Pages

21 mars 2009

Un masacre au ralenti

Plus d’un mois après la fin de l’agression israélienne contre Gaza, la vie continue à être un combat quotidien, pour le million et demi de Palestiniens de la bande de Gaza. Israël maintient son siège étouffant, qui empêche le passage des produits de première nécessité, plongeant l’immense majorité des résidents dans une pauvreté abjecte.


Mais un rayon d’espoir a émergé, sous la forme d’une solidarité internationale croissante – depuis le Canada et les Etats-Unis jusqu’à l’Europe, en passant par l’Afrique du Sud – visant à faire rendre à Israël des comptes sur ses violations du droit international et des droits humains des Palestiniens. Le 21 mars, la justice pour la Palestine sera le principal leitmotiv d’une manifestation contre la guerre qui se déroulera à Washington DC ; elle est organisée afin de marquer le sixième anniversaire de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis.

Eric Ruder : La séquence «ball-trap» de la guerre israélienne est désormais terminée, d’après les médias. Pourtant, Israël poursuit ses frappes aériennes contre des cibles, à Gaza, tous les deux ou trois jours. En plus de ces bombardements israéliens, le siège demeure fermement en vigueur, empêchant absolument tous les biens vitaux de première nécessité de pénétrer à Gaza. Pouvez-vous nous décrire les conditions qui règnent, aujourd’hui, dans ce territoire ?

Haidar Eid : Le courageux historien israélien Ilan Pappe a parlé du siège hermétique en place contre Gaza depuis près de trois ans. Avant la guerre, Pappe avait qualifié ce siège de «génocide au ralenti», et il avait parfaitement raison.

Même avant la guerre, quelque 350 malades en phase terminale étaient morts du fait qu’Israël ne les avait pas autorisés à sortir de Gaza pour aller recevoir un traitement médical vital. Israël a refusé de leur remettre des autorisations de voyager qui leur aurait permis de se faire soigner dans des hôpitaux égyptiens ou jordaniens. Je parle ici de patients souffrant de déficience rénale, de problèmes cardiaques, d’un cancer.

La guerre a transformé le génocide au ralenti en un génocide bien réel – je ne vois pas comment le qualifier autrement. Durant la guerre, plus de 1’400 personnes ont été tuées.

Nous pensions que la fin de la guerre signifierait aussi la fin du siège moyenâgeux imposé à Gaza. Mais, malheureusement, cela n’a pas encore eu lieu depuis la fin du massacre de Gaza – je ne veux vraiment pas parler de la fin de la «guerre», parce que la guerre n’a jamais cessé, même si c’est sous d’autres formes. Israël n’a réalisé aucun des trois objectifs qu’il avait déclarés au début du conflit : renverser le gouvernement Hamas, mettre un terme aux lancements de roquettes et établir un nouvel accord sécuritaire à Gaza.

Etant donné qu’ils ont échoué, ils persistent à essayer d’obtenir, politiquement, ce qu’ils ont été incapables d’obtenir militairement – avec l’aide des Etats-Unis, même sous l’administration Obama, avec la complicité de l’Union européenne et avec l’aide de certains régimes arabes.

C’est la raison pour laquelle toutes les propositions en vue de la reconstruction de la bande de Gaza qui ont été examinées au cours de la récente conférence des donateurs internationaux tenue à Sharm el-Sheikh ont autant de fils à la patte. En réalité, ce sont ces fils qui rendent impossible la reconstruction de Gaza.

Ainsi, quand la secrétaire d’Etat Hillary Clinton est allée à Tel-Aviv et à Ramallah, elle a parlé de conditions imposées à cette reconstruction. La condition numéro 1, c’est que le gouvernement Hamas et les formations de la résistance, de manière générale, reconnaissent l’Etat d’Israël. La condition numéro 2, c’est la reconnaissance des accords déjà signés entre l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) et Israël, ce qui, en fin de compte, reviendrait à reconnaître, là encore, l’Etat d’Israël.

Mais il reste certaines grosses questions à ce sujet, que les Etats-Unis et les médias consensuels préfèrent éviter. En particulier : quel est donc l’Israël que les Palestiniens sont supposés reconnaître ?

Israël est le seul pays membre de l’Onu qui n’ait pas de frontières reconnues. Le mur d’apartheid représente-t-il la frontière de l’Etat d’Israël ? Ou bien s’agit-il de la frontière de 1967 ? La reconnaissance d’Israël, dans de telles conditions, rendrait possible la poursuite de l’expansion territoriale israélienne.

Ensuite, Israël est aussi le seul pays, sur Terre, qui n’ait pas de constitution. En lieu et place, Israël a ses Lois Fondamentales. La première de ces lois définit Israël comme l’Etat des juifs où qu’ils se trouvent, dans le monde entier. On a donc affaire à un état théocratique, et non à un état, appartenant à tous ses citoyens. Cela soulève la question du sort du 1,2 million de Palestiniens qui sont considérés citoyens de l’Etat d’Israël, mais qui ne sont pas juifs.

Par ailleurs, quid des plus de six millions de réfugiés palestiniens vivant dans la diaspora ? Aucun accord signé par l’OLP et Israël, avec l’Amérique en modérateur, ne mentionne le droit au retour (de ces réfugiés, chez eux), bien que la Résolution 194 de l’Onu appelle au retour des réfugiés palestiniens chez eux, dans leurs villages, dans les villes et les bourgs d’où ils ont été chassés. Et cette Résolution 194 préconise des compensations pour les injustices qu’ils ont subies.

Mais ce sont là des choses auxquels Israël veut faire renoncer les Palestiniens avant même que de quelconques pourparlers soient entamés. Comme l’a dit Karl Marx, l’histoire se répète, la première fois sous forme de tragédie, la deuxième fois sous forme de pochade. Aujourd’hui, nous avons assisté à la conférence des donateurs, ainsi qu’à une visite dans la région d’Hillary Clinton, durant laquelle elle n’a pas eu un seul mot de sympathie pour le calvaire des Palestiniens. C’est comme l’a dit Marx, à cette différence près : c’est en même temps une tragédie et une farce !

Les Palestiniens paient un prix exorbitant. C’est la continuation de la guerre génocidaire lancée par Israël contre Gaza, avec le soutien de la communauté internationale. Et les discussions supposées contribuer à la reconstruction ne sont qu’un moyen supplémentaire de mettre en application l’agenda israélien.

Eric Ruder : Les Etats-Unis et Israël appellent par ailleurs le Hamas à «renoncer à la violence», mais ils ne prennent pas conscience, manifestement, de l’hypocrisie incroyable de cette exigence ? Israël ne cesse d’user d’une violence écrasante et totalement disproportionnée à l’encontre des Palestiniens, et c’est les Etats-Unis qui fournissent à Israël les armes pour ce faire ?

Haidar Eid : Absolument ! De quelles armes la Résistance dispose-t-elle, à Gaza ? Des roquettes artisanales bricolées à la maison, et quelques missiles Grad passés en contrebande par les tunnels reliant l’Egypte à Gaza. Mais aujourd’hui, ces tunnels ne sont plus utilisables. Israël les a bombardés à plusieurs reprises.

En raison du siège israélien imposé à la bande de Gaza, ces tunnels ont été utilisés aussi pour apporter des biens essentiels à l’intérieur de ce territoire. Par exemple, je n’ai pas pu prendre ma voiture depuis la fin de la guerre, parce que nous ne recevons plus d’essence d’Egypte, le super devant être passé clandestinement, via les tunnels.

Nous parlons, ici, de la quatrième armée au monde, dotée de 250 têtes nucléaires, d’avions F-16 et d’hélicoptères, contre une population très largement sans défense. Nous ne parlons absolument pas de deux camps opposés, qui seraient de force comparable.

D’après le droit international, Israël occupe illégalement la Cisjordanie et la bande de Gaza. Israël interdit illégalement à plus de six millions de Palestiniens de rentrer chez eux, dans leurs villages et dans leurs villes.

Ce que nous exigeons – moi-même, en tant que membre de la société civile palestinienne, qu’universitaire et que militant – c’est simplement la mise en application des résolutions de l’Onu et du droit international. Sous l’empire du droit international, nous avons droit à un Etat et les réfugiés ont le droit de rentrer chez eux.

En signant les accords d’Oslo, en 1993, la direction palestinienne officielle a conclu un accord qui viole tant nos droits que le droit international. C’est désormais devenu une habitude, pour Israël et les Etats-Unis, d’attendre du camp le plus faible, les Palestiniens, de faire toujours plus de concessions.

Une des plus grosses erreurs qu’ait faites la direction palestinienne, ce fut de faire la supposition que les Etats-Unis n’agissaient qu’en tant que courtiers honnêtes. Mais, en réalité, les Etats-Unis ont été totalement partisans – en raison de l’activité du lobby pro-israélien américain, et aussi parce qu’à mon avis, il est impossible de séparer les intérêts de l’impérialisme américain et ceux du sionisme, au Moyen-Orient.

Les Etats-Unis ont attaqué, puis occupé l’Irak, et ils ont commis un véritable génocide à l’encontre de la population irakienne. Ils ont tué plus d’un million et demi d’Irakiens, à cause du pétrole, afin de réaliser leurs intérêts dans la région, et afin de protéger l’Etat d’Israël.

En Irak, les Américains ont échoué lamentablement. Israël a échoué pitoyablement au Liban en 2006. Alors, voilà : ils ont essayé de viser ce qu’ils considéraient être la poche de résistance la plus faible au Moyen-Orient, j’ai nommé Gaza. Heureusement : nouvel échec ! Israël a essayé, vingt-deux jours durant, de mettre la résistance à genoux, mais il n’a pas réussi.

C’est la raison pour laquelle ils essaient de réussir politiquement, là où ils ont échoué, militairement.

Eric Ruder : Les conditions mises à l’aide à la reconstruction, lors du sommet de Sharm el-Sheikh, et la visite d’Hillary Clinton, visent à politiser la reconstruction en canalisant de l’argent et des soutiens vers l’Autorité palestinienne (AP) et vers son président, Mahmoud Abbas. On a d’ailleurs vu Abbas, après sa rencontre avec Clinton, avertir l’Iran de ne pas «s’immiscer» dans les affaires intérieures palestiniennes. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il se passe, en ce moment ?

Haidar Eid : La dynamique récente, au Moyen-Orient, voit Israël et les forces pro-Oslo au sein de la direction politique palestinienne, ainsi que plusieurs des régimes réactionnaires arabes, aux côtés des Etats-Unis, tenter de déformer la conscience des Arabes, en général, et des Palestiniens, en particulier.

Les Arabes et les Palestiniens ont toujours considéré qu’Israël était l’ennemi, du fait qu’il a chassé les deux-tiers des Palestiniens de chez eux, en 1948, qu’il occupe la Cisjordanie et la bande de Gaza depuis 1967, et qu’il lance une série ininterrompue de guerres génocidaires contre les Palestiniens.

Aussi Israël et les Etats-Unis s’ingénient-ils à faire de l’Iran et de la direction chiite le nouvel ennemi des Palestiniens et des Arabes, en particulier des Arabes sunnites. Autrement dit, ils font la promotion de politiques identitaires et de divisions sectaires, exactement de la même manière que les Américains, en Irak. Cette approche a échoué, au Liban, mais Abbas continue à travailler avec les Américains et les Israéliens afin de mener une telle politique, à Gaza.

L’Iran ne se contente pas de soutenir le Hamas. L’Iran, depuis la chute du Shah soutenu par les Etats-Unis, en 1979, a toujours soutenu la résistance palestinienne, par exemple en permettant aux Palestiniens d’ouvrir une ambassade à Téhéran.

L’Iran apporte effectivement une certaine aide militaire à la résistance palestinienne, de la même manière qu’il a apporté une aide à la résistance au Liban. Il est important que nous comprenions que si les Palestiniens veulent poursuivre leur lutte pour conquérir leurs droits nationaux, ils ont besoin du soutien des musulmans, des Arabes et des peuples aimant la liberté, dans le monde entier.

Le soutien en provenance d’Iran n’est pas conditionné, il n’a pas de ficelles aux pattes, comme celui des Etats-Unis, celui de l’Union européenne ou d’ailleurs. Nous avons un projet commun, et nous avons des objectifs communs : lutter contre l’impérialisme américain au Moyen-Orient et libérer la Palestine. C’est la raison pour laquelle les Etats-Unis et leurs alliés, dont plusieurs régimes arabes, fustigent l’Iran, en le présentant, au sein du monde arabe, comme l’ «ennemi des Arabes et des musulmans».

Pour en revenir aux ficelles attachées à la fameuse «aide à la reconstruction», je ne pense pas qu’il y ait un seul Palestinien qui soit doté d’un minimum de dignité et qui pourrait les accepter ?! Pourquoi devrions-nous accepter une aide conditionnée à l’idée que ce qui est arrivé à Gaza était une catastrophe naturelle – par opposition à la réalité, c’est-à-dire un désastre délibérément provoqué par l’Etat d’Israël afin d’anéantir la résistance et la société palestiniennes ?

Si la population de Gaza a été punie, c’est en raison de son choix démocratique, en 2006, d’un parti, le Hamas, qui ne soutient pas les accords d’Oslo, et prône le droit au retour de tous les réfugiés palestiniens.

Bien que je ne soutienne pas le Hamas idéologiquement, c’était le choix démocratique du peuple palestinien. Et la majorité de ceux qui ont porté le Hamas au gouvernement n’étaient pas des partisans du Hamas, mais des gens désireux de voter pour une organisation qui ne fût pas corrompue et qui ne soutînt pas les accords d’Oslo.

Depuis le début du «processus de paix» d’Oslo, en 1993, et jusqu’à-présent, nous n’avons toujours pas vu d’Etat palestinien indépendant. Au contraire : Israël a augmenté le nombre des colons vivant en Cisjordanie, qui est passé de 190 000 à plus d’un demi-million, et il a exproprié plus de 25 % des terrains de la Cisjordanie en érigeant le mur d’apartheid, en étendant le Grand Jérusalem et en agrandissant les colonies juives existantes, en Cisjordanie.

Par conséquent, Israël a rendu impossible l’établissement d’un Etat palestinien indépendant sur 22 % de la Palestine historique. Je pense que les Palestiniens du peuple en ont conscience, c’est la raison pour laquelle ils soutiennent la résistance – non seulement le Hamas, en tant qu’organisation, mais toutes les organisations de résistance, comme le Front Populaire de Libération de la Palestine, les Comités Populaires de Résistance, le Jihad islamique, etc…

Eric Ruder : Pendant longtemps, le présupposé, dans les cercles diplomatiques israélien, américain et palestinien, c’était qu’il y avait un progrès vers la mise en application d’une solution à deux Etats. L’élection du nouveau gouvernement israélien – avec Benjamin Netanyahu, du Likoud, au poste de Premier ministre, un gouvernement marqué par un racisme anti-arabe extrémiste et un rejet ouvert de la solution à deux Etats, en faveur d’une vision d’un «Grand Israël» - semble marquer un réel tournant. Quelles en seront, à votre avis, les conséquences ?

Haidar Eid : Israël a d’ores et déjà rendu impossible la solution à deux Etats, et nous avons absolument besoin de débattre d’un programme alternatif à cette fiction qu’est la «solution à deux Etats». La première chose à faire, c’est démanteler l’Autorité palestinienne.

L’Autorité palestinienne est un produit des accords d’Oslo, et elle envoie un message erroné tant à la communauté internationale qu’aux mouvements de solidarité dans le monde entier. L’existence de l’Autorité palestinienne suggère l’idée qu’existent, en Palestine, deux camps de force comparable – l’Etat israélien, avec son armée, et l’Autorité palestinienne, avec son armée.

Pour corriger cette équation, il faut absolument se débarrasser de l’Autorité palestinienne. La relation existante n’est absolument pas une relation entre égaux, mais entre un occupant et un occupé, entre un oppresseur et un opprimé.

En démantelant l’Autorité palestinienne, les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie peuvent former un front national qui dirigerait la résistance palestinienne à l’occupation – comme celle que nous avons eue, durant la première Intifada, en 1967.

Le massacre de Gaza a été comme une sorte de tsunami politique, qui devait changer la carte de la totalité du Moyen-Orient, et pas seulement celle de la Palestine. Ce massacre a montré à tous que les accords d’Oslo sont un faux : ils n’ont jamais visé à aboutir à la création d’un quelconque Etat palestinien indépendant, et ils n’ont jamais défendu la sécurité des civils palestiniens de Gaza et de Cisjordanie.

En fin de compte, ils ont abouti à faire de Gaza le plus grand camp de concentration au monde. Et ils ont abouti à faire de la Cisjordanie trois bantoustans –un au nord, incluant Qalqiliya, Jénine et Tulkarem, un autre, au milieu, avec Ramallah, et un troisième, au Sud, avec Hébron et Bethléem.

La plupart des Palestiniens en ont aujourd’hui conscience, et ils sont bien plus déterminés que leur leadership, pour une raison très concrète : parce que les accords d’Oslo ont créé une nouvelle bourgeoisie palestinienne, dont les intérêts sont liés à la poursuite de l’occupation israélienne et à la protection des intérêts américains au Moyen-Orient.

Le problème, je pense, c’est qu’il n’y a pas une seule organisation politique, chez les Palestiniens, qui préconise clairement la création d’un Etat démocratique laïc dans la Palestine historique, sur le modèle de l’Afrique du Sud ou de l’Irlande du Nord. C’est ça, le problème : nous avons besoin d’une organisation politique qui en appelle à un Etat pour tous ses citoyens, sans considération aucune pour la religion, les sectes et l’ethnicité.

Je pense que nous nous acheminons vers une troisième Intifada, qui va largement dépendre de la résistance commune du peuple palestinien et, de manière cruciale, du soutien d’un mouvement de BOYCOTT, de DESINVESTISSEMENTS et de SANCTIONS (BDS) à l’encontre d’Israël organisé à l’échelle mondiale.

Pour ne citer que quelques-uns des exemples corroboratifs de militantisme en faveur des BDS dans le monde entier, il y a eu plus de vingt-huit campus universitaires occupés par les étudiants, en Grande-Bretagne, plusieurs campus occupés aux Etats-Unis et la décision prise par le Hampshire College de désinvestir d’Israël ; mentionnons aussi diverses actions de groupes de solidarité en Afrique du Sud.

Nous voulons former une campagne internationale de BDS sur le modèle du mouvement anti-apartheid qui a fini par entraîner la fin du pouvoir blanc en Afrique du Sud, en 1994, et à la libération de Nelson Mandela, en 1990.

Eric Ruder : Il semble y avoir un réel enthousiasme pour bâtir un tel mouvement afin de défier l’occupation israélienne et de développer une solidarité significative avec la cause palestinienne. Mais certaines personnes continuent à se demander si une campagne de BDS aboutirait à supplanter l’«engagement constructif» qui est sans doute essentiel à une solution au conflit ? Qu’en pensez-vous ?

Haidar Eid : La question du dialogue entre Israël et les Palestiniens peut être réglée ainsi : depuis 1993, il y a eu des négociations entre Israël et l’Autorité palestinienne, et le résultat, c’est : un massacre, à Gaza !

Et – principe de base – il est absurde, à mes yeux, d’avoir un «dialogue» avec une force occupante d’une supériorité infinie, sans prendre en considérations les moyens par lesquels la résistance pourrait créer les conditions nécessaires pour une avancée minimale dans ledit dialogue.

Le philosophe français Michel Foucault a dit que là où vous avez une autorité et un pouvoir, vous avez aussi une résistance. Un des problèmes inhérents au leadership officiel, en Palestine, c’est le fait qu’il a mis tous ses œufs dans le panier des négociations et du dialogue, sans prendre en considération la question de la résistance.

C’est une des raisons pour lesquelles le Fatah, le courant de Mahmoud Abbas au sein de l’Autorité palestinienne, a perdu les élections. Ce à quoi nous en sommes arrivés, c’est à une situation qui n’est pas sans évoquer l’Afrique du Sud au milieu et à la fin des années 1980, quand les opposants au mouvement anti-apartheid s’étaient déchaînés contre ce mouvement, en particulier après que Ronald Reagan et Margaret Thatcher eurent déclaré que l’Occident se devait d’entretenir des relations avec l’Afrique du Sud, dans le cadre d’une politique d’ «engagement positif».

En réalité, la plupart des militants des associations anti-apartheid et de solidarité ont pensé qu’il était absurde de parler d’un tel engagement, l’équilibre des forces étant ne faveur de l’oppresseur.

La même chose vaut, en Palestine. Quand vous avez des négociations, la partie puissante interprète n’importe quel argument dès lors qu’il est formulé en des termes qui sanctuarisent leurs propres intérêts, et non pas ceux de l’occupé.

En raison du hiatus énorme entre les victimes palestiniennes et les occupants israéliens, nous avons besoin de l’intervention de la communauté internationale, expression par laquelle je désigne non pas des corps officiels, mais des organisations de la société civile, des églises, des mosquées, des clubs, des groupes d’étudiants, des syndicats, etc.

Ce sont ces forces qui ont boosté le mouvement anti-apartheid contre le gouvernement sud-africain, durant les années 1980 et au début des années 1990. Je m’en souviens très bien : quand Nelson Mandela a été libéré de prison, en 1990, il a appelé tous les soutiens des Noirs sud-africains à ne pas relâcher leurs efforts contre l’apartheid, et à ne pas mettre fin au mouvement, tant qu’il n’aurait pas été élu le premier Président d’une Afrique du Sud multiraciale et multiculturelle.

A mes yeux, la même chose peut se produire, en Palestine. En raison de ce déséquilibre des pouvoirs, nous avons besoin de l’intervention de la communauté internationale. Je ne pense pas que les Palestiniens seront capables de se battre seuls contre les Israéliens, parce que personne ne peut combattre une telle force militaire écrasante en étant seul.

Le mouvement anti-apartheid contre le gouvernement sud-africain était basé sur quatre piliers : la lutte armée, la mobilisation de masse à l’intérieur de l’Afrique-du-Sud, le mouvement politique clandestin et le mouvement anti-apartheid mondial.

Malheureusement, le leadership politique, ici, en Palestine – qu’il s’agisse de la droite ou de la gauche, du Hamas, du Fatah ou du Front Populaire de Libération de la Palestine, est dépourvu de cette conscience internationaliste.

Cette dimension internationaliste commence à se manifester ; elle provient des organisations de la société civile. C’est la raison pour laquelle, en 2005, plus de 107 organisations de la société civile palestinienne ont lancé un appel à la communauté internationale – un appel à boycotter Israël et à couper tous liens diplomatiques, militaires et économiques avec l’Israël de l’apartheid.

La seule chose sur laquelle nous puissions compter, c’est le pouvoir du peuple !

Interview de Haidar Eid par Eric Ruder
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier selon SocialistWorker
Publié par ISM.


Haidar Eid, professeur d’anglais, commentateur politique et activiste de longue date, habite à Gaza-Ville. Il a apporté un témoignage oculaire et une analyse de la guerre israélienne à SocialistWorker. Il débattait ici, avec Eric Ruder, de l’occupation israélienne et du combat des Palestiniens pour la justice.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commenter pour enrichir
Le but des commentaires est d'instaurer des échanges à partir des articles publiés par Monde en Question.

Respecter vos interlocuteurs
Appuyer vos commentaires sur des faits et des arguments, non sur des invectives.