Lors d’un entretien accordé à une publication du Parti Socialiste, Jacques Sapir s’est entendu dire que ses propos ne seraient pas publiés, car contradictoires avec la position du PS. Il prend ici la plume pour dénoncer cette conception du débat public, où seuls seraient acceptables les avis conformes à la ligne. Mais sur le fond, il interprète également cette censure comme une manifestation du refus obstiné des socialistes de revenir sur le choix du libéralisme qui a présidé à la construction européenne et qui a entraîné une régression marquée de la part des salaires en faveur des profits. Pourtant, tant que ce dogme ne sera pas remis en cause toutes les déclarations sur l’Europe sociale resteront selon lui de vaines incantations.
La morale de cette triste et navrante histoire est double et mérite notre attention. Car, si l’on n’y prend garde, elle se répètera.
Sur la forme, en premier lieu, il y a donc bien des choses à dire. Nous sommes ainsi passés de la société de l’information à celle de la communication. Car, il faut prendre au sérieux la réponse qui me fut faite. Il s’agit bien de communiquer et non d’informer.
Si tel avait été le cas, on peut penser que le PS pouvait tolérer, et même, pourquoi pas, (mais si, mais si…) solliciter des avis différents, voire divergents. Mes positions sont connues et je n’en ai point changées. Mais, après tout, rien n’empêchait à un journaliste de ce parti de conclure en rappelant les positions qui sont défendues par le PS à l’occasion des élections européennes.
J’ai déjà donné des interviews sur le même sujet dans de nombreux journaux, dont certains défendent des positions qui ne sont pas les miennes. S’il est bien un principe qui avait toujours – jusque-là – été respecté c’était bien celui de ne pas altérer les idées et la personne que l’on a interviewée.
Ici, et pour la première fois, on demande à un interlocuteur que l’on sait pertinemment ne pas être membre, de prés ou de loin, du PS, de bien vouloir reprendre les positions de ce parti ou de se taire. C’est inouï, et à plusieurs titres.
Cela signifie d’abord un profond mépris pour les opinions de son interlocuteur, qu’elles soient justes ou fausses. Cela signifie ensuite qu’on tient son interlocuteur pour un être vil, prêt à tout pour se voir publié. Cela signifie, enfin, un égal et non moins profond mépris pour ses propres lecteurs, que l’on considère incapable de se faire une opinion par eux-mêmes.
Je n’en veux pas tant à la malheureuse personne qui m’a interviewé, et qui manifestait une certaine sympathie pour mes propos, qu’à ceux qu’elle a désignés pas le joli mot de ses « supérieurs ». Si c’est ainsi qu’ils conçoivent leur métier de journalistes en confondant celui-ci et la « communication », nous sommes donc rendus bien bas. Mais, si cela veut dire qu’ils considèrent que la presse partisane, dans le sens originel du terme soit la presse d’un parti, comme se devant de n’avoir qu’un visage et qu’un verbe à la gloire de ce dit parti, nous sommes en fait encore rendu plus bas.
Dans ce cas, cela traduit une profonde dérive anti-démocratique de ce parti.
Nous savions la Droite inféodée au pouvoir de l’argent. Nous connaissions les figures imposées de la presse stalinienne, même si aujourd’hui il s’agit d’un passé heureusement révolu. Que de telles pratiques soit le fait d’un parti qui a toujours prétendu conjuguer socialisme et démocratie est un triste spectacle. Même si ce parti n’a sans doute plus rien à voir avec le socialisme, on pouvait croire à son attachement à la démocratie. On s’est trompé. Le stalinisme n’est pas mort, mais il a migré vers d’autres cieux politiques. C’est bien à un cas exemplaire de ce que j’ai appelé le « libéral-stalinisme » que l’on est confronté.
Lire le coup de gueule de Jacques Sapir publié par ContreInfo. Ce texte circule sur Internet via l'info mailing list europeennes-news.com.
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