Le nettoyage ethnique et Israël
L’un des développements les plus troublants au Moyen-Orient est ce consensus grandissant parmi les Israéliens considérant comme acceptable l’expulsion - dans la bouche de ses partisans, le «transfert» - des citoyens arabes soit vers un Etat palestinien toujours non constitué, soit vers les pays voisins de Jordanie ou d’Egypte.
Une telle opinion n’est certainement pas nouvelle chez les extrémistes israéliens, et elle a été défendue par des organisations juives racistes comme le Kach, le parti du défunt rabbin Meir Kahane, et par des organisations comme l’Union nationale qui a doublé sa représentation à la Knesset aux dernières élections.
Mais le «transfert» n’est plus l’apanage des extrémistes, il est de plus en plus intégré dans le dialogue politique dominant. «Ma solution pour conserver l’Etat juif et démocratique d’Israël est d’avoir deux Etats-nations, avec quelques concessions, et des lignes rouges précises,» déclarait la dirigeante du Kadima et ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni à un groupe d’élèves d’un lycée de Tel Aviv en décembre dernier, «et entre autres choses, je serai capable de m’adresser aux résidents palestiniens d’Israël, ceux que nous appelons les Arabes israéliens, et de leur dire : ‘Votre solution nationale est située ailleurs’.»
Un tel discours a des conséquences
Selon l’Association israélienne pour les Droits civils, les incidents anti-arabes sont en nette progression. «La société israélienne atteint de nouveaux sommets dans le racisme qui portent atteinte à la liberté d’expression et à la vie privée,» dit Sami Michael, président de l’organisation. Entre autres conclusions de l’association :
- pour quelque 55% des Israéliens juifs, l’Etat devrait encourager l’émigration arabe ;
- 78% des Israéliens juifs sont opposés à la participation de partis arabes au gouvernement ;
- 56% sont d’accord avec l’affirmation, «Les Arabes ne peuvent pas atteindre le niveau juif de développement culturel» ;
- 75% pensent que les Arabes sont enclins à être violents. Chez les Arabes israéliens, 54% pensent la même chose des juifs.
- 75% des Israéliens juifs disent qu’ils n’aimeraient pas vivre dans le même immeuble que des Arabes.
La crispation entre la démocratie israélienne et le caractère juif du pays a été au centre de la campagne du parti Yisrael Beiteinu d’Avigdor Lieberman aux dernières élections. Son parti a augmenté sa représentation à la Knesset de 11 à 15 sièges, et il est maintenant le 3ème plus grand parti au parlement.
Lieberman, qui vit dans une colonie de Cisjordanie près de Bethléhem, réclame «un serment de fidélité» de la part des Arabes israéliens pour, soit expulser ceux qui refusent, soit leur nier tous les droits de citoyenneté. Lors d’un débat à la Knesset en mars dernier, Lieberman déclarait aux députés arabes, «Vous n’êtes ici que temporairement. Un jour, nous nous occuperons de vous.»
De telles opinions progressent, surtout parmi les jeunes Israéliens juifs chez lesquels un enseignement politisé de l’histoire et un désespoir grandissant à propos de l’avenir ont suscité un fort glissement à droite.
Récemment dans Ha’aretz, Yotam Feldman a écrit un article sur ses visites dans des lycées d’Israël, où les élèves admettent librement leur haine des Arabes et ne se soucient aucunement de voir la démocratie se dégrader.
«Serge Liebliyanich, un élève des grandes classes, fait un lien entre la préparation au service militaire à l’école et le soutien des élèves en faveur de la droite», écrit Feldman, «Cela nous motive contre les Arabes. Vous voulez vous engager dans l’armée et ainsi vous pouvez vous colleter avec eux... J’aime ce que dit Lieberman sur les Arabes. Bibi (Benjamin Netanyau, dirigeant du parti de droite, Likoud) ne veut pas aller aussi loin.»
Feldman a réalisé un sondage dans 10 lycées et il a constaté que le parti Yisrael Beiteinu y était le plus populaire, suivi par le Likoud. Le parti de gauche Meretz arrive en queue de liste.
Pour une part, il faut blâmer la politisation du système éducatif.
Mariam Darmoni-Sharviot, ancien professeur de civisme qui a participé à la mise en œuvre des recommandations de la Commission Kremnitzar en 1995 sur l’enseignement et la démocratie, a déclaré à Feldman : «Quand je parlais dans un cours de civisme de la minorité arabe, et sur son caractère unique d’avoir été une majorité devenue minorité, mes élèves soutiennent que ce n’est pas vrai qu’ils (les Arabes) aient représenté une majorité.» Et lorsque elle se retrouvait avec les enseignants, qu’elle leur demandait pourquoi les élèves ignoraient que les Arabes étaient une majorité en 1947, les professeurs devenaient alors «évasifs et disaient que cela ne faisait pas partie de leur matière».
Pour une part, les élèves reflètent la culture qui les entoure.
«La société israélienne parle deux langages» dit le ministre de l’Enseignement Yuli Tamir. «Nous nous considérons comme une société démocratique, et pourtant nous négligeons souvent des choses qui sont à la base même de la démocratie... Si les élèves voient la Knesset exclure les partis arabes, décision à laquelle je suis catégoriquement opposé, comment s’attendre à ce qu’ils intègrent les valeurs démocratiques ?».
Tous les grands partis israéliens ont voté le retrait de deux partis arabes pour les élections, la Liste arabe unifiée-Ta’al et Balad, parce qu’ils s’étaient opposés à la guerre à Gaza. Balad appelle aussi à l’égalité des droits pour tous les Israéliens. Pour le porte-parole du Kadima, Maya Jacobs, «Balad vise à liquider Israël en tant qu’Etat juif et à le transformer en un Etat pour tous ses citoyens». Le parti travailliste les a rejoints pour interdire Balad, mais pas Ta’al.
La Cour suprême israélienne a annulé la décision et les deux partis ont fini par avoir sept élus à la Knesset aux récentes élections.
«L’objectif final est là,» dit Dominic Moran, premier correspondant de INS Security Watch au Moyen-Orient, «il s’agit de rompre le peu de liens qui unissent juifs et Arabes, au point que l’idée de transférer la population arabe israélienne de l’autre côté des frontières de l’Etat, cheval de bataille du Yisrael Beiteinu, gagne de plus de plus en légitimité.»
Ce virage à droite reflète aussi une crise économique où la pauvreté est à la hausse, et le coût de l’entretien des colonies dans les Territoires occupés et de l’armée israélienne devient un fardeau écrasant. La Paix Maintenant estime que le coût de l’occupation atteint 1,4 milliard de dollars annuellement, sans compter le mur de séparation. Le budget militaire d’Israël est d’un peu moins de 10 milliards de dollars par an. Selon Ha’aretz, la guerre de Gaza a coûté 374 millions de dollars.
Quelque 16% de la population juive sont tombés au-dessous du seuil de pauvreté, un chiffre qui comprend 50% d’Arabes israéliens.
«La réalité israélienne ne peut plus dissimuler ce qu’elle a tenu caché jusqu’à présent : aujourd’hui, aucune mère un tant soit peu sensible ne peut honnêtement dire à son enfant : ‘l’année prochaine, les choses iront mieux’» déclare un professeur de philosophie, Ilan Gur-Ze’ev. «La jeunesse est en train de remplacer l’espoir d’un avenir meilleur par le mythe d’une fin héroïque. Et pour une fin héroïque, Lieberman fait l’affaire.»
La tension entre les communautés se manifeste principalement dans les Territoires occupés, où l’expansion acharnée des colonies et l’humiliation constante de centaines de barrages routiers israéliens nourrissent la colère des Palestiniens. Décembre dernier, des colons à Hébron ont attaqué des Palestiniens après que le gouvernement israélien ait fait évacuer un immeuble appartenant à des Arabes qu’occupait un groupe de familles juives. En réaction, les colons ont lancé «l’opération Etiquette» pour infliger une punition aux Palestiniens si le gouvernement de Tel Aviv prenait des mesures contre les colons. Les émeutiers ont brûlé des voitures, profané un cimetière musulman, et abattu deux Arabes.
Les déchaînements de colons en Cisjordanie ne sont pas nouveaux, même s’ils ne sont pratiquement pas couverts par les médias aux USA. Mais une tendance inquiétante se manifeste avec l’apparition de colons extrémistes en Israël. Fin de l’année dernière, Baruch Marzel, colon de Cisjordanie et disciple de Kahane, a menacé d’organiser une marche dans Umm al-Fahm, une grande ville israélo-arabe près de Haïfa [1].
«Nous avons un cancer capable d’emporter l’Etat d’Israël» a dit Marzel au Forward «et ces gens [les Arabes] représentent au cœur d’Israël une force capable de détruire Israël de l’intérieur. Je vais dire à ces gens que la terre d’Israël est la nôtre.»
Les Arabes israéliens accusent les colons - certains de ces extrémistes sont des colons qui ont quitté Gaza il y a trois ans - d’avoir joué un rôle dans les émeutes pendant le Yom Kippour l’année dernière, dans la ville mixte d’Acre et d’avoir obligé des familles arabes à quitter leur maison dans la partie est de la ville. Les Arabes représentent environ 14% de la population de la ville d’Acre et 20% de celle d’Israël.
Le rabbin Dov Lior, président du Conseil rabbinique de Cisjordanie, a décrété, «Il est absolument interdit d’employer des Arabes et de leur louer des maisons en Israël.»
Le centre juridique Adallah, pour la défense des droits de la minorité arabe, presse le procureur général israélien, Mernachem Mazuz, d’enquêter sur «l’incitation au racisme qui se déchaîne contre les Arabes en général et les habitants (arabes) d’Acre en particulier.»
Le 15 octobre, trois jours après les émeutes d’Acre, deux appartements arabes à Tel Aviv ont été attaqués avec des cocktails molotov. Sept hommes juifs ont été arrêtés. Les habitants arabes de Lod et de Haïfa se sont plaints d’avoir fait l’objet de pression pour les obliger à déménager.
Dans le cas de Lod, les autorités municipales expriment ouvertement leurs intentions. Le porte-parole de la municipalité, Yoram Ben-Aroch, a nié toute discrimination dans la ville contre les Arabes, mais il a déclaré au Forward que les autorités municipales voulaient que Lod devienne «une ville plus juive. Nous devons renforcer le caractère juif de Lod et les religieux comme les sionistes ont un grand rôle à jouer dans ce renforcement.»
Cependant, l’anarchie grandissante chez les colons de Cisjordanie et les nationalistes juifs commence à ébranler les autorités de Tel Aviv. Après que des extrémistes de droite aient tenté d’assassiner le professeur Zeev Sternhell, un militant de la Paix Maintenant, le directeur du Shin Bet, Yuval Diskin, a déclaré que les services de Renseignements se disaient «très préoccupés» à propos de la «droite extrémiste» et de sa volonté à recourir à la violence. Même le Premier ministre Ehud Olmert s’est exprimé en disant, «Nous ne sommes pas disposés à vivre avec un nombre significatif de personnes qui rejettent toute autorité» et il a qualifié l’opération Etiquette de «pogrom».
Jusqu’à présent cependant, le gouvernement et le Shin Bet n’ont pas fait grand-chose pour freiner la marée montante du terrorisme de droite, qui vise aussi bien les juifs que les Arabes.
Pour Ahmad Tibi, du parti arabe Ta’al, même si les Israéliens arabes se sentent menacés par ce que Neve Gordon, scientifique politique à l’université Ben Gourion, appelle un «mouvement vers une politique xénophobe», Tibi avertit, «c’est la majorité juive qui devrait avoir peur de ce phénomène.»
Conn Hallinan
3 mars 2009
Publié par Info-Palestine selon Counterpunch.
[1] Voir sur ce point également : Une délégation israélienne de solidarité à Hébron de Michel Warschawski.