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22 février 2013

Wikipédia, la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf


L’indigence des sources et les abus de pouvoir d’anonymes sont les deux principaux reproches que je fais à Wikipédia en tant qu’utilisateur et contributeur référencé.

L’anecdote suivante, attribuée à Ésope, illustre le fait qu’il existe des défenseurs et des détracteurs inconditionnels du site qui se présente comme « un projet d’encyclopédie collective » en libre accès :

Un certain jour de marché, Xantus, qui avait dessein de régaler quelques-uns de ses amis, lui commanda d’acheter ce qu’il y aurait de meilleur, et rien autre chose. « Je t’apprendrai, dit en soi-même le Phrygien, à spécifier ce que tu souhaites, sans t’en remettre à la discrétion d’un esclave. » Il n’acheta que des langues, lesquelles il fit accommoder à toutes les sauces, l’entrée, le second, l’entremets, tout ne fut que langues. Les conviés louèrent d’abord le choix de ces mets ; à la fin ils s’en dégoûtèrent. « Ne t’ai-je pas commandé, dit Xantus, d’acheter ce qu’il y aurait de meilleur ? – Et qu’y a-t-il de meilleur que la langue ? reprit Ésope. C’est le lien de la vie civile, la clef des sciences, l’organe de la vérité et de la raison. Par elle on bâtit les villes et on les police ; on instruit ; on persuade ; on règne dans les assemblées ; on s’acquitte du premier de tous les devoirs, qui est de louer les Dieux. – Eh bien (dit Xantus, qui prétendait l’attraper), achète-moi demain ce qui est de pire : ces mêmes personnes viendront chez moi, et je veux diversifier. » Le lendemain, Ésope ne fit servir que le même mets, disant que la langue est la pire chose qui soit au monde : « C’est la mère de tous débats, la nourrice des procès, la source des divisions et des guerres. Si l’on dit qu’elle est l’organe de la vérité, c’est aussi celui de l’erreur et, qui pis est, de la calomnie. Par elle on détruit les villes, on persuade de méchantes choses. Si d’un côté elle loue les Dieux, de l’autre, elle profère des blasphèmes contre leur puissance. » Quelqu’un de la compagnie dit à Xantus que véritablement ce valet lui était fort nécessaire, car il savait le mieux du monde exercer la patience d’un philosophe. « De quoi vous mettez-vous en peine ? reprit Ésope. – Et trouve-moi, dit Xantus, un homme qui ne se mette en peine de rien. »
Source : Insecula Lire : La langue des blogs

Point de vue de l’utilisateur


Parmi les nombreuses critiques faites à Wikipédia, la première pointe naturellement les nombreuses erreurs factuelles. Ce qui ne serait pas grave en soi si les anonymes, qui détiennent des pouvoirs occultent, acceptaient toujours les corrections. J’y reviendrai dans la deuxième partie.
Ma critique principale porte sur le fond et en particulier sur l’indigence des sources référencées. Je prendrai trois exemples :

Massacre de Shanghai (1927)
Cet article fut par Jean-Jacques Georges le 11 juillet 2009 à 15:12 et mise à jour jusqu’au 17 mars 2011 à 22:08‎‎. Or, à cette date, l’auteur ne citait que deux ouvrages américains dans les notes sans les références des pages où il aurait puisé l’information. On se demande comment il a pu écrire cet article à partir d’une documentation aussi faible. À moins qu’il n’ait traduit une partie de la page anglaise sans l’annoncer comme c’est la règle.
Entre le 12 avril 2011 à 20:17 et le 13 avril 2011 à 12:11, j’ai ajouté une bibliographie limitée aux ouvrages que je connaissais sur cet épisode de l’histoire chinoise. Voici la version avant et après cet ajout.

Astronomie chinoise
Cet article fut créé par Alain r le 14 mars 2007 à 09:02 et mise à jour jusqu’au 24 novembre 2011 à 16:02‎ sans inclure de bibliographie. C’est d’autant plus surprenant que la bibliographie de sa thèse contient 34 pages et que tous les articles qu’il a co-signés sont accompagnés de références comme c’est la règle.
Entre le 2 mai 2012 à 23:30 et le 3 mai 2012 à 01:22, j’ai ajouté une bibliographie établie à partir d’une recherche sur les sites Gallica et Chine ancienne. Voici la version avant et après cet ajout.

Le Déclin de l’Occident
Cet article fut créé par ADM le 27 janvier 2008 à 17:31 et mise à jour jusqu’au 11 septembre 2012 à 12:19 sans que personne ne fasse référence à la traduction française de l’ouvrage dont l’article est pourtant l’objet !
Le 27 octobre 2012 à 19:07, j’ai ajouté la référence manquante. Voici la version avant et après cet ajout.

Ces trois exemples montrent que, contrairement à certaines critiques qui jettent le bébé avec l’eau de bain, la qualité des auteurs n’est pas la source du manque de crédibilité de Wikipédia. Ce site se veut une encyclopédie du niveau que l’Encyclopædia Britannica ou l’Encyclopædia Universalis, mais est plutôt un Reader’s Digest car les articles résultent de la compilation d’informations glanées à droite et à gauche et non sourcées.

Sans tomber dans les excès de l’académisme conspué par certains administrateurs, le minimum serait d’exiger que les auteurs communiquent toujours leurs sources dans la section Notes et références. Il serait aussi souhaitable qu’ils rédigent une bibliographie, établie davantage à partir de revues et de livres que d’articles de presse car, contrairement à ce qu’affirme Wikipédia, les médias ne constituent pas une référence solide.

En privilégiant la quantité (le nombre d’articles publiés) les responsables de Wikipédia bradent la qualité qu’ils recommandent par ailleurs. Ainsi, ils avouent que seulement 0,08% des articles publiés en français ont reçu le label « Article de qualité » parce que argumenté. Un coup d’œil rapide à l’un d’entre eux (Augustin ou Le Maître est là), choisi au hasard, montre que la Bibliographie et les Notes et références sont conséquentes. A contrario, l’article, choisi au hasard, sur Ary Pleysier est du niveau de l’index situé en annexe d’un livre sur la peinture.

Point de vue du contributeur référencé


C’est parce que j’avais remarqué une erreur de traduction d’une citation en grec que j’ai commencé à contribuer à Wikipédia, en signalant la faute (sourcée dans l’espace discussion) et en la corrigeant (non sourcée dans le corps de l’article parce que je ne savais pas utiliser les balises correspondantes à l’époque). La citation a disparu lors d’une modification dont je n’ai pas le temps de chercher la trace.

Si l’essentiel de mes contributions portent sur l’ajout de bibliographies au hasard des articles que je lis, j’ai eu l’occasion de supprimer une référence, en argumentant dans l’espace discussion. Cette manière de procéder, par respect pour le travail de l’auteur qui a le droit à l’erreur, ne semble pas partagée par tous les administrateurs.

Après avoir écrit l’article Compliance versus Phone Game, j’ai consulté la page Wikipédia du film Compliance et j’ai été très étonné de lire (texte établi au 30 janvier 2013 à 11:22) :

Tout se passe par téléphone. Passant d’un interlocuteur à l’autre, le combiné est l’instrument qui permet au faux policier de s’immiscer dans l’intimité de chaque protagoniste, jusqu’à conduire au viol de la jeune femme accusée à tort.

Or, le film ne montre aucune scène de viol, mais une scène de fellation. J’ai donc corrigé le texte dans ce sens (8 février 2013 à 14:40) :

Tout se passe par téléphone. Passant d’un interlocuteur à l’autre, le combiné est l’instrument qui permet au faux policier de s’immiscer dans l’intimité de chaque protagoniste, jusqu’à conduire à une fellation imposée à la jeune femme accusée à tort.

Une minute plus tard (8 février 2013 à 14:41), un certain Lepsyleon révoquait cette modification sans aucune explication.
Vingt-sept minutes plus tard, j’ai rétabli la modification en ajoutant la source (8 février 2013 à 15:08) :

page en anglais : As punishment for this « disobedient » plea, the caller orders Becky to subject to a spanking by Van and to perform oral sex on him.

Une heure et cinquante minutes plus tard, Patrick Rogel, auteur de l’article, annulait la modification sous prétexte qu’elle était anecdotique (WP:Anecdotique). En fait, il a annulé toutes les modifications du synopsis postérieures au 5 octobre 2012 à 12:13. La procédure est d’autant plus curieuse qu’il avait accepté sans broncher la modification substantielle de Jean-Louis Lascoux (7 octobre 2012 à 10:35) qui évoquait le viol inexistant dans le film.

L’affaire aurait pu en rester là si je n’avais pas reçu cet aveu de Lepsyleon (c’est moi qui souligne) :

Bonjour, désolé pour l’annulation mais il y a tellement de vandalisme style « pipi-caca-b**e » (et j’en passe) que je n’ai pas cherché à creuser davantage. Cordialement.

Intrigué par la rapidité de son coup ciseau – moins d’une minute après ma correction – qu’il désavouait sept heures et douze minutes plus tard, j’ai cherché à en savoir plus. Le lecteur jugera par lui-même ses motivations en lisant son acte de candidature au poste d’administrateur :

De m’impliquer dans les taches d’administration telles que les demandes de suppression immédiates de pages et les demandes de blocages.

Ainsi, cet individu qui « assure le suivi et la maintenance des articles sur la Colombie » a supprimé, sans « chercher à creuser davantage », une modification concernant un film… pour gagner ses galons d’administrateur !

Conclusions provisoires


Cet incident pourrait rester anecdotique s’il ne révélait la face obscure de Wikipédia. D’autres avant moi et mieux que moi ont dénoncé les pouvoirs exorbitants des administrateurs protégés par leur anonymat.

« Wikipédia, où est ta démocratie ? », Books :
En préparant un cours sur la « qualité de l’information », en 2006, je suis allé voir la page de Wikipédia sur Daniel Defoe. La date de naissance indiquée faisait problème (personne ne sait de manière certaine quand il est né), et j’ai changé le texte. Ma modification fut rapidement éliminée. J’ai alors relevé une douzaine d’erreurs dans les premiers paragraphes, et entrepris de les corriger. Ces interventions ont été considérées comme un acte de vandalisme et supprimées par une personne qui était, je crois, un expert de la ligne de bataille des navires pendant la guerre de Sécession, ou quelque chose de ce genre. Les justifications apportées par ceux qui éliminaient mes corrections m’ont paru des plus bizarres. J’ai fait de cet incident un sujet pour mes étudiants.

Pourquoi je quitte mon poste d’administrateur sur Wikipédia, Le dernier blog :
Il arrive en effet de temps à autres que je perçoive (et je sais que je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué) les prémisses d’évolutions désagréables, notamment dans le rapport entre administrateurs et simples contributeurs : si l’administrateur est un contributeur comme les autres, il lui arrive de l’oublier, et cela peut aboutir à des situations déséquilibrées et pénibles. Le simple utilisateur qui aura employé un ton aigre envers un administrateur pourra être lourdement puni (d’une interdiction temporaire de contribuer) tandis qu’un administrateur qui néglige de demander son avis à la communauté avant de supprimer un article dont le sujet ou le contenu, selon son jugement, ne valent pas tripette, échappera parfois à toute sanction. Je suis sûr que ce n’est pas une chose si courante mais j’y suis particulièrement sensible : si l’abus de pouvoir provoque moins d’émoi que le crime de lèse-majesté, si je dois assister à la naissance d’une caste, d’une aristocratie, alors je préfère être du côté de ceux qui n’exercent pas de pouvoir sur les autres.

Sur Wikipédia aussi : « une m… reste une m… »
L’épisode suivante me rappelle le tweet d’un internaute qui se demandait suite à la publication d’un article de ce blog si vraiment l’ambiance pouvait être si mauvaise entre les contributeurs de Wikipédia. La réalité est bien sûr bien au delà puisque Wikipédia est le terrain d’affrontements permanents entre les membres de véritables clans qui n’ont qu’une seule obsession, se tailler la meilleure place dans la hiérarchie mafieuse de la pseudo-encyclopédie.

Ainsi Alphabeta commente :
Je suis effectivement partisan d’une certaine solidarité entre wikipédiens et de leur hiérarchie (administrateurs et autres) envers les peones de base.
Réponse de l’intéressée :
Vous voulez savoir pourquoi Alphabeta vient aujourd’hui sur cette discussion ? Tout simplement parce que j’ai fait remarquer sur une discussion ancienne au bistro que ce POV-Pusheur étant en train d’ajouter des liens (25, à ce jour) vers la page en:wp d’un article supprimé sur fr:wp en PàS ; en réaction, Alphabeta vient publier une petite crasse contre moi dans une discussion qu’il sait être suivie. Dans du papier de soie, disait ma mémé (classe populaire), une m… reste une m…

Les dérives sectaires et mafieuses s’observent aussi dans les forums. J’avais commencé une étude sur les mœurs particulières de ces groupes sociaux repliés sur eux-mêmes – phénomène de secte – parce que régit par l’obéissance au chef et les alliances occultes des sous-chefs – phénomène mafieux – qui chassent en meute pour bannir le malheureux qui conteste leur autorité. Le lecteur intéressé se reportera aux articles suivants :


J’ai abandonné cette étude, après une pénible incursion dans un forum d’extrême gauche (Forum des marxistes révolutionnaires) qui a les mêmes pratiques, car elle me dévorait tout mon temps libre. Je retrouve la même ambiance délétère dans les discussions publiques de Wikipédia, ce qui ne m’incite pas à aller plus loin…

J’attends donc beaucoup de la journée d’étude consacrée à « Wikipédia et la science », organisée dans le cadre du projet exploratoire WEUSC, qui se déroulera le 5 juin 2013 à l’ISCC.

22/02/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Note du 23/02/2013 :
Le débat continue publiquement sur Wikipédia.
À partir du moment où un débat est public, sa publicité l'est aussi. Seules les sectes interdisent à leurs membres de parler à l'extérieur de ce qui se passe à l'intérieur de la communauté.
Les preuves s'accumulent du complexe de Massada qui mine cette communauté fonctionnant en vase clos.

Articles :
• 13/12/2006, Qui écrit Wikipédia ?, Éduveille.
• 13/09/2008, Biographie manipulée, Books.
• 12/03/2009, Sous-entendus insidieux, Books.
• 24/04/2009, Pourquoi je quitte mon poste d’administrateur sur Wikipédia, Le dernier blog.
• 20/02/2010, « Wikipédia, où est ta démocratie ? », Books.
• 05/04/2010, Les étudiants et Wikipedia : à propos de l’étude de Head et Eisenberg, URFIST.
• 07/04/2010, Les étudiants et Wikipedia : à propos de l’étude de Head et Eisenberg (suite), URFIST.
• 09/04/2010, Les étudiants et Wikipedia : à propos de l’étude de Head et Eisenberg (suite et fin), URFIST.
• 09/08/2011, Wikipedia et son impact dans les publications scientifiques, Les carnets du SID.
• 14/09/2011, Wikipedia dans les articles de revues SHS françaises, Les carnets du SID.
• 29/11/2012, Autorégulation des rapports sociaux entre contributeurs de Wikipedia, CNRS.
• 22/01/2013, Participer à Wikipédia en tant que chercheur – enjeux et mode d’emploi, Ressources pour la thèse et au-delà.

Dossiers – Mémoires :
• Laure ENDRIZZI, L’édition de référence libre et collaborative : le cas de Wikipedia, Veille et Analyses de l’Institut français de l’éducation, avril 2006, 39 pages.
• Aurélien MARTIN, Cathy PERRET, Les méthodes de recherche documentaire des étudiants de 1ère année de LLCE en début d’année, Université de Bourgogne, janvier 2009, 21 pages.
• David PROTHAIS, Wikipedia, terrain de lutte ? Régulation et processus de légitimation des savoirs au sein d’un collectif autogéré, Mémoire Sciences Po Lyon, 2007, 280 pages dont 70 d'annexes.

Sites :
Books rubrique WikiGrill.
Hotel Wikipedia par Pierre-Carl Langlais.
Observatoire de wikipedia par Alithia (en grec Αλήθεια signifie la vérité).
Observatoire de l’observatrice par Jean-no.
Observons Wikipedia par Pierrot le Chroniqueur.
Sur Wikipédia par Jacques Richard ou Jacques Goliot.
Wikibuster : Les dessous de Wikipédia blog libertaire et anti-commoniste.

Lire aussi : Dossier documentaire Wikipédia, Monde en Question.

18 février 2013

Hommage à Maurice PIALAT


Grâce à Sylvie Pialat, La Cinémathèque française expose les tableaux et dessins de Maurice Pialat, témoignage de la première période de sa vie artistique (1942 à 1946). Une quarantaine d’œuvres : nature morte, portraits, paysages, marines et paysages urbains. Dans ce travail sur le motif, on décèle quelques thèmes qui reviendront dans certains films, par exemple L’amour existe, ce magnifique court métrage sur la banlieue réalisé en 1960, ou La Maison des bois, bouleversant feuilleton de six heures réalisé pour la télévision en 1970. De même, les tableaux d’enfants solitaires renvoient au premier long métrage du cinéaste, L’Enfance nue réalisé en 1968.

Sylvie Pialat a aussi fait don à La Cinémathèque française des archives du cinéaste : notes, scénarios annotés, projets non tournés, documents, correspondances, photos et affiches. Ces œuvres comme ces documents accompagnent l’exposition des tableaux et dessins, dix ans après la disparition du cinéaste survenue le 11 janvier 2003.

En parallèle de cette exposition (du 20 février au 7 juillet 2013), La Cinémathèque française organise la rétrospective complète des films de Maurice Pialat (du 20 février au 4 mars 2013) en présence de nombreux acteurs et actrices, et collaborateurs du cinéaste. Ainsi le visiteur et le spectateur découvriront divers aspects méconnus de la vie et de l’œuvre du cinéaste, une œuvre dense marquée par le ressassement et la solitude, l’une des plus intenses du cinéma français.

Cinémathèque françaiseExpositionRétrospective

Maurice PIALAT :
AlloCiné
Wikipédia [Dossier mis à jour par Serge LEFORT le 17/02/2013]
Films à télécharger
Critiques

Lire aussi :
Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.