LECOUR-GRANDMAISON Olivier, Coloniser - Exterminer Sur la guerre et l’État colonial, Fayard, 2005.
Les conflits coloniaux du XIXe siècle ont vu naître des logiques qui ont ravagé le monde du XXe siècle
«Messieurs, voilà la colonisation ! Elle ne crée pas immédiatement les richesses, mais elle crée le mobile du travail ; elle multiplie la vie, le mouvement social ; elle préserve le corps politique, ou de cette langueur qui l’énerve, ou de cette surabondance de forces sans emploi, qui éclate tôt ou tard en révolutions et en catastrophes.» Ces quelques phrases, écrites par Lamartine en 1834, rappellent à quel degré s’était implantée dans les têtes des parlementaires français la croyance d’une "nécessité" : celle de la colonisation de l’Afrique. De la fin de la régence d’Alger jusqu’à la reddition d’Abd el-Kader, cette "nécessité" a justifié, nous le savons, les pires exactions.
Pour comprendre la colonisation, explique Olivier Le Cour Grandmaison, ce que dit Lamartine doit cependant être conjugué au contenu d’une note militaire rédigée quelque cent vingt-deux ans plus tard, soit en 1956 : Bugeaud, le grand vainqueur de l’Algérie, l’a dit avant nous, «le seul moyen de faire céder (les rebelles) est de s’attaquer à leurs intérêts, leurs femmes au premier plan» [1]. Si, comme l’affirme le politologue, «il ne s’agit pas d’affirmer que, de 1830 à 1962, le "même" fut toujours à l’oeuvre», force est de constater l’étonnante continuité de certaines logiques et pratiques, seules à même de rendre compte de «la réitération des massacres perpétrés» par les hommes durant les deux derniers siècles. D’abord, empire et extermination - à condition de redonner à ce terme son sens d’avant la Shoah - sont les deux faces de la même médaille coloniale.
Mais Olivier Le Cour Grandmaison va plus loin. Il montre, c’est sa deuxième thèse, et démontre que les principes de la guerre totale mis en oeuvre une première fois lors des guerres coloniales, ont par la suite trouvé d’autres temps et terrains de réalisation. Deux exemples : en juin 1848, les forces de l’ordre ont appliqué contre la population française les "moyens algériens", selon l’expression d’Engels, qui avaient fait le "succès" de certains officiers supérieurs en Algérie ; dans un autre registre, l’internement administratif est «exemplaire, écrit l’auteur, de ce processus qui a vu une mesure d’exception, employée contre les "indigènes", devenir la règle dans l’empire et se banaliser avant d’être intégrée à la législation opposable aux Français résidant en métropole. C’était à la veille de la Seconde Guerre mondiale, puis sous le régime de Vichy ; les réfugiés républicains espagnols, les communistes français, puis, après l’adoption de la loi du 3 septembre 1940, les "traîtres à la patrie" et les juifs étrangers en vertu d’une législation adoptée le 4 octobre de la même année, furent victimes de ces mesures».
Est-ce à dire que, pour Olivier Le Cour Grandmaison, la France serait restée, jusqu’à aujourd’hui, et par le biais de sa juridiction, coloniale ? Bien sûr que non ! Seulement, notre histoire est bien moins sujette à rupture que l’éclatement et la spécialisation universitaire pourraient le faire croire. L’étude "dédisciplinarisée" (un adjectif que Le Cour Grandmaison emprunte à Foucault) qui nous est proposée défend plus simplement cette évidence, voilée sous le vocabulaire d’une époque très friande de philosophie politique : «Les conflits coloniaux menés par les grandes puissances européennes sur divers continents ont été l’occasion d’expérimenter des tactiques et des techniques nouvelles» que nous avons ensuite retrouvées dans des situations pour lesquelles elles n’avaient pas été envisagées. Qu’il s’agisse de la mitrailleuse, inventée en 1884 par les troupes coloniales britanniques, de l’empire ou de l’État d’exception.
Source : Jérôme-Alexandre Nielsberg, l’Humanité, 12 février 2005.
Lire aussi :
• Lounis Aggoun, Billets d'Afrique n°136, mai 2005.
• Nedjma Abdelfettah Lalmi, Cahiers d'études africaines n°179-180, 2005.
Pour aller plus loin :
• Olivier Le Cour Grandmaison, Passé colonial, histoire et « guerre des mémoires », 2006.
Ce texte est une version augmentée de l’article paru dans le n°26 de la revue Multitudes. Télécharger (PDF).
• Entretien avec Olivier Le Cour Grandmaison par Nadjia Bouzeghrane, 2005, Ici & Là-bas.
• Olivier Le Cour Grandmaison, Le négationnisme colonial, 2005, LDH Toulon.
• Olivier Le Cour Grandmaison, Sur la guerre et l’Etat colonial, 2005, Le Monde diplomatique.
• Olivier Le Cour Grandmaison, Le racisme, 2004, Survie Media Télécharger (MP3).
Lire aussi :
• Jean-Charles Jauffret, Au cœur de la guerre d’Algérie, 2004, Le Monde diplomatique.
• Mohamed Harbi : Bilan d'une guerre d'indépendance, conférence de l'Université de tous les savoirs du jeudi 14 mars 2002, Le Monde.
• Mohammed Harbi, Une Vie debout. Mémoires politiques, t. 1 : 1945-1962, Paris, La Découverte (Cahiers libres), 2001,
- REMMM.
- École normale supérieure.
- l'Humanité.
• Histoire et colonies > la France et son passé colonial, LDH Toulon.
• Bibliographie Colonialisme, Monde en question.
[1] Cité par Mohammed Harbi dans Le FLN, documents et histoire (1954-1962), Fayard, 2004.
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10 novembre 2006
8 novembre 2006
Y a t-il quelqu’un pour arrêter la folie meurtrière d’Israël ?
Combien de Palestiniens doivent-ils mourir pour que la communauté internationale et le monde pressent Israël d’arrêter son agression contre les Palestiniens ? Quand le monde civilisé va-t-il se réveiller et se lever contre l’agresseur ? Alors que les dirigeants politiques dans le monde discutent de ces atrocités contre les Palestiniens, pourquoi ne décident-ils pas d’agir ?
Mohammed, Rafah aujourd’hui 6 novembre-29 octobre, CCIPPP.
Sourds, aveugles et muets…
Après la mort, ce mercredi 8 novembre, de dix-huit civils palestiniens, le ministre israélien de la défense Amir Peretz a exprimé ses « regrets », a ordonné une enquête et a fait cesser – provisoirement - les tirs d’artillerie. Sous couvert d’empêcher les tirs de roquettes sur la ville de Sderot, l’opération « Nuages d’automne » avait déjà fait, en moins d’une semaine, une soixantaine de morts et plus de 300 blessés. Il est vrai que le nouveau vice-premier ministre Avigdor Lieberman s’affirme partisan d’utiliser « les méthodes de l’armée russe en Tchétchénie » contre une population déjà assiégée, isolée, enfermée, privée d’eau, de nourriture, de médicaments et d’électricité…
Lire la suite... Le Monde diplomatique
Y a t-il quelqu’un pour arrêter la folie meurtrière d’Israël ?
La ville de Bet Hanoun a de nouveau été dévastée ce matin par une sanglante invasion israélienne. Les forces israéliennes ont effectué ce matin des tirs d’artillerie sur la rue Hamad à Beit Hanoun (nord de la Bande de Gaza), dévastée après une semaine d’invasions, tuant 20 Palestiniens et blessant des dizaines de personnes. Plusieurs personnes se trouvent dans un état critique et vont augmenter le nombre de victimes, selon des sources médicales.
Depuis le début de l’invasion il y a sept jours, les forces israéliennes ont tué environ 80 Palestiniens et en ont blessé des centaines, dont des dizaines d’enfants, de civils, et des membres de la résistance armée.
Lire la suite... Le Grand Soir
Ali Waked, Beit Hanoun : C'était comme un Tsunami
A Beit Hanoun, les forces israéliennes se sont retirées mardi d'une ville défoncée après leur plus grosse opération depuis un an sur le territoire palestinien, laissant les habitants enterrer leurs morts.
"C'est la pire attaque que nous ayons jamais vue" a déclaré Khalil Yazji, un officier de police âgé de 45 ans vivant à Beit Hanoun.
"L'armée israélienne a apporté la destruction dans chaque rue et même dans chaque maison. C'est le tsunami de Beit Hanoun."
Lire la suite... International Solidarity Movement
Les médecins ont retiré du corps d'un Palestinien un morceau de métal estampillé "USA"
Le Docteur Mona El-Fara de Gaza nous informe depuis l'hôpital Al-Awda à Jabalya qu'un morceau de métal estampillé "USA" a été retrouvé dans le corps d'un Palestinien blessé lors de l'attaque israélienne contre Gaza et actuellement dans un état critique.
Selon les journaux israéliens, la sinistre opération "Nuages d'Automne" a tué 57 Palestiniens.
Lire la suite... International Solidarity Movement
Mohammed, Rafah aujourd’hui 6 novembre-29 octobre, CCIPPP.
Sourds, aveugles et muets…
Après la mort, ce mercredi 8 novembre, de dix-huit civils palestiniens, le ministre israélien de la défense Amir Peretz a exprimé ses « regrets », a ordonné une enquête et a fait cesser – provisoirement - les tirs d’artillerie. Sous couvert d’empêcher les tirs de roquettes sur la ville de Sderot, l’opération « Nuages d’automne » avait déjà fait, en moins d’une semaine, une soixantaine de morts et plus de 300 blessés. Il est vrai que le nouveau vice-premier ministre Avigdor Lieberman s’affirme partisan d’utiliser « les méthodes de l’armée russe en Tchétchénie » contre une population déjà assiégée, isolée, enfermée, privée d’eau, de nourriture, de médicaments et d’électricité…
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Y a t-il quelqu’un pour arrêter la folie meurtrière d’Israël ?
La ville de Bet Hanoun a de nouveau été dévastée ce matin par une sanglante invasion israélienne. Les forces israéliennes ont effectué ce matin des tirs d’artillerie sur la rue Hamad à Beit Hanoun (nord de la Bande de Gaza), dévastée après une semaine d’invasions, tuant 20 Palestiniens et blessant des dizaines de personnes. Plusieurs personnes se trouvent dans un état critique et vont augmenter le nombre de victimes, selon des sources médicales.
Depuis le début de l’invasion il y a sept jours, les forces israéliennes ont tué environ 80 Palestiniens et en ont blessé des centaines, dont des dizaines d’enfants, de civils, et des membres de la résistance armée.
Lire la suite... Le Grand Soir
Ali Waked, Beit Hanoun : C'était comme un Tsunami
A Beit Hanoun, les forces israéliennes se sont retirées mardi d'une ville défoncée après leur plus grosse opération depuis un an sur le territoire palestinien, laissant les habitants enterrer leurs morts.
"C'est la pire attaque que nous ayons jamais vue" a déclaré Khalil Yazji, un officier de police âgé de 45 ans vivant à Beit Hanoun.
"L'armée israélienne a apporté la destruction dans chaque rue et même dans chaque maison. C'est le tsunami de Beit Hanoun."
Lire la suite... International Solidarity Movement
Les médecins ont retiré du corps d'un Palestinien un morceau de métal estampillé "USA"
Le Docteur Mona El-Fara de Gaza nous informe depuis l'hôpital Al-Awda à Jabalya qu'un morceau de métal estampillé "USA" a été retrouvé dans le corps d'un Palestinien blessé lors de l'attaque israélienne contre Gaza et actuellement dans un état critique.
Selon les journaux israéliens, la sinistre opération "Nuages d'Automne" a tué 57 Palestiniens.
Lire la suite... International Solidarity Movement
Les néo-barbares
Pour paraphraser la socialiste révolutionnaire allemande, Rosa Luxembourg, nous pouvons dire aujourd’hui que le 21è siècle sera "ou l’instauration du droit, ou la loi de la jungle". Il semble que pour la première décennie, ce sera la loi de la jungle.
Sur le plan moral, l’histoire ne reste jamais immobile : si elle ne bouge pas vers moins d’oppression et plus de justice, elle bouge vers moins de droits et plus de barbaries. Pour paraphraser la socialiste révolutionnaire allemande, Rosa Luxembourg, qui avait prédit vingt ans avant l’arrivée du nazisme, ce sera « ou le socialisme, ou la barbarie », nous pouvons dire aujourd’hui que le 21ème siècle sera « ou l’instauration du droit, ou la loi de la jungle ». Il semble, cependant, que pour la première décennie de ce troisième millénaire, c’est la loi de la jungle qui va dominer.
Dans un article publié il y a un mois dans Haaretz, le journaliste et analyste israélien, Tom Segev, contestait l’idée répandue que le contexte politique global de notre époque est le pire que nous avons connu, disons, depuis 20 ans. Selon Segev, la guerre, l’oppression et la destruction ont caractérisé la réalité politique de notre planète pendant les cinq dernières décennies, rien n’aurait changé, ni qualitativement ni même quantitativement dans un passé récent. Segev va même plus loin prétendant que le « clash des civilisations » n’est pas un phénomène nouveau, mais qu’il aurait marqué les décennies précédentes sous différentes formes.
Il n’y a aucun doute possible, les quatre décennies qui ont suivi la Deuxième guerre mondiale n’ont pas été pacifiques, pendant cette période, plus de 76 millions d’êtres humains ont péri dans des guerres, des révolutions et des répressions massives par des dictatures [1]. Il est vrai aussi que durant les années 50, 60 et 70, le « Nord » a mené une guerre coloniale contre le « Sud », et l’ « Ouest », une « guerre de civilisation » contre le bloc communiste de l’Est.
Néanmoins, il y a une différence qualitative entre la situation présente et les 40 années qui ont suivi la victoire sur le fascisme. Trois facteurs principaux ont limité les aspirations hégémoniques des USA après la Deuxième guerre mondiale :
Cependant, 50 années après la victoire sur le fascisme, ces contraintes ne s’imposent plus aux grandes puissances impérialistes - aux USA en particulier. L’unilatéralisme, les guerres « préventives », les aventures coloniales, etc. sont de nouveau légitimés ou, plus précisément, ne sont plus remis en cause d’une façon qui pourrait sérieusement gêner leurs auteurs. En l’absence d’une opposition puissante, la direction des néo-conservateurs de l’Empire a pu se doter d’un nouveau « discours global » qui, au moins en partie, a gagné l’opinion d’un nombre important des victimes mêmes de l’Empire.
Les quatre principaux éléments de ce discours sont :
Et en effet, dans sa croisade pour ce qu’elle appelle « le nouveau Siècle américain », c’est-à-dire, l’imposition par la force d’une hégémonie totale de son Empire sur le prétexte superficiel d’une « guerre contre le terrorisme », l’administration US a déclaré sans intérêt toute contrainte morale et règlementation internationales.
Déjà en 2003, George W. Bush avait annoncé que les conventions de Genève étaient obsolètes dans une guerre contre le terrorisme. Guantanamo a été ouvert en violation non seulement de la loi internationale mais aussi de la loi des Etats-Unis d’Amérique. Afin de priver les terroristes présumés de toutes protections et de tous droits, la même administration a décidé d’inventer une nouvelle catégorie de détenus : ni criminels, ni prisonniers de guerre, mais « terroristes présumés ». La similitude entre les pratiques américaines et israéliennes est étonnante : déjà dans les années 70, les autorités militaires israéliennes avaient annoncé, par la Cour suprême israélienne aussi bien que dans les conférences internationales, que dans le cas des Territoires palestiniens occupés (OPT), les conventions de Genève n’étaient pas applicables. De plus, depuis la fin des années 60, les prisonniers politiques palestiniens étaient classés ni comme prisonniers de droit commun ni comme détenus politiques ; et la « prison secrète » découverte par l’avocate Lea Tsemel, près du kibboutz Ma’anit, en 2003, est l’identique de Guantanamo.
En plus, selon la direction néo-conservatrice américaine et le gouvernement israélien, le but des guerres n’est plus de gagner une bataille, de conquérir un territoire ou de changer un régime, mais de détruire des Etats et de démanteler des sociétés entières.
L’Etat d’Israël - mais aussi la grande majorité de la société israélienne - a entièrement intériorisé cette analyse néo-conservatrice et la stratégie qui en découle. En fait, dans la dernière décennie, Israël et Palestine ont été le laboratoire d’une telle stratégie, les Palestiniens en étant les cobayes. C’est le cas même au niveau de l’armement comme le journal de gauche italien El Manifesto l’a récemment confirmé en démasquant l’utilisation de l’un des nouveaux et des plus barbares types de bombes fabriquées aux Etats-Unis et employés dans la dernière agression contre la population civile de Gaza. La guerre israélienne contre les Palestiniens vise nettement à détruire la société palestinienne et à faire des Palestiniens une nation de tribus dispersées, comme les Américains essaient de le faire en Afghanistan et en Iraq.
En fait, toutes les guerres sont barbares mais la guerre israélienne dans les Territoires palestiniens occupés (et son contexte plus large, la guerre préventive sans fin contre le terrorisme) représente une nouvelle étape de la barbarie moderne. Bien que le terme de « génocide » ne soit pas approprié, on peut adopter celui de « sociocide » du professeur Salah Abdel Jawad, de l’université Bir Zeid, ou le concept de « politicide » d’un sociologue israélien. La terre originelle de la nation palestinienne est actuellement volée par les « colonies légales » et les « avant-postes illégaux » qui provoquent de plus en plus de transferts : le mur atomise la société palestinienne en cantons isolés ; la nouvelle législation vise à limiter l’entrée de Palestiniens dans les territoires palestiniens, ainsi que leurs possibilités de se déplacer à l’intérieur de leur propre territoire ; les représentants démocratiquement élus de la population de Jérusalem ont été expulsés de leur cité, et des dizaines de ministres et membres du Conseil législatif ont été enlevés, emprisonnés, pris comme otages pour un échange final de prisonniers.
Le comble de tous ces maux, ce sont les horreurs à Hébron où la population locale est soumise à un harcèlement quotidien par les colons et l’armée israélienne et se voit dénier l’accès à une part très importante de sa ville ; c’est le martyre de Gaza, cible d’un blocus économique et de bombardements systématiques d’Israël qui détruisent les infrastructures de base et en abattent des centaines.
Inutile de dire que tous ces crimes, dont certains sont qualifiés de crimes contre l’humanité par Human Rights Watch, ne provoquent aucune sanction, ni même protestation par la prétendue communauté internationale. L’impunité pour les barbares est la nouvelle norme, de l’Iraq jusqu’à Gaza. Quant au « camp de la paix » israélien, il est rentré dans un coma profond le jour où Ehud Barak est revenu de Camp David, où ils ont avalé le gros mensonge du « danger existentiel » qui menacerait Israël avec, quelque part, un soulagement émotionnel.
La similitude entre la stratégie et les méthodes d’Israël et celles des USA soulève la question de savoir qui est la tête et qui est la queue, ou autrement dit, qui fait bouger l’autre : est-ce le lobby israélien qui pousse les USA dans le sens des besoins de l’Etat sioniste, ou l’administration US qui pousse Israël pour réaliser sa politique de guerre globale au Moyen-Orient ? En réalité, c’est une mauvaise question : il n’y a ni tête ni queue, mais une guerre globale de recolonisation et un monstre agressif à deux têtes hideuses. Les stratégies néo-conservatrices ont été élaborées conjointement par les politiciens et penseurs US et israéliens et mises en application simultanément, bien qu’on ne puisse nier qu’Israël a eu l’occasion de tester ces stratégies et ces méthodes avant les Etats-Unis, les néo-cons israéliens ayant gagné les élections quatre ans avant leurs homologues américains.
Les USA et Israël - mais aussi la Grande-Bretagne de Blair, l’Italie de Berlusconi et même de Romano Prodi et de plus en plus d’autres pays occidentaux - conduisent une guerre mondiale contre les peuples de la planète, avec un agenda affiché : imposer par la violence et/ou la menace la loi de l’Empire néo-libéral. Cette guerre globale est une croisade des néo-barbares contre la civilisation humaine.
Le rôle d’Israël dans cette association est d’éradiquer toutes formes de résistance à l’Empire au Moyen-Orient, et d’abord cette résistance emblématique palestinienne laquelle, à ce moment de l’histoire, est une ligne de défense non seulement pour le peuple palestinien, mais pour tous les peuples et nations du Moyen-Orient, du Liban à l’Iran. C’est pourquoi le soutien à la résistance palestinienne nécessite d’être intégrée comme une priorité stratégique pour tous les ennemis de la barbarie, au Moyen-Orient comme dans le reste du monde.
Michel Warschawski
Publié par CCIPPP.
[1] "Democide Since World War II" de R.J. Rummel (chiffres pour 1945 - 1987).
Sur le plan moral, l’histoire ne reste jamais immobile : si elle ne bouge pas vers moins d’oppression et plus de justice, elle bouge vers moins de droits et plus de barbaries. Pour paraphraser la socialiste révolutionnaire allemande, Rosa Luxembourg, qui avait prédit vingt ans avant l’arrivée du nazisme, ce sera « ou le socialisme, ou la barbarie », nous pouvons dire aujourd’hui que le 21ème siècle sera « ou l’instauration du droit, ou la loi de la jungle ». Il semble, cependant, que pour la première décennie de ce troisième millénaire, c’est la loi de la jungle qui va dominer.
Dans un article publié il y a un mois dans Haaretz, le journaliste et analyste israélien, Tom Segev, contestait l’idée répandue que le contexte politique global de notre époque est le pire que nous avons connu, disons, depuis 20 ans. Selon Segev, la guerre, l’oppression et la destruction ont caractérisé la réalité politique de notre planète pendant les cinq dernières décennies, rien n’aurait changé, ni qualitativement ni même quantitativement dans un passé récent. Segev va même plus loin prétendant que le « clash des civilisations » n’est pas un phénomène nouveau, mais qu’il aurait marqué les décennies précédentes sous différentes formes.
Il n’y a aucun doute possible, les quatre décennies qui ont suivi la Deuxième guerre mondiale n’ont pas été pacifiques, pendant cette période, plus de 76 millions d’êtres humains ont péri dans des guerres, des révolutions et des répressions massives par des dictatures [1]. Il est vrai aussi que durant les années 50, 60 et 70, le « Nord » a mené une guerre coloniale contre le « Sud », et l’ « Ouest », une « guerre de civilisation » contre le bloc communiste de l’Est.
Néanmoins, il y a une différence qualitative entre la situation présente et les 40 années qui ont suivi la victoire sur le fascisme. Trois facteurs principaux ont limité les aspirations hégémoniques des USA après la Deuxième guerre mondiale :
- l’existence d’une superpuissance soviétique ;
- la force d’un classe ouvrière organisée au sein des pays impérialistes ;
- les incidences du souvenir des horreurs du fascisme sur l’opinion publique internationale et l’illégitimité perçue de l’unilatéralisme, de l’agression armée, etc.
- En raison de ces facteurs, les grandes puissances ont été forcées de manœuvrer sous la pression d’une opposition politique énorme (mouvements anti-colonialistes, oppositions démocratiques de masse) et ont constamment dû inventer des prétextes pour donner une légitimité à leurs guerres et à leurs actes de répression dans le monde.
Cependant, 50 années après la victoire sur le fascisme, ces contraintes ne s’imposent plus aux grandes puissances impérialistes - aux USA en particulier. L’unilatéralisme, les guerres « préventives », les aventures coloniales, etc. sont de nouveau légitimés ou, plus précisément, ne sont plus remis en cause d’une façon qui pourrait sérieusement gêner leurs auteurs. En l’absence d’une opposition puissante, la direction des néo-conservateurs de l’Empire a pu se doter d’un nouveau « discours global » qui, au moins en partie, a gagné l’opinion d’un nombre important des victimes mêmes de l’Empire.
Les quatre principaux éléments de ce discours sont :
- l’effondrement de l’Union soviétique est la preuve absolue que le capitalisme est le seul système viable ;
- la civilisation (occidentale) est menacée par un nouvel ennemi mondial : le terrorisme ;
- une guerre préventive permanente globale est nécessaire pour protéger la civilisation des nouveaux barbares (terrorisme/Islam) et de leurs alliés ;
- dans cette guerre pour la survie de la civilisation, il n’y a pas, et il ne doit pas y avoir, de limites : toutes les normes et conventions des 50 dernières années passées sont caduques.
Et en effet, dans sa croisade pour ce qu’elle appelle « le nouveau Siècle américain », c’est-à-dire, l’imposition par la force d’une hégémonie totale de son Empire sur le prétexte superficiel d’une « guerre contre le terrorisme », l’administration US a déclaré sans intérêt toute contrainte morale et règlementation internationales.
Déjà en 2003, George W. Bush avait annoncé que les conventions de Genève étaient obsolètes dans une guerre contre le terrorisme. Guantanamo a été ouvert en violation non seulement de la loi internationale mais aussi de la loi des Etats-Unis d’Amérique. Afin de priver les terroristes présumés de toutes protections et de tous droits, la même administration a décidé d’inventer une nouvelle catégorie de détenus : ni criminels, ni prisonniers de guerre, mais « terroristes présumés ». La similitude entre les pratiques américaines et israéliennes est étonnante : déjà dans les années 70, les autorités militaires israéliennes avaient annoncé, par la Cour suprême israélienne aussi bien que dans les conférences internationales, que dans le cas des Territoires palestiniens occupés (OPT), les conventions de Genève n’étaient pas applicables. De plus, depuis la fin des années 60, les prisonniers politiques palestiniens étaient classés ni comme prisonniers de droit commun ni comme détenus politiques ; et la « prison secrète » découverte par l’avocate Lea Tsemel, près du kibboutz Ma’anit, en 2003, est l’identique de Guantanamo.
En plus, selon la direction néo-conservatrice américaine et le gouvernement israélien, le but des guerres n’est plus de gagner une bataille, de conquérir un territoire ou de changer un régime, mais de détruire des Etats et de démanteler des sociétés entières.
L’Etat d’Israël - mais aussi la grande majorité de la société israélienne - a entièrement intériorisé cette analyse néo-conservatrice et la stratégie qui en découle. En fait, dans la dernière décennie, Israël et Palestine ont été le laboratoire d’une telle stratégie, les Palestiniens en étant les cobayes. C’est le cas même au niveau de l’armement comme le journal de gauche italien El Manifesto l’a récemment confirmé en démasquant l’utilisation de l’un des nouveaux et des plus barbares types de bombes fabriquées aux Etats-Unis et employés dans la dernière agression contre la population civile de Gaza. La guerre israélienne contre les Palestiniens vise nettement à détruire la société palestinienne et à faire des Palestiniens une nation de tribus dispersées, comme les Américains essaient de le faire en Afghanistan et en Iraq.
En fait, toutes les guerres sont barbares mais la guerre israélienne dans les Territoires palestiniens occupés (et son contexte plus large, la guerre préventive sans fin contre le terrorisme) représente une nouvelle étape de la barbarie moderne. Bien que le terme de « génocide » ne soit pas approprié, on peut adopter celui de « sociocide » du professeur Salah Abdel Jawad, de l’université Bir Zeid, ou le concept de « politicide » d’un sociologue israélien. La terre originelle de la nation palestinienne est actuellement volée par les « colonies légales » et les « avant-postes illégaux » qui provoquent de plus en plus de transferts : le mur atomise la société palestinienne en cantons isolés ; la nouvelle législation vise à limiter l’entrée de Palestiniens dans les territoires palestiniens, ainsi que leurs possibilités de se déplacer à l’intérieur de leur propre territoire ; les représentants démocratiquement élus de la population de Jérusalem ont été expulsés de leur cité, et des dizaines de ministres et membres du Conseil législatif ont été enlevés, emprisonnés, pris comme otages pour un échange final de prisonniers.
Le comble de tous ces maux, ce sont les horreurs à Hébron où la population locale est soumise à un harcèlement quotidien par les colons et l’armée israélienne et se voit dénier l’accès à une part très importante de sa ville ; c’est le martyre de Gaza, cible d’un blocus économique et de bombardements systématiques d’Israël qui détruisent les infrastructures de base et en abattent des centaines.
Inutile de dire que tous ces crimes, dont certains sont qualifiés de crimes contre l’humanité par Human Rights Watch, ne provoquent aucune sanction, ni même protestation par la prétendue communauté internationale. L’impunité pour les barbares est la nouvelle norme, de l’Iraq jusqu’à Gaza. Quant au « camp de la paix » israélien, il est rentré dans un coma profond le jour où Ehud Barak est revenu de Camp David, où ils ont avalé le gros mensonge du « danger existentiel » qui menacerait Israël avec, quelque part, un soulagement émotionnel.
La similitude entre la stratégie et les méthodes d’Israël et celles des USA soulève la question de savoir qui est la tête et qui est la queue, ou autrement dit, qui fait bouger l’autre : est-ce le lobby israélien qui pousse les USA dans le sens des besoins de l’Etat sioniste, ou l’administration US qui pousse Israël pour réaliser sa politique de guerre globale au Moyen-Orient ? En réalité, c’est une mauvaise question : il n’y a ni tête ni queue, mais une guerre globale de recolonisation et un monstre agressif à deux têtes hideuses. Les stratégies néo-conservatrices ont été élaborées conjointement par les politiciens et penseurs US et israéliens et mises en application simultanément, bien qu’on ne puisse nier qu’Israël a eu l’occasion de tester ces stratégies et ces méthodes avant les Etats-Unis, les néo-cons israéliens ayant gagné les élections quatre ans avant leurs homologues américains.
Les USA et Israël - mais aussi la Grande-Bretagne de Blair, l’Italie de Berlusconi et même de Romano Prodi et de plus en plus d’autres pays occidentaux - conduisent une guerre mondiale contre les peuples de la planète, avec un agenda affiché : imposer par la violence et/ou la menace la loi de l’Empire néo-libéral. Cette guerre globale est une croisade des néo-barbares contre la civilisation humaine.
Le rôle d’Israël dans cette association est d’éradiquer toutes formes de résistance à l’Empire au Moyen-Orient, et d’abord cette résistance emblématique palestinienne laquelle, à ce moment de l’histoire, est une ligne de défense non seulement pour le peuple palestinien, mais pour tous les peuples et nations du Moyen-Orient, du Liban à l’Iran. C’est pourquoi le soutien à la résistance palestinienne nécessite d’être intégrée comme une priorité stratégique pour tous les ennemis de la barbarie, au Moyen-Orient comme dans le reste du monde.
Michel Warschawski
Publié par CCIPPP.
[1] "Democide Since World War II" de R.J. Rummel (chiffres pour 1945 - 1987).
5 novembre 2006
Israël : La crise est grave et le silence assourdissant
L’ascension d’Avigdor Lieberman concrétise plus qu’elle n’annonce une crise. Et personne ou presque n’élève la voix...
Un étrange silence s’est abattu sur la scène politique israélienne. Cette semaine, nous sommes tombés très bas. C’est difficile à croire, mais ces jours-ci, les pires que nous connaissons depuis la création de l’Etat, seul un pépiement a salué la marche accablante d’Avigdor Lieberman vers les plus hautes marches du gouvernement.
Les ex-stars du Parti travailliste ont chuchoté leur opposition, laissant ainsi la place à un seul homme de bien, Ofir Pines-Paz, qui a démissionné [de son poste de ministre] suite à l’entrée au gouvernement du Raspoutine d’Ehoud Olmert. Mais rien de la part de personnalités clés comme Avishaï Braverman ou Ami Ayalon, ni de Matan Vilnaï, sur le sens politique de l’ascension météorique de ce politicien quasi fasciste. Leur silence est dû, en grande partie, à ce qu’Amir Peretz a exigé qu’en cas de désaccord public, ils renoncent à leur siège à la Knesset.
[...] Les organisations qui en temps normal se battent pour des normes de gouvernement honnêtes, qui se ruent à la Cour suprême pour tout soupçon de corruption, ont délaissé l’espace public alors que la corruption politique des plus hauts rangs de l’Etat faisaient une place douillette à Lieberman. Les seules voix de protestation, à quelques exceptions près, sont venues des médias (responsables de tout, comme chacun sait) et de députés arabes dont Lieberman souhaiterait voir exécuter certains.
Des nouvelles d’Ehoud Barak, de l’autre côté de l’océan. L’homme qui se décrivait comme un coureur de fond voit s’approcher l’occasion d’entrer au gouvernement. Olmert le veut à ses côtés. Pour survivre, Olmert est aujourd’hui obligé d’acheter tout ce qui bouge. Peretz, le rival méprisé de Barak, pèse le pour et le contre. Barak, lui non plus, n’a pas dit un mot sur Lieberman. Pour quoi faire, après tout, alors qu’il touche son but du doigt ?
Entre temps, alors que Lieberman a été nommé stratège en chef du gouvernement, nos dirigeants ont reçu le soutien du vice-ministre (travailliste) de la défense, Ephraïm Sneh. Lui qui aime tant discourir sur les valeurs n’a rien trouvé à dire sur Lieberman. J’imagine le ministre des menaces stratégiques, qui a rarement tenu un fusil dans les mains, convoquant l’ancien général Sneh pour discuter de la manière d’introduire les méthodes russes en Tchétchénie contre la menace venue de Gaza.
L’autre jour, Lieberman n’a pas dit la vérité quand il a tenté d’expliquer ce qu’il avait voulu dire exactement avec cette comparaison. Il a hurlé sur les journalistes qu’il a accusés de déformer ses véritables intentions : établir un gouvernement différent dans les Territoires palestiniens, tout comme Vladimir Poutine l’a fait dans la province rebelle en tuant des dizaines de milliers de personnes et en détruisant des villes entières. Le président Mahmoud Abbas et le Fatah ne sont pas assez bons pour lui, ni bien sûr le gouvernement élu du Hamas. Alors, qui donc souhaite-t-il y amener ? Qui d’autre Lieberman pense-t-il pouvoir tromper, maintenant qu’il a aveuglé le premier ministre et un Parti travailliste claudiquant ?
La vérité est, évidemment, que cette crise extrêmement grave montre qu’il faut secouer la direction politique du pays, devenue depuis longtemps une sombre farce. Mais tout ce qui reste de ce système branlant et criblé de trous, ce sont quelques has been et quelques-uns qui, comme chez Kafka, se sont réveillés un matin libermanesque pour découvrir qu’ils s’étaient transformés en cafards.
Israël est peut-être pauvre en ressources naturelles, mais on nous a toujours dit qu’il était riche en ressources humaines. Avec une arrogance colonialiste, Lieberman a dit cette semaine que les Palestiniens devaient trouver un de Gaulle pour que nous puissions leur parler. Ce type a le sens de l’humour. Que dirait-il si leur de Gaulle voulait faire d’Israël une autre Tchétchénie ?
Même Yossi Beilin n’a pas parlé trop fort. Le somptueux petit déjeuner auquel il avait invité il y a 9 mois son rival idéologique, pendant lequel il avait généreusement chanté ses louanges (dans l’esprit de la gauche chic, mais dans un moment d’égarement), n’a pas été seulement l’une de ses pires erreurs politiques : ce fut aussi une approbation.
Et où est l’ancien premier juge de la Cour suprême Aharon Barak, le gardien de la démocratie ? Et où sont les professeurs ? Et sur quoi porte la grande manifestation ? De la Gay Pride à Jérusalem. Pas de l’anniversaire de l’assassinat d’Itzhak Rabin, tué, dans l’esprit au moins, par la droite renaissante. La seule preuve de courage de la part des députés a été de s’absenter d’une cérémonie à la mémoire de Rabin organisée par un Président accusé de viol.
[...]
L’échec du recrutement à la direction du pays est grave et profond. Ce ne sont pas les dirigeants actuels qu’il faut blâmer, mais plutôt les électeurs et l’absence de critique au sein des élites. Tout comme le de Gaulle de Lieberman n’est pas près d’apparaître à Gaza, il n’y a aucun signe d’un grand dirigeant sur le point d’apparaître chez nous. D’où ce morne sentiment qui se répand qu’il n’y a rien à faire, parce que certaines crises n’ont pas de solution, au moins pour les décennies à venir. Quelle perspective pour un public qui perd espoir !
Gideon Samet
3 novembre 2006, Ha’aretz
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Articles sur Avigdor Lieberman, Palestine Solidarité
Un étrange silence s’est abattu sur la scène politique israélienne. Cette semaine, nous sommes tombés très bas. C’est difficile à croire, mais ces jours-ci, les pires que nous connaissons depuis la création de l’Etat, seul un pépiement a salué la marche accablante d’Avigdor Lieberman vers les plus hautes marches du gouvernement.
Les ex-stars du Parti travailliste ont chuchoté leur opposition, laissant ainsi la place à un seul homme de bien, Ofir Pines-Paz, qui a démissionné [de son poste de ministre] suite à l’entrée au gouvernement du Raspoutine d’Ehoud Olmert. Mais rien de la part de personnalités clés comme Avishaï Braverman ou Ami Ayalon, ni de Matan Vilnaï, sur le sens politique de l’ascension météorique de ce politicien quasi fasciste. Leur silence est dû, en grande partie, à ce qu’Amir Peretz a exigé qu’en cas de désaccord public, ils renoncent à leur siège à la Knesset.
[...] Les organisations qui en temps normal se battent pour des normes de gouvernement honnêtes, qui se ruent à la Cour suprême pour tout soupçon de corruption, ont délaissé l’espace public alors que la corruption politique des plus hauts rangs de l’Etat faisaient une place douillette à Lieberman. Les seules voix de protestation, à quelques exceptions près, sont venues des médias (responsables de tout, comme chacun sait) et de députés arabes dont Lieberman souhaiterait voir exécuter certains.
Des nouvelles d’Ehoud Barak, de l’autre côté de l’océan. L’homme qui se décrivait comme un coureur de fond voit s’approcher l’occasion d’entrer au gouvernement. Olmert le veut à ses côtés. Pour survivre, Olmert est aujourd’hui obligé d’acheter tout ce qui bouge. Peretz, le rival méprisé de Barak, pèse le pour et le contre. Barak, lui non plus, n’a pas dit un mot sur Lieberman. Pour quoi faire, après tout, alors qu’il touche son but du doigt ?
Entre temps, alors que Lieberman a été nommé stratège en chef du gouvernement, nos dirigeants ont reçu le soutien du vice-ministre (travailliste) de la défense, Ephraïm Sneh. Lui qui aime tant discourir sur les valeurs n’a rien trouvé à dire sur Lieberman. J’imagine le ministre des menaces stratégiques, qui a rarement tenu un fusil dans les mains, convoquant l’ancien général Sneh pour discuter de la manière d’introduire les méthodes russes en Tchétchénie contre la menace venue de Gaza.
L’autre jour, Lieberman n’a pas dit la vérité quand il a tenté d’expliquer ce qu’il avait voulu dire exactement avec cette comparaison. Il a hurlé sur les journalistes qu’il a accusés de déformer ses véritables intentions : établir un gouvernement différent dans les Territoires palestiniens, tout comme Vladimir Poutine l’a fait dans la province rebelle en tuant des dizaines de milliers de personnes et en détruisant des villes entières. Le président Mahmoud Abbas et le Fatah ne sont pas assez bons pour lui, ni bien sûr le gouvernement élu du Hamas. Alors, qui donc souhaite-t-il y amener ? Qui d’autre Lieberman pense-t-il pouvoir tromper, maintenant qu’il a aveuglé le premier ministre et un Parti travailliste claudiquant ?
La vérité est, évidemment, que cette crise extrêmement grave montre qu’il faut secouer la direction politique du pays, devenue depuis longtemps une sombre farce. Mais tout ce qui reste de ce système branlant et criblé de trous, ce sont quelques has been et quelques-uns qui, comme chez Kafka, se sont réveillés un matin libermanesque pour découvrir qu’ils s’étaient transformés en cafards.
Israël est peut-être pauvre en ressources naturelles, mais on nous a toujours dit qu’il était riche en ressources humaines. Avec une arrogance colonialiste, Lieberman a dit cette semaine que les Palestiniens devaient trouver un de Gaulle pour que nous puissions leur parler. Ce type a le sens de l’humour. Que dirait-il si leur de Gaulle voulait faire d’Israël une autre Tchétchénie ?
Même Yossi Beilin n’a pas parlé trop fort. Le somptueux petit déjeuner auquel il avait invité il y a 9 mois son rival idéologique, pendant lequel il avait généreusement chanté ses louanges (dans l’esprit de la gauche chic, mais dans un moment d’égarement), n’a pas été seulement l’une de ses pires erreurs politiques : ce fut aussi une approbation.
Et où est l’ancien premier juge de la Cour suprême Aharon Barak, le gardien de la démocratie ? Et où sont les professeurs ? Et sur quoi porte la grande manifestation ? De la Gay Pride à Jérusalem. Pas de l’anniversaire de l’assassinat d’Itzhak Rabin, tué, dans l’esprit au moins, par la droite renaissante. La seule preuve de courage de la part des députés a été de s’absenter d’une cérémonie à la mémoire de Rabin organisée par un Président accusé de viol.
[...]
L’échec du recrutement à la direction du pays est grave et profond. Ce ne sont pas les dirigeants actuels qu’il faut blâmer, mais plutôt les électeurs et l’absence de critique au sein des élites. Tout comme le de Gaulle de Lieberman n’est pas près d’apparaître à Gaza, il n’y a aucun signe d’un grand dirigeant sur le point d’apparaître chez nous. D’où ce morne sentiment qui se répand qu’il n’y a rien à faire, parce que certaines crises n’ont pas de solution, au moins pour les décennies à venir. Quelle perspective pour un public qui perd espoir !
Gideon Samet
3 novembre 2006, Ha’aretz
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
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