Comme la gauche occidentale s'est enfermée dans une sinophobie politiquement correcte à la Defoe, qui affirmait que les Chinois ne sont, je l'ai vu, je le sais qu'un misérable troupeau d'esclaves ignorants et sordides, assujettis à un gouvernement bien digne de commander à un tel peuple [1], l'Église catholique phagocyte les célébrations du 400e anniversaire de la mort de Matteo Ricci [2].
Au Mexique, Dominicains, Franciscains et Jésuites rivalisèrent pour évangéliser les survivants des massacres coloniaux. Les Jésuites, arrivés plus tardivement (en 1572), développèrent leur manière de faire : maîtrise et promotion des langues indigènes, étude et préservation des coutumes locales, mise en place d'une organisation sociale et progrès économique des communautés autochtones. Il s'agissait de réduire les effets de la colonisation sans toucher aux intérêts économiques des colons, qui les chasseront quand même vers 1767.
En Chine, les Jésuites adoptèrent une stratégie plus élitiste car aucun conquistador n'avait soumis au préalable le Pays du Milieu. L'ambition des missionnaires fut donc de séduire les lettrés chinois afin qu'ils deviennent à leur tour des propagandistes du christianisme. Cette stratégie, œuvre essentiellement de Matteo Ricci, fut un échec. La conversion de quelques lettrés au christianisme, comme Xu Guangqi, eut des effets plus que limités.
Pour convaincre les lettrés chinois, Matteo Ricci, lettré de la Renaissance italienne et formé dans la meilleure école de sciences et de mathématiques d'Europe, assimila la culture chinoise. Il a appris la langue chinoise (orale et écrite) et s'est conformé aux mœurs chinoises (en matière vestimentaire par exemple).
Précurseur de l'échange des savoirs entre la Chine et l'Europe, il a traduit en chinois les Principes de Géométrie d'Euclide, écrit un livre sur l'amitié et un manuel sur la théorie de la mémoire, réalisé une carte du globe et inventé la transcription des caractères chinois en lettres latines pour composer le premier dictionnaire chinois en langue occidentale.
Les efforts de Matteo Ricci pour étudier la Chine iuxta propria principia [suivant son propre principe], bien qu'il voulut modifier ses croyances religieuses, sont à souligner d'autant plus qu'ils sont rares.
L'échec de Matteo Ricci est surtout d'ordre philosophique. Il n'a pas compris que la pensée chinoise est totalement étrangère à l'idée de création (le mot n'existe pas) car les chinois pensent en terme de processus [3]. De même, nous utilisons le mot "chose" comme une notion individualisante alors que le chinois dit "est-ouest" (dongxi) c'est-à-dire exprime la tension entre deux pôles.
14/10/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde
Lire aussi :
• Dossier documentaire & Bibliographie Matteo RICCI, Monde en Question.
• Dossier documentaire & Bibliographie Chine, Monde en Question.
[1] DEFOE Daniel, Vie et aventures de Robinson Crusoé, La Pléiade Gallimard, 1959 p.530.
[2] Texte de la conférence du cardinal Rylko sur le P. Matteo Ricci, ZENIT - Le monde vu de Rome.
[3] JULLIEN François, Procès ou Création - Une introduction à la pensée des lettrés chinois, Seuil, 1989 [Dossier documentaire & Bibliographie François JULLIEN, Monde en Question].
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