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27 août 2010

Je vois ce que je crois


L'expérimentation montrée dans ce film reprend le principe de celle effectuée par François Le Poultier en 1987, en France, à Caen.
Les sujets voient un film de cinq minutes dans lequel deux femmes discutent. Ils n'entendent pas ce qu'elles disent.
À certains sujets (groupe contrôle), on dit que ce sont deux amies qui discutent.
À d'autres (première condition expérimentale), on indique que la femme de gauche est assistante sociale et que celle de droite est un cas social qui vient demander de l'aide.
À d'autres enfin (deuxième condition expérimentale), on dit l'inverse : la femme de gauche est un cas social qui vient demander de l'aide et celle de droite est assistante sociale.
Après le film, tous les sujets remplissent une grille d'évaluation constituée de 40 traits de personnalité positifs et négatifs. Les sujets ont pour tâche de cocher les traits qui leur semblent le mieux correspondre à la personnalité de chacune des deux femmes.
On constate que les sujets perçoivent les deux femmes en fonction de l'étiquette que l'on a "collée" sur chacune d'entre elles.

Canal-U - Université Ouverte des Humanités
Une expérience sur le même thème fut publiée aux États-Unis en 1973 dans la revue Science [1]. Il s'agissait de s'interroger sur la santé mentale et la folie et, plus globalement, sur les concepts de normalité et d'anormalité.
L'expérience a consisté à faire admettre huit personnes (un étudiant en psychologie, trois psychologues, un pédiatre, un psychiatre, un peintre et une ménagère) mentalement saines (ne souffrant pas et n'ayant jamais souffert de troubles psychiatriques) dans des hôpitaux différents, sans qu'aucun membre du personnel hospitalier ne soit au courant de l'expérience.
Voici un résumé des conclusions :
Une fois classé comme schizophrène, le faux patient ne peut, quoi qu'il fasse, se débarrasser de cette étiquette qui influence profondément la façon dont les autres le perçoivent, lui-même et son comportement. De nouveau, au sens tout à fait propre du terme, une «réalité» a été construite.

Une fois qu'un individu a été caractérisé comme anormal, l'ensemble de ses comportements et des autres aspects de sa personnalité est marqué par cette étiquette ; cette classification est en effet si puissante que beaucoup de comportements normaux des faux patients n'étaient pas perçus du tout ou étaient complètement déformés de façon à les faire entrer dans le cadre de la réalité présupposée.

Un diagnostic psychiatrique produit sa propre réalité et, avec celle-ci, ses propres effets. À partir du moment où le patient a été classé schizophrène, on prévoit qu'il le restera. Et, quand, pendant suffisamment longtemps, il n'a rien fait de bizarre, on considère que sa maladie est en rémission et il peut quitter l'hôpital. Mais le diagnostic reste valable après que le patient est sorti, puisqu'on prévoit, sans l'ombre d'une confirmation, qu'il se comportera de nouveau comme schizophrène. La classification qu'établissent les spécialistes des maladies mentales a autant d'influence sur le patient lui-même que sur sa famille et ses amis, et, comme, on peut s'y attendre, le diagnostic a sur eux l'effet d'une prédiction qui se vérifie elle-même. Finalement, le patient accepte le diagnostic avec tout ce qu'il signifie et toutes les prévisions qui s'y rattachent, et se comporte en fonction de celui-ci. Il s'adapte à la construction d'une «réalité» interpersonnelle.
Il est pour le moins curieux que la critique de la catégorisation ne soient pas appliquée en France aux stéréotypes homme-femme, stéréotypes construits par les hommes et par les femmes de soi (stéréotypes construits par les hommes sur les hommes et par les femmes sur les femmes) et de l'autre (stéréotypes construits par les hommes sur les femmes et par les femmes sur les hommes). Cela fera prochainement l'objet d'une série d'articles.

15/08/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
Dossier documentaire & Bibliographie Constructivisme, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie Psychologie sociale, Monde en Question.

[1] ROSENHAN David, «Être sain dans un environnement malade» in WATZLAWICK Paul (sous la direction de), L'invention de la réalité - Contributions au constructivisme [1981], Seuil, 1988 p.131 à 160 [Points Seuil, 1996].

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