Le livre de Pierre Péan et Philippe Cohen, La face cachée du "Monde", du contre-pouvoir aux abus de pouvoir, est sorti en librairie le même jour que le numéro spécial du Monde sur « Staline, 50 ans après : ce qu'il fut, ce qu'il fit et ce qu'il en reste » – curieusement titré à la une du 26 février « Enquête sur une barbarie moderne » [1].
Le communiqué du conseil d'administration de la Société des rédacteurs du Monde, publié le 28 février, illustre bien en effet « ce qu'il reste » du stalinisme. La direction du Monde reprend à son compte les procédés du PCF, quand la presse avait révélé le passé de Georges Marchais pendant la guerre, c'est-à-dire ne pas répondre sur les faits mais crier au complot : « C'est la collectivité du Monde, ses rédacteurs, ses cadres, ses employés, ses ouvriers, qui est livrée à l'opprobre » !
Hier, mettre en cause Georges Marchais fut présenté comme une agression contre tous les membres du parti, et aujourd'hui, mettre en cause la direction du Monde, en accumulant des faits aussi précis que troublants, serait une agression contre tous les salariés du journal. Hier comme aujourd'hui, on proclame que rien « ne saurait déstabiliser » la direction « unie et solidaire face à cette agression ».
Pourtant un journaliste du Monde, Daniel Schneidermann, a osé braver cette unanimité dans le supplément Télévision du 1er mars : « L'essentiel, c'est que cette enquête sur la part d'ombre du journal multiplie les faits ». Beaucoup s'étonnent qu'il soit seul à s'exprimer et donc à démentir le « climat de peur » qui règne dans la rédaction.
Serge LEFORT
3 mars 2003
[1] Le mot « enquête » est pour le moins abusif.