14 février 2013

Les misérables, une 42ème adaptation inutile


Il s’agit de l’adaptation cinématographique d’une comédie musicale, inspirée du roman de Victor Hugo, qui sent le coup marketing pour commémorer les 150 ans de la première publication des Misérables. Qu’apporte cette 42ème adaptation ? Rien. absolument rien.

Cette adaptation laborieuse ne rend pas compte en effet du souffle épique du roman de Victor Hugo . Il manque par exemple les multiples rebondissements de la longue traque de Javert sur les traces de Jean Valjean ou la complexité du triangle amoureux entre Éponine, Marius et Cosette. L’absence de ressort dramatique plombe totalement ce théâtre filmé.

La mise en scène est lourdement statique. Tom Hooper accumule les gros plans des principaux personnages figés dans une raideur hiératique. Les personnages, réduits à des icônes simplistes et caricaturales, n’ont aucune consistance. Les parties chantées, prenant le pas sur l’action, chacun fait son petit solo vocal dans son coin. On assiste donc à une juxtaposition de scènes sans lien entre elles.

Les décors miteux semblent sortis d’un fonds de studio en cours de démolition. Aucun acteur n’est crédible dans son rôle. Anne Hathaway beugle pour montrer ses amygdales. Hugh Jackman hésite entre les sourires niais et les torrents de larmes. Russell Crowe rejoue Maximus de Gladiator. Helena Bonham Carter et Sacha Baron Cohen jouent une version clownesque des Thénardier. Amanda Seyfried et Eddie Redmayne interprètent une Cosette et un Marius comme de jeunes débutants.

La première scène illustre tous les défauts du film. Elle montre un bassin de radoub noyé dans la brume et filmé en grand angle pour occulter les défauts d’un décor réduit au minimum. Le bateau, incliné selon un angle impossible, n’a aucun relief. On dirait une toile grossièrement peinte. Les bagnards, censés tirer ce bateau échoué, effleurent le cordage du bout des doigts de peur de se salir les mains. Enfin, Javert apparaît en surplomb – une contre-plongée tordue – pour pousser sa chansonnette sans beaucoup de conviction.

Parmi les huit adaptations des Misérables que je connais, la meilleure (ou moins mauvaise) est celle réalisée par Josée Dayan pour la télévision en 2000 (Liste des adaptations).

1933, Raymond Bernard, Télécharger FR partie 1partie 2partie 3 Film rare
1935, Richard Boleslawski
1952, Lewis Milestone
1957, Jean-Paul Le Chanois, Télécharger FR
1981, Robert Hossein, Télécharger FR
1994, Claude Lelouch, Télécharger FR
2000, Josée Dayan, Télécharger FR. Elle a aussi réalisé la meilleure adaptation du Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas.
2012, Tom Hooper, Télécharger VOSTFR

12/02/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde


Tom HOOPER, Les misérables, 2012, Site du filmWikipédia.

Critiques :
• Fait la promotion du film sans arguments convaincants, In the mood for cinema. :
L’auteur loue par exemple « la puissance de la musique », ce qui est son droit, mais ajoute « tant pis si certains esprits cyniques et sinistres la trouvent sirupeuse ». Navrant.
• Argumente son « je n’aime pas », Critikat :
À force de fétichiser « la mise en scène », ce temple sacré de la cinéphilie, de se réfugier derrière cette croyance indéfectible dans le découpage, cette obstination à considérer qu’un film sans personnalité visuelle est un film sans personnalité tout court, notre vision du cinéma a été considérablement altérée ainsi que, par ricochet, le travail des cinéastes. Un homme qui glisse sur une peau de banane, filmé en plongée ou en contre-plongée, reste un homme qui glisse sur une peau de banane. Il aura l’air aussi con en courte qu’en longue focale. La question qu’il faut se poser n’est pas « comment filmer ? » mais « pourquoi ? ». Pourquoi filmer telle chose et pourquoi la filmer de telle façon ? La distance indispensable qui s’opère entre un réalisateur et son film se joue entre ce qu’il choisit de montrer et de ne pas montrer. C’est là qu’on définira s’il est un auteur ou pas. Hooper se demande comment filmer Anne Hathaway en Fantine, le crâne rasé, le maquillage coulant, grimée des signes de la déchéance humaine, hurlant en gros plan sa peine comme pour mieux réclamer son Oscar. Mais l’obscénité de faire jouer à une star richissime le rôle d’une pouilleuse avilie n’entre jamais en compte dans cette mise en image, il y a même fort à parier que ça n’a pas effleuré l’esprit du réalisateur une seule seconde. Cette seconde aurait pourtant suffi à faire toute la différence entre son film et la façon dont on adapte habituellement ce roman. D’où un film qui vient s’ajouter à la morose liste des adaptations précédentes, sans valeur ajoutée, même pas les chansons (pompières mais pas forcément désagréables). Les vrais misérables devant un tel spectacle, c’est nous.

Lire aussi :
• Victor HUGO, Les misérables, Texte intégralWikipédia
- 1ère partie
- 2ème partie
- 3ème partie
- 4ème partie
- 5ème partie
• Comédie musicale Les misérables, Wikipédia.

Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.

11 février 2013

Compliance vs Phone Game

Alors que Phone Game met en scène la fiction d’une manipulation téléphonique, Compliance reconstitue un fait divers sur le même thème. Le vrai-faux se révèle meilleur que le faux-vrai pour les raisons suivantes :

Joel Schumacher a réalisé Phone Game comme un vrai thriller sans chercher à démontrer quoique ce soit. Jusqu’à la fin, il laisse la liberté au spectateur d’en tirer ses propres conclusions.
Craig Zobel a réalisé Compliance comme un faux documentaire pour rendre crédible sa version d’un fait divers. Dès le générique, il manipule le spectateur avec un suspense basé sur le voyeurisme.

Phone Game

Ce thriller est efficace de la première à l’avant-dernière scène. En effet, on peut regretter de voir le visage de la voix off car cela n’ajoute rien. Au contraire, il aurait été plus efficace de flouter son visage puisque Stuart est à-demi conscient.

L’intérêt du récit est qu’il oppose Stuart, manipulateur au service des médias (attaché de presse), à un interlocuteur anonyme, manipulateur qui fait justice par le meurtre au nom de la morale. Ainsi, Stuart est une victime non innocente et l’anonyme un justicier et donc un héros meurtrier.

La mise en scène de Joel Schumacher laisse le spectateur libre de déterminer la frontière entre le bien et le mal. Ainsi, le film se clôture sur une fin ouverte en rupture avec la norme hollywoodienne du happy end.


Joel SCHUMACHER, Phone Game, 2002, AlloCinéWikipédiaTélécharger VFTélécharger HD 720 VOSTFR.

Compliance

Ce film s’annonce – en gros caractères dans le générique – « inspiré de faits réels ». Craig Zobel nous assène cela afin que nous ne puissions pas mettre en doute la véracité du scénario. Or, un récit inspiré de faits réels n’est pas pour autant une histoire vraie.

Le dossier de presse montre bien qu’il s’agit d’une fiction :
En l’absence de tout enregistrement des conversations téléphoniques, Zobel rédige ses idées sur ce qui avait pu se dire entre les protagonistes. « Je me suis dit que ça pourrait être un bon point de départ pour une histoire. »

Un journaliste de L’Express ajoute :
« Aux États-Unis, l’affaire a eu un retentissement considérable », se souvient le réalisateur Craig Zobel, qui a dû, faute d’enregistrement des conversations téléphoniques et de contact avec les victimes, imaginer les dialogues. « Pour le « policier », je me suis beaucoup inspiré des techniques de télémarketing ou de voyance : des questions très ouvertes qui permettent la manipulation. »

En clair, il s’agit de l’interprétation imaginative d’un fait divers que Craig Zobel impose au spectateur comme une histoire vraie. Sa manipulation se s’arrête pas là. Comme il a rapidement épuisé le suspense de personne qui se cache derrière la voix off en montrant l’homme, y compris dans la banalité de sa vie quotidienne, Craig Zobel cherche à maintenir l’attention du spectateur en jouant sur le voyeurisme d’un acte sexuel.

Cette scène bâclée révèle la lâcheté de Craig Zobel qui n’a pas été jusqu’au bout de son propos. Il crée un faux suspense sur la fouille corporelle, effectuée par un homme sur une femme livrée nue, qui pourrait aller… jusqu’au viol selon certains critiques. Mais il n’ose pas filmer la scène de la fellation – imposée ou consentie, bien malin qui peut le dire. Cet acte manqué est l’aveu de sa manipulation du spectateur qu’il embarque ensuite dans un faux documentaire.

Compliance sombre peu à peu dans une vulgarité malsaine, déplaisante. Tant que le personnage est une voix sans corps, le film communique l’angoisse et l’incompréhension du personnel ; dès que ces scènes laborieuses s’ajoutent au film, la colère s’y substitue.
[…] L’invraisemblance, c’est cette fellation si difficile à justifier que, dans une lâche pirouette, le scénario évite l’obstacle par une banale ellipse. C’est une facilité qui achève de rendre haïssable la démonstration de Craig Zobel.
Critikat


Craig ZOBEL, Compliance, 2012, AlloCinéWikipédia [Dossier mis à jour par Serge LEFORT le 08/02/2013. Correction supprimée par un certain Lepsyleon, spécialiste des révocations, mais non rétablie malgré l'aveu d'une censure hative] – Dossier de presseTélécharger VOSTFRTélécharger HD 720 VOSTFR.

L’expérience de Milgram

Compliance fait explicitement référence à l’expérience de Milgram. Un journaliste de L’Express précise :
En 2010, Craig Zobel se lance dans l’écriture du scénario quand il découvre le livre Soumission à l’autorité, dans lequel le psychologue Stanley Milgram relate une expérience menée dans les années 1960 : des personnes exécutent des ordres cruels parce qu’ils sont donnés par un professeur. « L’étude a été renouvelée en 2007 : 60% obéissent. J’aimerais appartenir aux 40% restants, mais je n’en suis pas sûr. Personne ne peut l’être. »

Or, cette expérience fut mise en scène par Henri Verneuil dans I… comme Icare il y a trente-quatre ans ! Craig Zobel l’ignore peut-être, mais il a certainement voulu jouer le professeur.


Henri VERNEUIL, I… comme Icare, 1979, AlloCinéWikipédiaVoir VFTélécharger VF.

L’expérience de Milgram, reproduite à travers le monde et à différentes époques, a été largement validé. En 2009, le documentaire Le jeu de la mort, mettant en scène un faux jeu télévisé, reproduit l’expérience de Milgram.



Thomas BORNOT, Gilles AMADO, Alain-Michel BLANC , Le jeu de la mort, 2009, AlloCinéWikipédiaVoir VF.

10/02/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Critiques Compliance :
Culturopoing
Critikat
Film de culte
L’Express

Lire aussi :
• Expérience de Milgram, Wikipédia.
Dossier documentaire Psychologie sociale, Monde en Question.

Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.