Certains croyaient qu'il existait un accord implicite entre les Etats-Unis et la Chine : les premiers acceptaient la sous-évaluation massive du yuan, mais obtenaient en échange de la seconde un financement indéfectible de la dette publique américaine, et la reconnaissance du dollar comme seule vraie monnaie de réserve. On l'a même appelé "l'accord Bretton Woods 2". Or depuis juillet 2008, et jusqu'à la visite du président brésilien Lula à Pékin, hier, tout indique que cet accord, s'il a jamais existé, n'existe plus.
Dès juillet dernier, on vit ses premières fissures. Les dirigeants chinois interrompent, unilatéralement et sans avertissement préalable, le processus de réévaluation très graduel du yuan contre dollar qu'ils avaient accepté sous la pression du Congrès américain (de 8,28 yuans pour 1 dollar en juillet 2005 à 6,85). Quand le cours équilibrant se situe sans doute à 2 yuans pour 1 dollar, on mesure la provocation que cette interruption soudaine signifiait pour les dirigeants américains.
Au même moment, l'organisme qui gère les réserves de change de l'Etat chinois décide de sortir des obligations Agencies (Freddie Mac et Fannie Mae) pour se concentrer sur les seules obligations du Trésor américain. Ils accentuent ainsi la crise des Agencies, et contraignent monsieur Paulson à les nationaliser le 7 septembre pour un coût de 200 milliards de dollars. Un stress qui conduira les dirigeants américains à lâcher Lehman Brothers huit jours plus tard. La Chine ne jouant plus le jeu, la panique s'était emparée de l'administration américaine.
L'arrivée d'Obama à la présidence des Etats-Unis ne ramènera pas la Chine à plus de coopération. En janvier 2009, sans doute pour décourager la nouvelle administration d'exiger une réévaluation du yuan, la Chine interrompt ses achats d'obligations du Trésor à plus de deux ans ; elle ne les reprendra qu'en mars, et pour un montant limité, après que Tim Geithner, nouveau secrétaire au Trésor, a dissuadé publiquement ses partenaires du G7 de réclamer l'inscription du yuan à l'agenda du G20 suivant.
En clair, la Chine entend bien continuer à capitaliser sur son commerce extérieur l'avantage que lui donne la sous-évaluation massive du yuan. Pour autant, elle n'entend plus financer le déficit public américain, ni soutenir le dollar comme monnaie de réserve. En mars, le numéro deux chinois, Wen Jiabao, et le gouverneur de la banque centrale, M. Zhou, dénigraient la capacité du dollar à se maintenir comme monnaie de réserve et pointaient la nécessité de son remplacement à terme par une monnaie non nationale : un nouveau DTS.
Au même moment, la Russie annonçait vouloir remplacer le dollar par une monnaie non nationale avec l'aval des autres pays du BRIC (Brésil, Inde et Chine) ainsi que de la Corée du Sud et de l'Afrique du Sud. D'ailleurs, la Chine et le Brésil, qui ont des réserves de change considérables, ont refusé de s'inscrire comme les pays du G7 dans les accords d'emprunt en dollar du FMI, accords qui visent à protéger de la crise mondiale les pays émergents en difficulté (Mexique, Turquie, Pologne, etc.). S'ils ont consenti le 23 mars à financer le FMI, c'est à la condition expresse que, pour la première fois de son histoire, il se finance par émission d'obligations, et ce libellées en DTS et non en dollar.
Dans le même esprit, la Chine révélait, le 27 avril, que ses réserves d'or s'élevaient, non pas à 400 tonnes d'or comme affirmé depuis 2003, mais en réalité à 1.000 tonnes. Tout est bon pour déconsidérer le dollar et convaincre les pays tiers (les pays du Golfe en particulier) de le répudier comme monnaie de réserve et comme monnaie de règlement. Enfin, dernier coup porté au billet vert, le 18 mai, le Brésil et la Chine, à l'occasion d'un voyage du président Lula à Pékin, annoncaient qu'ils n'utiliseraient plus le dollar comme moyen de règlement dans leurs échanges bilatéraux.
Dans ces grandes manœuvres visant à mettre en cause le privilège du dollar tout en conservant pour elle une monnaie sous-évaluée, la Chine joue donc un rôle central. Une évolution hautement géopolitique. Comme l'a rappelé Adam Poser, du Peterson Institute, "le gouvernement américain a toutes les raisons de croire que le dollar doit rester la devise de référence du commerce international.
C'est une question géopolitique autant que monétaire. Il offre la meilleure sécurité possible aux Etats-Unis dans l'économie mondiale". Les Chinois comme les Russes semblent ne pas avoir oublié que c'est en finançant la guerre des étoiles par le dollar, monnaie de réserve, que les Etats-Unis de Reagan avaient défait l'URSS de Brejnev.
Antoine Brunet
19/05/2009
La Tribune
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