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3 mars 2006

La lepénisation des médias

Depuis plus de quatre mois, il ne se passe presque pas un jour sans que les médias ne déversent des propos haineux contre "le monde arabo-musulman". Tout, dans l'actualité internationale et franco-française, est prétexte à vendre l'idée d'un complot terroriste islamique visant à détruire "la civilisation occidentale".

En juillet 2004, les médias avaient accrédité le mythe d'une agression antisémite dans le RER D sans aucune preuve et avant même que la police ne termine l'enquête préliminaire [1]. Confrontés à la réalité des faits, les mêmes ont justifié cette campagne odieuse en affirmant sans rire que, si le crime n'avait pas eu lieu, il aurait pu avoir lieu !

Depuis le 21 février, les médias accusent Fofana d'avoir torturé et tué Ilan Halimi parce qu'il était juif. Comme dans l'affaire d'Outreau, la présomption d'innocence n'existe pas pour ceux qui font du chiffre d'affaire en instrumentalisant les préjugés du nouvel ordre moral ou du racisme anti-arabe qui animent les élites de droite et de gauche.

Aujourd'hui, alors que les enquêtes policière et judiciaire sont en cours, les médias ont délibérément choisi l'ignoble posture d'accusateur public. Fofana est coupable parce qu'il est antisémite ! La seule preuve des médias-procureurs repose sur les allégations de la mère d'Ilan Halimi, faites au quotidien israélien Haaretz [2] et relayées par Roger Cukierman, le président du CRIF, au cours du dîner annuel de cette association communautaire.

Plus encore que dans l'affaire du RER D, les médias et les politiques font la course à l'accusation sans preuve sous prétexte de dénoncer l'antisémitisme. Ainsi, Malek Boutih, secrétaire national du PS chargé des questions de société, a déclaré : "Il est certain qu'il s'agit d'actes de crapulerie antisémites." Le Nouvel Observateur du 21 février.

Le meurtre d'Ilan Halimi est crapuleux, mais ne justifie pas le recours à la délation revancharde comme l'a fait, par exemple, Eric Zemmour dans l'émission Ça se dispute du 24 février sur iTélé : "il y a dans les banlieues un terreau antisémite" [3]. Cet amalgame est crapuleux comme le furent les commentaires à propos de l'explosion sociale dans les banlieues à la suite de la mort de deux jeunes à Clichy-sous-Bois.

Ce meurtre prend des dimensions politiques plutôt cocasses. Ainsi, le très démocratique Laurent Gbagbo, maintenu au pouvoir en Côte d'Ivoire par l'armée française, remercie ses maîtres à Paris en signant l'extradition de Fofona, qui sera ramené en France à bord d'un Airbus de l'armée française. Plus drôle encore, on nous assure qu'il s'agit d'un "vol régulier" de l'armée entre les deux pays...

En 1999, Benjamin Stora publia un livre [4] très éclairant sur les racines du racisme anti-arabe en France. À cette époque, qui paraît bien lointaine, seule l'extrême-droite revendiquait le discours contre "le monde arabo-musulman" au nom de "la civilisation occidentale". Aujourd'hui, ce discours, devenu un lieu commun dans les médias, gangrène la société.

Serge LEFORT
3 mars 2006


[1] Sur la fausse agression antisémite dans le RER D :
• 14/07/2004, Serge LEFORT, Le racisme ne se divise pas, Monde en Question.
• 18/07/2004, Serge LEFORT, Analyse d'une dérive – Le cas Libération, Monde en Question.
[2] Mme Halimi, la mère d'Ilan, a déclaré au quotidien israélien Haaretz : "Si Ilan n'avait pas été juif, il n'aurait pas été assassiné". Le Nouvel Observateur du 20 février.
[3] Dire, comme Richard Séréro, secrétaire général de la LICRA, que "l'antisémitisme est en évolution exponentielle" alors que les violences antisémites ont chutés de 46% en 2005, relève du mensonge. Le Nouvel Observateur du 21 février.
[4] Benjamin STORA, Le transfert d'une mémoire - De l'«Algérie française» au racisme anti-arabe, La Découverte, 1999.

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