Le camarade Alex a publié trois articles [1] qui relèvent davantage d'un procédé incantatoire, digne des années 70, que d'une analyse politique des premières mesures du gouvernement Raffarin. Les expressions « programme anti-ouvrier », « état policier » et « crise politique », dont l'AJS-OCI était très friande, paraissent d'autant plus décalées que le contenu des articles fait l'impasse sur la démonstration attendue.
En quoi la déclaration de politique générale de Jean-Pierre Raffarin serait un « programme anti-ouvrier » ? D'après l'auteur, le gouvernement préparerait « ouvertement des mesures anti-grèves », mais aucun argument n'étaye sérieusement cette thèse. En réalité, les mesures annoncées visent surtout les jeunes des banlieues. Ce qui veut dire que le gouvernement ne s'attaque pas frontalement à la classe ouvrière, mais à la « classe dangereuse » [2] des jeunes exclus que Chevènement, ministre socialiste, avait appelé « sauvageons » et que Raffarin nomme « jeunes délinquants ». Cette politique n'est donc pas nouvelle : les socialistes l'ont conduite en sous-main et la droite en fait une priorité car elle sait que la peur des banlieues touche les couches populaires qui sont souvent les victimes des délits de proximité.
Dire que « Les projets de loi sécuritaires préparent le passage à un état policier » n'est pas sérieux. Comment comparer les rodomontades d'un Nicolas Sarkozy à Nanterre avec les arrestations massives de militants par la junte militaire en Grèce en 1967 ou au Chili en 1973 ? Une analyse plus fine montre que le gouvernement Raffarin joue les petits bras en créant des postes d'auxiliaires de police ou de justice à peine formés aux missions de proximité. Nous sommes très loin des opérations « de l'armée française dans la casbah d'Alger ». Là encore Raffarin ne fait qu'accentuer une politique initialisée par Jospin pour tenter de faire croire que le gouvernement traite sur le fond la violence sociale dans les banlieues [3].
Croire que le débat, qui s'est déroulé en coulisse au sein de l'UMP sur l'opportunité d'une prescription de l'abus de biens sociaux, aurait provoqué « une crise politique » revient à créditer l'UDF d'une virginité dont elle ne peut se réclamer et à la gauche d'un sursaut de « civisme » dont elle n'a pas fait preuve notamment dans l'affaire Elf. En fait de crise, nous avons assisté à des man?uvres d'exorcisme de la part d'une classe politique – gauche et droite confondues – qui voudrait bien s'auto-amnistier, mais qui n'ose pas le faire et se reproche mutuellement d'en avoir l'intention. En définitive, Chirac n'a pas été aussi loin que Mitterrand sur ce point [4].
Serge LEFORT
27 septembre 2002
[1] Trois articles :
- Le nouveau premier ministre français présente son programme anti-ouvrier
- Les projets de loi sécuritaires préparent le passage à un état policier
- La tentative d'auto-amnistie du gouvernement Raffarin provoque une crise politique
[2] François DUBET, La galère : jeunes en survie, Fayard, 1987.
[3] Michel WIEVIORKA, Violence en France, Seuil, 1999.
[4] La loi du 15 janvier 1990, « relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques » amnistiait les délits antérieurs.