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26 octobre 2008

L’empire américain ébranlé

George W. Bush laisse son pays et le monde dans un état de confusion stratégique et économique saisissant. La volonté d'agir seul, la défiance à l'égard des institutions internationales et des règles multilatérales ont caractérisé ses deux mandats. La crise met en lumière de façon spectaculaire les impasses tragiques auxquelles ont conduit ses choix. L'empire est ébranlé. A son enlisement stratégique en Irak et en Afghanistan correspond désormais son enlisement économique. Certes, l'Amérique va rester la première puissance mondiale, mais elle sera beaucoup plus fragile. La Russie en est consciente, d'où l'opération en Géorgie l'été dernier. Sans guère de réaction américaine !

L'unilatéralisme est-il pour autant remis en cause ? Comme il prend sa source dans le sentiment de supériorité des valeurs libérales, on pourrait penser qu'il subit en ce moment de sérieux coups de boutoir. D'autant plus que l'autre contexte dans lequel l'unilatéralisme s'était déployé est en train de changer. C'est avec la disparition de l'Union soviétique que l'Amérique s'était sentie libre d'agir sur la scène internationale. C'est Bill Clinton qui a entamé des bombardements militaires sur l'Irak, contre l'avis de l'ONU, à partir de 1998 ! L'arrivée de Bush, le 11 septembre 2001 et la guerre d'Irak ont constitué une accentuation particulièrement vive de cet unilatéralisme mais en aucun cas une création. Colin Powell avait déclaré que les Etats-Unis seraient multilatéralistes quand ils le pourraient et unilatéralistes quand ils le devraient...

Il serait pourtant vain de croire que la crise va nous précipiter vers un monde multipolaire. Nous sommes encore loin de bouleversements géopolitiques majeurs. Car il n'y a pas de parité stratégique, seulement un effet de rattrapage des autres pôles de puissance : la Russie, avec sa résurrection fracassante, et la Chine, même malmenée par la crise. L'Europe, elle aussi, a refait son apparition : on s'avise, sur la toile de fond du séisme, que l'Etat a du bon, que le modèle classique du Vieux Continent peut s'ingénier à trouver des solutions. Résultat : pour les opinions du monde entier, la crédibilité des Etats-Unis est encore une fois atteinte. Leur caractère intouchable continue à s'éroder. Le futur président aura un gigantesque chantier devant lui pour restaurer aussi le crédit moral, stratégique de son pays.

Pascal BONIFACE
18 octobre 2008
Publié par IRIS.

Sur le même thème :

Quelle Amérique après 2008 ?, Géopolitique
I. Jamais depuis 1945 les USA n’ont semblé à ce point restreints dans leurs choix politiques.
II. Concrètement à quoi s’attendre ?

Selon toute probabilité, c’est une Amérique moins musclée, plus multilatérale qui se dessine. Mais une Amérique qui risque de devoir réagir à une série de tests sur les Limes de son Empire de la part de concurrents soucieux d’évaluer sa détermination : la Russie peut-être déjà dans le Caucase, l’Iran tenté de passer outre une menace devenue moins crédible, les pays du Sud plus déterminés à l’OMC. Même les Alliés peuvent être tentés de se reconstruire des marges d’autonomie, notamment dans le cadre de l’Alliance Atlantique.


ROCARD Michel : «Le déclin de l'empire romain a commencé comme ça», Le Temps
- Pourquoi le capitalisme s'est-il essoufflé?

- L'équilibre entre partenaires du jeu économique a changé. C'est le résultat de deux siècles d'histoire du capitalisme. Quand il est né - dans les années 1810-1840 - on s'est aperçu que le système était cruel et injuste. Assez vite naît une riposte du monde du travail, qui prend la forme des coopératives, des mutuelles, des syndicats, du mouvement socialiste. Leur souci est de se débarrasser du capitalisme. Mais le capitalisme a gagné.

- Y a-t-il des moyens d'en sortir?

- Tout commence par la prise de conscience et le diagnostic. Ce diagnostic doit être scientifique et internationalement partagé. Aussi longtemps que les chefs d'entreprises productives se laisseront intoxiquer par la propagande bancaire, alors que leurs intérêts sont souvent antagonistes, aussi longtemps que les médias nieront le diagnostic, il n'y aura pas de remède.
[...]
Il faudra aussi fournir un élément scientifique pour condamner l'espoir d'une rentabilité à 15%, alors que le PIB croît de 2% par an. Cet objectif de 15% est un objectif de guerre civile. Or, il a été formulé par les professionnels de l'épargne et personne n'a rien dit. Aujourd'hui, si on ne trouve pas d'inflexion, on est dans le mur. Le déclin du Bas-Empire romain a commencé comme ça...

- Vous êtes encore plus sévère envers l'économiste ultralibéral Milton Friedman...

- Friedman a créé cette crise ! Il est mort, et vraiment, c'est dommage. Je le verrais bien être traduit devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité. Avec son idée que le fonctionnement des marchés est parfait, il a laissé toute l'avidité, la voracité humaine s'exprimer librement.


VÉDRINE Hubert, Renouveler le leadership américain, Le Monde diplomatique
Certains penseurs néoconservateurs commencent à mesurer les dégâts provoqués par l’administration Bush. Fareed Zakaria, journaliste centriste influent, qui avait en son temps soutenu la guerre en Irak, cherche à définir les contours du nouveau monde, et met en avant les atouts dont disposent les Etats-Unis pour maintenir leur leadership.

Alors que tant d’analyses internationales sont convenues, biaisées et répétitives, que les Occidentaux peinent à sortir de leur nombrilisme, de leur myopie, de leurs phobies, celle de Fareed Zakaria, le brillant éditeur de Newsweek International, traite du cœur du sujet : la montée des pays émergents, ses conséquences pour l’Occident, les réponses possibles. Certes, nous ne sommes pas encore dans un « monde postaméricain » (The Post-American World), titre de son essai, mais déjà les Occidentaux ont perdu le monopole de l’histoire, si ce n’est la puissance ou l’influence qu’ils ont détenue, Européens puis Américains, depuis le XVIe siècle. Il est urgent qu’ils réfléchissent aux politiques à adopter face à ce bouleversement tectonique, faute de quoi ils s’enferreront, sous l’effet de la panique, comme l’a fait l’administration Bush, dans des politiques de force simplistes et vouées à l’échec.

Ces analyses limpides et lucides forment un réjouissant contraste avec la lourdeur manichéenne et la balourdise idéologique de l’administration américaine sortante, comme avec l’habituel jargon globaliste.

Mais l’originalité et la force principales de Zakaria résident surtout dans ses deux derniers chapitres : « American power » (« la puissance américaine ») et « American purpose » (« les buts américains »), où il traite des réponses à apporter à cette nouvelle donne.

A cela, Zakaria ajoute quelques conseils pour agir dans le monde qui vient : ils sont adressés à la prochaine administration américaine, mais méritent d’être médités par les Européens.

1. Choisir. Avoir une politique claire envers la Chine, la Russie, etc., ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ; et vis-à-vis de l’Iran, par exemple, choisir entre changement de régime et changement politique ;

2. Construire, à la Roosevelt, des institutions et des mécanismes larges, des règles, sans se laisser enfermer dans une vision étroite des intérêts ;

3. Pratiquer et favoriser un ordre mondial ad hoc, un multilatéralisme à la carte. Mais Zakaria prévient que, même ainsi, l’Amérique aura à négocier avec les autres, et à faire des compromis ;

4. Penser l’asymétrie qu’exploitent de plus en plus les nouvelles forces politiques de contestation, difficiles à vaincre de façon classique, et en déduire des politiques plus intelligentes. Aux Etats-Unis, réconforter et utiliser les musulmans américains au lieu de les soupçonner et de les décourager ;

5. Se rappeler que c’est la légimité qui donne le pouvoir, et non l’inverse, et qu’elle dépend étroitement de la façon dont chaque peuple voit sa propre histoire.

Enfin, et surtout, se libérer de la peur. « L’Amérique, ironise Zakaria, est devenue une nation rongée par l’anxiété, la peur des terroristes et des Etats voyous, des musulmans, des Mexicains, des entreprises étrangères, du libre-échange, des immigrants, des organisations internationales. » Une situation paradoxale, selon lui : « La plus puissante nation de l’histoire du monde se sent assiégée par des forces qui échappent à son contrôle. » Il souligne d’ailleurs que cette rhétorique de la peur n’est pas pratiquée par le seul président Bush. Franklin D. Roosevelt déclarait déjà en 1933 : « La seule chose dont nous devrions avoir peur, c’est de la peur elle-même. »

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