ont tous été des échecs et les États-unis sont aujourd'hui sur la scène internationale plus faibles qu'il y a deux décennies. Ce qui signifie qu'il faut en finir avec la stratégie de la GGPP, pour la remplacer par une politique plus intelligente et parfois moins brutale mais dans un but qui reste le même - asseoir l'hégémonie US à travers le monde, surtout à un moment où de nouvelles puissances sont en train de gagner du terrain (Chine, Inde, Russie). L'ironie de l'histoire est qu'au moment où l'électeur américain se débarrassait de l'administration néo-conservatrice, les Israéliens élisaient Benyamin Netanyahou, cheville ouvrière de la stratégie néo-conservatrice et prédicateur numéro un de la «guerre contre le terrorisme». C'est ce qui explique que les relations entre Washington et Tel Aviv ne sont pas aussi harmonieuses qu'auparavant, même s'il n'est évidemment pas question de mettre fin à l'alliance stratégique entre les deux pays. Pour Netanyahou, l'administration Obama est un accident de parcours qui s'achèvera dans quatre ans, alors que pour ce dernier, Netanyahou est l'homme d'une stratégie qui a échoué. Derrière les sourires et les déclarations d'amitié, ce n'est plus la symbiose qui avait caractérisé les relations bilatérales à l'époque de Georges W. Bush, et le discours du Caire a fait transpirer nombre de politiciens israéliens qui y ont vu un tournant stratégique dans la politique extérieure états-unienne.

The times they are changin'

Mais à Tel Aviv, on ne se contente pas d'attendre et nombreux sont ceux qui voudraient forcer la main des États-unis, en utilisant une provocation militaire, non pas contre l'Iran - ce serait trop risqué - mais contre des adversaires plus faible, le Liban ou, une fois de plus, Gaza. Jusqu'à présent, l'administration Obama a réussi à calmer le jeu et à plusieurs occasions Obama a dit à Israël «ne me faites pas de (mauvaise) surprise». Le message, pour être entendu quatre sur quatre à Tel Aviv se doit être beaucoup plus ferme que cela, et des menaces sont nécessaires, avec des sanctions à la clef. Difficile d'y croire. Le monde est en train de changer, et tôt ou tard le Moyen Orient aussi. De nouvelles puissances sont entrées dans le jeu stratégique, ce qui doit pousser Washington a réadapter sa politique régionale. Israël ne le veut en aucun cas, et la question qui se pose avec acuité est : combien de temps encore la queue fera bouger le chien ?

3 mars 2010
Michel WARSCHAWSKI
CIRPES

Lire aussi :
Dossier documentaire & Bibliographie Résistance Palestine/Israël, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie Sionisme, Monde en Question.

24 mars 2010

Lobbying pro-israélien


En France, il existe des groupes de pression, principalement d'intérêts économiques, qui agissent ouvertement ou en coulisse. On l'a vu récemment à propos de la grippe A(H1N1). Certains "experts" auprès du gouvernement, en fait des taupes de l'industrie pharmaceutique, ont rendu-compte d'une interprétation fallacieuse des données épidémiques pour forcer la décision d'achat d'un vaccin d'efficacité non démontrée.

Aux États-Unis, les lobbies sont beaucoup plus puissants et arrogants car fondés sur l'alliance de l'argent et de la politique. Cette pratique fait partie de la culture politique américaine car elle a été imposé par les barons de l'industrie pour écarter le peuple du pouvoir et tuer dans l'œuf le spectre du socialisme [1]. Ainsi, la sélection et l'élection d'un candidat à la Présidence dépend pour beaucoup de l'appui financier des lobbies. Ce qui s'apparente à une corruption légale.

Le nombre d'agences de lobbyistes répertoriées à Washington a plus que doublé depuis 2000, passant de 16.000 à 34.000 environ en 2005.
L'argent dépensé par les entreprises et les groupes de pression pour défendre leurs causes au Congrès des États-Unis d'Amérique et auprès de l'administration est passé de 1,6 milliard de dollars en 2000 à 2,1 milliards de dollars en 2004.

Ainsi, l'American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) est un lobby dont le but est de garantir le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël. Proche de la droite et de l'extrême droite israélienne, ce lobby, fort 100.000 membres, invite chaque année les membres du Congrès à un grand dîner de gala. En cette année, deux tiers des sénateurs étaient présents et la moitié du Congrès. Ce qui illustre le niveau d'influence de cette organisation et de corruption des députés et des sénateurs.

En France, le CRIF s'est donné le même but et les mêmes méthodes, mais n'a pas encore la même influence car la loi ne le permet pas... jusqu'à aujourd'hui.
Imaginez un groupe qui ferait pression sur les députés et les sénateurs afin qu'ils soutiennent inconditionnellement l'Arabie saoudite par exemple. Impensable ! C'est pourtant ce que fait l'AIPAC aux États-Unis et le CRIF en France en faveur de l'État d'Israël.

Il est clair que, depuis quinze jours, le gouvernement israélien tente de faire pression directement et indirectement sur le gouvernement américain afin qu'il accepte son nouveau coup de force contre le droit international. Le moment est bien choisi car Barack Obama, très impliqué et en difficulté dans le projet de réforme de la santé, semble avoir renoncé, face aux pressions du lobby pro-israélien, à ses ambitions initiales d'une solution à deux États pour régler le conflit israélo-palestinien.

Alors que s'ouvrait, le dimanche 21 mars, le congrès annuel de l'AIPAC, Barack Obama a obtenu le vote sur le dossier clé de l'assurance-santé. Cette victoire "a démontré qu'un président qui a un but, adopte un plan de bataille et s'y tient, n'est pas facile à mettre en défaut", souligne le Los Angeles Times. En sera-t-il de même sur le dossier de la Palestine ?

C'est peu probable. Mais les temps changent. Ainsi J Street, organisation qui soutient Israël mais critique le gouvernement israélien, a publié une pleine page dans The New York Times en citant même le rapport du General David Petraeus.
IT'S TIME

Friendship between Israel and the United States is based on common interests and shared values. Friendship demands respect for each other's needs. And, sometimes, friendship means telling hard truths - particularly if we're going to end the Israeli-Palestinian conflict through a two-state solution.

For the U.S., it's a matter of national security. So says the commander of American forces in the region, General David Petraeus.

For Israel, it's existential - the only way Israel can remain both Jewish and democratic. So says its Defense Minister Ehud Barak.

This is no time for a business-as-usual peace process - no time for politics as usual.It's time for the Obama administration to seize the opportunity for bold leadership - putting concrete plans for a two-state solution on the table with the sustained commitment of the United States behind them.

It's time for the Palestinians to end incitement to violence.

It's time for Israel to stop allowing extremist settlers and their sympathizers to endanger not only the friendship of the United States, but also the very future of Israel.

Time is running out.
22/03/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
• 23/03/2006, John Mearsheimer and Stephen Walt, The Israel Lobby, London Review of Books traduit par ISM.
• Mars 2006, John Mearsheimer and Stephen Walt, The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy, Harvard - Social Science.
• MEARSHEIMER John J., WALT Stephen M., Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, La Découverte, 2007 et 2009 [Extraits - Alternatives International - Arab Commission for Human Rights - ReSPUBLICA - Confluences Méditerranée - ContreInfo - Il Manifesto - EuroPalestine - L'Harmattan - La République des Lettres-Info-Palestine - La vie des idées - Libération - Objectif-info* - Rue89* - Scripto].
Depuis plusieurs décennies, la pièce maîtresse de la politique moyen-orientale des États-Unis a été sa relation avec Israël. Les États-Unis viennent à la rescousse d'Israël en temps de guerre et prennent son parti dans les négociations de paix. De fait, entre 1972 et 2006, Washington a mis son veto à 42 résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU critiquant la politique israélienne. Et, chaque année, Israël continue de recevoir trois milliards de dollars d'aide américaine - un sixième de l'aide étrangère des États-Unis. Pourquoi les États-Unis fournissent-ils un soutien matériel et diplomatique aussi considérable et aussi constant à Israël ? Telle est la question à laquelle entendent répondre John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt, deux universitaires américains réputés. Ils démontrent, dans ce livre extrêmement documenté, que ce soutien ne peut s'expliquer par des intérêts stratégiques communs ni par des impératifs moraux, mais qu'il est surtout dû à l'influence politique d'un lobby qui travaille activement à l'orientation de la politique étrangère américaine dans un sens pro-israélien. Même si elles sont loin de faire l'unanimité parmi les Juifs américains, les organisations du lobby pro-israélien exercent des pressions redoutablement efficaces sur le Congrès, les présidents et leur administration et ont une influence considérable sur l'université et les médias. Le lobby pro-israélien a ainsi joué un rôle clé dans la politique américaine au Moyen-Orient sous l'administration Bush au nom de la "lutte contre le terrorisme", comme en témoignent la désastreuse invasion de l'Irak, la confrontation avec l'Iran et la Syrie, ainsi que la guerre au Liban de juillet 2006. John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt montrent que cette politique n'était ni dans l'intérêt national des États-Unis ni dans celui d'Israël sur le long terme.
• SIEFFERT Denis et DRAY Joss, La guerre israélienne de l'information - Désinformation et fausse symétrie dans le conflit israélo-palestinien, La Découverte, 2002 [Acrimed - Le Monde diplomatique - Là-bas si j'y suis - Périphéries - Politis].
La guerre, avant d'être une affaire militaire, est une affaire de mots. Ils ont joué un rôle majeur dans l'offensive déclenchée, le 28 février 2002, par l'armée israélienne contre les villes palestiniennes. On sait à quel point, à cette occasion, elle a placé l'information sous contrôle. Mais on sait moins que l'offensive a été préparée par un long travail de délégitimation de l'Autorité palestinienne. Cette entreprise de désinformation commence dès le lendemain de la négociation de Camp David II, en juillet 2000 : le «refus» de Yasser Arafat d'accepter la «généreuse» proposition israélienne de restitution de «97 %» des territoires occupés va devenir une vérité acceptée par l'ensemble de l'opinion internationale. Or, comme le démontrent les auteurs de ce livre, il s'agit d'un pur mensonge, suivis de bien d'autres. Pourquoi ont-ils pu être aussi largement repris par la presse mondiale, et française en particulier ? Pour répondre à cette question, les auteurs ont décrypté la presse écrite et audiovisuelle, révélant comment, au même moment, les mêmes réécritures de l'histoire ou de l'actualité immédiate apparaissent dans la plupart des médias. Et en les confrontant aux témoignages de Palestiniens qu'ils ont recueillis, ils montrent à quel point le souci d'une prétendue objectivité peut devenir un obstacle à la vérité. Loin de tout parti pris militant, ce livre salutaire est aussi un appel à la responsabilité de ceux qui manient la parole publique, pour leur rappeler que les mots et les images peuvent tuer.
• SIEFFERT Denis, La nouvelle guerre médiatique israélienne, La Découverte, 2009 [Introduction].
L'opération de l'armée israélienne à Gaza, fin 2008-début 2009, a causé la mort de plus de 1300 Palestiniens, dont une grande majorité de civils et près de 300 enfants. Quel conditionnement a conduit la société israélienne à accepter de tels massacres ? Quelle perception du conflit la presse internationale, notamment française, a-t-elle contribué à diffuser, dans un contexte où l'accès à la bande de Gaza fut interdit aux journalistes pendant les vingt-deux jours de bombardements ? Denis Sieffert montre qu'un long travail a été accompli sur l'opinion israélienne et internationale pour "déshumaniser" les Palestiniens de Gaza : les mensonges sur la responsabilité dans la rupture de la trêve, la "dépolitisation" du Hamas, réduit à un mouvement terroriste, et l'occultation délibérée des effets économiques, sanitaires et humains du blocus imposé par Israël à la population de Gaza ont créé les conditions d'une nouvelle guerre médiatique, inséparable de la stratégie politico-militaire d'Israël. Ce livre reconstitue minutieusement la chronologie des événements, et il rétablit des liens de cause à effet renversés par la propagande. Il décrypte aussi les formes, souvent très subtiles, par lesquelles cette désinformation a circulé - et continue de circuler - dans les médias français.
• American Israel Public Affairs Committee, Wikipédia.
• J Street Political Action Committee, Wikipédia.
Dossier documentaire & Bibliographie Sionisme, Monde en Question.

[1] Lire notamment :
• ZINN Howard, Une Histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours, Agone, 2002 [BiblioMonde].
• ZINN Howard, "Nous, le peuple des États-Unis ..." - Essais sur la liberté d'expression et l'anticommunisme, le gouvernement représentatif et la justice économique, les guerres justes, la violence et la nature humaine, Agone, 2004 [BiblioMonde].

23 mars 2010

La victoire d'Obama


Les Républicains criaient au communisme. La gauche démocrate ne voulait pas entendre parler d'une loi qui n'aurait pas institué un système d'assurance public. La droite démocrate craignait de tomber sous l'accusation d'avoir contribué à un accroissement du rôle de l'État et d'être désavouée par les électeurs.

Sitôt après son élection, Barack Obama avait ainsi vu s'enliser dans les sables du Congrès son projet phare, la généralisation de la couverture médicale aux dizaines de millions d'Américains qui en sont dépourvus. Son autorité nationale et, par là même, internationale, en était atteinte mais il a maintenant gagné. Il a repris la main, fait adopter ce projet hier, en retrouvant des accents de campagnes, en plaidant passionnément cette nécessité morale devant l'opinion, en rompant avec ce désir de conciliation qui lui est propre et en allant lui-même au Congrès dire aux Représentants qu'ils étaient devant ce genre de moment où, loin de la routine des commissions et des votes de procédure, un élu retrouve la raison même - le bien public -, qui l'a poussé à entrer en politique.

« Je sais, avait-il dit samedi, ce qui se martèle dans les comptes-rendus de ce débat : Qu'est-ce que cela impliquera pour le Parti démocrate ? Quelles en seront les conséquences sur les sondages de popularité du président ? Comment cela jouera-t-il en novembre (aux élections de mi-mandat) ? Que se passera-t-il dans les circonscriptions incertaines ? » C'est effectivement à cela qu'était trop souvent réduit ce débat et Barack Obama, en plein Congrès, a rebattu les cartes en lançant : « Ne le faites pas pour moi. Ne le faites pas pour le parti démocrate. Faites le pour le peuple américain ». C'était sobre et percutant, un rappel à la noblesse de la politique et un appel à l'idéalisme assorti d'un démontage de tous les arguments utilisés pour bloquer une réforme dont les compagnies d'assurance et leurs lobbies ne voulaient pas et, là où avaient échoué tant de présidents américains, des deux Roosevelt à Bill Clinton en passant par Richard Nixon, Barack Obama a réussi.

Cela va changer la vie quotidienne de 32 millions d'Américains qui ne pourront plus se voir refuser une assurance et dont les primes vont baisser. Quatre-vingt-quinze pour cent des Américains auront, maintenan, une couverture médicale. Excusez du peu. C'est également une rupture culturelle dans un pays qui a toujours considéré que la solidarité relevait de la charité et que chacun devait rester responsable de lui-même quand bien même il n'avait pas les moyens de l'être. C'est un très grand et beau moment pour les États-Unis et la politique mais cela pourrait également changer beaucoup de choses pour la diplomatie américaine. D'Israël à l'Iran ou de la Chine ou la Russie, tous ces pays dont les gouvernements estimaient de ne pas avoir à se soucier de ce président américain empêtré au Congrès vont devoir désormais plus compter avec lui et ce sera, d'abord, le cas de Benjamin Netanyahu, en plein bras de fer depuis deux semaines avec la Maison-Blanche. Arrivé ce matin à Washington, le Premier ministre israélien y trouvera un président plus solide, encore plus à même de lui parler net.

22/03/2010
Bernard Guetta
Géopolitique

Lire aussi :
• DIONNE E.J. Jr., Yes, they made history, The Washington Post.
• Les grandes dates du projet de réforme de Barack Obama, AP-Yahoo! Actualités.
• La presse analyse la "victoire historique" d'Obama sur la réforme du système de santé, France 24.
• Obama : "Voilà ce que c'est le changement !", Great America.
• Une réforme historique, pas une révolution, La Croix.
• Victoire historique d'Obama sur les lobbies de la santé, Tribune de Genève.

22 mars 2010

Israël renforce Al-Qaida


Alors même que la violence resurgit à Jérusalem suggérant qu'une troisième Intifada pourrait bientôt éclater, le général David Petraeus commandant en chef du CENTCOM a fait aujourd'hui une sérieuse mise en garde devant le Comité des Forces Armées du Sénat des États-Unis sur l'impact plus large d'un conflit qui est à l'épicentre des hostilités au Moyen-Orient depuis la création d'Israël.

En faisant cette mise en garde, Petraeus – certainement le plus influent même si ce n'est pas le plus haut responsable dans l'armée américaine – répétait une déclaration qu'il avait faite presque un an auparavant. La seule différence entre ce qu'il a dit en avril 2009 et ce qu'il a dit aujourd'hui, c'est qu'il sait maintenant à l'évidence qu'Al-Qaida est renforcée par ce conflit.

Il a dit aujourd'hui :
Les hostilités persistantes entre Israël et certains de ces voisins représentent des défis évidents pour notre capacité à faire avancer nos intérêts dans l'AOR (zone de responsabilité du CENTCOM). Les tensions israélo-palestiniennes se transforment souvent en violence et en confrontations armées à grande échelle. Le conflit provoque un sentiment anti-américain, à cause de la perception du favoritisme des US à l'égard d'Israël. La colère arabe sur la question palestinienne limite la puissance et la profondeur de nos relations avec des gouvernements et des peuples dans l'AOR et affaiblit la légitimité des régimes modérés dans le monde arabe. Pendant ce temps là Al-Qaida et d'autres groupes militants exploitent la colère pour mobiliser. Le conflit offre également à l'Iran une influence dans le monde arabe via ses clients, le Hezbollah libanais et le Hamas.
Si une telle déclaration avait été faite en dehors de la scène politique américaine, elle pourrait être considérée comme une expression plutôt fade de ce qui est depuis longtemps évident. Mais venant des lèvres d'un général célèbre, considéré par un grand nombre comme un futur potentiel président, ces mots font l'effet d'une bombe.

Les néo-conservateurs et le lobby pro-israélien [AIPAC] ont œuvré très dur et pendant longtemps pour obscurcir l'impact régional profondément corrosif d'un conflit que les dirigeants israéliens successifs n'ont pas voulu régler ou ont été incapables de régler. D'autres, qui auparavant ont dit ce que Petraeus dit actuellement, ont soit été rejetés accusés d'être mal informés, ou qualifiés d'anti-israéliens ou insidieusement d'antisémites.

Aucune de ces accusations ne peut coller à Petraeus. En fait, si le lobby pro-israélien était suffisamment téméraire pour essayer de s'en prendre à un général américain qu'on considère parfois comme un Eisenhower de notre époque, le lobby prendrait l'énorme risque de se voir menacer de ce qui l'effraie le plus : être qualifié d'anti-américain.

16/03/2010
Paul WOODWARD
War In Context

Lire aussi :
• 16/03/2010, David Petraeus' Report, United States Senate Armed Services Committee.
• 17/03/2010, U.S. general: Israel-Palestinian conflict foments anti-U.S. sentiment, Ha'aretz.