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5 mars 2011

L'effarement d'Israël


C'est ce qui s'appelle un état de sidération. Depuis les débuts tunisiens de ce printemps arabe et depuis, surtout, que le président égyptien avec lequel ils entretenaient des liens tellement étroits est apparu menacé, les Israéliens semblent frappés de paralysie intellectuelle, plongés qu'ils sont dans un mutisme effaré rompu seulement par de rares et incohérentes déclarations.

Hormis quelques personnalités intellectuelles et Shimon Pérès, prix Nobel de la paix et chef de l'Etat sans pouvoir, qui ont applaudi ce vent de liberté, c'est le silence radio à Jérusalem, comme si ni la gauche, ni le centre, ni la droite au pouvoir ne savaient que penser et, de fait, ils ne le savent pas. On aurait pu imaginer que la gauche profite de ce printemps pour se remobiliser et sommer la coalition gouvernementale de tendre la main aux manifestants arabes mais cette gauche éclatée n'a plus de troupes depuis que l'impasse du processus de paix a découragé et dispersé le camp de la paix israélien. Autrefois si militante et ardemment pacifiste, la jeunesse israélienne s'est réfugiée dans l'individualisme et ne croit plus qu'au plaisir et à la réussite individuelle quand elle n'émigre pas purement et simplement.

Le centre alors, plus fort et premier des partis en nombre de députés, aurait pu presser Benjamin Netanyahu de relancer les négociations avec les Palestiniens mais on ne l'entend pas car il est bien conscient que, dans un paysage régional aussi bouleversé, il ne peut pas seulement s'agir de faire miaintenant ce qu'il aurait souhaité qu'il soit fait plus tôt. Le centre se tait parce que, sans certitude que l'Egypte, la Jordanie, l'Arabie saoudite et les pays du Golfe puissent garantir, demain, la coexistence pacifique d'Israël et d'un Etat palestinien, il en vient à considérer que la paix est devenue plus risquée qu'hier.

Quant à la droite, elle est partagée entre ceux qui n'ont jamais voulu de la paix et en voudraient moins que jamais dans ce nouveau contexte et ceux -dont le Premier ministre- qui commencent à mesurer que l'isolement diplomatique d'Israël a toutes chances d'être accru par ce changement de donne régional.

Les faits sont là. Considérant que le statu-quo arabe n'est plus tenable, les Américains ont très vite joué la carte du changement et continuent de le faire. Avec un temps de retard et beaucoup plus d'inquiétude, les Européens se rallient à cette position. L'un dans l'autre, le souci prioritaire des Occidentaux est désormais de consolider leurs positions dans des mondes musulmans en transition vers la démocratie. Ils seront d'autant moins disposés, Américains compris, à laisser leur solidarité avec Israël compromettre les chances qui s'offrent à eux au sud et à l'est de la Méditerranée que l'actuel gouvernement israélien a refusé, depuis deux ans, d'entendre leurs appels au compromis et que l'image internationale d'Israël s'est considérablement dégradée.

Israël doit aujourd'hui repenser toute sa diplomatie car, maintenant que l'islamisme fait moins peur et que l'état de droit et la démocratie vont lentement, très lentement mais tout de même progresser dans la région, il ne pourra plus aussi allégrement ignorer le droit international qu'auparavant. Israël doit accompagner le printemps arabe et vite, très vite, trouver les moyens et la manière de le faire.

Géopolitique

Écouter aussi : Israël face aux révolutions arabes, Du Grain à moudre.
Selon une analyse du célèbre éditorialiste de gauche Gideon Lévy, la révolution Egyptienne est une bonne nouvelle pour le monde entier et aussi pour Israël. Mais ce n'est pas, de loin, ce que semblent penser ses compatriotes, et son gouvernement, qui craignent que la nouvelle donne nuise aux intérêt de leur pays car la "rue arabe" est solidaire du peuple palestinien et hostile à Israël. Et puis quel le rôle seront appelés à jouer les mouvements d'opposition islamistes dans les transitions politiques à l'œuvre ?
Lire aussi :
Chronique Colonisation de la Palestine 2011, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie Palestine/Israël, Monde en Question.
• L'actualité des podcasts
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Dossier Guide des ressources documentaires, Monde en Question.

4 mars 2011

Obsolescence de l'information


Avant de publier la critique d'un article de Wallerstein, j'ai voulu relire une dépêche de l'agence Reuters publiée par Yahoo! Actualités le 13/02/2011. Or le lien n'existait déjà plus. C'est un problème récurrent sur le web où l'information est rapidement obsolète.

Chaque média pratique une politique différente de conservation et la change sans préavis. Ainsi, les articles du Monde deviennent normalement payants quinze jours après leur publication. Or, il est possible de lire certains articles de 2006, par exemple, sur l'affaire des caricatures [1].

On peut en partie contourner cet inconvénient en cherchant le titre de l'article ("Les révolutions ne garantissent pas la démocratie") car, comme les médias dominants pratiquent le copier-coller des dépêches d'agence, on peut retrouver la trace de quelques-unes de ces copies [2].

On peut encore utiliser la fonction cache de Google si elle existe pour la source originale. Ce qui est le cas dans notre exemple : Yahoo! Actualités.

La solution la plus sûre reste d'enregistrer une copie sur son disque dur des articles importants, ce que j'avais fait, pour ne pas subir les aléas de la conservation sur le web qui, quoiqu'on en dise, n'est pas un outil fiable pour trouver une information précise car la loi du marché des médias dominants pèse de plus en plus.

02/03/2011
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi : Dossier documentaire & Bibliographie Médias, Monde en Question.

[1] Trois articles de 2006 en libre accès :
• Caricatures libres, Le Monde, 02/02/2006.
• Caricatures de Mahomet : le monde musulman s'enflamme, Le Monde, 03/02/2006.
• Caricatures de Mahomet : montrer ou pas ?, Le Monde, 03/02/2006.
Lire aussi : Affaire des caricatures, Monde en Question.
[2] Quelques copier-coller :
20 minutes avec surtitres différents
Free Actualité
L'Express
La Tribune
NouvelObs
Paris-Normandie

2 mars 2011

Les impasses de Wallerstein


Immanuel Wallerstein est admiré comme un sociologue proche du mouvement altermondialiste. Ses analyses ne sont pourtant pas toujours à la hauteur de sa réputation, à propos de la Chine (nous y reviendrons) ou de qu'on nomme le monde arabe. Son dernier commentaire, traduit en français, révèle des failles [1].

La première faille de Wallerstein concerne l'impasse du colonialisme :
La Révolte arabe de 1916 avait été conduite par Chérif Hussein ibn Ali pour arracher l'indépendance arabe à l'empire ottoman. Les Ottomans furent évincés. Cette grande révolte avait, toutefois, été cooptée par les Britanniques et les Français. Après 1945, les différents États arabes devinrent progressivement membres indépendants des Nations unies. Mais dans la plupart des cas, ces indépendances furent cooptées par les États-Unis, ceux-ci étant devenus les successeurs de la Grande-Bretagne comme puissance tutélaire extérieure, tandis que la France continuait de jouer un rôle seulement au Maghreb et au Liban.
Wallerstein ne précise pas que les puissances impérialistes britannique et française se sont partagées les dépouilles de l'empire ottoman en occupant les territoires arabes (Syrie, Palestine, Liban, Irak, Arabie) avec la complicité de la Société des Nations. La France s'était emparée de l'Algérie en 1830 et de la Tunisie en 1881 et la Grande-Bretagne de l'Egypte en 1882.

La deuxième faille de Wallerstein concerne l'impasse de l'État d'Israël dans son décompte des gagnants et des perdants :
Mais qu'en est-il des puissances extérieures, lourdement impliquées dans des tentatives visant à contrôler la situation ? Le principal acteur extérieur sont les États-Unis. Un deuxième est l'Iran. Tous les autres (la Turquie, la France, la Grande-Bretagne, la Russie, la Chine) sont moins importants mais néanmoins significatifs.
Wallerstein oublie de mentionner que l'État d'Israël a peur du changement en cours au Moyen Orient car il redoute que la vague de soulèvements populaires dans la région puissent inspirer les Palestiniens qui vivent sous l'occupation depuis plus de 40 ans. [2]. C'est pourquoi le gouvernement israélien a soutenu Hosni Moubarak comme il avait soutenu le régime de l'Apartheid en Afrique du Sud... jusqu'à la dernière seconde.

La troisième faille de Wallerstein concerne sa référence convenue aux "peuples arabes" :
Et bien entendu, les plus grands gagnants de la deuxième Révolte arabe seront, avec le temps, les peuples arabes.
Wallerstein, obnubilé par le jeu géopolitique des puissances régionales et mondiales au Moyen Orient, oublie de rappeler que, s'ils font les révolutions, les peuples restent exclus du pouvoir [3].

28/02/2011
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi : Dossier documentaire & Bibliographie Immanuel WALLERSTEIN, Monde en Question.

[1] Immanuel WALLERSTEIN, La deuxième Révolte arabe : gagnants et perdants, Fernand Braudel Center, 01/02/2011.
[2] Lire aussi :
• Revue de presse Egypte, Monde en Question, 07/02/2011.
• Serge LEFORT, Le changement dans la continuité en Egypte, Monde en Question, 12/02/2011.
[3] Lire aussi :
• Serge LEFORT, Le spectre d'une révolution sociale, Monde en Question, 07/02/2011.
• Les révolutions ne garantissent pas la démocratie, Reuters-Yahoo! Actualités, 13/02/2011.

1 mars 2011

Augmenter les salaires serait "la dernière bêtise à faire"


Sur Europe 1, le patron de la banque centrale européenne a déclaré : "Nous ne pouvons rien contre l'augmentation immédiate des prix du pétrole ou des matières premières. Mais en revanche, nous devons éviter à tout prix ce que nous appelons les effets de second tour, c'est-à-dire que les autres prix se mettent à bouger". Jean-Claude Trichet a précisé qu'il entendait par là "tous les autres prix, y compris bien entendu les salaires".


L'objectif de Jean-Claude Trichet est de bloquer les salaires alors que les prix à la consommation augmentent. Cet objectif correspond exactement à celui de Patrick Artus, responsable de Natixis, exposé dans une note confidentielle.
En clair, ce sont donc les salariés qui devraient supporter les effets des hausses des prix des matières premières par une baisse de leur pouvoir d'achat.

01/03/2011
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

28 février 2011

Un printemps arabe

-
1959 - 2000

L'Express a publié le 18/01/2011 un article intitulé "Après la Tunisie: un printemps arabe ?", L'auteur faisait explicitement référence au livre de Benoist-Méchin publié en 1959 [1] :
Au terme d'un long périple en Orient, Benoist-Méchin écrivait en exergue de son Printemps arabe (1959) : "Le monde se transforme plus rapidement qu'on ne le croit et rejette comme des épaves tous ceux qui ne se transforment pas au même rythme que lui."
L'auteur aurait pu citer le paragraphe entier et éviter ainsi de faire un contresens :
Tranformé et libéré d'une foule de conceptions que je croyais encore vivaces, mais que le temps avait desséchées et rendues caduques. Il faut s'incliner devant l'évidence : le monde se transforme plus rapidement qu'on ne le croit et rejette comme des épaves tous ceux qui ne se transforment pas au même rythme que lui. Il faut un certain effort pour le faire et pour le dire. Mais, comme l'a écrit le Prophète : "Rien n'est plus méprisable que ceux qui savent et ne disent pas, si ce n'est ceux qui disent et ne font pas." Le courage n'est qu'un prolongement de la lucidité.
Op. cit. p.15
Le voyage au Moyen-Orient, réalisé par Benoist-Méchin entre le 17 décembre 1957 et le 30 avril 1958, fut son "chemin de damas". Benoist-Méchin convertit son admiration pour l'Allemagne nazie en une passion pour le monde arabe comme le fera Jean Genet un peu plus tard [2].

La majorité des journalistes, qui reprennent par copier-coller l'expression un "printemps arabe", ignorent que Benoist-Méchin évoquait non pas un changement du monde arabe, mais le sien vis-à-vis de la réalité découverte au cours de son voyage :
Les quatre mois que j'ai passés en Orient ne m'ont pas seulement beaucoup appris sur le monde arabe et l'Islam. Ils m'ont amené à m'interroger sur moi-même, sur mon pays, sur cette civilisation occidentale dont j'étais un des héritiers. [...] Pourquoi ne pas l'avouer ? Les assises de ma pensée en ont été ébranlées. Certaines notions, auxquelles je me référais habituellement et que je ne songeais pas à remettre en question, ont vacillé sur leurs bases.
Op. cit. p.14
N'est-ce pas ce qui arrive au milieu politico-médiatique qui est contraint par les événements à remettre en cause leurs préjugés contre le monde arabe - un monde que l'Europe colonialiste avait figé dans l'orientalisme imaginaire ? Mais à entendre les prêches sur la démocratie, destinés à étouffer les aspirations sociales, on doute que l'Europe ait abandonné son rêve d'une race de Seigneurs.

23/02/2011
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
• Jacques BENOIST-MÉCHIN, Site - Wikipédia - Archives et souvenirs historiques de Jacques Benoist-Méchin.
• Edward SAÏD, L'orientalisme - L'Orient créé par l'Occident, Seuil, 1980 [Monde en Question].
Dossier documentaire & Bibliographie Afrique, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie Colonialisme, Monde en Question.

[1] BENOIST-MÉCHIN, Un printemps arabe, Albin Michel, 1959 réédition 2000 [Population].
Au cours de ce voyage, il visita dans l'ordre : l'Egypte, l'Arabie saoudite, le Koweit, le Liban, la Syrie, la Jordanie, l'Irak et la Turquie.
[2] Jacques Benoist-Méchin, BiblioMonde :
Jacques Benoist-Méchin est, dans les années 1930, un journaliste admirateur de Hitler Pendant la Seconde Guerre mondiale, Il est un des haut dirigeant du ministère des Affaires étrangères du gouvernement de Vichy. Cette collaboration avec le IIIe Reich, lui vaut un procès et une condamnation à mort en 1945 qui ne sera pas exécutée. Emprisonné à Clairvaux, il est finalement gracié en 1953.

27 février 2011

Diplomatie coloniale


Kouchner - Sarkozy - Ben Ali

Boris Boillon a été contraint de présenter des excuses aux Tunisiens à la télévision nationale, samedi, après avoir choqué de nombreuses personnes dans le pays en employant un ton agressif lors de sa première rencontre avec la presse.

Une journaliste a demandé de préciser ses propos à l'ambassadeur qui venait de déclarer que selon lui "la France est mal placée pour donner des leçons dans le domaine de l'état de droit et dans le domaine de la démocratie".

"Non, je ne peux pas expliciter, je dis ce que j'ai à dire et n'essayez pas de me coincer avec des trucs à la con. Voilà, la France n'a pas de leçons à donner, il y a un peuple tunisien qui a montré de manière exceptionnelle, de manière pionnière au 21e siècle ce que c'est que la e-révolution", a-t-il répondu.

"Moi, je ne suis pas là pour faire de la polémique, je ne suis pas là pour créer des problèmes, je suis là, mais pour créer des solutions, donc n'essayez pas de me faire tomber sur des trucs débiles. Franchement, vous croyez que j'ai ce niveau-là, vous croyez que je suis dans la petite phrase débile ?", a-t-il ajouté.

Environ 500 Tunisiens ont manifesté devant l'ambassade de France pour réclamer son départ, dénonçant "son manque de diplomatie" et "son agressivité" lors de cette rencontre avec la presse, a constaté une journaliste de l'AFP.

AFP-France 24

À peine nommé, Boris Boillon, le nouvel ambassadeur de France à Tunis, a donné le ton.

Au lieu du collier de jasmin et des youyous qu'il espérait peut-être, il a été accueilli par des questions de journalistes tunisiens sur Michèle Alliot-Marie, sa ministre, et les rapports déplacés de celle-ci avec des hommes du clan Ben Ali. Et ces questions l'ont visiblement sérieusement agacé... Sarkozyste sur le fond et dans la forme, il a vulgairement envoyé promener tout le monde, arrogance et mépris à l'appui, accusant les uns de tenter « de le faire tomber sur des trucs débiles », rétorquant aux autres : « Vous croyez que j'ai ce niveau-là ? », et tournant le dos à une dernière en lui lâchant, en arabe et grossièrement, « Assez ! »

Pourtant, en acceptant le poste, il acceptait aussi l'encombrant paquet-cadeau des relations entre ses amis et ceux du dictateur tunisien, et les questions étaient plus que légitimes ! Mais qu'attendre d'autre d'un ancien conseiller diplomatique (!) de Sarkozy qui, nommé ambassadeur en Irak en 2009, n'a vu dans ce pays ravagé par la guerre que « le marché du siècle : 600 milliards de dollars », soulignant le rôle positif de l'intervention militaire américaine.

Pour ce qui est de « prendre un nouvel élan, en s'appuyant sur une nouvelle ambition partagée », selon les mots du porte-parole du ministère des Affaires étrangères lors de la nomination de Boris Boillon, cela semble compromis. Suite à son attitude, près de 500 personnes manifestaient devant l'ambassade de France à Tunis, réclamant son départ et brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Casse-toi, pauvre Bouillon » ou encore « Dégagez, petit Sarko ! »

Ce champion de diplomatie s'était aussi répandu, il y a peu, en louanges concernant le dictateur libyen Khadafi, qui d'après lui avait « fait son autocritique » car « dans sa vie on fait tous des erreurs ». Peut-être l'habile Alliot-Marie pourra-t-elle envisager de le nommer ambassadeur... à Tripoli ?

Lutte Ouvrière