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15 juillet 2004

Le racisme ne se divise pas

Du samedi 10 juillet au mardi 13, les médias ont matraqué en boucle l'édifiante histoire d'une jeune femme de 23 ans agressée dans le RER D dans la matinée du vendredi 9. Aucun détail de ce fait divers ne nous fut épargné.

On apprenait qu'elle fut insultée, battue et sa robe déchirée en présence de son enfant ; qu'aucun voyageur n'avait eu le courage d'intervenir pour défendre cette jeune maman ; que les agresseurs, quatre Maghrébins et deux Africains armés de couteaux, avaient signé leur forfait en peignant des croix gammées sur son ventre avant de s'enfuir comme des lâches.
La morale de cette histoire coule de source. Il s'agit de toute évidence d'un acte antisémite. Cette jeune femme, cette jeune maman, fut sauvagement agressée parce qu'elle est juive.

La réaction des politiques est rapide, synchrone avec l'annonce médiatique. Dès le samedi soir, le Président de la République prend la tête de la campagne en faisant une déclaration solennelle [1]. Dans la foulée, des responsables politiques, de gauche et de droite, s'empressent de dénoncer « cet odieux acte antisémite ». Des organisations se mobilisent et appellent à manifester le lundi soir. Chacun cherche à se positionner comme le meilleur défenseur de la communauté juive, consensuellement présentée comme l'éternelle victime du racisme.

Mardi, cette belle mécanique se grippe : Marie est une simulatrice et récidiviste de surcroît ! Les journalistes, loin de s'interroger sur leur traitement de ce fait divers, s'empressent de désigner un responsable. France Inter donne la parole, dans le journal de 13 heures, à un syndicat de police qui déplore la hâte des politiques sans rien dire sur celle des médias.
Mercredi, Patrick Poivre d'Arvor interpelle Jacques Chirac sur sa précipitation à « dénoncer une agression antisémite qui n'en était pas une ». Le Président de la République botte en touche : « il y a eu une manipulation qui doit être sanctionnée ».

Les médias et les politiques vont-ils se coaliser pour charger Marie qui, sauf révélations ultérieures de l'enquête, serait une affabulatrice ou vont-ils s'accuser mutuellement d'avoir poussé le bouchon trop vite et trop loin ? Ce n'est pourtant pas la première fois qu'une telle dérive se produit [2]. Certains jugeront certainement, comme Julien Dray, qu'on ne les y reprendra plus... jusqu'à la prochaine fois.

Le problème ne situe-t-il pas ailleurs – dans la solution ? À trop focaliser sur l'antisémitisme pour des raisons parfois très politiciennes [3], les médias et les politiques oublient que des Français d'autres confessions ou d'autres origines sont victimes de racisme et d'exclusion. À faire de l'antisémitisme un racisme à part, ils renforcent le racisme anti-Maghrébins et anti-Africains.

Ce qui est ignoble dans cette affaire, c'est d'avoir accepté comme allant de soi les déclarations de Marie ; d'avoir accepté comme une évidence qu'une femme ne puisse être agressée que par des Maghrébins et des Africains et que parce qu'elle serait juive.

Être raciste c'est aussi croire et faire croire que les musulmans seraient des terroristes en puissance ; c'est aussi parquer une population d'origine étrangère dans des banlieues-ghettos ; c'est aussi parler d'intégration à la télévision et la refuser au quotidien depuis trente ans...

Alors, diviser le racisme revient à le multiplier et à le banaliser.

Serge LEFORT
14 juillet 2004


[1] Deux communiqués parmi d'autres :
- 10/07/2004, Une jeune femme et son bébé agressés dans le RER D, AFP.
- 10/07/2004, Ils agressent une femme et lui dessinent des croix gammées sur le ventre, AFP.
[2] 08/02/2004, Tourner sept fois sa langue dans sa bouche..., Observatoire du communautarisme.
[3] Cette attitude n'est pas spécifique à la France. En Israël, beaucoup d'opposants à la politique de Sharon sont dénoncés comme antisémites. Itzhak Rabin fut comparé à Hitler et assassiné parce qu'il avait négocié avec Yasser Arafat.

30 avril 2004

La théorie du complot

Arte a consacré la soirée Thema du mardi 13 avril 2004 aux théories du complot. Le spot, annonçant cette émission, planta un décor dramatisé à l'extrême par l'image et le son. Ainsi, quand Daniel Leconte pose la question faussement naïve « Alors, tous manipulés ? », il est transformé en pantin dont un mystérieux marionnettiste tire les ficelles.

Pour illustrer la théorie du complot, Daniel Leconte s'appuie sur deux documentaires [1]. Ces documents à charge ne font pas dans la dentelle, car les auteurs mettent dans le même sac le douteux Thierry Meyssan, les mouvements d'extrême droite néonazis, Arlette Laguiller (LO), Jean-Marie Le Pen (FN), les altermondialistes et les Guignols de Canal+.

Loin donc de démonter la théorie du complot, Daniel Leconte et ses compères l'accréditent, en manipulant les images, pour finalement affirmer sans rire que l'antiaméricanisme serait le masque de l'éternel antisémitisme – Arlette Laguiller et Jean-Marie Le Pen seraient les agents d'un complot mondial contre le peuple juif !

« Arte et la théorie du complot » : page 1 et page 2
Extraits du documentaire « Le grand complot » (MP3)

Tous les intellectuels, qui militaient pour la guerre contre l'Irak, ont utilisé le même argument : dénoncer la politique coloniale du gouvernement américain en Irak ou du gouvernement israélien en Palestine reviendrait à encourager l'antisémitisme [2].

Et, pour enfoncer le clou, Daniel Leconte conclue la soirée par un faux débat « Tous manipulés ? » :

  • Philippe Val : la rhétorique de la haine de l'Amérique, c'est la rhétorique d'un, de, de... la haine contre un pays qui euh... s'est constitué sur une immigration... c'est un pays qui est cosmopolite ! Et ça rejoint directement, très vite, la haine du Juif qui symbolise cet homme sans terre, cet homme de diaspora, qui symbolise depuis le Moyen Age le cosmopolitisme.
  • [...]
  • Daniel Leconte : Justement, vous disiez sur le vieux fond d'antisémitisme qu'il y a évidemment dans les théories du complot, parce qu'il y a toujours...
  • Philippe Val : Tout ramène aux juifs
  • Daniel Leconte : L'anti-américanisme, et puis il y a l'antisémitisme.
  • Philippe Val : même Lady Di, ça ramène aux juifs. Tout ramène aux juifs.


Extraits du débat : Fchier 1 (MP3) et Fichier 2 (MP3)

La boucle est bouclée. Daniel Leconte a mis en scène un chef-d'œuvre de manipulation du téléspectateur.

Serge LEFORT
29 avril 2004



[1] VITKINE Antoine et NECEK Barbara, Le 11 septembre n'a pas eu lieu, 2004 et VITKINE Antoine et NECEK Barbara, Le grand complot, 2004.
[2] Voir nos articles :
  • 24/03/2003 Goupil se range derrière Bush contre le peuple irakien
  • 28/03/2003 Ne pas se taire sur la politique du gouvernement Sharon
  • 05/04/2003 Kouchner en guerre... contre l'extrême gauche