"Les Egyptiens doivent faire attention à ne pas se faire voler leur révolution", prévient Hassan Nafaa, professeur de sciences politiques à l'université du Caire [Yahoo! Actualités]. Mais c'est déjà fait et tout le monde ou presque est content - surtout les puissances occidentales. Le bal des hypocrites a commencé :
Le conseil suprême des forces armées égyptiennes a annoncé samedi à la télévision d'État que son objectif était de confier le pouvoir à un gouvernement civil et qu'il était lié par les traités internationaux de l'Egypte.L'État d'Israël a peur du changement en cours en Egypte car l'armée avait profité de l'accord de paix avec l'Egypte pour déployer ses troupes au Nord (frontière avec le Liban) et à l'Est (frontière avec la Syrie et la Jordanie) de son territoire. L'armée pourrait être tentée de réévaluer ce dispositif. Mais le gouvernement israélien craint surtout que la vague de soulèvements populaires dans la région pourraient inspirer les Palestiniens qui vivent sous l'occupation depuis plus de 40 ans. Comme le titre Mediapart "Israël n'échappera pas à la révolution du Proche-Orient".
Reuters
«Jour merveilleux pour tous les Egyptiens», «début de la victoire de la révolution», «la voix du peuple» entendue. Sitôt le départ d'Hosni Moubarak annoncé, ce vendredi, les premiers messages de félicitations, mais aussi le souhait inquiet d'Israël pour une transition «sans secousse» en Egypte commencent à tomber.
Libération
12/02/2011
Serge LEFORT
Citoyen du Monde
Lire aussi :
• Le mouvement de révolte contre Moubarak à un tournant ?, Lutte Ouvrière, 11/02/2011.
La "transition démocratique" en chantier ce résume à ceci : l'armée continue à diriger le pays, avec l'appui des États-Unis, en associant les Frères musulmans. Si la population égyptienne peut mettre à l'actif de la mobilisation des contestataires l'affaiblissement du pouvoir de Moubarak, son demi-effacement pour le moment, les changements restent limités. Pour que même les dirigeants du monde impérialiste flirtent avec les mots "démocratie", voire "révolution", en parlant de l'Égypte, c'est que ce qui s'est produit jusqu'ici les gêne sans doute, ne serait-ce qu'à cause de l'exemple que cela donne aux autres pays arabes, mais ne leur fait pas considérer la situation comme dangereuse, ni pour eux-mêmes, ni pour la classe privilégiée égyptienne.• Moubarak poussé par l'armée égyptienne à démissionner, RIA Novosti, 11/02/2011.
Le général [Hassan al-Roueni commandant la garnison du Caire] a fait sa déclaration à l'issue d'une réunion à huit clos du conseil militaire suprême qui s'est tenue sans la participation de Moubarak, chef suprême des armées. A l'issue de la réunion, le porte-parole du conseil s'est exprimé à la télévision nationale: "Le conseil soutient les exigences légitimes de la population, et [a l'intention] de se concentrer sur les mesures destinées à assurer la sécurité de la nation." Le nom de la déclaration, "communiqué n°1", rappelle les documents qui apparaissent généralement après un coup d'État militaire.• Egypte : Hosni Moubarak, président chassé par la rue, Xinhua, 12/02/2011 14h41.
• Egypte : Moubarak, 30 ans au pouvoir, détrôné par 18 jours de contestation, Xinhua, 12/02/2011 15h14.
Vendredi, les protestataires ont marché en direction du palais présidentiel et encerclé la télévision égyptienne, jusqu'à ce que M. Souleimane annonce la démission du président.• Comment l'armée se retrouve à la tête de l'Egypte, Associated Press 12/02/2011 18h29.
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A l'annonce du départ de M. Moubarak, des centaines de milliers d'Egyptiens ont explosé de joie, chantant les louanges de l'armée, qui a su sauvegarder les aspirations de la population.
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La position de l'armée a toujours été cruciale, elle reste le facteur décisif et final de la situation.
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L'opposition égyptienne n'a pas piloté les manifestations de protestation, les dizaines de milliers d'Egyptiens qui sont descendus dans la rue n'avaient pas de leader.
C'est la rue qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir, mais ce sont désormais les généraux qui sont aux commandes. Le soulèvement égyptien a débouché sur la prise du pouvoir officielle par l'armée, conséquence d'une évolution mise en musique au fil de la crise par Moubarak lui-même, mais lourde aujourd'hui d'incertitudes.• Les principaux dirigeants à la tête des forces armées égyptiennes, Associated Press 12/02/2011 18h32.
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Mais tandis que Moubarak s'arc-boutait au pouvoir, l'armée se rapprocha d'une prise de contrôle directe, pour la première fois en près de 60 ans. Même si tous les présidents du pays, depuis la chute du roi Farouk, sont sortis de ses rangs.
Jeudi, le Conseil suprême des Forces armées, principal organe exécutif de l'armée, annonçait à la surprise générale qu'il se réunissait en "session permanente", soit un dispositif de guerre: la télévision publique montrait alors le ministre de la Défense Hussein Tantaoui présidant une réunion d'une demi-douzaine de généraux à l'air sévère et en tenue de camouflage, mais pas de trace du commandant en chef Moubarak. Son tout nouveau vice-président, l'ancien général et chef du renseignement Omar Souleïman, n'était pas là non plus.
Un "communiqué numéro un", formulation évocatrice de coup d'État dans le monde arabe, ne faisait référence ni à l'un ni à l'autre. Le Conseil suprême était réuni, disait-il, pour "discuter des mesures et arrangements à prendre pour garantir la sécurité de la patrie et de ses réalisations et les aspirations du grand peuple égyptien".
Traduction: les généraux sont aux commandes, et ni Moubarak, ni Souleïman, ni le gouvernement...
Voici les principales personnalités à la tête des forces armées égyptiennes :• Egypte : joie et incertitude après le départ de Hosni Moubarak, Xinhua, 12/02/2011 20h20.
- Ministre de la Défense et chef du Conseil suprême des forces armées, maréchal Mohammed Hussein Tantaoui
Né le 31 octobre 1935. A occupé de nombreux commandements dans l'infanterie, et est diplômé en sciences militaires. Il a été attaché militaire au Pakistan et commandant de la Garde présidentielle. Il a servi au combat pendant les guerres de 1956 (crise de Suez), 1967 (Guerre des Six-Jours) et 1973 (Guerre du Kippour).
- Chef d'état-major, général Sami Hafez Enan
Né en février 1948. A commandé les forces aériennes égyptiennes et été attaché militaire au Maroc. Il a notamment combattu pendant la guerre de 1973 contre Israël.
- Chef des forces aériennes, général Reda Mahmoud Hafez Mohammed
Né le 3 mars 1952. A servi pendant la guerre de 1973, pilote d'avions de combat et a occupé de nombreux postes de commandement. Diplômé en sciences militaires, il a également été officier de liaison aux États-Unis.
- Chef des forces navales, contre-amiral Mohab Mohammed Hussein Mamish
Né le 6 août 1948. Diplômé en sciences navales, a été formé aux États-Unis.
- Commandant de la Défense aérienne, général Abdel-Aziz Seif el-Din
Né le 3 juin 1949. A occupé plusieurs postes de commandement, dont une brigade de missiles de la défense aérienne. Vétéran de la guerre de 1973.
Le départ de M. Moubarak a été célébré par une foule en liesse sur la place Tahrir, épicentre des manifestations, et à travers l'ensemble du pays. Les gens chantaient et dansaient dans les rues, des feux d'artifices ont été tirés et des automobilistes klaxonnaient. Mais parralèlement à l'ambiance de fête, la population se pose bien des questions sur la transition.
"Je suis satisfait du départ du président", a affirmé un manifestant, "mais je reste préoccupé par l'éventualité de la formation d'un gouvernement militaire".
Certains s'interrogent par ailleurs sur la volonté et la capacité de l'armée à instaurer la démocratie, et d'autres sur les moyens que l'armée emploiera pour restaurer l'ordre et mener à terme la transition du pouvoir, dans un pays où plus de 50% de la population est illettrée et 40% vit au-dessous du seuil de pauvreté.
Le gouvernement futur devra faire face à de colossaux problèmes sociaux et économiques, et notamment combler le fossé entre les pauvres et les riches et infléchir l'augmentation des prix des aliments.
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Les bouleversements intervenus en Egypte suscitent l'inquiétude en Israël, où certains craignent que le traité de paix signé en 1979 soit remis en question. Certains analystes prévoient l'émergence d'un "monde différent" dans la région, et que l'état hébreu soit obligé de donner un nouveau cap à ses politiques régionales.
"C'en est fini. L'Egypte ne sera plus jamais une super puissance (régionale)", a affirmé Zvi Mazel, ancien ambassadeur d'Israël au Caire. "L'Egypte a complètement perdu son statut dans la région, alors que la Turquie et l'Iran sont en ascension. Un monde différent est actuellement en train de se dessiner", a-t-il déclaré à Ynet, un médial local.
D'autres pays de la région du Moyen-Orient craignent que la vague de protestations populaires gagne d'autres parties de la région.