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10 octobre 2008

Le capitalisme made in China

Les récents Jeux Olympiques furent une grande vitrine pour le nouveau capitalisme chinois en plein essor. La Chine actuelle est le résultat d’un long processus de restauration capitaliste débuté il y a trois décennies. Les réformes commencèrent en 1978, s’amplifièrent et accentuèrent leur portée, affaiblissant progressivement les mécanismes de l’économie planifiée et reçurent un élan décisif à partir de 1992.

Les années 1990 furent marquées par un processus sans frein de privatisation et de libéralisation des services publics. Aujourd’hui, les deux tiers des salariés chinois travaillent pour des capitaux étrangers. Juste au commencement du XXIe siècle, l’entrée de la Chine au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001 fut le point d’apogée de son processus de réintégration dans le capitalisme mondial.

Peu sont, heureusement, ceux à gauche qui ont des illusions sur le modèle chinois. Mais nous devons rester clairs : trente ans de reformes ont configuré un capitalisme sauvage sans palliatif. Et ceci est l’horizon vers le quel va le pays, malgré une rhétorique sur une « société harmonieuse » du président Hu Jintao. L’évidence croissante des désastres sociaux et écologiques causés par l’actuel modèle d’accumulation a provoqué des rectifications dans le discours officiel et des ajustements dans les politiques pour contenir les déséquilibres, mais non pas une modification de l’orientation politique générale.

La restauration capitaliste fut pilotée par le Partie Communiste Chinois (PCC) dont l’idéologie et la nature se sont transformées. Le nationalisme s’est converti en l’élément principal du discours et de l’identité du PCC, et il est utilisé comme un facteur de cohésion et de légitimité du projet politique. D’où l’importance stratégique des Jeux.

La Chine est traversée par de grands déséquilibres sociaux et régionaux. Les reformes ont provoqués la concentration des revenus, une polarisation sociale et une augmentation des inégalités. Le coefficient de Gini (qui mesure l’inégalité) est passé de 0,30 en 1980 à 0,48 et selon la Banque Mondiale il existerait quelques 300 millions de pauvres dans le pays. La majeure partie de l’activité économique se concentre sur les régions côtières (elles reçurent près de 85% de l’investissement étranger l’an passé) qui contrastent avec les régions appauvries de l’intérieur du pays. Le modèle actuel de développement a aussi un haut coût environnemental, en particulier en ce qui concerne la pollution de l’air des grandes villes et de l’eau.

La base sociale sur laquelle s’appuie le régime chinois est la nouvelle bourgeoisie émergente, liée à l’appareil d’Etat et du Partie, et une classe moyenne urbaine significative, qui inclut aussi les secteurs les plus qualifiés des salariés, et beaucoup de fonctionnaires et membres de l’appareil d’État.

La classe travailleuse a expérimenté de profondes transformations. Les travailleurs du secteur public, qui soit 20% de la population active, furent durement touchés par la vague de privatisations qui a supprimée 40% des emplois publics. Cette fraction de la classe travailleuse a connu l’érosion des garanties sociales de la période maoïste. Symboliquement elle fut dégradée de son statut social, passant d’une considération officielle du régime comme la « classe dirigeante » à une mise « hors combat » par les reformes.

En parallèle, une nouvelle fraction de la classe travailleuse a émergé, formée par les individus de l’émigration rurale et elle est concentrée dans les industries orientées à l’exportation sur la côte Est et au niveau du delta de la rivière des Perles, et aussi dans des secteurs tels que la construction et les services qui sont mal rémunérés dans les grandes villes. L’émigration interne rurale-urbaine est alimentée par une crise du monde rural et l’effondrement du pouvoir d’achat des paysans, représentant un tiers de celui de la population urbaine. Chiffrée à 150 millions de personnes, cette nouvelle classe de travailleurs occupe les échelons les plus bas du marché du travail.

Leurs conditions de travail et de vie constituent la face la plus amère du nouveau capitalisme chinois. Des salaires bas, des journées de travail interminables, des conditions de travail insalubres et la violation des droits du travail de la part de beaucoup d’entreprises et de leurs sous-traitant forment sa réalité quotidienne. La fédération syndicale officielle, l’unique légale, manque d’autonomie vis-à-vis de l’État, elle est subordonnée aux intérêts des entreprises et elle n’est pas un instrument réel de défense des travailleuses et des travailleurs.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les luttes sociales aient augmentées depuis la fin des années 1990. Cependant, elles demeurent fragmentées et isolées et en raison de la dure répression elles ne peuvent créer quasi aucune base organisationnelle. Il n’existe pas de convergence entre les mobilisations des travailleurs du secteur public et celles de la classe ouvrière immigrante. Ni entre les nombreuses protestations provenant du monde rural et celles des zones urbaines.

Soutenir ces luttes émergentes en Chine contre l’actuel modèle d’accumulation, du à l’importance du pays et de sa position dans l’architecture du capitalisme global, c’est une tâche stratégique centrale pour les mouvements opposés à la mondialisation néolibérale. Sans que cela implique, évidemment, de faire le jeu des gouvernements occidentaux quand hypocritement ils dénoncent les abus de droits humains en Chine ou la répression du peuple tibétain. Du résultat des luttes populaires présentes et futures en Chine dépendra en bonne partie de la forme que prendra le monde à venir.

ANTENTAS Josep Maria, VIVAS Esther
9 octobre 2008

Publié par Alternatives international.

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