24 décembre 2013

Don Jon, un obsessionnel compulsif


Même les féministes ont succombé à la mode du porno. La critique de cette industrie, qui envahit notre vie quotidienne, nécessite une analyse selon les critères de l'économie politique faute de quoi on sombre dans les ornières d'une morale bien pensante que nous assène laborieusement cette porno-comédie, réalisée selon les normes hollywoodiennes pour séduire le plus grand nombre.


Les deux tiers du film sont résumés dans l’affiche et dans la bande annonce. Jon, comme tous les obsessionnels compulsifs, a une vie très réglée. Il répète inlassablement les mêmes gestes ritualisés. Cinématographiquement, cela devient vite lassant car les images et le son sont montés comme un clip vidéo qui dure non quelques minutes, mais une bonne heure.

Sa courte liaison avec Barbara donne à peine le change car, alors qu’elle dort, il court vers son ordinateur… Leur rupture survient non parce que, en fouillant l’historique de son navigateur, elle s’est rendu-compte qu’il matait du porno, mais parce qu’elle lui demande tout en échange du sexe… quand elle veut, où elle veut et comme elle veut.

Le dernier tiers du film est un revirement complet puisque Jon se convertit brusquement au regard d’Esther qui lui enseigne que «le porno n’est qu’une simulation et que, pour atteindre la jouissance dans la vraie vie, il faut savoir se perdre dans l’autre et réciproquement».

En bref, ce film n’apporte rien de nouveau sinon la réaffirmation de la morale que Julianne Moore (Esther) a souvent interprétée : celle de la femme WASP dans Short Cuts (1993), Safe (1995), Far from Heaven (2002) ou celle de Sarah Palin dans Game Change (2011).

Films analogues

 

Sur le fond comme dans la forme Don Jon s’apparente à Borderline (2008, Lyne CHARLEBOIS) qui, sous prétexte de traiter un trouble de la personnalité, réalise un porno chic se terminant par une romance pâtissière.

Le meilleur film qui traite de la névrose obsessionnelle reste The Aviator (2004, Martin SCORSESE), biographie romancée de Howard Hugues remarquablement interprété par Leonardo DiCaprio.

Shame (2011, Steve McQUEEN) est le meilleur film qui traite, d’une manière beaucoup plus subtile et plus convaincante, de l’addiction au porno. Étrangère au discours moralisateur, la mise en scène laisse au spectateur la liberté de penser ce qu’il veut.

Quant à Monique (2002, Valérie GUIGNABODET), c’est une petite comédie jubilatoire sur l’intrusion d’une poupée en silicone – un corps de rêve, toujours disponible, jamais de migraines, jamais de larmes, jamais de scènes – dans la vie d’un couple en perte de désir.

23/12/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Don Jon, 2013, Joseph GORDON-LEVITT, AlloCiné
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Lire aussi :
Dossier documentaire Érotisme & Pornographie, Monde en Question.
Dossier documentaire Sexualité, Monde en Question.
Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.

12 décembre 2013

Hitler, utile à la propagande anti-arabe

De nouveaux documents historiques justifieraient la publication d’un livre ou la publication d’un film sur Hitler. Mais un journaliste, proche de l’extrême droite israélienne, ne s’embarrasse pas de cette précaution pour ressasser les clichés les plus éculés au service de la propagande anti-arabe.

Mein Kampf, c’était écrit


Le titre annonce une fatalité : ça devait se réaliser parce que c’était écrit. Cette expression, en référence à la Bible, signifie c’est la volonté de Dieu.

Dès les premières minutes, le ton de la voix-off du narrateur signe un documentaire de propagande qui, comme beaucoup d’autres, attribue au seul Adolf Hitler la responsabilité de la Deuxième Guerre mondiale : "Cette barbarie avait une origine : la volonté et l’imagination d’un seul homme".

L’intervention militaire des États-Unis est présenté en termes grandiloquents : "La nuit nazie prendra fin. La lumière viendra d’Outre- Atlantique quand l’Amérique entrera en guerre". Il ne dit rien sur les intérêts économique et stratégique en jeu dans cette guerre.

En Allemagne, reproduire intégralement Mein Kampf, même dans un cadre scientifique, est illégal. Si Raphaël Seligmann, Israélien vivant en Allemagne, milite pour une publication intégrale et sans commentaires : "Nous sommes suffisamment mûrs pour ne pas avoir une édition commentée". Antoine Vitkine lance, en conclusion, son offensive :

"En principe l’État de Bavière, détenteur du copyright, interdit la publication du livre à l’étranger. Cela n’empêche pas Mein Kampf de se vendre à travers la planète partout où ce symbole du Mal fascine."
"Dans ces conditions, faut-il s’étonner qu’en Egypte, au Liban, en Syrie ou en Palestine Mein Kampf se vendent depuis longtemps ? Loin de la vieille Europe, aujourd’hui démocratique, le poison agit encore."

Ainsi, la publication de Mein Kampf dans les pays arabes est forcément un acte antisémite contre Israël. CQFD. Antoine Vitkine ne dit pas que Mein Kampf est publié à Jérusalem depuis 1992 (New York TimesSeattle Times Newspaper).

En Israël, la figure d’Hitler est instrumentalisé par l’extrême droite pour tuer dans l’œuf toute tentative de reconnaissance des droits des Palestiniens. Ainsi, Yitzhak Rabin fut l’objet d’une violente campagne l’assimilant à Hitler avant d’être assassiné "au nom de Dieu" par un sioniste religieux parce qu’il avait serré la main de Yasser Arafat.

Partage proposé par : Zone Telechargement DVD FR


En 2009, un graffiti inscrivant "Itzhak Rabin = Hitler" fut découvert sur un mur près du mémorial de l’ancien Premier ministre assassiné à Tel-Aviv (Ynetnews).

Autres documentaires

En France, le commissariat à l’Information demande au réalisateur Alexandre Ryder de tourner un film à charge contre Hitler. Après Mein Kampf, mes crimes, un film de propagande plutôt risible, sorti quelques mois avant la défaite française de juin 1940.
Partage proposé par : HawkmenBlues DVD VOSTFR-ES

En Bavière, fut réalisé par un anglais Das leben von Adolf Hitler (1961). Les trente cinq premières minutes ne sont pas inintéressantes car on rappelle que Hitler n’était pas seul, mais entouré d’une cohorte de partisans : Ernst Röhm, Hermann Göring, Rudolf Hess, Alfred Rosenberg, Julius Streicher, Heinrich Himmler, Joseph Goebbels, Gregor Strasser, etc. ; le fait que la social-démocratie n’apporta pas de réponse aux crises économiques de 1923 et 1929 ; et qui ceux qui donnèrent le pouvoir à Hitler pensaient pouvoir le contrôler. La suite est un portrait d’Hitler qui n’explique rien, mais verse dans la propagande : "Le peuple allemand, dont la plupart est politiquement immature et endormi hypnotisé par les informations de propagande et les mouvements de foule répétitif, s’en remet à son chef adoré comme des moutons à leur berger".
Partage proposé par : Zone Telechargement DVD VF

En Bavière, Hitler, eine Karriere (1977) attribue classiquement à Hitler toute la responsabilité de la guerre : "À cause de lui, l’Allemagne d’abord puis l’Europe toute entière en sont arrivés à une fin catastrophique". Un seul détail est intéressant. En 1933, quelques jours après sa nomination au poste de Chancelier, Hitler prononce un discours au Palais des Sports de Berlin. Un panoramique balaie la salle dont une banderole sur laquelle est écrit Macht Deutschland vom Marxismus frei ! (Puissante Allemagne libéré du marxisme !).
Partage proposé par : Tag Tele Streaming VF

 

Apocalypse – Hitler

Ce téléfilm est le moins mauvais de la longue série des documentaires consacrés à Adolf Hitler car il montre que :

• Le dictat de Versailles, imposé par Clemenceau en 1918, est dénoncé par tous les opposants à la République de Weimar comme un coup de poignard dans le dos.
• L'anticommunisme et l'antisémite (judéo-bolchévisme) n'était pas l'apanage de l'Allemagne, mais un ressentiment partagé dans toutes les démocraties européennes par la gauche, la droite et l'extrême droite qui craignaient la contagion de la Révolution russe.
• L’occupation de la Ruhr par l’armée française en 1923 provoque une crise économique (inflation et chômage) qui fut le terreau de l’extrême droite, notamment le NDSAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands).
• La crise économique de 1929 frappe encore plus durement l’Allemagne (6 millions de chômeurs) et provoque une compétition acharnée entre communistes et nazis. Hitler, en dénonçant la peste rouge, se rallie les commerçants et les paysans.
• En 1932, Hindenburg, bien que réactionnaire et monarchiste, est soutenu par la gauche. Hitler, qui veut abattre le Parti communiste avec les SA (100 morts et 1000 blessés) est récompensé par l’élection de 230 députés nazis.
• Contrairement à une légende bien tenace, Hitler n’a pas pris le pouvoir le 30 janvier 1933, mais Hindenburg, incapable de gouverner, l’a nommé Chancelier avec le soutien du Zentrum, de la droite et de l’extrême droite.
• L’incendie du Reichstag fut le prétexte pour arrêter 4000 communistes et les envoyer dans les premiers camps de concentration.
• Le 23 mars 1933, la République de Weimar, combattue par les nazis, se suicide en accordant les pleins pouvoirs à Hitler.
• Entre le 30 juin et le 2 juillet 1934, Hitler élimine les SA pour obtenir le soutien de la Wehrmacht.

La fin est plus contestable. Les auteurs présente Hitler comme un homme seul. Certes il a l’essentiel du pouvoir, mais ne l’assume pas seul loin de là.
Partage proposé par : Zone Telechargement DVD FR

À trop se focaliser sur la figure d’Hitler, beaucoup d’auteurs perdent de vue la perspective historique qui seule permet de comprendre l’histoire de l’Allemagne entre 1918 et 1945.

12/12/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Sélection bibliographique :
• William ALLEN, Une petite ville nazie [1965], Laffont 10/18, 1967.
• Karl Dietrich BRACHER, La dictature allemande – Naissance, structure et conséquences du National-Socialisme [1969], Complexe, 1995.
• Martin BROSZAT, L’État hitlérien – L’origine et l’évolution des structures du Troisième Reich [1970], Fayard, 1985.
• Louis DUPEUX (sous la direction de), La "révolution conservatrice" dans l’Allemagne de Weimar, Kimé, 1992.
• Joseph GOEBBELS, Journal 1923-1933, Tallandier, 2006 [L’Allemagne selon Goebbels].
• Sebastian HAFFNER, Allemagne 1918 – Une révolution trahie [1979], Complexe, 2001.
• Sebastian HAFFNER, , Histoire d’un Allemand – Souvenirs 1914-1933 [2000], Actes Sud, 2002.
• Adolf HITLER, Mein Kampf [1924-1926], Nouvelles Éditions latines, 1934 Texte en ligne.
Contrairement à la légende, créée par ses partisans et entretenue par ses adversaires, Hitler n’a pas écrit Mein Kampf, mais il l’a dicté notamment à Rudolf Hess entre 1924 et 1925. Ces notes dactylographiées furent remaniées à plus reprises pour la première édition et les suivantes. Il n’existe pas à ce jour d’édition critique qui mentionnerait les différentes étapes du texte et des variante ni les multiples publications d’extraits, commentés ou non. Ce livre est davantage l’œuvre collective du NSDAP que celle d’un seul homme. Sa diffusion, confidentielle jusqu’en 1933, devint l’ouvrage de référence du régime nazi. Les millions d’exemplaires, donnés (aux jeunes mariés, aux ouvriers ou militants "méritants") ou vendus, ne furent pas pour autant lus car le contenu est indigeste.
• Hans MOMMSEN, Le national-socialisme et la société allemande [1991], Maison des Sciences de l’Homme, 1997.
• George MOSSE, Les racines intellectuelles du Troisième Reich [1964], Calmann-Lévy, 2006.
• Detlev PEUKERT, La république de Weimar – Années de crise de la modernité [1987], Aubier, 1995.
• Lionel RICHARD, D’où vient Hitler ? – Tentative de démystification, Autrement, 2000.
• Henry Ashby TURNER, Hitler janvier 1933 – Les trente jours qui ébranlèrent le monde, , Calmann-Lévy, 1996.
• Edmond VERMEIL, Doctrinaires de la révolution allemande 1918-1938, Nouvelles Editions Latines, 1948.

 Lire aussi :
Dossier documentaire Propagande, Monde en Question.
Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.

5 décembre 2013

What Remains


Pour raconter une enquête criminelle, l’auteur utilise l’un de ces trois procédés : le lecteur ou le spectateur en sait moins, autant ou plus que l’enquêteur. Ce choix est fondamental car il implique la réception du lecteur ou du spectateur qui se sent respectivement inférieur, à égalité ou supérieur à l’enquêteur.

De multiples variantes enrichissent le récit selon les critères suivants :
  • L’auteur de l’histoire est à l’intérieur ou à l’extérieur du récit.
  • La typologie de l’enquêteur : un homme ou une femme ; un policier un privé ou un personnage plus ou moins proche de la victime.
  • L’enquêteur agit seul ou il est aidé et/ou contrecarré par un ou plusieurs personnages.
  • L’auteur du crime apparaît au cours ou à la fin de l’histoire.
Les auteurs, scénariste et réalisateur, placent dans cette série le spectateur en position dominante vis-à-vis de l’enquêteur car il en sait toujours plus et avant lui, mais en position inférieure vis-à-vis du narrateur qui, invisible, l’égare sur de fausses pistes.
La position dominante du spectateur est accentuée du fait que l’enquêteur est un policier qui prend sa retraite le jour de la découverte du cadavre. Il vit seul sans enfants ni amis et son frère est mourant.
Il reçoit l’aide d’une femme enceinte qui, venant d’emménager, a découvert le corps de la victime.
Si l’auteur du crime apparaît dès le premier épisode, la mise en scène n’oriente pas les soupçons vers lui pour les raisons expliquées en annexe (ce document dévoile l’intrigue).

Le scénario, solidement construit, s’organise en trois parties :
  • Le premier épisode présente lentement la problématique et les différents personnages.
  • Le deuxième et troisième épisode orientent les soupçons vers chacun des personnages qui habitent le même immeuble que la victime et cachent des petits secrets.
  • Le quatrième épisode clôture sur un rythme rapide la série par la découverte de l’auteur et du mobile du crime.
La mise en scène alterne astucieusement des scènes au présent et au passé sans, dans ce cas, respecter une chronologie précise. Les flashbacks servent à révéler les travers de chacun des personnages qui ont fréquenté la victime. Ils tracent aussi un portrait empathique de Melissa Young (la victime).

Le jeu de certains acteur donnent de la chair à ce polar psychologique. David Bamber incarne un professeur inflexible (Joe Sellers), Denise Gough une femme perdue (Liz Fletcher), Jessica Gunning la sympathique victime (Melissa Young), Victoria Hamilton une femme dominée (Peggy Scott), et David Threlfall l’enquêteur tenace mais en retard (Len Harper).

Sans être un chef-d’œuvre cinématographique, cette série a suffisamment d’atouts pour sortir du lot des feuilletons télévisuels. La vision des quatre épisodes en une seule fois (3h30) s’impose pour savourer l’intrigue.

Résumé : Le corps de Melissa Young, une jeune femme d’une trentaine d’année, est retrouvé en décomposition dans le grenier de son appartement, deux ans après sa mort. Comment se fait-il que personne n’ait signalé sa disparition, ou même remarqué qu’elle était partie ? Qu’elle vie a-t-elle vécu et qu’elle était sa place au sein de la société actuelle ? Enfin, qui est ce tueur qui court toujours ?
Fiche : AlloCiné
Critiques :
Breaking News
Le Monde
My Télé is rich !
Telegraph


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05/12/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.

14 novembre 2013

American Radical - The Trials of Norman Finkelstein


Le sionisme et l’instrumentalisation de l’Holocauste

Fils de parents survivants des camps nazis, auteur de L’industrie de l’Holocauste – Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs, professeur de sciences politiques et homme de principes jusqu’à l’intransigeance, Norman Finkelstein est en croisade depuis 1982. Son objectif : dénoncer l’utilisation de l’Holocauste par Israël pour justifier les crimes commis en Palestine.

Suivant Finkelstein à travers le monde, American Radical trace le portrait de cet homme vénéré par les uns et haï par les autres, ami de Noam Chomsky et interdit de séjour en Israël. Le portrait d’un penseur libre, d’un provocateur, d’un homme seul qui a sacrifié sa vie à une cause.


Nous avons une expression en anglais : "La vérité est souvent une pilule amère à faire passer." Nous sommes supposés examiner sérieusement l’histoire. Mais il suffit que vous mentionnez quelques mots sur des collaborateurs juifs, et les gens deviennent tellement énervés. C’est – je suis désolé de le dire – une forme de chantage émotionnel [53'08''].

Norman Finkelstein a payé le prix fort pour avoir dit une vérité dérangeante. Il a été chassé de l’Université, interdit de séjour en Israël et l’Organisation de la Défense Juive a lancé contre lui une campagne "Chassez le traître des Juifs".

Critiques :
ISM
Lectures
Panorama
The New York Times
Site du filmLes Mutins de Pangée

14/11/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
Norman FINKELSTEIN, L'industrie de l'Holocauste - Réflexion sur l'exploitation de la souffrance des juifs, La Fabrique, 2001 [Texte en ligne].
Dossier documentaire FINKELSTEIN Norman, Monde en Question.
Dossier documentaire Sionisme, Monde en Question.
Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.

2 novembre 2013

Chris MARKER

Politiquement, Chris Marker a navigué de l’extrême droite nationaliste (tendance pétainiste) à la gauche nationaliste (Parti Communiste Français). Comme Guy Debord, il a organisé sa légende en contrôlant son image et sa biographie.

La jetée, court métrage considéré par ses admirateurs comme un chef d’œuvre, n’est qu’une suite de photographies en noir et blanc dominées par le commentaire d’une voix off qui prétend faire sens. Ce procédé, qui relève d’avantage de la propagande que du cinéma, est aujourd’hui largement utilisé dans les documentaires télévisuels.

Pas étonnant que les petits maîtres à penser, en quête de référence auto-justificatrice, organisent une rétrospective des films de Chris Marker après celle consacrée à Guy Debord. Tout un programme… contre le cinéma car, excepté La jetée, il n’a produit que des documentaires qui ne résistent pas au temps.

1953, Les statues meurent aussi

Fiche : AlloCiné
Critiques : Ciné-club de Caen
Images fixes. Commentaires en voix-off sur un ton didactique. Les images de statues, présentées sans indications (lieu de provenance et date de leur production), construisent une vision an-historique de l’art africain. Elles illustrent un discours doublement étranger, parce que d’une part une sculpture ne parle pas et d’autre part cette parole, même sympathisante, reste occidentale.

1958, Lettre de Sibérie

Fiche : AlloCiné
Critiques : Ciné-club de Caen


Cet extrait, seul passage intéressant, illustre le fait que les commentaires en voix-off, accompagnés d’une musique et/ou de bruitages, imposent la lecture des images. Discours contradictoire puisque Chris Marker réalise dans tous ses documentaires ce qu’il dénonce ici.

1961, Cuba Si

Fiche : AlloCiné
Critiques : Ciné-club de Caen
Produit du discours tiers-mondiste des socialistes de salon qui glorifia la révolution cubaine en passant sous silence la dictature qu’imposa Fidel Castro à son peuple pris en otage par l’embargo occidental imposé par les États-Unis. Chris Marker est fidèle au concept de la révolution nationale. Le commentaire, encore une fois, domine les images au point qu’on peut l’écouter sans les regarder, mais pas l’inverse.

1962, La jetée

Fiche : AlloCiné
Critiques : Ciné-club de Caen
Ce court métrage n’est qu’une suite de photographies dominées par le commentaire d’une voix off qui prétend faire sens.

1966, Si j’avais quatre dromadaires

Fiche : AlloCiné
Illustre la méthode non-cinématographique de Chris Marker : un photographe (Chris Marker le fut davantage que cinéaste) et deux de ses amis commentent des images prises dans vingt-six pays entre 1955 et 1965. Les commentaires sont aussi prétentieux que les images banales.

01/11/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
Dossier Chris MARKER, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma documentaire, Monde en Question.
Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.

30 octobre 2013

Regards sur le réalisme

Le réalisme au cinéma n’est pas un genre répertorié par les professionnels, producteurs ou critiques. C’est d’autant plus étrange que les critiques nommèrent néoréalisme certains films italiens sortis entre 1943 et 1955.

Au-delà d’un mouvement revendiqué, le réalisme caractérise de nombreux films des origines à aujourd’hui dans toutes les aires culturelles. Peut-être parce que le cinéma est un art qui relève essentiellement de cette approche du réel.

Certains films sont classés comme documentaires car perdure l’illusion de la neutralité de ce genre alors que, par exemple, les films de Flaherty sont construits selon une vision exotique et passéiste des Lapons (Nanouk l’esquimau) ou des pêcheurs d’Ara (L’homme d’Aran). Or, seule la caméra de vidéo-surveillance est réaliste. Un film est toujours une représentation du réel comme René Magritte il’llustra dans son célèbre tableau Ceci n’est pas une pipe.


Le réalisme au cinéma concerne autant le fond que la forme. Sur le fond, ces films racontent une histoire, mais sans l’artifice d’une intrigue qui s’achève sur la résolution le plus souvent heureuse (happy end hollywoodien) d’un problème à résoudre. Le récit se résume au fragment d’une vie qui a commencé et se poursuit au-delà du film et sans l’artifice d’un héros. Sur la forme, ces films visent « exclusivement le réel en rendant la présentation aussi objective, aussi neutre, aussi inexistante que possible » (Amédée Ayfre, Approche du réalisme, 1959).

Des films aussi divers que On the Bowery (Lionel ROGOSIN, 1956), Xiao Wu – Pickpocket (JIA Zhang Ke, 1997), Xiang ri kui – Sunflower (ZHANG Yang, 2005), African Gangster (Jean Pascal ZADI, 2010), (), Gözetleme Kulesi – La tour de guet (Pelin ESME, 2012), Nordvest – Northwest (Michael NOER, 2013).
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Sur le fond, ces films illustrent tous la vie de gens pauvres plus ou moins exclus du système dominant. Sur la forme, on remarque des parentés entre On the Bowery et Xiao Wu – Pickpocket ; Xiang ri kui – Sunflower et Gözetleme Kulesi – La tour de guet ; African Gangster et Nordvest – Northwest. Le style de ces films paraît indépendant de l’époque (1956-2013) et de la culture (États-Unis, Chine, France, Turquie ou Danemark).

Enfin, le réalisme de l’ordinaire constitue un choix artistique fort dans un pays comme la Chine où ce courant du cinéma indépendant s’est développé à partir des années 1990 (Judith AUDIN, Anatomie politique de la vie de quartier : la dimension ethnographique du cinéma de Ning Ying, SinoPolis, août 2013).



30/10/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
• L'évolution du réalisme au cinéma I - Le cinéma est né réaliste (1895-1914), Séquences nº18, 1959.
• L'évolution du réalisme au cinéma II - Le cinéma réaliste à l'âge du « muet » (1914-1929), Séquences nº19, 1959.
• L'évolution du réalisme au cinéma III - La première décennie du cinéma « parlant » (1929-1939), Séquences nº20, 1960.
• L'évolution du réalisme au cinéma IV - Les tendances réalistes du cinéma d'aujourd'hui (1940-1960), Séquences nº21, 1960.
Dossier documentaire Réalisme au cinéma, Monde en Question.
Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.

15 octobre 2013

SM Rechter


Le film d'Erik Lamens ne semble pas être sorti en France, mais il est disponible en streaming sur YouTube et en téléchargement en VOSTFR (Ciné Monde). Il défend la thèse qu'un juge a le droit à la sexualité qu'il désire car cela relève de sa vie privée.

Or cette thèse s’écroule rapidement car, comme le juge ne peut donner lui-même les sévices que réclament sa femme, il a recourt aux services d’un club pour sadomasochistes. Non seulement, ils pratiquent leurs relations dans la sphère publique, mais il accepte de l’argent en échange de la prestation de sa femme. Il n’est donc pas étonnant qu’ils soit condamné pour incitation à la prostitution.


Ce film est inspiré d’un fait divers qui s’est déroulé à Malines en 1998. Ce qui n’en fait pas un bon film pour autant. Bien au contraire, il s’agit d’un téléfilm assez poussif et mal interprété, qui vire au mélo familial hollywoodien. On a beaucoup de peine à croire qu’un juge, spécialisé dans les affaires de prostitution, soit assez naïf pour s’embarquer dans cette histoire et fréquenter les clubs sado-maso de toute la Belgique.

14/10/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
• Dossier, Webzine Cinergie n°137.
Dossier documentaire Érotisme & Pornographie, Monde en Question.
Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.

4 septembre 2013

Monde des Mayas


Jean-Michel HOPPAN, CNRS :
  • Le calendrier maya
    Du XVIe au XIXe siècle, la domination exercée par les Espagnols entraîna chez les Mayas l’abandon presque total de leur système calendaire traditionnel. Chez certaines populations du Guatemala, n’en subsiste actuellement que le calendrier à cycles de 260 jours connu parmi les mayanistes sous le nom de tzolkin, dans le cadre d’un usage à caractère divinatoire. Cet article en explique le fonctionnement, ainsi que celui des autres rouages de l’ancien calendrier maya : le ha’ab aux cycles de 365 jours, la commémoration des katun, les "séries lunaires" et les cycles de 9 et 819 jours. Il présente également le système de notation des durées du "compte long" et des "nombres de distance", qui permettait de positionner les noms de jours donnés par rapport au jour initial de la chronologie. L’exposé de ces principes fondamentaux du système de comput maya a pour but de fournir au lecteur les éléments nécessaires au décryptage d’un exemple classique de date maya.
  • Les écritures mayas du nombre
    "Les écritures mayas du nombre" sont une synthèse des récents résultats d’analyses épistémologiques et épigraphiques d’une multitude d’écritures numérales ou numériques réalisées par les scribes mayas depuis l’époque préclassique jusqu’à celle de la conquête espagnole. Interprétées dans le cadre des numérations parlées (de type protractif et additif) et dans celui des mesures de temps, la grande diversité des données analysées conduit à une typologie de l’ensemble des formes (notamment des zéros) et des systèmes mayas d’écriture du nombre, tant dans la représentation des dates et des petites durées, que dans celle des translations temporelles et des grandes durées. Des remarques discutent ou signalent : certains usages (âge de la Lune, durée des lunaisons, pas des translations dans les almanachs, etc.), diverses interprétations (par exemple du zéro comme signe d’achèvement, d’intronisation, etc.), plusieurs distinctions mayas (ordinal/cardinal, prospectif/rétrospectif), ou encore des thèses anciennes ou des conjectures récentes (hypothèse courte, unité principale du système des mesures de temps, propriété du "zéro opérateur", éventualité d’un tun de 400 jours, passage d’un comptage en kin à un comptage en tun).
  • L’écriture figurative des Mayas
    Utilisée durant deux millénaires jusqu’au XVIIe siècle pour transcrire des discours énoncés dans des langues de la famille maya, l’écriture logo-syllabique des Mayas est une écriture dite figurative, en ce sens que la plupart des signes de son répertoire sont marqués par une iconicité signifiante : le signe n’y représente en effet pas seulement un son mais est également un pictogramme investi d’une charge sémantique, étroitement liée à son origine iconique. Ce chapitre des actes du colloque "Image et conception du monde dans les écritures figuratives" (Collège de France et Académie des Inscriptions & Belles-lettres, janvier 2008) se propose de passer en revue les principaux signes actuellement déchiffrés de l’écriture maya dans quelques classes particulièrement chargées de sens graphique : les signes de l’être humain, têtes et parties du corps, les signes d’animaux les plus emblématiques (félins, oiseaux et serpents), et signes de l’espace et du temps. L’échantillon analysé est mis en parallèle, dans les autres chapitres de l’ouvrage, avec ce que l’on observe dans d’autres écritures figuratives à travers le monde, mettant en évidence différences et points communs au sein de ces classes de signes.
  • Notice sur l’inscription d’un vase polychrome maya
    Cet article propose une transcription, avec interprétation, du texte glyphique peint sur un vase maya, que l’auteur appelle "vase à l’effigie du dieu K". Ce vase en terre cuite polychrome, de 28,5 cm de hauteur et 11,5 cm de diamètre, a été mis en vente dans une galerie parisienne en septembre 2012. Cet objet est de provenance inconnue, les circonstances de sa découverte demeurent indéterminées mais l’analyse de son inscription et la comparaison avec d’autres céramiques mayas de l’époque classique permettent d’établir qu’il s’agit d’une production de la cité de Motul de San José (El Petén, Guatemala), pour la vaisselle d’apparat du roi K’inich Lamaw Eek’ (milieu du VIIIe siècle).
  • A propos de deux inscriptions parallèles à Edzná (Campeche, Mexique)
    Dans cet article, l’auteur propose une nouvelle transcription des textes gravés sur deux stèles mayas de l’époque classique : la Stèle 21 et la Stèle 22 d’Edzná, dans l’Etat mexicain du Campeche. Cette transcription permet notamment d’interpréter différemment la datation de ces monuments monolithiques, faisant de la Stèle 22 le plus ancien monument daté dans ce site. Elle met d’autre part en évidence un toponyme qui apparaît comme ayant probablement été le nom ancien de cette cité, distinct de l’emblème connu par ailleurs pour être celui de l’entité politique à la tête de laquelle se trouvait Edzná à l’époque classique.
  • L’art de faire des tableaux dans les écritures aztèque et maya
    Le caractère figuratif des écritures mésoaméricaines implique que les peintres-écrivains aztèques et mayas devaient posséder une bonne connaissance des langues transcrites et des thèmes abordés dans les écrits, ainsi que d’avoir la capacité de savoir allier une fine conscience de la nature à un sens artistique développé, pour faire ressortir de façon suffisamment significative les traits distinctifs des images créées. De nombreux aspects du message étant sous-entendus dans ces écritures et fournis par le contexte, les peintres-écrivains ont fréquemment eu recours à la mise en tableaux, afin de mettre en place les structures formelles les plus claires possibles. Les auteurs se proposent dans cet article d’explorer comparativement les procédés mis en oeuvre dans cette stratégie, chez les Aztèques et chez les Mayas.
Lire aussi : Dossier documentaire Mexique, Monde en Question.

3 septembre 2013

Hommage à Alice GUY


Alice Guy est la première femme cinéaste, mais pas le premier metteur en scène, ce titre revenant à Georges Méliès. Par contre, elle le fut incontestablement chez Gaumont entre 1900 ou 1902 et 1907.

Connue en France sous le nom d’Alice Guy et aux États-Unis sous celui d’Alice Blaché, le nom de son mari, ou celui d’Alice Guy-Blaché, elle fut oubliée puis redécouverte.

L’essentiel des connaissances la concernant a longtemps reposé sur son autobiographie (1976) et la biographie de Victor Bachy (1993) car les histoires du cinéma se résument à de pauvres informations :

Le premier film de Gaumont, Les méfaits d’une tête de veau, réalisé par Alice Guy.
Ce film fut réalisé par Ferdinand Zecca en 1903 selon Gianati et en 1904 selon Sadoul et McMahan.
Maurice BARDÈCHE et Robert BRASILLACH, Histoire du cinéma 1. Le cinéma muet, Denoël et Steele, 1935 réédition Livre de poche, 1964 p.12

[Léon Gaumont] entreprit l’enregistrement de petites bandes, dont sa secrétaire Alice Guy assumait la responsabilité. La première de ces bandes, quelque peu enfantine, fut La fée aux choux. Cette production se développa rapidement, Alice Guy abordant des sujets moins sommaires, empruntés au répertoire littéraire et théâtral ou à l’histoire ; certains de ces sujets, comme La Esmeralda et surtout La Passion, firent sensation.
L’auteur ne donne aucune date. La fée aux choux fut réalisé en 1900 et apparaît dans le catalogue Gaumont en 1901.
C’est sous la direction d’Alice Guy qu’était née la production de films dans les studios Gaumont, aux Buttes-Chaumont.
Vers 1900 Gaumont fait construire une petite verrière pour tourner les films, puis en 1905 les studios où Alice Guy tourna l’essentiel de ses films jusqu’en 1907.
René JEANNE et Charles FORD, Histoire illustrée du cinéma 1. Le cinéma muet 1895-1930, Robert Laffont, 1947 réédition Marabout 1966 p. 22, 31

Victorin Jasset fut appelé par Gaumont à collaborer avec Alice Guy pour diverses mises en scène.
Secrétaire de Léon Gaumont à partir de 1894, Chargée par lui de la mise en scène de ses studios après 1898. Réalise notamment, 1900 : La fée aux choux […]
La première femme metteur en scène, Alice Guy contribua beaucoup à élaborer le style qui caractérisa jusqu’à 1920 la firme Gaumont, et son œuvre aux États-Unis fut considérable.
Georges SADOUL, Histoire du cinéma français 1890-1962, Flammarion, 1962 réédition 1981 p.16, 193

1898 – Films de l’année : en France, La Passion (Alice Guy).
1901 – Autres films de l’année : en France, Folies masquées, Hussards et grisettes, (Alice Guy).
1902 – Autres films de l’année : en France, Sage-femme de première classe, (Alice Guy).
1903 – Films de l’année : en France, Les chats boxeurs (Alice Guy).
1906 – Films français,, La naissance, la vie et la mort du Christ (Alice Guy et Victorin Jasset), J’ai un hanneton dans mon pantalon (Alice Guy).
L’auteur présente bien Alice Guy comme une réalisatrice, mais ne cite que quelques films et selon une chronologie peu sûre. Alice Guy fera très tardivement son entrée dans l’Encyclopædia Universalis.
Philippe d’HUGUES, Almanach du cinéma 1. Des origines à 1945, Encyclopædia Universalis, 1992 p.31, 34, 35, 37, 43

L’hagiographie remplaçant aujourd’hui l’oubli d’hier, tout le monde répète les mêmes propos sans jamais les vérifier. Il faut attendre 2010 pour qu’un historien croise les données publiées avec des sources diversifiées :

Le travail de Maurice Gianati pour établir la filmographie d’Alice Guy est assez exemplaire du point de vue méthodologique puisqu’il croise histoire et archéologie. Tout a été passé au peigne fin, format de pellicule, catalogues, presse, correspondances personnelles et courriers professionnels pour établir une filmographie qui aujourd’hui semble être la plus proche de la réalité. Si ce travail fait apparaître que Méliès est "l’inventeur" du film de fiction, Alice Guy n’en est pas moins la première femme cinéaste du monde et apparaît comme l’instigatrice de la politique de production de la maison Gaumont 1905-1907 avant de partir avec son mari le réalisateur Herbert Blaché (1882-1953) s’installer aux États-Unis, où le couple fut chargé par Léon Gaumont de la promotion du chronophone.
Conférence (2010)Livre (2012)

La difficulté de réaliser une filmographie fiable (titre et date) tient à plusieurs raisons :
  • Le générique d’un film, indiquant les personnes qui ont participé à la création de l’œuvre, n’apparut que très progressivement à partir des années 1910 et s’imposa à partir des années 1930 avec l’apparition du star system.
  • Jusqu’en 1907, les films étaient vendus aux exploitants itinérants. En 1909, les sociétés de productions européennes et américaines décidèrent de cesser la vente des films et de les louer uniquement aux exploitants en salle. La plupart des films antérieurs à cette date échouèrent donc dans les brocantes puis à la poubelle.
  • À partir des années 1930 sont créées les cinémathèques nationales pour assurer la conservation et la restauration des films. Elles ne seront efficientes que dans les années 1970 après la création de l’American Film Institute (1967) et l’Anthology Film Archives (1970).
  • Le support des films est très fragile. La majorité des films, réalisés jusqu’en 1951, a été fabriquée sur une pellicule à base de nitrate, extrêmement inflammable. La pellicule acétate est nettement moins inflammable, mais se décompose. La seule solution pour sauver un film est alors d’en tirer une copie.
Pour toutes ces raisons, on estime que seulement 90 à 85% des films muets et un pourcentage important de films sonores d’avant 1950 sont irrémédiablement perdus.

Les féministes ont créé la légende d’une victime parce que femme – sempiternel discours qui déresponsabilise les femmes de leur destin – sans avoir lu Alice Guy. Elle ne revendiqua que la place qu’elle a aujourd’hui grâce à la découverte de films perdus :

Je ne revendique que le titre de première femme metteur en scène auquel je fus seule, pendant 17 ans, a avoir droit. La seconde femme metteur en scène fut une Americaine, Mrs. Smalley qui a travaillé d’abord sous nos ordres à Flushing pour le parlant.
Lettre d’Alice Guy à Louis Gaumont le 5 janvier 1954.

Parmi tous les films disponibles via YouTube celui-ci est particulièrement important car il montre Alice Guy en train de diriger la mise en scène (film dans le film) d’une phonoscène dans les studios Gaumont construits en 1905.


Alice Guy a réalisé beaucoup de films sur la danse. Celui-ci (non daté) s’inspire de Loïe Fuller, célèbre à l’époque pour les voiles qu’elle faisait tournoyer dans ses chorégraphies.


09/09/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Bibliographique :
Serge LEFORT, Dossier documentaire Alice GUY, Monde en Question.
Générique
• Nora THOES, Damian PÉREZ, The Film before the Film, Vimeo.
Ce court-métrage retrace en une dizaine de minutes l’évolution du générique de film au cours de l’histoire du cinéma. L’occasion de rendre hommage à ses précurseurs et au travail de certains de ses maîtres.
Alexandre TYLSKI, Le générique de cinéma – Histoire et fonctions d’un fragment hybride, Presses Universitaires du Mirail, 2009.
Cet ouvrage de synthèse comporte une partie historique retraçant l’évolution des génériques, des débuts du cinématographe à nos jours. La partie théorique propose quant à elle une réflexion de fond sur le rôle joué par le générique de film, tout en fournissant au lecteur des références bibliographiques solides.
Conservation et restauration des films
• Liens Conservation des films, BNF.
• Bibliographie Conservation et restauration des films, Reto Kromer.
• Conférences Conservation et restauration des films, Canal-U.

Lire aussi :
Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.

2 septembre 2013

Hommage à Michel PICCOLI


Acteur dans plus de 200 films depuis 1949. Après des débuts au théâtre, on le remarque dans les années 1950 chez Renoir (French Cancan), Pierre Chenal (La bête à l’affut, Rafles sur la ville) avant qu’il ne s’impose définitivement la décennie suivante. Buñuel lui restera fidèle avec Le journal d’une femme de chambre, Belle de jour, Le charme discret de la bourgeoisie. Godard lui confie un des rôles principaux du Mépris, avec Brigitte Bardot. Il devient le modèle de l’homme mûr chez Marco Ferreri (Dillinger est mort, La grande bouffe), Claude Sautet (Les choses de la vie, Max et les ferrailleurs). Il y invente des personnages où, derrière une apparente quiétude, se cache le vertige de la folie. Il compose par ailleurs, chez les grands poètes du cinéma contemporain (Manoel de Oliveira, Leos Carax), des figures inoubliables et incroyablement diverses.

du 4 septembre au 4 octobre 2013, La Cinémathèque française.

Dossiers :
AlloCiné
Ciné-Ressources
Dossier de presse
Wikipédia

Lire aussi :
Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.

30 août 2013

Camille CLAUDEL

Camille Claudel 1915

Le film de Bruno Dumont est partiel et partial.
Partiel parce qu’il ne couvre que trois jours de l’année 1915. C’est beaucoup trop peu pour comprendre l’enfermement que Camille Claudel a subi pendant trente ans du fait de sa famille : sa mère et son frère.
Partial parce qu’il montre Montdevergues comme un havre de paix alors que Camille y crevait de faim et de froid comme beaucoup d’autres. Selon Max Lafont, entre 1940 et 1944, 40 000 malades mentaux meurent de faim dans les hôpitaux psychiatriques en France.

Montdevergues, 2 février 1927
Ma chère maman,
J’ai beaucoup tardé à t’écrire car il fait tellement froid que je ne pouvais tenir debout.
Pour écrire, je ne puis me mettre dans la salle où se trouve tôt le monde, où brûlotte un méchant petit feu, c’est un vacarme de tous les diables. Je suis forcée de me mettre dans ma chambre au second où il fait tellement glacial que j’ai l’onglée, mes doigts tremblent et ne peuvent tenir la plume. Je ne suis pas réchauffée de tout l’hiver, je suis suis glacée jusqu’aux os, coupée en deux par le froid. J’ai été très enrhumée. Une de mes amies, une pauvre professeur du Lycée Fénelon qui est venue s’échouer ici, a été trouvée morte de froid dans son lit. C’est épouvantable. Rien ne peut donner l’idée des froids de Montdevergues. Et ça qui dure 7 mois au grand complet.
[…]
Je t’embrasse.
Camille
Jacques CASSAR, Dossier Camille Claudel p.236

Partial encore parce qu’il prétend que Paul, un faux-cul béni, l’aurait visitée régulièrement alors que, selon l’Association Camille Claudel, il ne l’a vue que six fois en trente ans :
  • 1915 Mai ou juin
  • 1920 Juin
  • 1925 Mars ou avril
  • 1927 Août
  • 1928 Août
  • 1943 Septembre
La prestation de Juliette Binoche tourne dans le vide et ne sauve pas de l’ennui un film qui se réduit à trop belles images publicitaires du Vaucluse pour être honnête.

Fiche : AlloCiné
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Camille Claudel

Le film de Bruno Nuytten, même s’il s’agit d’une version romancée de sa vie, rend assez bien compte de la tragédie de Camille Claudel parfaitement interprétée par Isabelle Adjani. Sur le fond, le point faible vient du fait qu’il s’agit de l’adaptation du livre de Reine-Marie Paris, fille de Paul Claudel qui a créé la légende selon laquelle Rodin serait le responsable du délire paranoïaque de Camille.

Ne rapportons pas trop vite le délire paranoïaque de Camille à sa relation avec Rodin [ce que fait la famille Claudel] ; celle-ci entre certainement en ligne de compte, mais comme un élément d’un ensemble beaucoup plus large et qui se réfère au système familial, système dont Camille, en tant que porteur de symptôme, traduit le déséquilibre.
Denise MOREL, Porter un talent porter un symptôme – Les familles créatrices, Editions Universitaires, 1988 p.59

La mise en scène est très classique, ce qui n’est pas forcément une faiblesse. La scène du couple Camille-Rodin s’enlaçant sur un fond de vagues écumeuses est une image qui fonctionne toujours. Par contre la musique est trop présente, trop théâtrale et pas toujours en phase avec l’image.

La lecture du Dossier Camille Claudel de Jacques Cassar, largement pillé, s’impose pour avoir une idée de la complexité non seulement de la vie mais aussi de l’œuvre de Camille Claudel dispersée dans de nombreux musées en France et à l’étranger.

On peut s’interroger sur la représentation photographique de Camille Claudel. La photo la plus publiée, certainement parce qu’elle est la plus flatteuse, est celle qui illustre le livre Cassar.


Cette photo, la représentant le visage bouffi par l’alcool, est très rarement publiée comme si les hagiographes voulaient occulter les faits qui altèrent la légende. Ils évitent aussi d’évoquer que Camille partageait les idées antidreyfusardes de son frère, qui, en bon bourgeois catholique, avait des sympathies pour l’extrême droite.

Fiche : AlloCiné
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28/08/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

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26 août 2013

Khatyn vs Katyń

En 1943, le village de Khatyn (Хатынь en russe), situé près de Minsk, fut totalement détruit après le massacre de toute la population par un bataillon SS et un bataillon de miliciens biélorusses. En 1969, ce lieu inhabité fut déclaré Mémorial national de guerre.
En 1940, le village de Katyń (Катынь en russe), situé près de Smolensk, fut le théâtre du massacre d’officiers et de plusieurs milliers de civils polonais par le NKVD (police politique de l’URSS). En 1990, Mikhaïl Gorbatchev reconnut la responsabilité de l’URSS.

Ces deux massacres sont le sujet respectivement du film Idi i smotri d’Elem Klimov (1984), adapté de la nouvelle d’Ales Adamovitch (Le récit de Khatyne) et Katyń d’Andrzej Wajda (2007), adapté du roman d’Andrzej Mularczyk (Post mortem – Le roman de Katyń).
Le film d’Elem Klimov est un chef-d’œuvre cinématographique, mais trop politiquement correct. Celui d’Andrzej Wajda est un très conventionnel et trop national-catholique. Katyń est aujourd’hui plus connu que Khatyn comme si la mémoire d’un massacre devait effacer un autre.

Idi i smotri – Requiem pour un massacre

Elem Klimov a réalisé un très grand film de guerre sans montrer une seule bataille. Il raconte les horreurs de la guerre qui broie tout le monde, combattants et civils, et s’achève sur le massacre des habitants de Khatyn en 1943.

La mise en scène relève d’un réalisme naturaliste qui décrit la guerre vécue par le jeune Florya et, en contrepoint, d’un réalisme poétique incarné par le personnage de Glasha. Deux scènes illustrent le style d’Elem Klimov.

Florya et Glasha errent dans la forêt quand explosent des bombes larguées par des avions. L’image paraît banale tant nous sommes habitués à voir ce type de scène dans les films hollywoodiens. La bande son, construite à partir de cris d’animaux et d’effets électroniques, nous fait vivre avec brio le trouble de Florya qui est littéralement sonné.
À la fin du film, Florya tire sur un portrait de Hitler tombé dans la boue pendant que défilent des images d’archives en remontant le cours du temps. La caméra s’arrête sur une photo d’Hitler encore enfant sur laquelle Florya ne tire pas. "Parce qu’un enfant est si précieux qu’il ne faut pas le tuer, même s’il s’agit d’Hitler", explique Elem Klimov.

Ambiguïté de cet arrêt sur image alors que tout le film fait le jeu de la doxa selon laquelle seul Hitler serait le seul responsable de la guerre. Si le régime tsariste sombra au cours de la première Guerre mondiale, la bureaucratie stalinienne se renforça après la Seconde en colonisant une partie de l’Europe. Les États-Unis accrurent leur puissance économique en colonisant l’autre partie, la plus riche, via le plan Marshall. La lutte contre la nazisme fut donc l’alibi d’un nouveau partage du monde.

Fiche : AlloCiné
HD 720 VOSTFR : S’abonner à la Newsletter Cinéma pour télécharger le film.
Critiques : DVD Classik

Katyń

Andrzej Wajda nous inflige un long pensum académique pour dénoncer le massacre de Katyń d’un point de vue nationaliste et anti-communiste. Du coup, la réalité des faits se dilue dans une fiction mélodramatique. La dernière scène ne sauve pas le film de l’ennui d’une pesante "leçon d’histoire".

Wajda est le cinéaste polonais officiel, avant comme après l’ère communiste. En 1972, il devint président de l’Union des cinéastes polonais et diriga l’ensemble X, organisme chargé de produire les films polonais. Il apparait donc comme un opportuniste qui s’est compromis avec avec le pouvoir qu’il a dénoncé après que le vent de l’Histoire ait tourné. Dans son livre publié en 1987 (Polskie, arcypolskie), Andrzej Werner, un critique littéraire et cinématographique respecté, accusait Wajda d’opportunisme idéologique, et de s’être prêté à un compromis esthétique et politique.

Fiche : AlloCiné
DVD VF : S’abonner à la Newsletter Cinéma pour télécharger le film.
Critiques : La Cinémathèque française
• Khatyn — Another hoax, The Journal of Historical Review, 1980.
• Katyn: A difficult road to the truth, RIA Novosti, 12/04/2010.
• 1 article sur Khatyn RIA Novosti.
• 208 articles sur Katyń RIA Novosti.
• Wajda par Wajda : une leçon de cinéma, Canal-U.

23/08/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

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Dossier documentaire Réalisme au cinéma, Monde en Question.
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16 août 2013

The Great Gatsby

Le roman de Francis Scott Fitzgerald (1925)


Ce roman, classé aujourd’hui au rayon des chefs-d’œuvres, fut mal reçu par le public du vivant Fitzgerald alors qu’il était reconnu et riche après le succès de This Side of Paradise et que la critique lui était favorable. C’est l’armée (en le distribuant en format de poche) puis l’université (en imposant sa lecture aux étudiants) qui construisirent sa renommée posthume.

Mais le public reste réticent car, note Julie Wolkenstein, "curieusement, les élèves accrochent très peu sur Gatsby, alors qu’il y a quelque chose de très sentimental, de très fleur bleue, de très idéaliste dans l’histoire. Ça devrait pourtant leur parler, la sanction tragique de cette passion romantique, ou l’état d’ébriété des fêtes, très bien rendu. Mais malgré l’efficacité de la narration, cela reste aussi un texte très littéraire, très subtil, très elliptique".

PDF : Ebooks (texte libre de droits)
Critiques :
• Cinq dates dans l’histoire de Gatsby, Anne BRIGAUDEAU
Gatsby le magnifique : réification et consommation ostentatoire, une critique radicale, Robert SAYRE et Michael LÖWY

L’adaptation de Jack Clayton (1974)


Le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne contribue pas à donner envie de lire le roman. Cette adaptation compassée – sans odeur ni saveur – ne rend pas compte du drame de Gatsby dont l’amour pour Daisy traduit une soif de reconnaissance sociale que la fortune ne suffit pas à lui apporter.

Robert Redford incarne un amant pleurnichard alors que Gatsby était animé d’une implacable ténacité pour réaliser son rêve. Mia Farrow incarne une femme hystérique alors que c’était la maladie d’une partie de la société de l’époque qui profita de la croissance avant que la crise de 1929 ne sonne le glas des "années folles".
Critiques :
Ciné-club de Caen
Critikat

L’adaptation de Baz Luhrmann (2013)


Mises à part les maladresses esthétiques de la 3D, cette adaptation, alternant scènes endiablées et intimistes, rend parfaitement compte de l’esprit du roman. Les fastueuses fêtes organisées par Gatsby (symbole du luxe ostentatoire des capitalistes en quête de respectabilité) s’opposent aux petites sauteries organisées par Buchanan (symbole de la morgue des capitalistes "aristocratiques" et décadents).

Le film montre aussi l’opposition entre Daisy, riche héritière et femme légitime de Buchanan, et Myrtle, pauvre et maîtresse occasionnelle du même Buchanan. Daisy, qui souhaite que sa fille soit "une jolie petite sotte", épouse les idées racistes de son mari sur le déclin de la civilisation (la race blanche) menacée par les races de couleur. Myrtle, elle, est réduite aux caprices de la maîtresse délaissée qui meurt accidentellement en cherchant à rejoindre l’inconstant Buchanan.
Critiques :
Ciné-club de Caen
Critikat

16/08/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

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Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.
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8 août 2013

Penser le cinéma documentaire

Les vacances sont propices à chercher et à découvrir des documents qui échappent à la dictature de l’actualité et de l’urgence. Ainsi, en préparant un article sur les films de JIA Zhang Ke que je publierai en septembre, j’ai trouvé cette série de sept conférences sur le cinéma documentaire.

08/08/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde


Penser le cinéma documentaire : leçon 1, 1/2 – Le documentariste et ses outils à travers les âges, Canal-U
Le cinéma documentaire est né de la rencontre entre le désir des cinéastes d’explorer le monde et la passion des inventeurs d’enregistrer le réel :
Entre Louis et Auguste Lumière, filmant le déjeuner en famille avec une caméra cinématographe noir et blanc muette et Dominique Cabréra se filmant elle-même avec une caméra DV numérique en couleurs et sonore, il y a cent ans d’écriture documentaire et d’inventions techniques.
Les cinéastes ont cherché à transmettre, avec leur point de vue, la vie quotidienne de leurs contemporains en s’approchant progressivement au plus près de leur intimité, jusqu’à parfois devenir les propres "acteurs" de leurs films.
Pour en arriver là, un dialogue permanent s’est établi entre eux, des inventeurs et des ingénieurs. il a fallu alléger les caméras, les installer sur des trépieds fluides, domestiquer la couleur de la pellicule, mener une véritable conquête pour entendre en direct les personnes que l’on filme, réunir sur un même support l’image et le son avec l’arrivée de la vidéo, inventer de nouvelles techniques de montage plus simples et plus rapides, miniaturiser tous ces équipements pour parvenir aux caméscopes que nous connaissons actuellement.

Penser le cinéma documentaire : leçon 1, 2/2 – L’invention de la mise en scène documentaire, Canal-U
L’adjectif qualificatif est attesté dès 1876 (Dictionnaire Robert). Appliqué au film , il apparaît en 1896.
Le mot, en langue française, devient substantif en 1915. L’abréviation "docu" est attestée en 1967, mais on peut supposer qu’elle existait bien auparavant dans le langage parlé. Le familier (et péjoratif) "docucu" est encore plus récent.
En langue anglaise, "documentary" apparaît en 1926, dans un article du New York Sun écrit par John Grierson sur Moana de Flaherty : "Moana, being a visual account of events in daily life of polynesian youth and family, has documentary value." D’après Paul Rotha, le mot est emprunté au français, et sert alors à qualifier "des films de voyage et d’expédition qui ne seraient pas d’ennuyeux comptes rendus de voyage".
Sans doute cet article de Grierson a-t-il contribué à donner à Robert Flaherty la figure mythique de "père du documentaire".
Historiquement, cette statufication est sujette à examen : dès 1895, des films pourraient être qualifiés de documentaires. Le débat historique et théorique sur la question risque d’être infini et inextricable, sauf à se tenir aux observations suivantes :
Comme pour la littérature, on devra dater l’apparition d’un genre cinématographique au moment où il est reconnu et identifié. Les films qui précèdent cette date seront à voir comme des promesses, des prémices, des frayages que seule une conception téléologique de l’histoire de l’art permettrait d’annexer a posteriori au genre , et qu’on valorise alors arbitrairement sous la rubrique des origines. Il n’y aurait pas une origine, mais des commencements. Il est donc vain de chercher à tout prix un "premier documentaire de l’histoire du cinéma français". Le genre naît progressivement, et apparaît entre 1915 (France) et 1926 (Grande – Bretagne).
"Documentaire", comme tous les mots de la langue, a subi des glissements de sens, au point qu’un spectateur d’aujourd’hui a une certaine difficulté à accepter comme tels, par exemple, L’homme d’Aran ou Louisiana Story ; pour un oeil contemporain, la direction d’acteurs non-professionnels, le procédé du slight narrative (expression de Paul Rotha), rangeraient plutôt ces films du côté de la fiction. Il faut donc admettre que des films classés comme documentaires peuvent maintenant ne plus être perçus selon les mêmes catégories, et que ce changement fait partie de l’histoire du genre.
"Documentaire" : film didactique montrant des faits réels et non imaginaires" (Robert)
La veine didactique du documentaire est inscrite dans son nom même, étymologiquement dérivé du latin docere : enseigner, instruire, montrer, faire voir. Un documentum est un exemple, un modèle, une leçon, un enseignement, une démonstration. ici encore, le glissement historique des mots est à prendre en compte. Actuellement, on en vient à considérer que la transmission des connaissances, dans un documentaire, est peut être un effet secondaire, et pas forcément indispensable, l’essentiel étant alors la donation d’un point de vue à propos d’une réalité.

Penser le cinéma documentaire : leçon 3 – Théorie du film documentaire, Canal-U
Films sociaux, ethnographiques, scientifiques ou politiques, développant des formes autobiographiques, portrait, journal filmé : les formes du documentaire sont tellement variées qu’il serait réducteur de l’assimiler à un "genre". "C’est un champ complexe qui relève aussi bien de critères économiques que de réseaux de fabrication, de diffusion, de références cinématographiques. C’est une zone de travail, un geste : celui d’aller vers le réel… Cette réflexion introductive propose de s’appuyer sur la fausse distinction entre documentaire et fiction pour reposer la question de la partition entre le vrai et le faux et pour montrer que la production de sens spécifique au film documentaire peut se développer dans différents cas…

Penser le cinéma documentaire : leçon 4, 1/2 – La mise en scène documentaire, Canal-U
Le cinéma est à la fois fiction (un plan de chien enragé ne mord pas) et documentaire (tout film documente au moins ses acteurs en train de jouer). Mais bien évidemment la visée documentaire diffère considérablement de celle de la fiction. La vérité historique n’est pas du même ordre (de production, de croyance) que la vérité dramatique ; elles ne réfèrent pas au monde de la même façon (même si elles peuvent se mêler) et ne relèvent pas du même geste, de la même intention (ni donc de la même réception).
La nature documentaire du cinéma, de la prise de vue comme prise de vie, engage deux ordres de questionnement :
1) la question de la réalité et de la vérité à l’écran vis à vis du spectateur ;
2) la question de la relation filmeur/filmé, des conditions et directives de tournage, qui vont elles-mêmes guider (tromper ou détromper) la croyance du spectateur.
Car filmer, plus spécialement en documentaire, ce n’est pas seulement représenter, c’est aussi agir directement sur le monde et ses protagonistes ; en documentaire bien plus qu’en fiction, la relation entre l’action du filmeur et les actions des filmés (au tournage comme au montage) est non seulement le moteur du film, mais partie intégrante de son motif et de son sens. Si en fiction, selon l’adage godardien, "un travelling c’est une question de morale" (comme on dirait "le style c’est l’homme"), en documentaire "la morale est bien une question de travelling" (citation moins connue mais antérieure de Luc Moulet), dans la mesure où on ne filme pas les personnages d’une histoire (une représentation au sens théâtral et une vision d’auteur) mais l’histoire des gens, qui valent et répondent d’eux-mêmes devant la caméra, et le documentariste doit répondre de leur présentation.
C’est pourquoi nous parlerons ici d’analyse "esth-éthique", au sens où la compréhension du documentaire exige une critique pragmatique en plus d’une analyse sémiologique (ou iconique).

Penser le cinéma documentaire : leçon 4, 2/2 – Débat sur la mise en scène documentaire, Canal-U
Un débat organisé à partir de l’ouvrage de François Niney : "Le documentaire et ses faux-semblants" qui interroge la nature des images à la télévision et au cinéma.
A quoi reconnaît-on un documentaire ? Qu’est-ce qui distingue, à l’écran, le monde réel d’un monde fictionnel ? Entre ceux qui croient aveuglément à l’objectivité des prises de vue (actualités ou archives) et ceux qui leur dénient toute vérité, n’y voyant que "mise en scène", le chemin est étroit et parfois sinueux (du fait que s’y croisent réel et imaginaire) mais c’est celui que ce livre cherche à tracer. Aucune prise de vue ne saurait à elle seule prouver un quelconque événement, mais elle montre bien quelque chose du monde à un certain moment (c’est toute la magie du cinématographe). Il convient donc de l’interroger sur son sens, sur ce qu’elle a capté, voulu montrer, sur les circonstances qui la commandent et qu’elle relatent plus ou moins, et comment elle se donne à croire au spectateur (on ne croit pas de la même façon à ce que raconte "La mort aux trousses" ou "Le chagrin et la pitié" ; le "comme si" de la fiction qu’on accepte diffère du "comme ça" du documentaire qu’on peut mettre en doute). Il s’agit donc de clarifier la distinction (et parfois le mélange, amusant ou douteux) entre documentaire et fiction, en s’appuyant sur des exemples, pour élargir la palette des traits discriminants (ou communs).
Ce n’est pas seulement la nature – supposément réelle ou imaginaire en soi – de ce qui est filmé qui va déterminer le caractère documentaire ou fictionnel du film, c’est tout autant la relation du filmeur au filmé, le partage des points de vue à travers l’objectif, la tournure de la mise en scène et du montage, la façon qu’a le film de s’adresser au spectateur, de l’entraîner à voir à l’écran notre monde commun ou un monde ajouté ("inventé"), de se faire comprendre comme une énonciation sérieuse (documentaire) ou feinte (fictive)… Sans compter qu’il y a bien des usages documentaires de la fiction (commenté par le réalisateur ou le chef décorateur, à la façon de certains bonus de DVD, un film devient ipso facto un document sur son propre tournage), tout comme il y a certaines fictions qui feignent de n’en être pas et, pour des raisons propagandistes ou commerciales, voudraient bien nous faire croire que "ça s’est vraiment passé comme ça" !

Penser le cinéma documentaire : leçon 5 – Le documentaire et les images d’archives, Canal-U
De Dziga Vertov à Frédéric Rossif, en passant par Alain Resnais et Chris Marker, de grandes signatures se sont prêtées à cet exercice bien particulier, qui consiste à faire un film sans tourner une seule image, un film qui va s’écrire entièrement sur la table de montage. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle bien souvent les documentaires d’archives des "films de montage".
Images d’actualité, émissions de télévision, archives industrielles, militaires, éducatives, films de famille, d’explorateurs ou d’ethnologues, les terrains de chasse du documentaire d’archives sont diverses et variées. Mais quelque soit l’origine du fonds qui va constituer la matière première du film à faire, il convient au préalable de savoir décrypter et déchiffrer ces images, afin d’en révéler la nature profonde. Une image n’est pas une preuve de vérité, elle est toujours faite dans un but précis, elle peut dire vrai comme mentir vraiment. "Tous les documents doivent être analysés comme des documents de propagande, préconise l’historien Marc Ferro. Mais le tout, c’est de savoir de quelle propagande il s’agit. Les images d’archives ne sont pas mensongères au moins sur un point : ce que l’on a voulu dire aux gens. Ça, c’est une vérité historique !"
Autres questions qui s’imposent comme des impératifs catégoriques avant de rentrer en salle de montage : comment ne pas ajouter de la manipulation à la manipulation? Quels principes de montage se donner pour éviter de tomber dans le piège de répondre à la propagande par de la contre-propagande ? Comment ne pas se contenter de plaquer un discours sur des images prétextes, dont la seule fonction sera d’illustrer et de valider le point de vue initial des auteurs ?
Nous verrons, à partir d’exemples précis, quels sont les différents styles d’écriture empruntés par le documentaire d’archives, sans exclusive, mais en privilégiant toutefois les formes les plus innovantes et singulières.
1.Le contexte historique de l’usage des images d’archives dans le cinéma et à la télévision.
- Les différentes formes de documentaires d’archives : archive de guerre, film de famille, documentaire historique, scientifique, expérimental…
- Une utilisation classique : le document témoignage comme preuve d’une réalité historique
- Une utilisation contemporaine : L’archive comme moteur du récit, le document d’archive est ré-interrogé, il sert un champ d’expérimentation des formes narratives cinématographiques…
2. Le statut des images d’archives : Histoire ou Propagande ?
- Vérité et mensonge dans le documentaire historique, le faux et le vrai, la réalité et le matériau cinématographique.
L’image d’archive est une trace "historique", le réalisateur doit s’interroger sur la signification et la fonction qui lui ont été assignées : c’est le refus de l’archive comme simple illustration et preuve du réel !
- Exemple de la polémique sur les images des camps de concentration : Shoah de C. Lanzman / versus D.D. Huberman
3. Les spécificités de l’ écriture pour un scénario de film documentaire à base d’archives ?
- Appréhender les archives par une méthodologie de réalisation.
- Ethique du montage : comment appréhender au montage des images que l’on a pas conçues ? comment intégrer les archives à une nouvelle stratégie narrative ?
4. Les dispositifs de la mise en scène des images d’archives dans le documentaire télévisé :
- Ecrire ou reécrire l’histoire ?
- Le statut et l’écriture du commentaire : le rôle de la voix off
- Le traitement sonore : le rôle de la musique, bruitage et ambiance sonore.
5. L’archive comme matériau cinématographique

Penser le cinéma documentaire : leçon 6 – Les différents modes du documentaire, Canal-U
Nous nous inspirons de l’universitaire américain Bill NICHOLS pour distinguer dans l’ensemble documentaire des modes, rendant compte à la fois des caractéristiques des films et des démarches de leurs auteurs.
Ces modes apparaissent au cours de l’histoire du documentaire, mais ils perdurent. D’autre part ils peuvent parfaitement se combiner ou se succéder à l’intérieur d’un même film. On les distingue aisément d’après une série de critères opératoires.
1) les divers modes de l’ensemble documentaire
2) le mode observation
3) le mode exposé
4) le mode poétique
5) le mode interactif-participatif
6) le mode réflexif
7) le mode performatif
8) utilité de cette classification

Penser le cinéma documentaire : leçon 7 – Les stratégies de réalisation documentaire, Canal-U
Cette leçon est une invitation à découvrir l’œuvre de Denis Gheerbrant et à s’interroger sur notre rapport au réel :
Pourquoi a t-il choisi le Cinéma Documentaire ? Est-ce pour se confronter à l’imaginaire du monde ?
Qu’est-ce qui se répète d’un film à l’autre : L’expérience de la parole ?
Comment perçoit -il les évolutions d’une œuvre à l’autre ?
Quelle est sa manière d’organiser le champ sonore dans ses films (le réalisateur n’ajoute pas de commentaire à ses films, utilise que des sons directs…) ?
Quels sont les moyens d’expression cinématographique qu’il a choisi pour raconter la "réalité" : Le rapport Filmeur – Filmé
Quels sont les notions du cinéma qu’il utilise principalement : la voix off, le montage, le plan séquence, le hors champ…
Comment conçoit-il une écriture documentaire singulière sur chaque film (scénario, tournage et montage)
DENIS GHEERBRANT :
"Le cinéaste en situation documentaire agit comme le bricoleur, il a un projet avec une forme et souvent des couleurs dans la tête. Pour moi le projet, en ce sens, n’est pas tant un sujet qu’une question, une question à l’œuvre tout au long du processus d’un film, des repérages au mixage, je pourrais même dire jusque dans son achèvement par le spectateur.
Ce qui me permet d’articuler le déroulement d’un film, qui vient travailler cette question, c’est une parole dans un corps qui émerge comme dans une première fois d’abord pour celui qui l’énonce. C’est cela que je cherche à provoquer, cette émotion de la pensée qui affleure, là, devant nous. C’est dans cette émotion que je peux construire une ligne d’image, comme on dit une ligne mélodique, souvent des paysages, des fragments de l’espace urbain, comme de haïkus."
"La rencontre du cinéma direct, c’est justement quand les scénarios du réel rencontrent nos scénarios imaginaires. L’imaginaire des gens qu’on filme rencontre notre propre imaginaire et ils se construisent un scénario."
"Le problème n’est pas d’être discret, ni d’être derrière la porte mais d’être encore plus là. Notre problème, c’est de filmer par rapport à quelqu’un d’autre, le grand absent de cette histoire : le spectateur. Nous sommes en train de faire quelque chose pour quelqu’un d’autre, qui est signifié par la caméra."
"Quand je filme seul, ce qui m’intéresse, c’est de casser le flux du vécu : on est dans une relation, on interrompt la relation, et on entre dans un film. Mon regard ne soutient plus la relation. C’est le fait de filmer qui est la relation. C’est violent, c’est beau et c’est fort, et là on fait un film pour les autres qui n’est jamais l’enregistrement d’une relation."  

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