Laissons ce lecteur, qui se cache derrière le pseudonyme de Pierre, à ses obsessions juridico-policières. Les questions dérangent la direction de Lutte Ouvrière car, les langues se déliant via Internet, elle ne peut plus tenir ses militants dans l'ignorance de sa propre histoire [1].
Non seulement d'ex-militants, comme Thierry Jonquet [2], mais aussi d'ex-responsables témoignent des mœurs étranges de cette organisation :
- Voix des Travailleurs exclus en 1997 [Fausses raisons d'une exclusion, vraies raisons d'une rupture],
- Dominique Dumont en 1999,
- L'Étincelle exclus en 2008 [Textes].
Barta, qui est à l'origine de Lutte Ouvrière, avait dénoncé depuis longtemps les dérives organisationnelles et politiques de ce groupe :
• Les problèmes fondamentaux de la construction d'un parti (et c'est l'objectif principal que vous faites figurer en tête de votre journal) sont surtout d'ordre qualitatif. Pour vous, c'est maintenant une question de vie et de mort. Rien ne sera résolu par la simple répétition ou l'accroissement du travail de la veille (en ce qui concerne la direction, bien entendu). Continuer ainsi c'est la sclérose définitive, quel que puisse être l'accroissement quantitatif. La construction d'un parti oblige à passer d'une étape à l'autre quels que soient les risques. Sinon vous serez un groupe parmi d'autres, dont le ciment sera les relations et les convenances personnelles beaucoup plus que l'attitude politique.Pour Robert Barcia, les questions organisationnelles relèvent de la "petite histoire" (Lutte Ouvrière, Octobre 72) parce que son propre passé de falsificateur n'est pas avouable :
Barta à Bois, 11/03/1965
• Possesseurs de recettes révolutionnaires salvatrices, les dirigeants de ces groupes [les différentes organisations trotskystes] agissent en dehors de l'histoire (Mai 1968 l'a bien confirmé) selon des formules et des orientations qui, valables il y a trente ans, le seront encore en l'an 2000 : quand la Révolution est tarie à la source, son ombre n'est plus reflétée que par des simulacres révolutionnaires.
Barta, août 1972
• Mais en l'occurrence la référence au passé n'est pour vous qu'un alibi pour créer chez vos militants un réflexe de discipline sans réflexion politique, et de justifier votre propre rôle dirigeant.Monsieur ou Madame Pierre va-t-il/elle intenté un procès en diffamation à tous ces témoins ?
Et "l'amour propre de parti", derrière lequel vous vous réfugiez, ne peut, pour un socialiste, tenir lieu de pensée, d'esprit critique, et de respect de la vérité.
Lettre de Louise (Irène) à la direction de Lutte Ouvrière, Décembre 1972
• En effet, depuis longtemps, je déplorais l'absence d'une vie politique réelle au sein de l'organisation, l'absence d'objectifs clairement définis et, corollairement, l'absence d'une stratégie élaborée en vue d'une intervention consciente et efficace dans les événements. Chaque fois qu'un mouvement important s'est produit, nous nous sommes trouvés en dehors et, dans les meilleurs des cas, nous nous sommes contentés de suivre.
De même, plus d'une fois, j'ai ressenti nos méthodes organisationnelles comme une application caricaturale de principes vidés de tout contenu réel, du fait même de l'absence de la politique qui aurait dû constituer leur justification.
Lettre de Lucienne à la direction de Lutte Ouvrière, 8 Janvier 1973 [3]
08/10/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde
[1] Il semble que les petits secrets de LO autour de la mort de Robert Barcia ne laissent pas indifférents "les amis de Lutte Ouvrière" même si beaucoup de militants ou sympathisants réagissent comme s'ils étaient atteints par le complexe de Massada une sorte de paranoïa collective. D'autres forums glosent sur le même sujet comme celui des marxistes révolutionnaires.
[2] JONQUET Thierry, Rouge c'est la vie, Seuil, 1998 [Hommage à Thierry Jonquet].
Bien avant de devenir auteur de romans policiers, Thierry Jonquet a milité un peu plus de deux ans à Lutte Ouvrière. "Je voulais interroger Hardy sur la double pratique de son organisation, dit-il. Il y a des militants dévoués. Mais, sous prétexte de clandestinité, les dirigeants sont dispensés de ce travail. Jeune militant, en 1971, je me suis fait virer du lycée à la suite d'une grève un peu tendue. Quelle ne fut pas ma surprise de constater que la dirigeante chargée d'inciter les jeunes lycéens à militer, à vendre le journal et à s'exprimer publiquement se cachait de ses collègues. Elle était professeur d'histoire dans un lycée parisien. On ne voit pas pourquoi les trotskistes se seraient cachés des autres profs, surtout dans les années 70. Un jour que je vendais LO devant son lycée, j'ai voulu la saluer. Elle a détourné la tête et a filé avec les autres enseignants. Le soir, au cours d'une réunion de LO, elle m'a reproché d'avoir pris le risque insensé de la faire repérer ! A LO, la piétaille prend tous les risques, mais les dirigeants sont protégés. Et c'est ça, la véritable histoire de Barcia."
[3] La publication de tous ces documents, voulue par Barta [lire aussi les dernières lettres de Barta 1975 et 1976], fut réalisée grâce au travail de Lucienne, de Louise et, plus récemment, de Richard Moyon [Archive Internet des Marxistes - Union Communiste].