21 mars 2011

Libye - Revue de presse à contre-courant


Manifestants "pacifiques" libyens

Agences de presse

Reuters-Yahoo! Actualités, 20/03/2011
Le secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa a critiqué dimanche les frappes aériennes internationales sur la Libye, estimant qu'elles allaient au-delà de la zone d'exclusion aérienne réclamée par l'organisation et causaient des pertes civiles.

La France, la Grande-Bretagne et les États-Unis sont entrés en action samedi en fin de journée en Libye. La coalition dit cibler des objectifs militaires, notamment des bases aériennes et défenses antiaériennes, pour tenter de contraindre les forces de Mouammar Kadhafi à cesser les attaques contre l'insurrection.

Mais le régime libyen affirme que des civils sont visés par ces frappes et que 64 d'entre eux sont morts depuis samedi.

Il n'était pas possible de vérifier l'information mais Moscou, opposé à l'intervention militaire, lui a donné du crédit en reprenant les chiffres officiels libyens et en demandant à Paris, Londres et Washington de "cesser le recours non sélectif à la force".

Plus grave pour la coalition, Amr Moussa a demandé un rapport sur les opérations en Libye "qui ont provoqué la mort et les blessures de nombreux civils libyens".

"Ce qui se passe en Libye diffère de l'objectif d'imposition d'une zone d'exclusion aérienne, et ce que nous voulons est la protection des civils et non le bombardement de davantage de civils", a dit Amr Moussa, cité par l'agence égyptienne Mena.

Un haut responsable américain a rétorqué que "la résolution approuvée par les Arabes (...) incluait une zone d'exclusion aérienne tout en allant au-delà".

Le soutien de la Ligue arabe à la résolution 1973 de l'Onu a grandement facilité la mise en place de la plus grosse intervention militaire dans le monde arabe depuis l'invasion de l'Irak en 2003.

Si l'organisation désapprouvait son déroulement, cela compliquerait grandement la tâche des Occidentaux. Certains analystes militaires soulignent déjà que cette campagne sera dans tous les cas difficile, et son issue incertaine.

L'amiral Mike Mullen, chef d'état-major interarmes de l'armée américaine, a concédé que l'opération pourrait déboucher sur une impasse.
Sud Ouest, 21/03/2011
Le conflit s'éternise, le pays se divise
C'est bien davantage l'hypothèse privilégiée aujourd'hui. "L'état-major américain évoque déjà une impasse. Elle est en partie liée au flou de la résolution, à un objectif qui n'est pas clairement défini", explique Barah Mikaïl. Des pays de la Ligue arabe ont d'ailleurs déjà critiqué les frappes qui sortent, selon elle, du cadre d'intervention défini par la résolution 1973 de l'ONU.

Les actions aériennes de l'Alliance pourraient effectivement avoir pour effet de figer la situation au sol. On pourrait alors envisager que le conflit s'éternise au fil d'actions militaires sporadiques dans les deux camps, et que l'on se dirige vers une division du pays. "Le contexte libyen fait que les divisions y sont bien plus poussées qu'ailleurs. La Libye, c'était trois régions différentes avant sa création. Il y a une dimension tribale à prendre en compte", ajoute Barah Mikaïl.
RIA Novosti, 21/03/2011.
Les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada veulent que l'opération armée en Libye soit placée sous le commandement de l'OTAN, mais la France s'y oppose, a annoncé lundi la chaîne de télévision belge RTBF.

Analyses

• Patrick O'CONNOR, Explosion des prix du pétrole : Les États-Unis et l'Europe envisagent une intervention en Libye, WSWS, 24/02/2011.
La plus grande préoccupation des puissances impérialistes est de restabiliser l'État d'Afrique du Nord et de relancer les exportations de pétrole. Les diverses critiques des chefs occidentaux faites à l'endroit du gouvernement libyen et de son recours à la violence sont totalement hypocrites – Mouammar Kadhafi a profité de relations des plus chaleureuses avec les États-Unis et l'Europe durant la dernière décennie. Son régime a été financé et armé par ces puissances, en récompense de son appui aux objectifs géostratégiques de Washington dans la région et de sa collaboration avec les sociétés pétrolières étrangères établies en Libye. De nombreux politiciens et personnalités bien en vue du monde des affaires se sont enrichis en collaborant avec Kadhafi, notamment l'ancien premier ministre britannique Tony Blair, qui visitait régulièrement Tripoli au nom de la banque d'investissement américaine JPMorgan Chase.

Hier, avant une réunion extraordinaire du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, un projet de résolution présenté par l'Union européenne (UE) a condamné "les récentes violations extrêmement graves des droits humains commises en Libye, dont les exécutions extrajudiciaires, les arrestations arbitraires, la détention et la torture de manifestants pacifiques, qui, si elles sont répandues et systématiques, pourraient constituer des crimes contre l'humanité". Cette référence à des crimes contre l'humanité est importante – le même prétexte avait été utilisé par les interventions de l'OTAN dans les Balkans dans les années 1990.
Remplacer "violations extrêmement graves des droits humains commises en Libye" par "violations extrêmement graves des droits humains commises en Palestine par l'État israélien" pour mesurer le "deux poids, deux mesures.

Toute intervention menée par les États-Unis viserait d'abord à rétablir la production de pétrole en Libye et non à mettre un terme à la violence brutale déployée par les forces de Kadhafi. Les sociétés pétrolières étrangères, incluant Eni de l'Italie, Repsol YPF de l'Espagne, Wintershall de l'Allemagne et Total de la France, ont cessé la production ou l'ont diminué fortement.
• Manlio DINUCCI, La Libye dans le grand jeu du nouveau partage de l'Afrique, Mondialisation, 25/02/2011.
Grâce aux réserves de pétrole et de gaz naturel, la Libye a une balance commerciale en actif de 27 milliards de dollars annuels et un revenu moyen-haut par habitant de 12 mille dollars, six fois plus élevé que l'égyptien. Malgré les fortes disparités, le niveau de vie moyen de la population libyenne (à peine 6,5 millions d'habitants par rapport aux 85 millions en Egypte) est ainsi plus haut que celui de l'Egypte et des autres pays nord-africains. En témoigne le fait que travaillent en Libye environ un million et demi d'immigrés en majorité nord-africains. 85% des exportations énergétiques libyennes sont destinés à l'Europe : en premier lieu à l'Italie qui en absorbe 37%, suivie par l'Allemagne, la France et la Chine. L'Italie est au premier rang aussi des importations libyennes, suivie par la Chine, la Turquie et l'Allemagne.

Ce cadre saute à présent sous l'effet de ce qui se caractérise non pas comme une révolte de masses appauvries, comme celles en Egypte et Tunisie, mais comme une vraie guerre civile, due à une fracture dans le groupe dirigeant. Ceux qui ont fait le premier pas ont exploité le mécontentement contre le clan Kadhafi, mécontentement répandu surtout dans les populations de la Cyrénaïque et les jeunes des villes, à un moment où toute l'Afrique du Nord est parcourue de mouvements de rébellion. A la différence de l'Egypte et de la Tunisie, cependant, l'insurrection libyenne apparaît pré-commandée et organisée.

Ceci advient dans le grand jeu de la répartition des ressources africaines, qui voit s'amplifier le bras de fer surtout entre Chine et États-Unis.
• Pas d'intervention impérialiste en Libye !, WSWS, 01/03/2011.
Les États-Unis et les puissances européennes se dirigent vers une intervention militaire directe en Libye. Ils cherchent à exploiter un soulèvement populaire légitime contre le régime d'un Mouammar Kadhafi au pouvoir depuis 41 ans pour prévenir toute possibilité d'émergence d'un régime plus radical et pour installer à la place de cette dictature discréditée un gouvernement fantoche de type colonial.

Comme dans le cas de toute opération dans cette région du monde, les mobiles décisifs sont d'une double nature: mainmise sur les ressources de l'un des principaux pays producteurs de pétrole et poursuite des intérêts stratégiques d'ensemble de l'impérialisme américain au Moyen Orient et en Afrique du Nord. Des forces militaires impérialistes stationnées en Libye seraient en mesure d'influencer le cours futur des événements en Egypte, en Tunisie, en Algérie et au Maroc, qui sont tous à présent dans la tourmente tout comme le sont, au-delà du Sahara, le Soudan, le Tchad, le Niger et le Nigeria.

La pose de l'indignation humanitaire adoptée par les États-Unis et l'Europe n'est pas crédible. Jusqu'à il y a deux semaines, ces puissances ont courtisé Kadhafi pour l'obtention de contrats lucratifs dans l'exploitation des ressources pétrolières et du gaz libyen. Tout un cortège de prétendants occidentaux qui avaient suivi l'odeur du pétrole – Condoleezza Rice, le britannique Tony Blair, le français Chirac, Berlusconi d'Italie, Zapatero d'Espagne – avait fait le chemin de Tripoli. Ils n'avaient alors prêté aucune attention à l'État policier de Kadhafi et aux hurlements provenant de ses chambres de torture.

Une préoccupation supplémentaire pour les États-Unis est le rôle de la Chine qui prépare sa toute première opération militaire en Méditerranée. Beijing a envoyé la frégate Xuzhou qui fait partie d'une patrouille anti-pirate déployée au large des côtes somaliennes vers les côtes libyennes via le canal de Suez pour aider à l'évacuation de 30.000 citoyens chinois, pour la plupart des ouvriers du bâtiment, piégés par les combats.

En d'autres termes, la Libye doit être transformée en une semi colonie dirigée par les États-Unis et leurs confrères prédateurs d'Europe de l'Ouest qui prendront le contrôle des réserves pétrolières et transformeront le territoire de ce pays en une base stratégique pour le lancement d'opérations contre les soulèvements de masse qui déferlent présentement sur le Moyen Orient et l'Afrique du Nord.
• Andreï FEDIACHINE, Le scénario yougoslave pour la Libye, RIA Novosti, 05/03/2011.
Auparavant, on aurait appelé cela la "diplomatie de la canonnière", mais aujourd'hui cette expression ne convient plus tout à fait. On s'est souvenu du terme "interventionnisme libéral." Et tout commence à rappeler le "schéma yougoslave." On semble revivre les bombardements de 1999.

Barack Obama pourrait devoir faire face à un problème plus grave que le Kosovo : l'augmentation des prix du pétrole menace déjà de stopper le rétablissement économique et, par conséquent, de réduire considérablement ses chances d'être réélu l'année prochaine. On ne plaisante pas avec ce genre de choses.
• Mohamed HASSAN, Libye : révolte populaire, guerre civile ou agression militaire ?, Mondialisation, 07/03/2011.
Dans les années 50, une blague circulait à la Maison Blanche, au sein de l'administration Eisenhower qui se développa ensuite en véritable théorie politique sous Reagan. Comment distinguer les bons des mauvais Arabes ? Un bon Arabe fait ce que les États-Unis lui disent. En échange, il reçoit des avions, est autorisé à déposer son argent en Suisse, est invité à Washington, etc. Eisenhower et Reagan nommaient ces bons Arabes : les rois d'Arabie Saoudite et de Jordanie, les cheikhs et émirs du Koweït et du Golfe, le Shah d'Iran, le roi du Maroc et bien-sûr, le roi Idriss de Libye. Les mauvais Arabes ? Ceux qui n'obéissaient pas à Washington : Nasser, Kadhafi, Saddam plus tard…

Kadhafi n'est pas un mauvais Arabe parce qu'il fait tirer sur la foule. On fait la même chose en Arabie Saoudite ou au Bahreïn et les dirigeants de ces pays reçoivent tous les honneurs de l'Occident. Kadhafi est un mauvais Arabe parce qu'il a nationalisé le pétrole libyen que les compagnies occidentales considéraient - jusqu'à la révolution de 69 - comme leur appartenant. Ce faisant, Kadhafi a apporté des changements positifs en Libye, au niveau des infrastructures, de l'éducation, de la santé, de la condition des femmes, etc.

Les États-Unis alimentent ces tensions afin de pouvoir intervenir militairement en Libye. Dès les premiers jours de l'insurrection, la secrétaire d'État Hillary Clinton a proposé d'apporter des armes aux opposants. Dans un premier temps, l'opposition organisée sous le Conseil National a refusé toute ingérence des puissances étrangères, car elle savait que cela jetterait le discrédit sur son mouvement. Mais aujourd'hui, certains opposants en appellent à une intervention armée.

Pour la Libye, il faut être très prudent avec les informations qui nous parviennent. Un jour, on parle de 2.000 morts et le lendemain, le bilan est revu à 300. On a aussi dit dès le début de la crise que Kadhafi avait bombardé son propre peuple, mais l'armée russe, qui surveille la situation par satellite, a officiellement démenti cette information. Si l'Otan se prépare à intervenir militairement en Libye, nous pouvons être sûrs que les médias dominants vont diffuser la propagande de guerre habituelle.

En fait, la même chose s'est passée en Roumanie avec Ceausescu. Le soir du réveillon de Noël 1989, le premier ministre belge Wilfried Martens a fait un discours à la télévision. Il a prétendu que les forces de sécurité de Ceausescu venaient de tuer 12.000 personnes. C'était faux. Les images du fameux charnier de Timisoara ont également fait le tour du monde. Elles étaient censées démontrer la violence aveugle du président roumain. Mais il s'est avéré plus tard que tout cela était une mise en scène : des cadavres avaient été sortis de la morgue et placé dans des fosses pour impressionner les journalistes. On a aussi dit que les communistes avaient empoisonné l'eau, que des mercenaires syriens et palestiniens étaient présents en Roumanie ou bien encore que Ceausescu avait formé des orphelins pour en faire des machines à tuer. C'était de la pure propagande pour déstabiliser le régime.

Finalement, Ceausescu et sa femme furent tués après un simulacre de procès qui dura 55 minutes. Bien sûr, tout comme Kadhafi, le président roumain n'était pas un enfant de chœur. Mais que s'est-il passé depuis ? La Roumanie est devenue une semi-colonie de l'Europe. La main d'œuvre bon marché y est exploitée. De nombreux services ont été privatisés au profit des compagnies occidentales et sont hors de prix pour une grande partie de la population. Et maintenant, chaque année, des tas de Roumains vont pleurer sur la tombe de Ceausescu. La dictature était une chose terrible, mais depuis que le pays a été économiquement détruit, c'est pire !

Il faut analyser tous ces événements à la lumière des nouveaux rapports de force dans le monde. Les puissances impérialistes sont en déclin alors que d'autres forces sont en plein essor. Récemment, la Chine a proposé de racheter la dette portugaise ! En Grèce, la population est de plus en plus hostile à cette Union Européenne qu'elle perçoit comme une couverture de l'impérialisme allemand. Les mêmes sentiments se développent dans les pays de l'Est. Par ailleurs, les États-Unis ont attaqué l'Irak pour s'emparer du pétrole mais au final, seule une compagnie US en profite, le reste étant exploité par des compagnies malaisiennes et chinoises. Bref, l'impérialisme est en crise.

Par ailleurs, la révolution tunisienne a fortement surpris l'Occident. Et la chute de Moubarak encore plus. Washington tente de récupérer ces mouvements populaires, mais le contrôle lui échappe. En Tunisie, le premier ministre Mohamed Ghannouchi, un pur produit de la dictature Ben Ali, était censé assurer la transition et donner l'illusion d'un changement. Mais la détermination du peuple l'a contraint à démissionner. En Egypte, les États-Unis comptent sur l'armée pour maintenir en place un système acceptable. Mais des informations me sont parvenues confirmant que dans les innombrables casernes militaires disséminées à travers le pays, de jeunes officiers s'organisent en comités révolutionnaires par solidarité avec le peuple égyptien. Ils auraient même fait arrêter certains officiers associés au régime de Moubarak.

La région pourrait échapper au contrôle des États-Unis. Intervenir en Libye permettrait donc à Washington de briser ce mouvement révolutionnaire et d'éviter qu'il ne s'étende au reste du monde arabe et à l'Afrique. Depuis une semaine, des jeunes se révoltent au Burkina-Faso mais les médias n'en parlent pas. Pas plus que des manifestations en Irak.
• Michel CHOSSUDOVSKY, Tentative de coup d'État des USA et de l'OTAN en Libye ?, Mondialisation, 07/03/2011.
Les États-Unis et l'OTAN appuient une insurrection armée dans l'est de la Libye dans le but de justifier une "intervention humanitaire".

Il ne s'agit pas d'un mouvement de protestation non violent comme ceux de l'Égypte et de la Tunisie. Les conditions en Libye sont fondamentalement différentes. L'insurrection armée dans l'est de la Libye est directement soutenue par des puissances étrangères.

Le véritable objectif de l'"Opération Libye" n'est pas d'instaurer la démocratie mais de prendre possession des réserves de pétrole du pays, de déstabiliser la Compagnie pétrolière nationale de Libye (CPN ou NOC en anglais) et de privatiser tôt ou tard l'industrie pétrolière du pays, c'est-à-dire transférer le contrôle et la propriété de la richesse pétrolière libyenne dans des mains étrangères.

Le scénario stratégique consisterait à faire des pressions en faveur de la formation et de la reconnaissance d'un gouvernement intérimaire dans la province sécessionniste dans le but de faire éclater le pays tôt ou tard.

Des armes sont fournies aux forces de l'opposition et cela est confirmé par des déclarations des États-Unis et de l'OTAN. Malgré l'absence de preuves établies à ce jour, des signes indiquent que des armes ont été livrées aux insurgés avant l'attaque contre la rébellion.

Les objectifs stratégiques plus vastes sous-jacents à l'invasion proposée de la Lybie ne sont pas mentionnés par les médias. À la suite d'une campagne médiatique trompeuse, où les nouvelles ont littéralement été fabriquées sans que l'on rapporte ce qui se passait sur le terrain, un large secteur de l'opinion publique internationale a accordé son appui inflexible à une intervention pour des raisons humanitaires.
• Andreï FEDIACHINE, Le surréalisme de la révolte libyenne, RIA Novosti, 14/03/2011.
La révolte libyenne et tout ce qui l'entoure commencent à revêtir des formes peu compréhensibles, difficilement explicables et même surréalistes. Tous les événements à la périphérie de la révolte contre Kadhafi pourraient être qualifiés de grotesques n'était le sang coulant à son épicentre. Et en l'absence d'une opposition qui sombre déjà dans fatalisme des condamnés.

Difficilement crédible, mais c'est la réalité. L'Europe est contrainte d'essayer de convaincre Washington de faire pratiquement la même chose, à laquelle les États-Unis poussaient leurs alliés de l'UE au Kosovo et en Yougoslavie en 1999: instaurer en Libye une zone d'exclusion aérienne, détruire les systèmes de défense antiaérienne et commencer à armer les rebelles. Soit simplement armer l'opposition. Or à l'époque, à la fin des années 90, le "problème kosovar" ne représentait une menace ni pour l'Europe, ni pour les États-Unis de par la gravité des problèmes qui surviennent déjà en raison de l'instabilité libyenne et de la perturbation de l'approvisionnement en pétrole.

La France, la Grande-Bretagne et l'Italie devancent Washington dans les appels à instaurer un blocus aérien de la Libye et de faire des "frappes chirurgicales" sur les sites gouvernementaux (appel du président français Nicolas Sarkozy). Nicolas Sarkozy a, par ailleurs, décrété la reconnaissance du Conseil national de transition des rebelles à Benghazi et l'échange d'ambassadeurs, et il a été réprimandé pour cela par les autres membres de l'UE (nous devons agir ensemble, et cela ne sert à rien de se démarquer).

Les principaux alliés et les fournisseurs de pétrole des États-Unis, l'Arabie saoudite et d'autres rois du pétrole ne veulent pas que leur "plèbe" prenne des ailes grâce à l'aide extérieure. En s'inspirant notamment de l'exemple de la Libye. Personne ne défend Kadhafi détesté par tous : plaise à Dieu qu'il s'en aille. Mais il ne faut pas que cela se propage jusqu'à nous !
• Manlio DINUCCI, De l'Irak à la Libye, la guerre des vingt ans, Mondialisation, 17/03/2011.
La résolution du Conseil de sécurité qui, le 17 mars 2011, autorise à prendre "toutes les mesures nécessaires" contre la Libye rappelle celle qui, le 29 novembre 1990, autorisait l'usage de "tous les moyens nécessaires" contre l'Irak. Il y a vingt ans, profitant de la désagrégation de l'URSS et de son bloc d'alliances, les États-Unis et les plus grandes puissances européennes de l'OTAN déplaçaient le centre focal de leur stratégie dans le Golfe, en attaquant en 1991 l'Irak, un des principaux producteurs pétrolifères avec des réserves estimées parmi les plus grosses du monde. Aujourd'hui c'est la Libye qui se trouve dans le collimateur, une Libye dont les réserves pétrolifères sont les plus grosses d'Afrique, le double de celles des USA.

Aujourd'hui, comme en 1990, l'intervention armée se trouve motivée avec la "défense des droits humains" et la "protection des civils". Et on félicite, dans la résolution, les gouvernements arabes qui participent à ce noble effort : comme la monarchie absolue du Bahrein, qui a appelé les troupes saoudiennes pour réprimer dans le sang la lutte de son peuple pour les plus élémentaires droits humains, et le régime yéménite qui est en train de massacrer des civils qui manifestent pour la démocratie.
• Andreï FEDIACHINE, Kadhafi, le colonel aux ailes bientôt rognées, RIA Novosti, 18/03/2011.
Pas très loin, à Bahreïn, on assiste à quelque chose de diamétralement opposé. Les troupes d'Arabie saoudite et d'autres pays du Golfe sont entrées à Manama, la capitale de l'île-base de la 5e flotte américaine, afin de réprimer les manifestations de l'opposition qui exigeait la démocratisation du régime et l'octroi des droits politiques et sociaux. C'est ainsi qu'un voisin peu démocratique aide un autre régime aussi peu démocratique. En dehors de la région il faut expliquer pendant longtemps pourquoi il est nécessaire de planter à un endroit et de sarcler à un autre les mêmes "germes démocratiques." Mais seulement en dehors de la région.

Les révolutions sont des substances dangereuses. Personne ne dira le contraire. Au Proche-Orient elles sont particulièrement dangereuses: le pétrole, le gaz, le canal de Suez, le conflit arabo-israélien, la guerre en Irak, l'Afghanistan… La "révolution libyenne" sera probablement le dernier changement violent d'un régime indésirable. Il est seulement question du prix que paieront les Libyens.

A en croire les journaux américains et britanniques, l'Egypte, après concertation avec les États-Unis, a déjà commencé à envoyer aux rebelles libyens des armes et des munitions. L'Egypte pourrait également commencer à patrouiller l'espace aérien libyen dès dimanche. L'Egypte possède plus de 100 chasseurs américains F-16. L'Arabie saoudite devrait envoyer en Libye ses chasseurs F-15s. Elle en possède près de 100 également. Kadhafi dispose seulement d'une douzaine de Mirages français et d'à peine plus de 100 MiG soviétiques obsolètes. De plus, Washington exhorte actuellement les membres de la Ligue arabe à non seulement participer à la "répression" de Kadhafi avec leurs matériels, mais également à financer une partie significative de toute l'opération contre la Libye.

Aussi étrange que cela puisse paraître, le problème le plus important concernant l'aide militaire à la Libye réside dans le fait que personne ne sait exactement qui bénéficiera de cette aide. Les unités de l'opposition sont toujours disparates et amorphes. Et leurs chefs de file sont majoritairement des anciens cadres loyaux envers Kadhafi.
• Jean BONNEVEY, Guerre franco-britannique contre la Libye - Bons baisers de Suez, Mondialisation, 19/03/2011.
L'histoire, on le sait, ne se répète pas ; elle bafouille. Mais voir Sarkozy entraîner la G8 dans une opération militaire en Libye fait penser à Mollet et Eden… Sauf que la France et la Grande Bretagne ne sont plus ce qu'elles étaient, même à l'époque, et que, cette fois, les USA suivent, en traînant les pieds, et que l'Israël de Moshe Dayan n'est plus là.

Faire la guerre au dictateur libyen est peut être une obligation morale ; c'est aussi une aventure aux conséquences immaîtrisables. Sarkozy a trouvé son Irak et Juppé se prend pour Rumsfeld. La route de l'Élysée passerait-elle maintenant par Benghazi ? Peut être. Mais «remember Suez !»
• Arnaud KALIKA, Opérations en Libye : un point de vue français, RIA Novosti, 21/03/2011.
Le cas libyen a véritablement, vu de France, été une surprise stratégique. Comme souvent depuis son élection en 2007, le Président Sarkozy a développé une politique extérieure basé sur l'immédiateté et l'action à tout prix. Une politique influencée par les deux philosophes idéologiques MM. Glucksmann et Henri-Levy, qui ont pris le parti systématique des révoltés de ce monde scandant des slogans en faveur de la liberté et de la démocratie, qu'ils soient en Tchétchénie, au Tibet, au Cachemire ou en Libye. Pourtant, dans le cas libyen, même que ce soit Paris, à Londres ou à Langley, on ne connaît pas vraiment le pédigrée des "révolutionnaires". Mais finalement, peu importe : ce sera toujours mieux que Kadhafi ! Reste que, comme le soulignait Tocqueville, il n'existe pas de révolution spontanée, il n'existe que des révolutions bourgeoises servant les intérêts de tel ou tel groupe social, voire telle ou telle communauté.

Lire aussi : Dossier Libye, RIA Novosti - Xinhua.

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