Il y a tout juste un an, en mars 2008, le Collectif « Mémoires coloniales » était créé sous l’impulsion du CADTM Belgique (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde). Qu’ils soient membres d’associations, écrivains, historiens, journalistes ou tout simplement citoyens résidant en Belgique, tous se sont unis dans ce collectif pour dénoncer la lecture officielle de l’Histoire coloniale belge, empreinte d’images d’Epinal et de discours trop souvent révisionnistes. Des actions s’appuyant sur le Manifeste pour une relecture de l’Histoire coloniale [1], véritable charte du collectif, sont alors menées depuis septembre pour d’une part, mettre en lumière les aspects négatifs et meurtriers de la colonisation belge et d’autre part, exiger une relecture globale de la colonisation soumise à la rigueur de la recherche historique (notamment par l’accès total aux archives), l’érection de monuments à la gloire de figures oubliées, l’annulation de la dette du Congo et des réparations pour la population congolaise.
La genèse du Collectif « Mémoires coloniales »
Les prémices du collectif belge « Mémoires coloniales » remontent à 2006 à Liège, plus précisément dans le hall de l’Hôtel de ville où se situe une stèle sur laquelle sont inscrits ces mots : « Aux 75 Liégeois morts pour la civilisation au Congo entre 1876 et 1908 ». Rappelons qu’à cette époque, le Congo était encore une possession personnelle de Léopold II : le territoire était annexé en échange de verroterie, la population horriblement exploitée dans les plantations de caoutchouc - entre autres - (pour mémoire, les « mains coupées » de ceux qui ne rapportaient pas leur quota de caoutchouc). Lorsqu’en octobre 2006, une conseillère de la commune « ose » demander le déplacement de cette plaque dans un musée, au motif que sa présence dans la maison communale constitue une offense envers les descendants du peuple congolais opprimé, elle se heurte immédiatement à des réactions hostiles au sein du Conseil communal et par voie de presse. Ses détracteurs, dont certains historiens, refusent même catégoriquement de débattre de la question de la colonisation car ce serait, selon eux, « instrumentaliser » l’Histoire. Choquées par ce conservatisme, une dizaine d’associations liégeoises décident alors de former une coalition pour ouvrir le débat sur la colonisation, considérant que l’Histoire coloniale de la Belgique n’est pas une affaire d’ « experts » et que tous les citoyens ont le droit de contester sa lecture officielle gravée sur les monuments comme sur cette stèle. En effet, la colonisation du Congo fait partie de l’Histoire de tous les citoyens et il est important de la relire à la lumière des connaissances dont on dispose aujourd’hui.
Cette coalition liégeoise décide de mener bataille auprès des autorités communales (bourgmestre, collège des échevins et conseil communal) en revendiquant, dans un premier temps, le déplacement de cette stèle dans un musée avec une note explicative sur les aspects négatifs et meurtriers de l’époque léopoldienne. Puis dans un second temps suite à des débat internes, cette revendication a quelque peu évolué puisqu’il n’est désormais plus question de déplacer la plaque mais seulement de lui adjoindre l’indispensable note explicative. Ce choix s’explique par le fait que la stèle constitue un témoignage historique qui ne doit pas être dissimulé car l’Histoire ne se cache pas. Mais cette Histoire n’est certainement pas figée, d’où la revendication légitime de la note explicative. Depuis 2007, cette position reste inchangée mais n’a toujours pas été suivie d’effets. Toutefois, la pression exercée par ces associations a conduit à des interpellations politiques de certains conseillers communaux pour que le conseil se saisisse de cette question. Un appel d’offre (très restreint puisque nous n’avons accès à aucune information sur son contenu) a donc été lancé début 2008 par le Conseil communal sur l’élaboration d’une note corrective. A suivre…
Parallèlement à ces interpellations politiques, la coalition a décidé de mettre cette question sur la place publique en organisant une conférence en juin 2007 qui rassembla plus de cent personnes dont des conseilleurs communaux liégeois. Cet intérêt des citoyens belges fut un des déclics dans la création du collectif « Mémoires coloniales ». En effet, Liège n’est pas un cas isolé. De nombreux monuments en Belgique, comme à Bruxelles, Ostende, Mons ou encore Namur présentent la colonisation comme un fait positif pour les populations colonisées et d’autres forces militantes existent en Belgique pour dénoncer cette propagande coloniale quotidienne. Mars 2008 marqua finalement l’acte de naissance du Collectif « Mémoires coloniales ».
La stratégie du Collectif « Mémoires coloniales » entre réflexion et actions
Pour contester la lecture de l’Histoire coloniale et sensibiliser l‘opinion publique belge qui a encore majoritairement un regard positif sur la colonisation ou tout simplement ignore le passé colonial belge [2], le collectif a décidé de construire son action de façon méthodique. C’est pourquoi en 2008, le collectif a choisi de travailler prioritairement sur le thème du patrimoine public colonial pour, d’une part, révéler au grand public les statues, monuments et noms de rues qui glorifient la colonisation et, d’autre part, réfléchir sur les différents modes de contestation à mettre en place.
Trois journées d’action et de réflexion ont alors été organisées en 2008 autour de ce thème. La première, qui eut lieu le 14 septembre, prit la forme d’une visite alternative de Bruxelles, intitulée « promenade coloniale [3] ». Cette promenade a permis de mettre en évidence l’omniprésence du Congo et du passé colonial belge dans le patrimoine public bruxellois. Tout au long du parcours, des panneaux explicatifs ont été déposés sur certains vestiges coloniaux pour informer la population sur les liens très étroits entre le Congo et son ancienne métropole. Soulignons que ces notes explicatives sont également au cœur de la stratégie du collectif pour sensibiliser la population. Parmi ces lieux de mémoire, citons entre autres l’ancien siège de la Forminière (compagnie d’exploitation forestière et minière du Congo belge) et celui de l’Union Minière du Haut Katanga (qui a notamment produit l’uranium pour les bombes à Hiroshima et Nagasaki). Le monument du cinquantenaire à la gloire de Léopold II a également été « visité » selon nos méthodes, c’est-à-dire par ces notes explicatives sans dégradation. Ce monument, qui commémore la guerre que Léopold II a mené contre les Zanzibarites à l’est du Congo, est particulièrement intéressant pour le collectif en raison d’une décision de justice progressiste. En effet, la justice belge saisie par le MRAX et la Ligue des droits de l’Homme, a décidé la suppression du mot « arabe » de ce monument. Auparavant, on pouvait y lire que les Belges avaient anéanti l’esclavagisme arabe. Cette décision de justice prouve donc que l’Histoire n’est pas figée et constitue de ce fait un argument supplémentaire pour exiger l’apposition de notes explicatives sur tous les monuments belges glorifiant la colonisation. La deuxième action eut lieu le samedi 27 septembre et se présentait, quant à elle, comme une journée de réflexion sur les monuments publics coloniaux [4]. Plusieurs interventions ont porté successivement sur le patrimoine colonial en Belgique et au Congo et leur relation avec le pouvoir politique, et sur les actions militantes menées dans différentes villes belges (Blankenberge, Ostende, Dixmude) contre certains vestiges coloniaux. La journée s’est clôturée par un débat sur les stratégies à adopter pour dénoncer la propagande coloniale gravée sur ces monuments. L’exigence de notes explicatives a, d’une part, été confirmée et d’autre part, l’assemblée a proposé que de nouveaux monuments soient érigés à la mémoire des figures oubliées comme, par exemple, les soldats congolais morts pendant les deux guerres mondiales. Cette revendication a été mise en application le 11 novembre avec la commémoration du soldat congolais inconnu au square Riga (Bruxelles), à l’issue de laquelle un monument leur a été symboliquement dédié. Un hommage à Paul Panda Farmana, (1888-1930), figure marquante de l’Histoire congolaise et africaine a également été rendu à cette occasion.
Les défis du collectif « Mémoires coloniales » entre ouverture et fermeté
Depuis sa création, le collectif se veut pluraliste. Il est ouvert à toute personne résidant en Belgique, quelles que soient sa nationalité, ses origines ou ses fonctions. Convaincu que l’Histoire est l’affaire de tous, le collectif a donc l’ambition d’être le plus large possible peu importe le niveau de connaissance sur la colonisation belge. Les réunions et les activités organisées par le collectif sont donc à la fois des lieux de formation et d’actions. Soulignons par exemple, que « les promenades coloniales » qui auront lieu également en 2009 seront l’occasion de toucher d’autres personnes et de former de nouveaux « guides [5] ». L’objectif est, en effet, de sensibiliser le plus grand nombre en jouant sur cet effet multiplicateur. Cette volonté d’informer massivement passe également par l’écho que peuvent donner les grands médias. Force est de constater que cette stratégie s‘est révélée payante puisque deux cartes blanches sont parues dans le quotidien Le Soir [6], un article de La Libre Belgique a mentionné les actions du collectif [7]
, plusieurs membres du collectif ont participé à deux émissions de télévision (TV Bruxelles [8] et RTL/Info [9]) et une émission radio (RTBF). Cette percée médiatique est incontestablement une des réussites du collectif jusqu’à présent. Un des grands défis à relever aujourd’hui est de tirer profit de cette petite notoriété pour impliquer de nouveaux acteurs en son sein et en particulier des citoyens d’origine congolaise. C’est pourquoi le collectif a organisé à l’Espace Matonge (haut lieu de la diaspora congolaise) à Bruxelles sa conférence en février dernier « Berlin II : vers un nouveau partage de l’Afrique ? [10] », pour faire écho à la semaine anti-coloniale organisée en France du 14 au 21 février 2009. Notons ici qu’une collaboration entre le collectif « Mémoires coloniales » et le collectif franco-congolais DEFIS s’est déjà concrétisée en novembre 2008 autour du centenaire du transfert du Congo de Léopold II à l’Etat belge en 1908 par un colloque à Paris.
Le collectif « Mémoires coloniales » est donc bien un espace ouvert de discussion pour l’élaboration d’actions à destination du grand public. Toutefois, le socle commun est explicitement l’engagement anti-colonialiste contenu dans le Manifeste pour une relecture de l’Histoire coloniale. Dès lors, une quelconque collaboration avec les partisans de la colonisation belge est impossible tout comme un débat interne sur les éventuels bienfaits de la colonisation. En effet, sans nier les éventuelles choses positives réalisées individuellement par certains coloniaux, le débat ne se situe pas là car l’objectif du collectif est centré sur la dénonciation du système d’oppression que fut la colonisation. Bien évidemment, la Belgique n’était pas le seul pays colonisateur mais force est de constater qu’aujourd’hui son attitude à l’égard de son passé est déplorable, comparé à certains pays (comme l’Australie ou le Canada envers les aborigène et les indiens) qui ont reconnu sans ambiguïté leur responsabilité dans les conditions de vie actuelles de ces peuples et leur ont présenté des excuses officielles.
La République Démocratique du Congo porte, en effet, toujours aujourd’hui le poids de la colonisation belge qui n’a jamais développé les infrastructures pour le bénéfice de la population congolaise. L’indépendance de 1960 n’a malheureusement pas brisé cette chaîne de l’oppression : le pillage des ressources naturelles du Congo, moteur de la colonisation, perdure encore aujourd’hui. Soulignons également que l’Etat belge et la Banque mondiale ont organisé en violation avec le droit international le transfert de la dette coloniale sur le dos du Congo au moment de son indépendance, avant de soutenir financièrement la dictature de Mobutu. La dette congolaise, qui fait le lien entre la période coloniale et la situation actuelle, est donc illégitime et doit être annulée sans condition. Cette injustice doit aujourd’hui être connue par tous pour que la pression citoyenne oblige les responsables politiques à rompre tous les liens néo-coloniaux et à réparer les dommages infligés au peuple congolais. Convaincu que le changement partira de la base, le collectif développera en 2009 des outils pédagogiques pour sensibiliser les étudiants sur la colonisation et ses conséquences.
Renaud Vivien
7 mars 2009
Publié par CADTM.
[1] CADTM.
[2] Un élève sur quatre ignore que le Congo a été une colonie belge ; dans l’enseignement professionnel plus d’un élève sur deux est dans ce cas, Ecole démocratique.
[3] Pour lire l’intégralité du compte rendu de la promenade coloniale : CADTM.
[4] CADTM.
[5] D’autres « promenades coloniales » seront organisées dès que le soleil sera de retour, une au musée de Tervuren et une dans le quartier des casernes à Bruxelles, où la plus part des noms de rues ont un lien avec les passé colonial.
[6] 4] CADTM.
[7] La Libre Belgique.
[8] Tele Bruxelles.
[9] RTL.
[10] CADTM.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commenter pour enrichir
Le but des commentaires est d'instaurer des échanges à partir des articles publiés par Monde en Question.
Respecter vos interlocuteurs
Appuyer vos commentaires sur des faits et des arguments, non sur des invectives.