L’ascension d’Avigdor Lieberman concrétise plus qu’elle n’annonce une crise. Et personne ou presque n’élève la voix...
Un étrange silence s’est abattu sur la scène politique israélienne. Cette semaine, nous sommes tombés très bas. C’est difficile à croire, mais ces jours-ci, les pires que nous connaissons depuis la création de l’Etat, seul un pépiement a salué la marche accablante d’Avigdor Lieberman vers les plus hautes marches du gouvernement.
Les ex-stars du Parti travailliste ont chuchoté leur opposition, laissant ainsi la place à un seul homme de bien, Ofir Pines-Paz, qui a démissionné [de son poste de ministre] suite à l’entrée au gouvernement du Raspoutine d’Ehoud Olmert. Mais rien de la part de personnalités clés comme Avishaï Braverman ou Ami Ayalon, ni de Matan Vilnaï, sur le sens politique de l’ascension météorique de ce politicien quasi fasciste. Leur silence est dû, en grande partie, à ce qu’Amir Peretz a exigé qu’en cas de désaccord public, ils renoncent à leur siège à la Knesset.
[...] Les organisations qui en temps normal se battent pour des normes de gouvernement honnêtes, qui se ruent à la Cour suprême pour tout soupçon de corruption, ont délaissé l’espace public alors que la corruption politique des plus hauts rangs de l’Etat faisaient une place douillette à Lieberman. Les seules voix de protestation, à quelques exceptions près, sont venues des médias (responsables de tout, comme chacun sait) et de députés arabes dont Lieberman souhaiterait voir exécuter certains.
Des nouvelles d’Ehoud Barak, de l’autre côté de l’océan. L’homme qui se décrivait comme un coureur de fond voit s’approcher l’occasion d’entrer au gouvernement. Olmert le veut à ses côtés. Pour survivre, Olmert est aujourd’hui obligé d’acheter tout ce qui bouge. Peretz, le rival méprisé de Barak, pèse le pour et le contre. Barak, lui non plus, n’a pas dit un mot sur Lieberman. Pour quoi faire, après tout, alors qu’il touche son but du doigt ?
Entre temps, alors que Lieberman a été nommé stratège en chef du gouvernement, nos dirigeants ont reçu le soutien du vice-ministre (travailliste) de la défense, Ephraïm Sneh. Lui qui aime tant discourir sur les valeurs n’a rien trouvé à dire sur Lieberman. J’imagine le ministre des menaces stratégiques, qui a rarement tenu un fusil dans les mains, convoquant l’ancien général Sneh pour discuter de la manière d’introduire les méthodes russes en Tchétchénie contre la menace venue de Gaza.
L’autre jour, Lieberman n’a pas dit la vérité quand il a tenté d’expliquer ce qu’il avait voulu dire exactement avec cette comparaison. Il a hurlé sur les journalistes qu’il a accusés de déformer ses véritables intentions : établir un gouvernement différent dans les Territoires palestiniens, tout comme Vladimir Poutine l’a fait dans la province rebelle en tuant des dizaines de milliers de personnes et en détruisant des villes entières. Le président Mahmoud Abbas et le Fatah ne sont pas assez bons pour lui, ni bien sûr le gouvernement élu du Hamas. Alors, qui donc souhaite-t-il y amener ? Qui d’autre Lieberman pense-t-il pouvoir tromper, maintenant qu’il a aveuglé le premier ministre et un Parti travailliste claudiquant ?
La vérité est, évidemment, que cette crise extrêmement grave montre qu’il faut secouer la direction politique du pays, devenue depuis longtemps une sombre farce. Mais tout ce qui reste de ce système branlant et criblé de trous, ce sont quelques has been et quelques-uns qui, comme chez Kafka, se sont réveillés un matin libermanesque pour découvrir qu’ils s’étaient transformés en cafards.
Israël est peut-être pauvre en ressources naturelles, mais on nous a toujours dit qu’il était riche en ressources humaines. Avec une arrogance colonialiste, Lieberman a dit cette semaine que les Palestiniens devaient trouver un de Gaulle pour que nous puissions leur parler. Ce type a le sens de l’humour. Que dirait-il si leur de Gaulle voulait faire d’Israël une autre Tchétchénie ?
Même Yossi Beilin n’a pas parlé trop fort. Le somptueux petit déjeuner auquel il avait invité il y a 9 mois son rival idéologique, pendant lequel il avait généreusement chanté ses louanges (dans l’esprit de la gauche chic, mais dans un moment d’égarement), n’a pas été seulement l’une de ses pires erreurs politiques : ce fut aussi une approbation.
Et où est l’ancien premier juge de la Cour suprême Aharon Barak, le gardien de la démocratie ? Et où sont les professeurs ? Et sur quoi porte la grande manifestation ? De la Gay Pride à Jérusalem. Pas de l’anniversaire de l’assassinat d’Itzhak Rabin, tué, dans l’esprit au moins, par la droite renaissante. La seule preuve de courage de la part des députés a été de s’absenter d’une cérémonie à la mémoire de Rabin organisée par un Président accusé de viol.
[...]
L’échec du recrutement à la direction du pays est grave et profond. Ce ne sont pas les dirigeants actuels qu’il faut blâmer, mais plutôt les électeurs et l’absence de critique au sein des élites. Tout comme le de Gaulle de Lieberman n’est pas près d’apparaître à Gaza, il n’y a aucun signe d’un grand dirigeant sur le point d’apparaître chez nous. D’où ce morne sentiment qui se répand qu’il n’y a rien à faire, parce que certaines crises n’ont pas de solution, au moins pour les décennies à venir. Quelle perspective pour un public qui perd espoir !
Gideon Samet
3 novembre 2006, Ha’aretz
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
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