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28 février 2009

Israël, l'autre conflit

SCHATTNER Marius, Israël, l'autre conflit - Laïcs contre religieux, André Versaille, 2008.

Le conflit entre laïcs et religieux en Israël touche au coeur de l’identité d’un État qui se veut à la fois « juif et démocratique ». Vieux de plus d’un siècle, il est perçu en Israël comme une menace interne pour l’avenir de la société. Pour les uns, l’État est voué à sombrer dans l’intégrisme, ce qui ne peut que le conduire à sa perte. Pour les autres, Israël va perdre toute attache juive, donc sa raison d’être. Pourtant la société israélienne s’est construite à travers ce conflit et devrait continuer à le faire aussi longtemps qu’il ne dépasse pas certaines limites. Mais si elle peut accepter que des ultra orthodoxes ferment des rues pour forcer au respect du repos sabbatique ou manifestent contre la tenue d’une « gay pride » dans la ville sainte de Jérusalem, il n’en va pas de même quand un ultra nationaliste religieux assassine le Premier ministre Yitzhak Rabin parce qu’il est prêt à retirer Israël des territoires occupés, commettant ainsi pire qu’une trahison, un sacrilège. Plus généralement, qu’est ce qui fait qu’un « vivre ensemble » entre « laïcs et religieux », en Israël ou ailleurs, devient impossible ? Ce livre cherche une réponse à travers « l’histoire » de cette confrontation et ses racines, en insistant sur quelques temps forts : l’émergence du mouvement sioniste, la création de l’État en 1948, la montée du nationalisme religieux après 1967 et son déclin, illustré par le retrait de Gaza en 2005, dont l’auteur a été le témoin direct. Cet essai s’efforce de démêler ce qui relève au sens strict de la tradition religieuse de ce qui témoigne de dérives nationalistes. La question se pose tout autant de savoir pourquoi la religion juive, dans sa forme dominante en Israël, se prête à une telle alliance avec la droite nationaliste, alors qu’une autre lecture est possible, les textes sacrés étant toujours sujets à de multiples interprétations.



Les temps de crise favorisent les simplifications. Ainsi, le relatif consensus qu’a suscité, au moins pour le temps des opérations, l’attaque israélienne sur la bande de Gaza a pu donner l’image d’un pays arc-bouté sur ses certitudes et un sentiment obsidional. Naturellement, la réalité est bien plus complexe : si les voix dissonantes portaient moins, elles étaient pourtant bien là.

C’est précisément le propos de Marius Schattner, correspondant de l’AFP à Jérusalem, que de restituer cette complexité. Bien davantage qu’un désaccord sur la forme que doivent prendre les institutions israéliennes et la part respective que l’un et l’autre camp prétend y tenir, le conflit entre laïcs et religieux révèle une fracture très profonde qui n’a en réalité jamais été réduite. Cette fracture tient à la forme et à la destination, la signification que doit prendre l’Etat d’Israël.

Les relations initialement conflictuelles entre sionisme et orthodoxie

Adoptant une perspective historique, Marius Schattner remonte donc aux sources du mouvement sioniste, né au XIXème siècle, qui porte en germe un rejet de la vision traditionnelle du judaïsme. [...]

C’est pourquoi les précurseurs et les premiers représentants du sionisme – Herzl mais aussi Eliezer Ben Yehouda, artisan de la renaissance de l’hébreu, ou Ahad Ha’am – se heurtent très vite à l’orthodoxie. [...]

De la communion nationale à la dérive nationaliste

La création de l’Etat d’Israël en 1948 marque pourtant un tournant dans les relations entre le judaïsme orthodoxe et le sionisme, qui acquiert dès lors le statut d’idéologie d’Etat. Alors qu’une fraction du monde orthodoxe a maintenu jusqu’à ce jour une opposition radicale au projet sioniste – notamment le petit groupe des Neturei Karta, dont la présence à une exposition iranienne sur l’Holocauste a fait scandale en 2005 – la majorité s’est ralliée à l’Etat, favorisant ainsi l’émergence d’un "sionisme religieux". Cette évolution s’explique à la fois par des raisons historiques et pragmatiques. [...]

La convergence devient communion avec la guerre des Six Jours : la conquête de la Cisjordanie ou "Judée-Samarie" assoit la légitimité religieuse de l’Etat, tandis que les colons qui vont s’installer sur le territoire nouvellement occupé, en dépit des règles internationales, jouissent d’une sympathie dépassant largement les cercles religieux. Cet unanimisme durera ce que durent les roses : bientôt, l’épisode de la guerre du Kippour et surtout de la paix séparée avec l’Egypte, l’évacuation des colonies du Sinaï menée par Ariel Sharon, "l’enfant chéri "des colons, marginalisent la frange la plus extrémiste de la droite religieuse. L’alliance explosive entre nationalisme et intransigeance religieuse aboutit, en février 1994, au massacre de 29 palestiniens à Hébron par Baruch Goldstein, un colon fanatisé, suivi en 1995 de l’assassinat de Rabin par un jeune proche des milieux d’extrême-droite. L’attitude ambiguë de certains groupes religieux et le climat de haine que ceux-ci ont contribué à installer contribuent ainsi à enfoncer un coin entre la droite religieuse extrême et l’opinion publique. L’image du colon haineux, armé d’une kalachnikov, supplante celle du pionnier idéalisé des kibboutz.

Une question toujours ouverte

[...] La tension dynamique entre l’identité religieuse d’Israël et son identité nationale demeure posée, avec en creux celle du rapport à l’Autre – au premier chef les Palestiniens. Le poids des religieux a empêché la rédaction d’une Constitution – selon eux, une loi autre que la Torah ne saurait régir l’Etat juif. L’Etat d’Israël a pourtant été défini comme "juif et démocratique », mais la droite religieuse a toujours donné précellence au deuxième terme. Pourtant, Marius Schattner se réfère aux voix de penseurs comme Ahad Ha’am ou Yeshayahou Leibowitz qui, en dépit de leurs attitudes diamétralement opposées à l’égard de la laïcité, ont refusé de cautionner l’oppression au nom de l’Etat. A l’alliance douteuse entre religion et nationalisme exacerbée s’opposerait, par-delà l’opposition entre laïcs et religieux, un "consensus conflictuel entre les Lumières et un certain judaïsme de la Torah, fondé sur un double rejet de la barbarie".

Un travail particulièrement riche

Loin de se contenter d’une description des relations toujours conflictuelles entre un mouvement d’inspiration laïque, le sionisme, et le judaïsme orthodoxe, Marius Schattner, s’appuyant sur une bibliographie considérable, donne constamment la parole aux représentants les plus éminents des différentes écoles de pensée. [...]

Le religieux est-il soluble dans le politique ?

Enfin, les difficultés proprement théoriques et morales qu’a posées la confrontation d’une idéologie séculière et inspirée des nationalismes européens, le sionisme, et d’une pensée religieuse qui s’est toute entière édifiée sur l’absence d’Etat suggèrent des parallèles intéressants avec l’histoire de la pensée chiite. Le chiisme partage en effet avec le judaïsme ces deux traits : il se fonde sur l’attente d’un Messie et, durant presque un millénaire, s’est trouvé dans une position minoritaire et relativement dispersée au sein du monde musulman. [...] Ces deux moments historiques éminemment singuliers que sont la Révolution islamique et la création de l’Etat d’Israël ont ouvert des débats politico-idéologiques étonnamment similaires.

Thomas FOURQUET
27/02/2009
Nonfiction

Lire aussi :
• COHEN Mitchell, Du rêve sioniste à la réalité israélienne, La Découverte, 1990.
• KLEIN Claude, l'État des Juifs de Théodore Herzl - Essai sur le sionisme aujourd'hui, La Découverte, 1990.
• LEIBOWITZ Yeshayahou, La mauvaise conscience d'Israël - Entretiens avec Joseph Algazy, Le Monde, 1994
• RABKIN Yakov M., Au nom de la Torah - Une histoire de l'opposition juive au sionisme, Presses de l'Université Laval, 2004.

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