Pierre DOCKÈS, Francis FUKUYAMA, Marc GUILLAUME, Peter SLOTERDIJK, Jours de colère - L’esprit du capitalisme, Descartes et Cie, 2009.
Cet essai n'est pas un livre d'économie. C'est un essai sur l'économisme, la critique de son statut. Oh ! les beaux discours !... Refonder le capitalisme... pour mieux le consolider, et retrouver la croissance " durable " ; sauver son " esprit ", mais quel esprit du capitalisme ?
Sous ses diverses formes, ses boursouflures financières dévastatrices, on trouve des racines communes : le marché et la concurrence, la guerre civilisée mais mal régulée de tous contre tous ; l'alliance avec la technoscience, Prométhée déchaîné qui se heurte aux limites de la planète ; le jeu comme divertissement généralisé, et pas seulement celui des financiers ou des escrocs plus ou moins démasqués.
Tout cela ayant à voir avec le goût irrépressible des hommes pour la démesure. Mais si l'ordre économique avait, à son origine, partie liée avec la spiritualité, il est devenu un culte voué à la cupidité. Et la colère, sourde ou vive, les angoisses, les frustrations s'accumulent. Pour éviter leur explosion, il faut cesser de placer l'argent, le profit et la croissance matérielle au centre de la mondialisation.
Lire aussi :
• Pierre DOCKÈS et Marc GUILLAUME, La colère en souffrance ?, Libération, 29/07/2009.
Après la crise financière, puis économique on pouvait s’attendre à une crise sociale. Mais il est apparu très vite que le printemps serait calme, en France comme en Europe. Le chômage pouvait augmenter, les inégalités se creuser, personne n’est descendu dans la rue en dehors, dans notre pays, des manifestations syndicales rituelles et de conflits sectoriels - la santé, l’enseignement supérieur. Où sont passées les colères d’antan, et plus près de nous, celles qui ont suivi la crise de 1929.
La colère collective, plus ou moins spontanée, plus ou moins exploitée ou réprimée, a pris des formes nombreuses : colère de dieu, du roi, du peuple. Cousine de la guerre, elle a souvent été le moteur de l’histoire. Aurait-elle, comme certaines formes de guerre, disparu ? «Fin de l’histoire», comme l’écrivait Francis Fukuyama il y a près de vingt ans ? Ou simplement changé de forme ? Trop archaïque, trop collective pour des sociétés fondées sur l’abondance et l’individualisme ? Mais bien sûr, présente encore sous ses formes originelles, dans tout le reste du monde, en Amérique latine, en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient.
Quant à son apparente disparition dans les pays riches, une première explication vient à l’esprit. Pour que la colère embrase le corps social, il faut un collectif en puissance, par exemple un «peuple de gauche». Ou du moins des groupes structurés, capables de se fédérer et de devenir des «groupes en fusion» (Sartre). Or le peuple de gauche n’existe plus. Le chômage, la précarité, les inégalités, au lieu de le souder l’ont divisé. Le peuple des villes évoque plutôt aujourd’hui les paysans parcellaires du Second Empire : chacun s’accroche à son lopin de sécurité économique. Ces clivages se reflètent dans les représentations politiques : mouvements anticapitalistes, partis sociaux démocrates réformistes, nébuleuses écologiques, extrême droite populiste. Cet émiettement est aussi lié à la fin des régimes de l’ex-bloc soviétique. Depuis longtemps ces régimes n’étaient plus des modèles, mais ils alimentaient encore la fiction d’une réserve de résistance et de colère chez les prolétaires de l’ouest de l’Europe. Comme le souligne Peter Sloterdijk, l’hyperlibéralisme s’intensifie et se généralise quand ces régimes disparaissent.
Mais cette première explication ne suffit pas. Des émotions collectives peuvent embraser des sociétés en apparence amorphes et individualistes. La colère collective, lorsqu’elle se manifeste, peut faire exploser tous les clivages ou montrer, comme en Iran, qu’elle peut avoir tous les courages.
En réalité, plus que le sujet collectif de la colère, c’est son objet qui fuit devant nous. Les raisons de la colère sont là, mais les toreros ont appris à esquiver le taureau ! Contre qui, contre quoi se révolter lorsque l’objet semble s’évanouir dans la masse des informations, dans les leurres projetés par milliers, sous le fard et la communication ? En réalité, plus que le sujet collectif de la colère c’est son objet qui fait défaut. Contre qui, contre quoi se révolter ? La crise financière ? Elle vient d’Amérique - et Bush est parti - , elle est mondiale, importée, comme les épidémies. Le péril écologique ? A ce niveau, il est encore plus difficile de désigner un bouc émissaire. Ce sont nos propres actions aveugles qu’il faut dénoncer et abandonner les représentations qui leur étaient associées : penser autrement le travail, la consommation, la croissance matérielle. D’ailleurs, crise financière, économique, écologique sont de nature semblable : traites tirées sur les institutions financières, sur les ressources, sur la nature. Tous cupides, gaspillant à court terme, négligeant le long terme. L’impératif écologique nous offre un espoir de salut et aussi une repentance généralisée : le besoin infini de consolation se transforme en pénitence indéfinie.
La colère est, pour le moment, enfouie dans ce cocon de contritions ; mais il se pourrait qu’elle cherche et trouve les voies de sa métamorphose. Car… tous coupables, peut-être, mais pas au même degré. Tous dans le même bateau planétaire mais dans des situations de plus en plus inéquitables. Le calme des populations n’est pas nécessairement un symptôme rassurant.
Pour aller plus loin :
• Quels capitalismes pour le XXIe siècle ?, Les rencontres Economiques d'Aix-en-Provence 2007, DEFI - Centre de recherche en développement économique et finance Internationale
• Pierre DOCKÈS, Wikipédia
• Francis FUKUYAMA, Wikipédia
• Marc GUILLAUME, Wikipédia
• Peter SLOTERDIJK, Wikipédia
• Dossier documentaire & Bibliographie Economie politique, Monde en Question.
• Dossier documentaire & Bibliographie Economie sociale, Monde en Question.
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