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26 juin 2002

La guerre du SMIC n'a pas eu lieu

Le gouvernement Raffarin I [1] s'est vanté d'avoir résolu le long conflit des médecins généralistes en leurs accordant une augmentation du prix de la consultation, qui est passé de 18,5 à 20 euros (+ 7.5 %). Le gouvernement Raffarin II [2] a annoncé, avant même la réunion avec les syndicats, qu'il limiterait l'augmentation du SMIC [3] au 1er juillet à la hausse légale de 2,4 % sans le «coup de pouce» supplémentaire que les précédents gouvernements avaient accordé lors du changement de majorité. Alain Juppé avait accordé 2,2 % de plus que le minimum légal en 1995 et Lionel Jospin 2,26% en 1997, mais M. Raffarin a lui-même déclaré : «Le SMIC augmentera de 2,4 % au 1er juillet, pour le reste on verra après». Point final.

La gauche et les bureaucraties syndicales ont eu beau jeu d'ironiser sur le Premier ministre qui «aime tant la ?France d'en bas? qu'il souhaite sans doute qu'elle reste en bas». Mais, au-delà d'une dénonciation de principe du nouveau gouvernement de droite, aucun parti ni aucune organisation syndicale n'a appelé les travailleurs à s'opposer par la grève à Jean-Pierre Raffarin (Premier ministre), à Francis Mer (ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie) et à François Fillon (ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité) comme l'avaient fait les médecins. Les 2,7 millions de smicards [4], qui représentent 13 % de la population active, n'ont eu droit qu'à des formules aussi creuses que démobilisatrices.

Démagogues réformistes

Le PCF clame que «le masque est tombé». Le PS accuse le gouvernement d'«oublier ses promesses» (Jean-Marc Ayrault président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale). La CGT parle d'«une très mauvaise carte postale envoyée par le gouvernement» (Bernard Thibault secrétaire général). La CFDT estime que Jean-Pierre Raffarin a fait un «faux pas» (François Chérèque secrétaire général). FO lui donne un «carton jaune» pour sa «maladresse» (Marc Blondel secrétaire général). Enfin, la CFTC déclare être «déçue» (Michel Coquillion porte-parole). Toutes ces envolées verbales ne font pas oublier que les mêmes ont appelé sans aucune retenue les travailleurs à voter pour Chirac le 21 avril et lui ont donc donné un chèque en blanc pour réaliser sa politique anti-sociale.

Que proposent ces démagogues réformistes aux millions de smicards et aux millions de chômeurs ? Rien ! Michelle Biaggi, porte-parole de FO, assure hypocritement que «Force ouvrière sera aux côtés des personnels s'ils veulent se battre pour leurs salaires». Que penser d'un général qui laisserait ses troupes aller au combat sans objectif, sans stratégie et sans logistique et qui se contenterait de les regarder à l'arrière du front en les encourageant mollement ? C'est Marc Blondel, le leader de Force ouvrière, qui a le mieux résumé le reproche que fait les bureaucrates au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin : «Il aurait pu respecter les organisations syndicales». En clair, elles ne s'opposent pas au gouvernement sur le fond mais sur la forme ! La métaphore footbalistique illustre non pas l'iniquité de la mesure mais seulement la maladresse de son annonce prématurée.

La gauche ne voulait pas s'opposer au gouvernement car elle est responsable d'une situation «abracadabrantesque». La loi du 11 février 1950, qui institua le SMIG [5], s'inscrivait dans le cadre de procédures de règlement des «conflits du travail», c'est-à-dire de la grève, en échange de la participation des syndicats à la gestion des conventions collectives. Celle du 2 janvier 1970 a remplacé le SMIG par le SMIC en l'indexant sur le taux de l'inflation. La loi Aubry de 1998 a compliqué le système en créant des niveaux de référence variables selon la date de passage aux 35 heures. Ainsi, on compte sept SMIC au 1er juillet 2002 et on en comptera dix en 2005 ! François Chérèque reconnaît d'ailleurs que «nous avons aujourd'hui jusqu'à 111 euros par mois de différence entre deux smicards» due à l'application des 35 heures.

Vae victis !

François Fillon peut se permettre de lancer : «Voilà des gens qui étaient au pouvoir il y a encore quelques jours, qui n'ont pas augmenté le SMIC en 1999, qui ne l'ont pas augmenté en 2000 et qui en 2001 ont fait un coup de pouce qui était plus que symbolique [0,27 %], qui aujourd'hui sont en train de nous donner des leçons». La gauche au pouvoir a favorisé les subventions aux entreprises (350 milliards de francs), elle a développé le travail précaire, mis en place le PARE et maquillé les chiffres du chômage (les radiations de demandeurs d'emploi ont progressé de 60 % en un an). Le SMIC n'est pas une conquête sociale, c'est un dispositif qui, au fil des gouvernements, profite d'abord aux entreprises par des charges sociales réduites (environ 15 % de cotisations pour un SMIC à 35 heures contre 40 % pour un emploi "normal").

Le MEDEF et le gouvernement utilisent aujourd'hui les mêmes arguments qu'hier pour freiner l'augmentation des bas salaires. Quand le MEDEF affirme qu'«un point d'augmentation supplémentaire du SMIC risquerait de détruire 29 000 emplois» et que François Fillon déclare «on ne peut pas charger la barque du coût du travail sans prendre le risque d'augmenter le chômage», ils reprennent les arguments de M. de Villoutreys qui affirmait, en 1950 au nom de la commission de la production industrielle, «La commission ne voit pas sans inquiétude rétablir la liberté des salaires, car l'alourdissement des prix de revient, non seulement nous priverait des marchés extérieurs, sources indispensables de devises, mais mettrait encore nos industriels en posture difficile sur le marché national».

La droite savait bien que les partis de gauche et les organisations syndicales, qui ont fait élire Jacques Chirac, ne s'opposeraient pas en actes à une simple revalorisation légale du SMIC. Derrière ses rondeurs, Jean-Pierre Raffarin leur a montré qui était le patron. Il a marqué un point en prévision des futures négociations : l'harmonisation des SMIC, l'emploi des moins de 25 ans et des plus de 50 ans, les retraites, la mise en place des 35 heures dans la fonction publique et les PME-PMI [6], le service minimum de la RATP [7] et le SNCF [8], etc. Les gesticulations verbales ne changent rien. Le MEDEF et le gouvernement savent bien que les syndicats se contenteront de participer aux futures négociations et demanderont seulement ne pas «être court-circuités dans la procédure».

Serge LEFORT
25 juin 2002

Publié en français par WSWS
Traduit en anglais par WSWS

[1] Nommé après le second tour de l'élection présidentielle du 5 mai 2002.
[2] Nommé après le second tour des élections législatives du 16 juin 2002.
[3] Salaire minimum interprofessionnel de croissance.
[4] Salariés qui sont payés au SMIC.
[5] Salaire minimum interprofessionnel garanti.
[6] Petites et moyennes entreprises (PME-PMI).
[7] Compagnie du métro de la région parisienne (nationalisée).
[8] Compagnie nationale des chemins de fer (nationalisée).