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27 février 2010

Que penser de la Chine ?


Si vous posez dans le monde la question « que pensez-vous des États-Unis en tant que pays et puissance mondiale ? » vous obtiendrez des réponses très claires. Tout le monde a un avis : le Nord et le Sud, les riches et les pauvres, les hommes et les femmes, les gens de droite ou de gauche, les jeunes et les vieux. Les opinions varient énormément, allant de l'extrêmement favorable à l'extrêmement hostile. Il n'en reste pas moins que les gens ont le sentiment qu'ils savent quoi penser des États-Unis.

Il y a trente ans, il en allait probablement de même pour la Chine. Ce n'est plus vrai aujourd'hui. Beaucoup de personnes dans le monde, peut-être même la plupart, ne savent plus trop quoi penser de la Chine en tant que pays ou en tant que puissance mondiale. En réalité, c'est non seulement un sujet d'incertitude mais aussi de vifs débats. Il peut être utile de passer en revue les questions dont les personnes qui vivent hors de Chine ont tendance à débattre lorsque la discussion porte sur ce pays. Il en existe principalement trois.

Le premier débat, peut-être le plus connu, est celui de savoir s'il faut considérer la Chine comme étant essentiellement un pays socialiste ou un pays capitaliste. La Chine, bien sûr, se proclame toujours socialiste. La Chine continue d'être gouvernée par le Parti communiste. D'un autre côté, la Chine semble fonder, dans les faits, ses opérations économiques internes, et certainement aussi son commerce extérieur, sur les principes de l'économie marché.

Les avis sur la question, dans la gauche mondiale et dans la droite mondiale, ne sont absolument pas uniformes. Il y a ceux qui, à droite, insistent pour dire que les opérations de marché ne sont qu'une simple façade pour un gouvernement dont le dessein reste la poursuite des objectifs historiques de la traditionnelle idéologie marxiste-léniniste-maoïste. Nombreux sont ceux aussi qui, à droite, voient dans la Chine un pays « en transition » vers une véritable économie de marché et considèrent que c'est l'idéologie, et non les opérations de marché, qui est une façade.

La même chose se vérifie à gauche. Il y a ceux pour qui la Chine est toujours régie par les mêmes objectifs socialistes et pour qui les opérations « de marché » sont soit un retrait tactique soit une façade. Tandis que d'autres, à gauche, sont soit cyniques sur les politiques actuellement menées dans ce pays soit franchement désabusés.

L'autre question qui divise l'opinion, c'est de savoir si la Chine continue d'appartenir au Sud ou si elle appartient désormais au Nord. Il y a trente ans, il n'y avait aucun doute. La Chine était présente à la conférence afro-asiatique de Bandung en 1955. La Chine se présentait partout en avocat des conceptions et intérêts géopolitiques du Sud. Aujourd'hui, la Chine a le titre de plus puissant des pays « émergents » et est classée deuxième économie la plus puissante du monde. La presse mondiale parle d'un G-2 formé des États-Unis et de la Chine, pays qui dans les faits se partageraient le pouvoir du monde. Quelle différence avec la fin des années 1960 quand la Chine parlait des États-Unis et de l'Union soviétique comme des « deux superpuissances » contre lesquelles tout le monde devait s'unir.

Il y a donc beaucoup de personnes aujourd'hui qui, au Nord comme au Sud, considèrent la Chine comme étant fondamentalement un pays du Nord. Mais il y en a également d'autres, au Nord comme au Sud, qui continuent de considérer la Chine comme une voix importante du Sud. Après tout, une très grande partie de la population chinoise vit toujours dans des conditions économiques assez médiocres.

Enfin, la question peut-être la plus controversée est celle de savoir s'il faut continuer de considérer la Chine comme une puissance anti-impérialiste de premier plan ou au contraire comme étant elle-même devenue une puissance impérialiste. Cette question est moins débattue au Nord qu'au Sud. Nombreux sont ceux qui soutiennent que la Chine continue de jouer un rôle crucial dans la lutte contre l'impérialisme des États-Unis, lesquels, disent-ils, continuent d'être la grande force impérialiste de la planète.

De plus, ils pointent la façon dont l'aide économique chinoise est accordée aux pays d'Asie, d'Afrique d'Amérique latine, c'est-à-dire sans être assortie des conditions qui sont normalement liées à l'aide américaine et européenne. Les Chinois, disent-ils, offrent à des pays du Sud un levier économique bien utile. Un bel exemple de coopération socialiste.

D'autres, dans le Sud, voient en revanche l'aide de la Chine comme une manière pour celle-ci de s'assurer un accès aux matières premières clés par des moyens qui ne répondent pas nécessairement de façon optimale aux besoins de ces pays. Et il en est quelques uns que l'arrivée de petits marchands chinois dans ces pays dérange. Selon eux, ces commerçants mineraient, ce faisant, l'activité des petits marchands locaux, ce qui constitue une forme de colonisation.

Les débats ne sont donc aujourd'hui pas clairs du tout et les lignes de division incertaines. Il est peu probable que cet état de fait se poursuive très longtemps encore. Dans dix ans probablement, dans vingt ans certainement, tout le monde saura de nouveau quoi penser de la Chine. Les opinions (les pours et les contres) seront redevenues fermes.

15 janvier 2010
Immanuel Wallerstein
Fernand Braudel Center
Avec l'autorisation de Agence Global pour Monde en Question.

Lire aussi :
Dossier documentaire & Bibliographie Chine Tibet Xinjiang, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie Immanuel WALLERSTEIN, Monde en Question.

26 février 2010

La Chine imaginaire


Jonathan D. SPENCE, La Chine imaginaire - Les Chinois vus par les Occidentaux de Marco Polo à nos jours, Presses de l'Université de Montréal, 2000 [BooksGoogle].
Depuis sept siècles, la Chine exerce une étonnante fascination sur l'Occident. Dès les premiers contacts, elle est apparue comme un objet de désir plutôt que de connaissance et, très vite, elle est devenue une construction imaginaire et un enjeu des débats internes de l'Occident. C'est l'histoire de la Chine comme l'ont comprise et imaginée les Occidentaux que retrace ici le grand sinologue américain Jonathan D. Spence. Pour rendre compte de cette fascination, il fait appel aux récits des voyageurs, aux systèmes des philosophes, aux rapports des diplomates, aux témoignages des missionnaires et, surtout, aux œuvres des grands écrivains qui, de Mendes Pinto à Italo Calvino, en passant par Voltaire, Segalen et Brecht, ont voulu communiquer leur vision de la Chine. Grossiers ou subtils, généreux ou empreints de préjugés, sobres ou avides d'exotisme, ces documents nous en apprennent finalement autant sur l'Occident que sur la Chine.
Lire aussi :
• Jonathan D. SPENCE, Wikipédia - American Historical Association.
• La Chine imaginaire chez l'écrivain français d'origine chinoise et chez le lecteur français : analyse des raisons pour lesquelles les Français sont passionnés pour les œuvres de Shan Sa, Mémoire de Master, IETT.
• Image des Chinois pour les Français de 1871 à 1914, Mémoire de Master, IETT.
• VILLARD Florent, La Chine postmoderne créée par le tourisme, in MICHEL Franck, FURT Jean-Marie sous la direction de), Tourismes et identités, L'harmattan, 2006 [CNRS].
Dossier documentaire & Bibliographie Chine Tibet Xinjiang, Monde en Question.

25 février 2010

Tlaxcala

Tlaxcala, le réseau des traducteurs pour la diversité linguistique, est né comme un hommage post-moderne à la malheureuse cité - État éponyme, qui commit la tragique erreur de faire confiance à un Empire - l'Empire espagnol - pour combattre un Empire moins puissant - l'Empire Nahua - et qui ne découvrit qu'alors qu'il était déjà trop tard que personne ne doit faire confiance aux Empires - à aucun d'entre eux - parce qu'ils n'utilisent leurs subordonnés qu'à une seule fin : se servir d'eux comme leviers pour atteindre leurs propres objectifs. Les traducteurs de Tlaxcala, dans le monde entier, veulent venger le destin des antiques Tlaxcaltèques vaincus.

Les traducteurs associés à Tlaxcala croient en l'altérité, en la nécessité de comprendre le point de vue d'autrui, et c'est la raison pour laquelle ils ont décidé de dés-impérialiser la langue anglaise, en publiant dans toutes les langues possibles (y compris, bien entendu, l'anglais) les voix d'écrivains, de penseurs, de caricaturistes et de militants qui écrivent aujourd'hui leurs textes dans des langues auxquelles l'influence de l'Empire dominant ne permet pas d'être entendues. De la même manière, les traducteurs de Tlaxcala s'attacheront à permettre aux non-locuteurs de l'anglais d'être confrontés aux idées d'écrivains anglophones qui se trouvent aujourd'hui marginalisés, ou qui étaient jusqu'ici publiés dans des espaces très réduits et quasi inaccessibles.

Extrait du Manifeste de Tlaxcala

Quelques traductions récentes :
12/02/2010, 13 février 1945 : l'enfer de Dresde – Retour sur les bombardements alliés, Tlaxcala

11/02/2010, Daniel Bensaïd : penser la révolution à contretemps, Tlaxcala - kaosenlared

07/02/2010, Manuel pour détruire un pays [Haïti], Tlaxcala - Luis Britto García

22/01/2010, Erreurs courantes de militants pro-palestiniens et quelques propositions pour les rectifier, Tlaxcala - Palestine Think Tank

24 février 2010

Féminisme et multiculturalité

Dans nos pays développés, la vague féministe des années 1970 a été principalement portée par des femmes blanches, de classes moyennes et supérieures. Mais il existe aussi d’autres pays ou d’autres origines, qui questionnent et mettent en cause ce féminisme occidental, avec leurs besoins, leurs priorités, au nom de l’émancipation des femmes. Source de tensions, de conflits... ou de nouvel élan basé sur des solidarités à construire ?

Conférence-débat, Politique

Lire aussi : Féminisme et multiculturalité - Entre malaise et défis, Politique n°63, Février 2010.

23 février 2010

中國 zhōng guó Pays du milieu

Que savons nous de la Chine ? Rien, pratiquement rien. Le volume d'informations quotidiennes est inversement proportionnel à l'importance de ce pays. Yahoo! Actualité est un bon indicateur. En temps ordinaire, ce site publie moins de 5 dépêches par jour, qui sont reprises en boucle par tous les médias dominants. Mais dès que le dalaï-lama s'exprime, les médias dominants se prosternent aux pieds de sa Sainteté, la 14e réincarnation d'une divinité tibétaine, pour recueillir sa parole en copiant-collant les dépêches d'agences [1].

Nous ne savons rien de la Chine ou si peu... parce que la Chine ne fut pas et n'est pas un objet de connaissance, mais de convoitise des puissances occidentales. Christophe Colomb mourut sans savoir qu'il avait découvert l'Amérique car il croyait avoir trouvé le chemin le plus court pour conquérir Cathay, nom donné à la Chine par Marco Polo [2].
La colonisation de la Chine fut donc retardée et finalement réalisée par d'autres puissances occidentales, principalement l'Angleterre et la France entre 1839 et 1949, avec une brutalité non moins raffinée que celles des Conquistadores espagnols. Les chercheurs anglo-saxons, évaluent le nombre des victimes dans une fourchette oscillant entre 120 et 150 millions en un siècle [3]. Il ne faut jamais oublier cette barbarie quand les mêmes puissances occidentales prétendent donner des leçons de démocratie à la Chine.

Nous ne savons rien de la Chine ou si peu... parce que, pour commencer, nous lui attribuons un nom qui n'est pas le sien. 中國 en chinois, transcrit zhōng guó en pinyin, se traduit par "pays du milieu" et non par "empire du milieu" comme on le fait couramment, y compris dans Wikipédia qui comporte beaucoup d'autres erreurs dont l'usage du terme "sinogramme" au lieu de "caractère chinois" [4].
L'usage de l'expression volontairement fautive "empire du milieu", qui induit l'idée de domination voire d'assujettissement, était le lieu commun des colonisateurs et est resté le lieu commun de la propagande des médias dominants.
Pays s'écrit 國 en graphie classique et 国 en graphie simplifiée. 國 est composé de 囗 wéi (enceinte / enclos), 口 kǒu (bouche), 一 yī (le chiffre un) et 戈 gē (lance / hallebarde). 国 est composé de 囗 wéi (enceinte / enclos) et 玉 yù (jade). Ainsi, le mot pays évoque, en graphie classique, un espace délimité par une frontière, protégé par une force militaire et administré efficacement et, en graphie simplifiée, un espace délimité par une frontière et précieux comme le jade [5].

Nous ne savons rien de la Chine ou si peu... parce que la majorité des sinologues français, plus encore les prétendus tels, ont conservé la vision de la Compagnie de Jésus : faire rentrer la pensée chinoise dans le moule de la philosophie occidentale. C'est le cas des contributions de La pensée en Chine aujourd'hui [6] et notamment celle de Joël Thoraval qui annonce sans rire le retour en force d'une certaine forme du pragmatisme américain dans la Chine contemporaine !

Nous ne savons rien de la Chine ou si peu... parce que les médias dominants simplifient à l'extrême comme toujours et surtout parce qu'ils sont unanimes à relayer les idéologies les plus réactionnaires. Conformément à un processus classique d'évolution, les petits maîtres à penser, hier pro-chinois parce que disciples béats du grand timonier, sont aujourd'hui anti-chinois parce que prosélytes zélés du consensus néo-libéral droite-gauche [7]. La réalité chinoise est beaucoup plus complexe, mais qui s'en soucie ?

20/02/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
• Dictionnaire chinois français - français chinois en caractères simplifiés, Chine nouvelle.
• L'étude des caractères classiques permet de comprendre les subtilités de la langue et donc de la pensée chinoise. Ces deux livres, de lecture facile, constituent une excellente introduction :
- FAZZIOLI Edoardo, Caractères chinois - Du dessin à l'idée, 214 clés pour comprendre la Chine, Flammarion, 1987 et 1993.
- JAVARY Cyrille J.-D., 100 mots pour comprendre les Chinois, Albin Michel, 2008 [Djohi - Zénith FM].
Dossier documentaire & Bibliographie Chine Tibet Xinjiang, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie Cyrille JAVARY, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie François JULLIEN, Monde en Question.

[1] Les médias droite-gauche de la France catho-laïque se complaisent à encenser le dalaï lama, qui est leur héros contre la Chine. Il est vrai que, à l'heure où la démocratie s'exporte à coups de missiles contre le peuple afghan, il est logique que le chef religieux d'un secte puisse incarner à la fois une divinité tibétaine et la démocratie occidentale.

Dalaï Lama, sculpture d'Eugenio Merino
Et l'im-Monde récite son catéchisme : «le traitement réservé à cet homme en Europe et aux Etats-Unis est un marqueur de l'attachement que les Occidentaux éprouvent encore à l'égard des droits de l'homme». Le respect des droits de l'homme, invoqué contre les anciennes colonies, n'est qu'un discours néo-colonial... sans effets.
[2] Le terme grandes découvertes masque la réalité du projet colonial de la Monarchie catholique. La Conquista des Amériques commença en 1492 c'est-à-dire l'année où s'achevait la Reconquista chrétienne des royaumes musulmans de la péninsule Ibérique. La colonisation se traduisit par le vol des terres, le pillage des richesses, le massacre des résistants, l'esclavage et la conversion des survivants, l'imposition des mœurs et coutumes occidentales notamment vestimentaires.
[3] Un bon résumé par Michel TIBON-CORNILLOT : Les guerres de l'opium ou l'écrasement de la Chine, Dedefensa et La Chine en enfer : pillages et génocides blancs, Dedefensa.
[4] Le terme sinogramme ne fut pas inventé par Delphine Weulersse et Nicolas Lyssenko beaucoup le répète par copier-coller. C'est une appellation typiquement coloniale :
En France, il était déjà en usage au XIXe siècle : on le trouve employé, par exemple, dans un article d'Alexandre Ular, Notes sur la littérature en Chine. Il était également utilisé par les auteurs anglo-saxons : ainsi George Ripley et Charles A. Dana dans The New American Cyclopaedia: A Popular Dictionary of General Knowledge, dont l'édition fut entreprise dès 1858. Le premier usage attesté le serait en 1830, en langue latine : « sinogrammatum. » Cette année-là, l'abbé Janelli Cataldo publia un ouvrage dont le titre est : Tabulae Rosettanae Hieroglyphicae et Centuriae Sinogrammatum polygraphicorum interpretatio per Lexeographiam Temuricosemiticam (Neapoli Typis Regiis).
Wikipédia
Pour la petite histoire, Delphine Weulersse est une religieuse chrétienne orthodoxe que les éditions du Cerf présentent ainsi :
Après une licence de russe et un doctorat de chinois en Sorbonne, une année d'étude à l'université de Pékin et quatre au Japon, Delphine Weulersse, mariée et mère de trois enfants, a enseigné la langue et la littérature chinoises classiques pendant près de trente ans à l'université de Paris-VII. [...] En 1993, à la suite d'une conversion fulgurante, elle devient orthodoxe au monastère russe de Bussy-en-Othe où elle fera sa profession monastique en 2002 sous le nom d'Anastasia.
Quant à Nicolas Lyssenko, il a auto-édité avec Delphine Weulersse en 1986 une Méthode programmée du chinois moderne.
[5] 國, Wiktionary - 国, Wiktionary. Étymologie de 國, Chine nouvelle et JAVARY Cyrille J.-D., 100 mots pour comprendre les Chinois, Albin Michel, 2008 p.277 à 279.
Usages du caractère 國 à partir d'une recherche dans Google.
[6] CHENG Anne (sous la direction de), La pensée en Chine aujourd'hui, Folio Gallimard, 2007.
[7] HOCQUENGHEM Guy, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col mao au Rotary, Agone, 1986 et 2003.

22 février 2010

L'économie chinoise - Une perspective historique

MADDISON Angus, L'économie chinoise - Une perspective historique, OCDE, 1998 et 2007 [BooksGoogle - BooksGoogle English - Perspectives chinoises - Télécharger].
Angus Maddison est un économiste et historien anglais souvent pillé, mais rarement cité. En France, les articles de ou à propos de l'auteur sont quasi inexistants... Cela traduit le peu d'intérêt pour l'histoire sur la longue durée - le temps long du Monde décrit de Braudel à Grataloup - parce qu'elle va à contre-courant des prescriptions journalistiques auxquelles se soumettent les politiques et les intellectuels.

Le journalisme tue la pensée. La chasse aux nouvelles, l'une remplaçant l'autre qui tombe aussitôt dans l'oubli, fait de nous des bêtes consentantes pour l'abattoir.
Contemple le troupeau qui passe devant toi en broutant. Il ne sait pas ce qu'était hier ni ce qu'est aujourd'hui : il court de-ci de-là, mange, se repose et se remet à courir, et ainsi du matin au soir, jour pour jour, quel que soit son plaisir ou son déplaisir. Attaché au piquet du moment il n'en témoigne ni mélancolie ni ennui.
NIETZSCHE Friedrich, De l'utilité et de l'inconvénient des études historiques pour la vie in Considérations intempestive, 1874.
Dans la préface à cette seconde considération à contre-temps, Friedrich Nietzsche faisait de l'histoire une nécessité «pour vivre et pour agir» :
Nous avons besoin de l'histoire, mais autrement que n'en a besoin l'oisif promeneur dans le jardin de la science, quel que soit le dédain que celui-ci jette, du haut de sa grandeur, sur nos nécessités et nos besoins rudes et sans grâce. Cela signifie que nous avons besoin de l'histoire pour vivre et pour agir, et non point pour nous détourner nonchalamment de la vie et de l'action, ou encore pour enjoliver la vie égoïste et l'action lâche et mauvaise. Nous voulons servir l'histoire seulement en tant qu'elle sert la vie. Mais il y a une façon d'envisager l'histoire et de faire de l'histoire grâce à laquelle la vie s'étiole et dégénère. C'est là un phénomène qu'il est maintenant nécessaire autant que douloureux de faire connaître, d'après les singuliers symptômes de notre temps.
NIETZSCHE Friedrich, De l'utilité et de l'inconvénient des études historiques pour la vie in Considérations intempestive, 1874.
15/02/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Autres ouvrages :
• MADDISON Angus, L'économie mondiale - Une perspective millénaire, OCDE, 2001 [Alternatives Economiques - BooksGoogle - Numilog].
Angus Maddison présente un panorama complet de la croissance et des niveaux de la population mondiale depuis l'an Mil. Au cours de cette période, la population de la planète a été multipliée par 22, le PIB par habitant par 13 et le PIB mondial par près de 300. Les progressions les plus fortes ont eu lieu dans les pays riches d'aujourd'hui (Europe occidentale, Amérique du Nord, Australasie et Japon). L'écart entre le leader mondial - les États-Unis - et la région la plus pauvre - l'Afrique - est à présent de 20 pour 1. En l'an Mil, les pays riches d'aujourd'hui étaient plus pauvres que l'Asie et l'Afrique.
L'auteur s'est fixé plusieurs objectifs. Il fait oeuvre de pionnier en s'efforçant de chiffrer la performance économique des nations sur le très long terme. Il entreprend aussi d'identifier les facteurs qui expliquent la réussite des pays riches et d'explorer les obstacles qui ont freiné le parcours des pays qui n'ont pas connu la même progression. Enfin, il analyse l'interaction entre les nations riches et les autres pour évaluer la part de l'exploitation dans cette relation.

• MADDISON Angus, L'économie mondiale - Statistiques historiques, OCDE, 2003 [BooksGoogle - BooksGoogle English - Numilog].

Articles :
• MADDISON Angus, L'Occident et le reste du monde dans l'ordre économique international, OCDE, 2002.
• MADDISON Angus, La Chine dans l'économie mondiale de 1300 à 2030, Outre-Terre n°15, 2006.
• McRAE Hamish, 1000 ans de mondialisation, OCDE, Septembre 2001.
Les empires naissent et meurent, l'économie demeure. Le dernier millénaire a été marqué par l'ascendance de l'Occident, mais son déclin est inévitable.

Lire aussi :
Dossier documentaire & Bibliographie Chine Tibet Xinjiang, Monde en Question.
Dossier documentaire & Bibliographie Géo-Histoire globale, Monde en Question.

21 février 2010

Lettres d'Iwo Jima


Le 19 février 1945, les États-Unis lancèrent une offensive militaire d'envergure pour occuper l'île japonaise Iōtō (硫黄島 littéralement l'île du soufre), plus connue en Occident sous le nom de Iwo Jima.

En 2006, Clint Eastwood a produit et réalisé Lettres d'Iwo Jima. Alors que beaucoup de gens, qui se prétendent de gauche, l'ont traîné dans la boue [1], Clint Eastwood a osé raconter la guerre du point de vue japonais. Quel cinéaste français a raconté la guerre d'Algérie du point de vue algérien ?

La réception de la critique ne fut pas bonne comme en témoignent ces deux extraits :
Mais ce qui fait les qualités de Lettres d'Iwo Jima, cette recherche constante de simplicité narrative à travers des situations clairement exposées (on reste sur l'île durant la majeure partie du film), des personnages variés (une petite dizaine, du simple soldat au général stratège), et à l'aide de cette réalité historique qui plus encore que de ligne directrice, sert de véritable tuteur, constitue également sa limite. Car de narratif, le film devient peu à peu par trop démonstratif, s'empêchant par là même de creuser les psychologies, de travailler plus qu'une esquisse d'analyse.
Critikat

Cette galerie de portraits un peu désuète est mise en scène avec tant d'affection que, lorsque l'inévitable survient après les séquences situées pendant l'approche de l'armada américaine, on est malgré tout saisi. Une fois le combat engagé, l'enjeu n'est pas tant de savoir qui va survivre (les combattants japonais d'Iwo Jima qui avaient survécu aux combats se sont presque tous donné la mort, sur ordre de leurs officiers) que d'assister à la mort de chacun.
Le Monde
Les arguments cinéphiles masquent le refus d'entendre le récit d'une guerre raconté par l'ennemi... même vaincu. C'est ce point de vue de l'autre que le critique de Télérama reproche crûment :
De fait, s'il faut jusqu'au bout déboulonner la statue, avouons qu'on ne voit pas bien où est la signature de Clint Eastwood dans ce film dont la version originale est japonaise - pourquoi donc n'en a-t-il pas confié la mise en scène à un cinéaste nippon ? - et qui relève plus d'une logique commémorative que cinématographique.
La seule critique intelligente du film est le dossier pédagogique publié par Zéro de conduite.


19/02/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
• Débarquement US à Iwo Jima, Vidéo INA
• Lettres d'Iwo Jima :
- AlloCiné
- Site du film
- Wikipédia

[1] Lire : Les notes de These Vagabond Shoes, Monde en Question.