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5 octobre 2010

Féminisme réactionnaire


Sakineh Mohammadi-Ashtiani, condamnée pour le meurtre de son mari mais non exécutée au pays des fondamentalistes islamiques, "suscite une forte émotion en Occident" alors que Teresa Lewis, condamnée pour le meurtre de son mari et exécutée au pays des fondamentalistes chrétiens, n'a suscité aucune réaction en Occident.
Plusieurs manifestations de soutien à Sakineh Mohammadi-Ashtiani, l'Iranienne condamnée à mort par lapidation pour adultère et meurtre et dont le sort suscite une vague d'émotion en Occident, se sont tenues samedi dans toute la France.
Le Point
Les organisatrices Ni putes ni soumises, la Ligue du droit international des femmes et le Mouvement pour la paix et contre le terrorisme font preuve comme d'habitude d'une compassion bien sélective et bien réactionnaire. Car, sous prétexte de défendre la cause d'une femme, il s'agit de se ranger derrière Israël contre l'Iran.
En France, la mobilisation de la société civile et du monde politique s'est accrue pour sauver cette Iranienne d'un châtiment qualifié de "moyenâgeux" par Nicolas Sarkozy. Le Président a ajouté que la France estimait avoir "la responsabilité" de cette femme. Une pétition a été lancée mi-août, à Paris. Les anciens présidents Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing ont signé ce texte qui reçoit de 1.800 à 2.000 signatures par jour. Téhéran et les pays occidentaux sont engagés depuis 2006 dans un bras de fer sur le programme nucléaire iranien. Le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté quatre séries de sanctions contre l'Iran pour l'obliger à cesser l'enrichissement d'uranium. Jusqu'à présent, il n'a pas cédé.
Le Point
L'Iran comme la Chine font l'objet d'un traitement selon des critères qui ne sont pas appliqués aux pays occidentaux. Ainsi, il serait urgent de défendre le droit des femmes en Iran, mais pas aux États-Unis ! Le féminisme sert en l'occurrence de voile aux vieilles ambitions coloniales européennes.

On oublie facilement le pillage de la Chine pendant un siècle par les puissances occidentales comme on oublie le coup d'État anglo-américain, exécuté par la CIA, pour rétablir le pouvoir du Chah contre Mohammad Mossadegh et préserver ainsi les intérêts occidentaux dans l'exploitation des gisements pétrolifères iraniens [1].

France Culture a organisé une journée politiquement correct pour soi-disant "faire entendre la voix des femmes en Iran". Il suffit d'écouter, dans l'émission Du grain à moudre, les vociférations post-colonialistes de Wassyla Tamzali contre les femmes d'Iran pour se rendre compte de l'hypocrisie de cette opération politico-médiatique. Azadeh Kian, elle, parle des luttes sociales des femmes iraniennes - réalité totalement ignorée par les féministes parisiennes qui prétendent parler au nom des femmes du monde entier [2].

30/09/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
• À propos de Sakineh et de Teresa, L'Expression.
Dossier documentaire & Bibliographie Féminisme, Monde en Question.

[1] Sélection bibliographique :
• TIBON-CORNILLOT Michel, Les guerres de l'opium ou l'écrasement de la Chine, Dedefensa.
• TIBON-CORNILLOT Michel, La Chine en enfer : pillages et génocides blancs, Dedefensa.
L'étendue des désastres liés aux guerres de l'opium, et plus généralement, à la destruction des institutions impériales chinoises est massivement ignorée par la plupart des chercheurs et des hommes politiques français. Ces pillages, famines, répressions, durèrent un siècle, de 1840, la défaite chinoise devant les troupes anglaises, à 1949, l'arrivée des communistes au pouvoir. Les chercheurs anglo-saxons, bien meilleurs connaisseurs de cette période, évaluent le nombre des victimes dans une fourchette oscillant entre 120 et 150 millions en un siècle.
• Mohammad Mossadegh, Wikipédia.
• DIGEARD Jean-Pierre, HOURCADE Bernard, RICHARD Yann Richard, L'Iran au XXe siècle - Entre nationalisme, islam et mondialisation, Fayard, 2007.
On se représente souvent l'Iran comme un empire des Mille et une nuits qu'une révolution aurait fait sombrer dans le Moyen Age. Cet ouvrage en donne une image moins simpliste, celle d'un pays qui a réussi à se libérer de la tutelle de l'Occident alors que ses richesses en pétrole en avaient fait l'objet de toutes les convoitises. Celle d'un pays à la civilisation plusieurs fois millénaire, mais à l'identité complexe puisque les non-Persans y forment près de la moitié de la population. Un pays, enfin, dont l'histoire, depuis la Seconde Guerre mondiale, n'a cessé d'avoir des répercussions bien au-delà de ses frontières, et qui est parvenu à s'imposer comme puissance régionale.
Tout au long du XXe siècle et jusqu'à nos jours, l'Iran a surmonté tant bien que mal de nombreuses crises qui, paradoxalement, lui ont permis de se construire une nouvelle identité. Les aspirations démocratiques sous les Qâjar, l'autoritarisme réformateur de Rezâ Shâh, le nationalisme intransigeant de Mosaddeq, les ambitions modernisatrices de Mohammad-Rezâ Shâh, l'obsession de revanche et les conceptions populistes de Khomeyni et de ses émules ont amené le pays à de douloureuses transitions dont certaines ont constitué de véritables révolutions : mouvement constitutionnaliste, nationalisation des pétroles, réforme agraire, urbanisation, soulèvement islamique.
Loin d'être une survivance du passé, l'Iran apparaît aujourd'hui comme un laboratoire des évolutions du tiers-monde. Alors qu'il doit faire face à de nouvelles menaces à ses frontières, il affiche plus que jamais sa volonté de faire entendre sa voix sur la scène internationale, non sans mêler provocations inutiles et revendications légitimes.
[2] Sélection bibliographique :
• Journée spéciale femmes d'Iran, France Culture.
• Existe-t-il un féminisme islamique ?, Du grain à moudre.
• KIAN-THIÉBAUT Azadeh, Bio-blibliographie, Département de Science Politique - Université Paris 8.
• KIAN-THIÉBAUT Azadeh, Articles, Abstracta Iranica - Libération.
• KIAN-THIÉBAUT Azadeh, L'Islam, les femmes et la citoyenneté, Pouvoirs n°104, 2003.
• KIAN-THIÉBAUT Azadeh, Le féminisme et l'islam, La vie des idées, 2007.
• KIAN-THIÉBAUT Azadeh, Les femmes iraniennes entre Islam, État et Famille, Maisonneuve et Larose, 2002 [BiblioMonde].
Vingt-trois ans après son avènement, la République islamique d'Iran doit faire face à un peuple qui, dans sa majorité, ne s'identifie pas avec le projet de société des partisans du Guide suprême, dont l'islamisation des institutions et des lois constitue le principe fondamental.
Ce livre, fondé largement sur des enquêtes de terrain en Iran, souligne la contribution des femmes iraniennes au rejet de l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques. Elles sont les principales protagonistes de changement et vectrices des valeurs de la modernité mondiale. L'idée motrice de ce travail est de réfuter une distinction catégorique entre les mondes occidental et musulman, qui a resurgi en échos médiatique et propagandiste aux appels de Georges Bush et de Ben Laden. Les changements fondamentaux survenus au sein de la société iranienne devenue moderne dans son ensemble, les luttes des femmes pour obtenir des droits égaux, la nouvelle dynamique familiale, les changements démographiques, et les nouveaux comportements politiques sont autant d'éléments qui confortent cette idée. Face à ceux qui utilisent l'islam pour justifier les discriminations sexuelles et conforter la logique patriarcale et la domination masculine, les femmes iraniennes se nourrissent de la même religion pour contester les rapports sociaux de sexe, à travers sa ré-interprétation au féminin. Conscientes du chemin à parcourir mais encouragées par les résultats de leurs luttes, les femmes, laïques comme religieuses, contribuent à la construction sociale de la laïcité et à l'avènement d'un système démocratique qui a pour condition préalable la séparation des sphères religieuse et politique.

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