Les indications concernant une perspective d’affrontement très sérieux entre les USA et Israël continuent à apparaître dans divers commentaires. [...]
Le crédit de Madsen semble concerner des sources extrêmement précises au département d’Etat, lequel s’avère très actif dans cette nouvelle orientation. Pour autant, et c’est un signe particulièrement significatif, les autres centres de pouvoir de l’administration Obama, le NSC, le vice-président Biden, voire le Pentagone et même la CIA, semblent suivre cette même ligne. Ce qui se dessine est une sorte de “révolte silencieuse” générale de la bureaucratie de sécurité nationale contre l’omniprésence et l’omnipotence de l’influence d’Israël dans la politique US durant les années GW Bush.
Plusieurs éléments ponctuels, outre l’arrivée de l’administration Obama bien sûr, expliquent cette évolution éventuelle.
• La transformation du Lobby (le lobby pro-israélien) en une machinerie d’extrême droite directement sous l’influence du ministre des affaires étrangères Lieberman. Cela rejoint l’appréciation de l’ambassadeur Freeman, dont le départ a mis à jour d'une façon quasiment officielle l’influence du Lobby. Commentant sa déclaration de renonciation à son poste de président du National Intelligence Council, Freeman avait déclaré que sa seule faute dans cette déclaration avait été de parler de Lobby pro-Israël, et non de ce qu’il est, le Lobby pro-Lieberman.
• Ce même Lieberman est vu par les sources de Wadsen au département d’Etat comme un homme extrêmement dangereux, qui représente un potentiel de très grave danger pour la politique US. [...]
Les deux points que Madsen considère comme des points d’affrontements extrêmement explosifs sont la question du Hamas et la question nucléaire, – mais, surtout, la question du nucléaire israélien…
• Sur la question du Hamas, les sources de Madsen jugent que les USA vont être nécessairement conduits à établir un dialogue avec le Hamas, comme seule force représentative sérieuse des Palestiniens. La politique d’Obama des deux Etats conduit à cette évolution. Cette même évolution conduirait même à modifier complètement l’appréciation US du Hezbollah.
• Le deuxième point d’affrontement est absolument explosif. Il concerne les questions liées entre elles du nucléaire iranien, de la solution recherchée pour résoudre ce problème, avec l’hypothèse que cette solution serait d’une façon ultime l’établissement d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient. Cela signifie une attaque directe contre l’arsenal nucléaire de 200 têtes d’Israël. Nous mettons en exergue une phrase d’une source de Madsen, qui met en évidence la simplicité explosive du problème telle que certains la voient au département d’Etat.
• Enfin, un autre aspect des tensions américano-israéliennes en train de se développer concerne les rapports entre les services de renseignement. Jusqu’ici, l’aspect déséquilibré et polémique de ces relations, avec le comportement souvent manœuvrier et trompeur du Mossad vis-à-vis de la CIA a toujours été occulté (bien qu’un certain nombre d’agents du Mossad, ou sympathisants, aient été poursuivis pour espionnage des matières de sécurité nationale US). Madsen semble avancer que cette situation pourrait bien ne plus durer.
18/04/2009
Publié par Dedefensa.
18 avril 2009
Voix israéliennes contre l’occupation (2)
Le combattant et son pays
Mais ils sont aussi des héros, tous ceux qui surmontent l’instinct de propriété, la volonté de pouvoir, la soif d’honneurs, l’instinct sexuel - et la bravoure guerrière n’est en rien supérieure. La référence donnée à l’héroïsme au combat par rapport à toutes les autres formes d’héroïsme est une des caractéristiques du renforcement en notre sein du principe de violence. [...]
Il y a eu des guerriers héroïques qui étaient des justes et d’autres qui étaient des méchants, certains ont été des saints, d’autres des monstres. C’est pourquoi cet ajout dans la prière du souvenir n’est qu’une preuve supplémentaire de cet esprit de violence qui a pénétré le judaïsme religieux contemporain. [...]
Quant aux 140 soldats qui refusent de participer à des actions qui transforment l’armée de défense d’Israël en armée d’occupation d’Israël, [...] ce sont eux les héros d’Israël. [...]
Ce refus, s’il devient un phénomène collectif, même minoritaire, est susceptible de remettre en question le consensus national-fasciste qui domine la société toute entière. Il peut s’agir du premier pas d’un retour de la bestialité à des valeurs juives et humaines.
Yeshayahu Leibowitz
1985
Publié par Michel WARSCHAMSKI (Textes téunis et présentés par), La révolution sioniste est morte - Voix israéliennes contre l’occupation, 1967-2007, La Fabrique, 2007 p.57 à 62 selon Yesh Gvul.
La révolution sioniste est morte
Le sionisme est mort, et ses agresseurs sont installés dans les fauteuils du gouvernement à Jérusalem. [...] La révolution sioniste reposait sur deux piliers : la soif de justice et une équipe dirigeante soumise à la morale civique. L’une est l’autre ont disparu. [...]
Notre vocation était de devenir un modèle, la lumière des nations, et nous avons échoué. La réalité, au terme de deux mille ans de combat pour la survie, c’est un Etat qui développe des colonies sous la houlette d’une clique corrompue qui se moque de la morale civique et du droit. [...]
Aussi longtemps qu’un Israël arrogant, terrorisé et insensible à soi-même et à autrui fera face à une Palestine humiliée et désespérée, nous ne pourrons pas avoir la paix. [...]
L’alternative, c’est une prise de position radicale : le blanc ou le noir - s’y dérober serait consentir à l’abject. Voici les composantes de l’option sioniste authentique : une frontière incontestée au centimètre prés, un plan social global pour guérir la société israélienne de son insensibilité et de son absence de solidarité, la mise au ban du personnel politique corrompu au pouvoir aujourd’hui.
Avraham Burg
2002
Publié par Michel WARSCHAMSKI (Textes téunis et présentés par), La révolution sioniste est morte - Voix israéliennes contre l’occupation, 1967-2007, La Fabrique, 2007 p.87 à 92 selon Yediot Aharonot.
Comme les Allemands, nous ne voulons pas savoir
Dans ce pays, on rencontre aujourd’hui des gens qui disent « je ne veux pas savoir, je ne lis pas les journaux ». [...]
Nous n’avons pas accepté que les Allemands disent « nous ne savions pas » et cela nous a rendus furieux, à juste titre. [...] Chez nous aussi, les gens ne savent pas et ne veulent pas savoir. Ce qu’ils savent c’est qu’ils doivent se montrer patriotes. Et quoi de plus patriotique qu’une guerre ? Et l’on hisse le drapeau dans les écoles. Et l’on chante l’hymne national. Il y a même cette imbécile (Limor Livnat, ministre de l’Education nationale) qui a proposé d’inscrire sur les murs des classes : Elohim yaazor lanou (Dieu nous viendra en aide). Ne sait-elle pas que sur le ceinturon des soldats nazis, il était inscrit Dieu est avec nous ? Il règne ici une hystérie patriotique et les gens ne disent rien. [...]
Quand nos tireurs d’élite tuent des gens, je ne peux pas vivre avec ça. Je ne peux pas admettre que nous ressassions sans cesse que nous sommes les victimes et que nous ne fassions pas notre examen de conscience. [...]
Quand le général Amos Yadlin, qui dirige le collège de la Sécurité nationale, écrit un article dans lequel il juge moral de tuer des femmes et des enfants lors de nos liquidations ciblées, et quand quelqu’un comme le professeur Assa Kasher (philosophe à l’université de Tel-Aviv) soutient cette position, il y a un problème. [...]
Dans Yediot Aharonot, Nahum Barnea a un jour écrit que Sharon lui avait dit : « Le sang juif est le ciment le plus efficace pour maintenir le consensus national. Quand le terrorisme diminue, les interrogations apparaissent, les critiques se font entendre et l’amertume grandit. Lorsque la terreur ne s’exerce pas, notre société se relâche et perd son dynamise. »
Shulamit Aloni
Avril 2004
Publié par Michel WARSCHAMSKI (Textes téunis et présentés par), La révolution sioniste est morte - Voix israéliennes contre l’occupation, 1967-2007, La Fabrique, 2007 p.103 à 109 selon Yediot Aharonot.
Victime de la violence d'État...
Je crois que vous auriez dû inviter une femme palestinienne à ma place, parce que les femmes qui souffrent le plus de la violence dans mon pays sont les femmes palestiniennes. [...]
En fait la violence d'État et la violence ce l'armée, la violence individuelle et collective sont le lot des femmes musulmanes aujourd’hui, pas seulement en Palestine mais partout où le monde occidental éclairé pose son grand pied impérialiste. [...] C’est ainsi parce que le soi-disant monde libre a peur de l’utérus musulman. [...]
Chacune d’entre nous est terrorisée par une éducation qui infecte l’esprit, qui nous fait croire que tout ce que nous pouvons faire, c’est soit prier pour que nos fils reviennent à la maison, soit être fières devant leur cadavre. [...]
L’islam en soi, comme le judaïsme en soi et le christianisme en soi, n’est pas une menace pour moi ni pour qui que ce soit. C’est l’impérialisme américain, c’est l’indifférence et la complicité européennes, c’est le régime israélien raciste et cruel qui sont une menace.
Nurit Peled-Elhanan
8 mars 2005
Publié par Michel WARSCHAMSKI (Textes téunis et présentés par), La révolution sioniste est morte - Voix israéliennes contre l’occupation, 1967-2007, La Fabrique, 2007 p.110 à 115. Texte complet, Investig’action
Lire aussi :
• Dossier Résistance à la colonisation de la Palestine
• Bibliographie Palestine/Israël
16 avril 2009
Voix israéliennes contre l’occupation (1)
Appel de 1967
Notre droit de nous défendre contre l'extermination ne nous donne pas le droit d'opprimer les autres.
L'occupation entraîne une domination étrangère.
Une domination étrangère entraîne la résistance.
La résistance entraîne la répression.
La répression entraîne le terrorisme et le contre-terrorisme.
Les victimes du terrorisme sont en général des innocents.
La mainmise sur les territoires occupés fera de nous des assassins.
Sortons des territoires occupés maintenant !
Shimon Tsabar, Haim Hanegbi, Rafi Zichroni, David Ehrenfeld, Uri Lifschitz, Arie Bober, Dan Omer, Moshé Machover, Schneour Sherman, Raif Elias, Elie Aminov, Yehuda Rozenstrauch
Septembre 1967
Publié par Michel WARSCHAMSKI (Textes téunis et présentés par), La révolution sioniste est morte - Voix israéliennes contre l’occupation, 1967-2007, La Fabrique, 2007 p.34 selon Ha'aretz.
Lire aussi :
• «Sortez des territoires occupés maintenant !», Discours de Michèle Sibony à la manifestation "40 ans d'occupation israélienne, ça suffit !" du 9 juin 2007 à Genève, Collectif Urgence Palestine
• Dossier Résistance à la colonisation de la Palestine
• Bibliographie Palestine/Israël
15 avril 2009
L'alliance russo-israélienne
En mars, je posais la question «Quel média dominant a évoqué que "l'armée russe se dotera de drones israéliens" ? A ma connaissance aucun, sinon l'agence russe RIA Novosti» [1]. Aujourd'hui, je découvre (via un blog [2]) que l'Express avait relayé cette information, publiée par l'AFP via RIA Novosti le 07/10/2008 [3]. Donc acte.
Il demeure que l'achat de drones israéliens par la Russie reste peu commenté [4]. L'alliance russo-israélienne est pourtant un retournement stratégique. Elle se réalise sur le dos Palestiniens (qui s'en soucie ?) et contre l'Iran, qui est devenu fréquentable par les USA... pour vaincre en Afghanistan [5] et isoler la Chine (pour combien de temps ?).
Serge LEFORT
15/04/2009
[1] Mensonges médiatiques, Monde en Question Blogger - WordPress.
[2] Le jeu israélo-russe, Nomades express.
[3] Ehud Olmert à Moscou : le retour de la géopolitique, l'Express.
[4] Lire :
• La Russie va acheter des drones israéliens, AFP-Yahoo! Actualités.
• La Russie acquiert des drones israéliens pour la première fois, Reuters-Yahoo! Actualités.
• Articles Défense, RIA Novosti.
[5] Lire :
• Tous comptes faits, l’Iran est de plus en plus sympa, Dedefensa.
• Moscou, le BMDE et la “fenêtre d’opportunité” d’Obama, Dedefensa.
• Considérations sur un compromis à propos du BMDE et de l’Iran, Dedefensa.
• Obama, Netanyahou et “AfPak”/ peut-être des surprises…, Dedefensa.
• L’Iran : “Yes, we can (change)”?, Dedefensa.
• La politique iranienne de BHO et le sort de Dennis Ross, Dedefensa.
• Vers l’affrontement Obama-Netanyahou?, Dedefensa.
Il demeure que l'achat de drones israéliens par la Russie reste peu commenté [4]. L'alliance russo-israélienne est pourtant un retournement stratégique. Elle se réalise sur le dos Palestiniens (qui s'en soucie ?) et contre l'Iran, qui est devenu fréquentable par les USA... pour vaincre en Afghanistan [5] et isoler la Chine (pour combien de temps ?).
Serge LEFORT
15/04/2009
[1] Mensonges médiatiques, Monde en Question Blogger - WordPress.
[2] Le jeu israélo-russe, Nomades express.
[3] Ehud Olmert à Moscou : le retour de la géopolitique, l'Express.
[4] Lire :
• La Russie va acheter des drones israéliens, AFP-Yahoo! Actualités.
• La Russie acquiert des drones israéliens pour la première fois, Reuters-Yahoo! Actualités.
• Articles Défense, RIA Novosti.
[5] Lire :
• Tous comptes faits, l’Iran est de plus en plus sympa, Dedefensa.
• Moscou, le BMDE et la “fenêtre d’opportunité” d’Obama, Dedefensa.
• Considérations sur un compromis à propos du BMDE et de l’Iran, Dedefensa.
• Obama, Netanyahou et “AfPak”/ peut-être des surprises…, Dedefensa.
• L’Iran : “Yes, we can (change)”?, Dedefensa.
• La politique iranienne de BHO et le sort de Dennis Ross, Dedefensa.
• Vers l’affrontement Obama-Netanyahou?, Dedefensa.
Films en question
La Zona, propriété privée
Thales met sa zone à Mexico, numéro lambda
Lire aussi :
- Site du film - Memento films
- AlloCiné
- Zéro de conduite
- "La Zona, propriété privée" : sauver le ghetto des riches, Le Monde
- Un film de bonne facture (sociale), Krinein
La Journée de la jupe
Ils ne comprennent que la force, Les blogs du Diplo
Lire aussi :
- Site du film - Arte
- AlloCiné
- Zéro de conduite
- "La Journée de la jupe" privé du gros circuit des salles de cinéma, Le Monde
- "La Journée de la jupe", la triple imposture, Rue89
Thales met sa zone à Mexico, numéro lambda
Lire aussi :
- Site du film - Memento films
- AlloCiné
- Zéro de conduite
- "La Zona, propriété privée" : sauver le ghetto des riches, Le Monde
- Un film de bonne facture (sociale), Krinein
La Journée de la jupe
Ils ne comprennent que la force, Les blogs du Diplo
Lire aussi :
- Site du film - Arte
- AlloCiné
- Zéro de conduite
- "La Journée de la jupe" privé du gros circuit des salles de cinéma, Le Monde
- "La Journée de la jupe", la triple imposture, Rue89
14 avril 2009
Des origines au triomphe électoral de la droite en 2009 : le sionisme a gommé les différences idéologiques
Si le sionisme naît à la fin du XIXe siècle, une importante scission se produit en son sein il y a environ 80 ans. Un nouveau courant qui s’intitule lui-même « révisionniste » apparaît. Son principal animateur se nomme Vladimir (Ze’ev) Jabotinsky.
Le « transfert » : un vieux projet
Jusque-là, les immigrants sionistes installés en Palestine sous mandat britannique, avaient tendance (comme la plupart des colonialistes) à ignorer l’existence même du peuple autochtone. Israël Zangwill avait proféré le mensonge fondateur en affirmant qu’il fallait trouver « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » et que cette terre serait la Palestine. David Ben Gourion avait bien remarqué que le pays était peuplé. Il pensait (à juste titre) que ces « fellahs » étaient les descendants des Hébreux. Mais, feignant d’ignorer la réalité coloniale, il imaginait que ces « fellahs » s’intègreraient au projet sioniste. La révolte palestinienne de 1929 (à Hébron) et surtout l’insurrection de 1936 allaient démentir ces rêves.
Dès lors pour Jabotinsky (admirateur du fascisme italien) et ses disciples, la voie à suivre est claire. Puisqu’il est entendu que les Palestiniens sont valeureux et prêts à résister avec détermination, il faut les expulser au-delà du Jourdain.
Dès la fin des années 30, le terrorisme de la droite sioniste se développe, s’en prenant aussi bien aux Palestiniens qu’aux Britanniques. Pour la majorité sioniste qui se revendique du socialisme, cette droite est infréquentable et ces « socialistes » n’hésitent pas à la qualifier de raciste et de terroriste, voire de fasciste.
Pourtant, dès le départ, « gauche » et droite sionistes sont d’accord sur l’essentiel : privilégier à tout prix la construction du futur Etat Juif au détriment de toute autre considération.
Deux démarches complémentaires
En 1933, les Juifs Américains décrètent un blocus économique contre l’Allemagne où Hitler vient de devenir chancelier. Ben Gourion s’y oppose et le commerce entre le Yichouv (communauté juive en Palestine avant la création de l’Etat d’Israël) et l’Allemagne nazie se poursuivra.
À droite, le groupe Stern s’est lancé dans une guerre totale contre les Palestiniens et les Britanniques. Sa faction la plus dure dirigée par le futur Premier Ministre Itzhak Shamir assassinera des soldats britanniques et prendra des contacts avec le régime hitlérien alors que le génocide nazi bat son plein. Ce même groupe assassinera le comte Bernadotte pendant la guerre de 1948 pour bien signifier que le nouvel Etat d’Israël ne respectera pas le droit international.
Avec l’ouverture des archives, les historiens israéliens ont confirmé ce que les Palestiniens disaient depuis longtemps. La « Naqba » (catastrophe), c’est-à-dire l’expulsion de 800000 Palestiniens de leur propre pays était préméditée et elle avait largement commencé au moment de l’entrée en guerre des pays arabes voisins en mai 1948. Les groupes terroristes d’extrême droite et l’armée régulière dirigée par la « gauche sioniste » (la Haganah, le Palmach) ont joué des rôles complémentaires. Ainsi à Deir Yassine, c’est un groupe terroriste, l’Irgoun, dirigé par le futur Premier Ministre Menahem Begin qui massacre la population, mais c’est l’armée régulière qui occupe le village. Deir Yassine n’existe plus, c’est devenu le quartier de Giv’at Shaul et le tunnel routier qui passe en dessous porte le nom de l’assassin : Menahem Begin.
Les responsabilités de la « gauche sioniste »
« Gauche » et sionisme, c’est un oxymore. Si la droite sioniste a toujours revendiqué la nécessité du nettoyage ethnique (certains regrettent aujourd’hui qu’on n’ait pas terminé la guerre de 48 et qu’il reste des « Arabes » en Israël), la gauche l’a pratiqué sans vergogne. En fait la « gauche » sioniste est compromise dans tous les crimes commis contre le peuple palestinien.
En 1948, la « gauche » est au pouvoir pendant la guerre. Non seulement, elle planifie l’expulsion, mais elle confisque les terres des expulsés et s’oppose à tout retour des réfugiés palestiniens dès la signature de l’armistice. L’idée du pays « de gauche » aidé par l’URSS avec des kibboutz et des pionniers défrichant leur pays pour en faire un jardin, est fausse au départ : ce pays est né d’un nettoyage ethnique
En 1956, la « gauche » est au pouvoir quand l’armée israélienne, alliée aux impérialistes français et anglais, conquiert le Sinaï. La même année, 49 Palestiniens d’Israël sont massacrés à Kafr Kassem. Ils protestaient contre le vol de leurs terres.
En 1967, on sait maintenant que la crise autour du détroit de Tiran était un prétexte. La conquête était préméditée et dès l’été 1967, la colonisation est décidée. C’est un ministre « de gauche » Yigal Allon, chef d’un petit parti « socialiste » (l’Ahdut Ha’avoda) qui organise la colonisation de la Cisjordanie. Comme il n’a pas le personnel politique pour coloniser, il va rencontrer le seul courant religieux sioniste, celui des disciples du rabbin Kook. Il leur offre des millions de shekels pour qu’ils partent coloniser. Aujourd’hui, ce courant national-religieux, soutenu au départ à bout de bras par la « gauche », représente 1/4 de la société israélienne et une bonne partie des 500000 Israéliens installés dans les territoires conquis en 1967 s’en réclame.
Bien sûr, l’arrivée au pouvoir des disciples de Jabotinsky en 1977, avec la déroute électorale de la « gauche » face à Begin, ressemble à un tournant historique. C’en est un surtout parce que, pour la première fois, l’électorat séfarade sanctionne les fondateurs de l’Etat d’Israël tout en faisant le jeu de la droite raciste.
En 1987, Yitzhak Rabin est ministre de la défense quand la première Intifada est réprimée avec une très grande brutalité.
En 1993, cette même « gauche » semble avoir accepté l’idée de « la paix contre les territoires » en signant les accords d’Oslo. Pendant les quelques mois qui séparent ces accords de l’assassinat de Rabin, 60000 nouveaux colons sont installés. Pourquoi ?
L’épisode de Shimon Pérès au pouvoir avant sa défaite face à Benjamin Nétanyahou est une succession de crimes destinés à relancer la guerre : massacre du village de Cana au Liban, assassinat à Gaza de Yahia Ayache, « artificier » du Hamas (d’après Pérès) en pleine période de trêve (1996).
À partir de cette période, la « gauche » sioniste participe à de nombreux gouvernements de coalition. C’est un ministre « de gauche » (Fouad Ben-Eliezer) qui est à l’origine du mur qui balafre la Cisjordanie (appelé clôture de séparation en novlangue). C’est un ministre travailliste réputé sensible aux questions sociales (Amir Péretz) qui, en tant que ministre de la défense, organise l’attaque contre le Liban en 2006. Et c’est un autre ministre « de gauche », Ehud Barak qui commande le carnage qui vient d’être commis à Gaza.
Il y a tellement peu de différence entre « gauche » et droite sionistes que, quand Ariel Sharon (un pur disciple de Jabotinsky), plus clairvoyant que ses anciens compagnons, décide d’évacuer Gaza (pour mieux pouvoir détruire cette région), une partie des travaillistes (avec Shimon Pérès à leur tête) le rejoint dans le parti Kadima.
À l’origine du consensus
Juste avant d’attaquer à Gaza, Tzipi Livni a consulté l’ensemble des partis sionistes et tous ont donné leur accord, y compris le Meretz dont plusieurs dirigeants étaient à l’origine des accords d’Oslo. L’ancien mouvement de masse Shalom Arshav (La Paix Maintenant) est devenu un appendice du parti travailliste. Les grands écrivains considérés comme des consciences morales (Amos Oz, Avraham Yehoshua, David Grossman) ont approuvé l’agression contre Gaza après avoir approuvé celle contre le Liban deux ans auparavant.
Michel Warschawski a toujours considéré que la minorité anticolonialiste en Israël est une petite roue. En 1982, cette petite roue en avait entraîné une grande et des centaines de milliers de manifestants avaient dénoncé l’invasion du Liban et les tueries de Sabra et Chatila. C’est fini. Les manifestations contre le carnage à Gaza (en dehors de celles organisées par les Palestiniens d’Israël), n’ont rassemblé que 10000 participants. La frontière ne passe pas en Israël entre « gauche » et droite. Elle sépare les sionistes des non sionistes ou des antisionistes.
Le « complexe de Massada » a réussi à convaincre la majorité de la population israélienne qu’elle est en danger, qu’on veut la détruire, que les victimes, ce sont les Juifs, qu’il n’y a pas de partenaires pour la paix et que les Palestiniens poursuivent le projet d’anéantissement nazi. Le Hezbollah et le Hamas ont été habilement érigés en épouvantails infréquentables. Puisque l’ennemi est monstrueux, le permis de tuer existe et il n’y a pas de question à se poser. Le discours des fanatiques religieux (« les Palestiniens sont des Amalécites, la Torah dit qu’il est permis de les tuer ainsi que leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux ») est devenu le discours dominant. D’ailleurs le rabbinat militaire a officialisé ce discours raciste et intégriste en excusant à l’avance tous les crimes de guerre commis à Gaza. Les barrières morales se sont écroulées.
Les électeurs ont préféré l’original à la copie
Les dernières élections en Israël, c’est un peu comme si l’OAS avait gagné la guerre d’Algérie et que des élections françaises se jouent entre Philippe de Villiers, Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen.
Sans doute l’ancien gouvernement Livni-Barak avait des arrière-pensées électorales en attaquant Gaza et s’imaginait y gagner des voix. Il est symptomatique de voir que les trois partis qui sont arrivés en tête aux dernières élections israéliennes sont trois « héritiers » différents de Jabotinsky.
Celui qui apparaît le plus infréquentable a été videur dans une boîte de nuit en Moldavie. Avigdor Lieberman, comme un certain politicien célèbre en France, a la réputation de dire tout haut ce qu’une bonne partie de l’opinion publique israélienne pense tout bas. Il a proposé, il y a quelques années, qu’on lance une bombe atomique sur Téhéran ou qu’on bombarde le barrage d’Assouan. Ce « diplomate » un peu particulier est aujourd’hui ministre des affaires étrangères. Son succès électoral est venu d’une idée plus que centenaire, celle qui a été à la base de tous les nationalismes meurtriers : un état ethniquement pur. Il propose sans rire que le million et demi de Palestiniens d’Israël prêtent allégeance au dieu sionisme, et qu’en cas de refus, ils soient déchus de leur nationalité et expulsés. Il ne se dit pas opposé à un Etat Palestinien du moment qu’Israël garde l’essentiel, à savoir les colonies. Si son succès était prévisible dans l’électorat russophone, son discours sécuritaire (qui a failli aboutir à l’interdiction des partis politiques des Palestiniens d’Israël) lui a permis d’énormes progrès, dans les colonies ou à Sdérot. Il est cocasse d’entendre les médias français se demander si son arrivée au ministère ne va pas « mettre un coup d’arrêt au processus de paix ». Quel arrêt ? Quel processus ? Quelle paix ?
L’héritier « légitime » de Jabotinsky, Bégin et Shamir, c’est Nétanyahou. Il n’a pas varié, il est toujours hostile à tout Etat Palestinien. Face à la question démographique (5 millions et demi de Juifs et 5 millions de Palestiniens entre Méditerranée et Jourdain), sa stratégie, c’est le Grand Israël et l’Apartheid : confiner les Palestiniens dans des zones de plus en plus restreintes, les pousser à partir, installer 300000 nouveaux colons. N’ayant rien à proposer aux Palestiniens, même pas quelque chose qui pourrait remettre en selle l’Autorité Palestinienne, il fait diversion en proposant une attaque « préventive » contre l’Iran. Cette idée est populaire en Israël où l’on a toujours préféré noyer la question palestinienne dans un univers plus grand : celui du choc des civilisations et de la guerre du bien contre le mal.
Héritière de Jabotinsky et de Sharon, qualifiée de « centriste » par les médias, Tzipi Livni (ancienne du Mossad où elle a organisé des attentats contre des Palestiniens) est à l’origine du carnage à Gaza. Sans doute, Barack Obama aurait préféré qu’elle gagne les élections pour maintenir la fiction de négociations possibles. Les Etats-Unis essaieront sûrement de la ramener au pouvoir d’ici quelque temps. Le parti Kadima ne se dit pas hostile à un Etat Palestinien à condition qu’Israël garde Jérusalem Est, Maale Adoumim, Ariel, les blocs de colonies, la vallée du Jourdain … Bref, il y aurait des bantoustans éclatés, non viables reliés par des tunnels et on appellerait cela l’Etat Palestinien.
Une classe politique nulle
Et les autres partis ? L’empressement d’Ehud Barak à rallier le parti travailliste à l’extrême droite n’a rien de surprenant. Rien ne les oppose sur le fond. C’est Barak qui a imposé l’idée qu’il n’y a pas de partenaire de la paix et qu’il n’y a aucune alternative à l’écrasement du Hezbollah ou du Hamas. C’est Barak qui a convaincu les hésitants à l’idée d’une guerre sans fin. Son alliance rappelle les pires moments de la guerre d’Algérie quand les « socialistes » Guy Mollet, Robert Lacoste, Max Lejeune faisaient cause commune avec les militaires « pacificateurs » (les généraux Massu et Bigeard), les adeptes de la torture ou les futurs dirigeants de l’OAS. Le parti socialiste français a mis 20 ans à s’en remettre. Laminé aux dernières élections, le parti travailliste israélien risque de subir le même sort.
À sa gauche, le Meretz est dans l’impasse. Prisonnier du sionisme, il a échoué dans l’idée d’un « sionisme à visage humain » qui accepterait grosso modo un retrait sur les frontières d’avant 1967. De toute façon, cette frontière internationalement reconnue (la ligne verte) n’existe plus. Elle ne figure sur aucune carte israélienne. L’annexion n’est plus rampante, tout a été fait pour la rendre définitive. L’autoroute Tel-Aviv-Jérusalem traverse les territoires occupés à Latrun. De gigantesques entreprises s’installent en Cisjordanie occupée. Les ruines d’Hérodion ou de Qumran (Cisjordanie) sont devenues des parcs nationaux israéliens, la plus grande partie de Jérusalem Est a été transformée en banlieue résidentielle. Les routes de contournement ont redessiné la carte de la Cisjordanie. Pour que la solution de « deux peuples, deux Etats » sur la base de la ligne verte existe, il faudrait que les 500000 colons partent ou acceptent de devenir citoyens palestiniens. L’un comme l’autre sont devenus plutôt irréalistes. Faute d’avoir posé les questions essentielles (le colonialisme, l’égalité des droits), le Meretz n’a plus rien à proposer.
Du côté des religieux, ceux qui ont conservé méfiance ou aversion vis-à-vis du sionisme (comme le groupe Nétouré Karta) sont aujourd’hui très minoritaires. Ce qui a le vent en poupe repose sur une synthèse entre messianisme fanatique (« Dieu a donné cette terre au peuple juif »), nationalisme guerrier et racisme. Ainsi, le chef spirituel du Shass (parti séfarade religieux ayant 11 députés), le rabbin Ovadia Yossef, a pu déclarer que les Palestiniens étaient tous des serpents et que la Shoah était une punition divine contre les Juifs qui s’étaient mal conduits. Le franco-palestinien Salah Hamouri est en prison pour être soupçonné (sans preuves) d’avoir eu des intentions hostiles contre ce chef « spirituel » d’une autre époque. Les partis religieux rivaux ne valent pas mieux.
Ce qui unifie la classe politique israélienne, c’est la corruption. Sharon et ses fils ont eu affaire à la justice. Ehud Olmert aussi, mouillé dans des affaires de permis de construire monnayés quand il était maire de Jérusalem, a dû démissionner. Nétanyahou lui-même a connu des moments d’éclipse. Lieberman est aujourd’hui poursuivi pour des détournements sur le financement des partis qui pourraient lui coûter son poste. Il y a deux ans, une membre de son parti, Esterina Tartman, a menti effrontément sur ses diplômes pour pouvoir devenir ministre des sciences (à la place d’un « Arabe » pressenti à ce poste). Elle a été poussée à la démission quand la vérité est apparue. Au moment du déclenchement de la guerre du Liban, le général en chef de l’armée Dan Halutz avait fait un délit d’initié en vendant toutes ses actions et en précipitant la chute (de 8%) de la Bourse de Tel-Aviv. Quand les dirigeants israéliens ne sont pas poursuivis pour détournements, ils le sont pour délits sexuels comme l’ancien président Moshé Katzav, accusé de harcèlement sexuel et de tentative de viol.
Il n’y a rien à attendre de cette classe politique où le fric et l’individualisme sont devenus les valeurs dominantes. Il est peu probable que sorte de cette classe quelqu’un comme le Sud-Africain De Klerk, capable de négocier un compromis historique et de se projeter dans l’avenir. Rabin a payé de sa vie le fait d’avoir paru l’être.
Quel espoir ?
Les Palestiniens ont retenu de leur histoire tragique qu’il faut résister, ne plus partir. On en est à la 4ème génération depuis la Naqba. Le rêve fou des sionistes, que les Palestiniens disparaissent en se fondant dans le monde arabe environnant ou qu’ils ne soient plus (à l’image des Amérindiens aux Etats-Unis ou des Aborigènes d’Australie) en situation de réclamer leurs droits n’est pas possible. En même temps, aucune paix juste ne sera possible tant que le projet sioniste sera à l’œuvre parce que ce projet a toujours reposé et repose sur la négation de la Palestine.
Alors ? Peu avant le carnage à Gaza, les élections municipales de Tel-Aviv avaient donné un résultat surprenant. La principale liste d’opposition était dirigée par un jeune membre du Hadash (le parti communiste) qui était refuznik (= objecteur de conscience) et antisioniste. Il y avait des Palestiniens de Jaffa sur cette liste qui a obtenu 36% des voix. Il semble que les jeunes aient massivement voté pour un refuznik (c’est un indice). Mais le score obtenu montre une aspiration à vivre « normalement » sans une guerre tous les deux ans, sans une mobilisation permanente, sans cette fuite en avant criminelle et suicidaire. Tout Israélien qui réfléchit sait que la politique actuelle de destruction de la Palestine et de crimes répétés ne peut pas durer indéfiniment sans des conséquences très graves pour les Israéliens.
Si la société israélienne prenait le temps de se retourner, elle aurait le temps de voir ses vrais problèmes : la violence, l’ultralibéralisme, l’effacement des identités, le militarisme, la segmentation, la perte des repères et des valeurs.
Le dépassement du sionisme suppose de répondre à ces défis. Mais pour quand ? Le temps passe, les crimes s’accumulent. Ce changement indispensable et cette rupture du « front intérieur » urgent.
Pierre Stambul
10/04/2009
Publié par UJFP.
Le « transfert » : un vieux projet
Jusque-là, les immigrants sionistes installés en Palestine sous mandat britannique, avaient tendance (comme la plupart des colonialistes) à ignorer l’existence même du peuple autochtone. Israël Zangwill avait proféré le mensonge fondateur en affirmant qu’il fallait trouver « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » et que cette terre serait la Palestine. David Ben Gourion avait bien remarqué que le pays était peuplé. Il pensait (à juste titre) que ces « fellahs » étaient les descendants des Hébreux. Mais, feignant d’ignorer la réalité coloniale, il imaginait que ces « fellahs » s’intègreraient au projet sioniste. La révolte palestinienne de 1929 (à Hébron) et surtout l’insurrection de 1936 allaient démentir ces rêves.
Dès lors pour Jabotinsky (admirateur du fascisme italien) et ses disciples, la voie à suivre est claire. Puisqu’il est entendu que les Palestiniens sont valeureux et prêts à résister avec détermination, il faut les expulser au-delà du Jourdain.
Dès la fin des années 30, le terrorisme de la droite sioniste se développe, s’en prenant aussi bien aux Palestiniens qu’aux Britanniques. Pour la majorité sioniste qui se revendique du socialisme, cette droite est infréquentable et ces « socialistes » n’hésitent pas à la qualifier de raciste et de terroriste, voire de fasciste.
Pourtant, dès le départ, « gauche » et droite sionistes sont d’accord sur l’essentiel : privilégier à tout prix la construction du futur Etat Juif au détriment de toute autre considération.
Deux démarches complémentaires
En 1933, les Juifs Américains décrètent un blocus économique contre l’Allemagne où Hitler vient de devenir chancelier. Ben Gourion s’y oppose et le commerce entre le Yichouv (communauté juive en Palestine avant la création de l’Etat d’Israël) et l’Allemagne nazie se poursuivra.
À droite, le groupe Stern s’est lancé dans une guerre totale contre les Palestiniens et les Britanniques. Sa faction la plus dure dirigée par le futur Premier Ministre Itzhak Shamir assassinera des soldats britanniques et prendra des contacts avec le régime hitlérien alors que le génocide nazi bat son plein. Ce même groupe assassinera le comte Bernadotte pendant la guerre de 1948 pour bien signifier que le nouvel Etat d’Israël ne respectera pas le droit international.
Avec l’ouverture des archives, les historiens israéliens ont confirmé ce que les Palestiniens disaient depuis longtemps. La « Naqba » (catastrophe), c’est-à-dire l’expulsion de 800000 Palestiniens de leur propre pays était préméditée et elle avait largement commencé au moment de l’entrée en guerre des pays arabes voisins en mai 1948. Les groupes terroristes d’extrême droite et l’armée régulière dirigée par la « gauche sioniste » (la Haganah, le Palmach) ont joué des rôles complémentaires. Ainsi à Deir Yassine, c’est un groupe terroriste, l’Irgoun, dirigé par le futur Premier Ministre Menahem Begin qui massacre la population, mais c’est l’armée régulière qui occupe le village. Deir Yassine n’existe plus, c’est devenu le quartier de Giv’at Shaul et le tunnel routier qui passe en dessous porte le nom de l’assassin : Menahem Begin.
Les responsabilités de la « gauche sioniste »
« Gauche » et sionisme, c’est un oxymore. Si la droite sioniste a toujours revendiqué la nécessité du nettoyage ethnique (certains regrettent aujourd’hui qu’on n’ait pas terminé la guerre de 48 et qu’il reste des « Arabes » en Israël), la gauche l’a pratiqué sans vergogne. En fait la « gauche » sioniste est compromise dans tous les crimes commis contre le peuple palestinien.
En 1948, la « gauche » est au pouvoir pendant la guerre. Non seulement, elle planifie l’expulsion, mais elle confisque les terres des expulsés et s’oppose à tout retour des réfugiés palestiniens dès la signature de l’armistice. L’idée du pays « de gauche » aidé par l’URSS avec des kibboutz et des pionniers défrichant leur pays pour en faire un jardin, est fausse au départ : ce pays est né d’un nettoyage ethnique
En 1956, la « gauche » est au pouvoir quand l’armée israélienne, alliée aux impérialistes français et anglais, conquiert le Sinaï. La même année, 49 Palestiniens d’Israël sont massacrés à Kafr Kassem. Ils protestaient contre le vol de leurs terres.
En 1967, on sait maintenant que la crise autour du détroit de Tiran était un prétexte. La conquête était préméditée et dès l’été 1967, la colonisation est décidée. C’est un ministre « de gauche » Yigal Allon, chef d’un petit parti « socialiste » (l’Ahdut Ha’avoda) qui organise la colonisation de la Cisjordanie. Comme il n’a pas le personnel politique pour coloniser, il va rencontrer le seul courant religieux sioniste, celui des disciples du rabbin Kook. Il leur offre des millions de shekels pour qu’ils partent coloniser. Aujourd’hui, ce courant national-religieux, soutenu au départ à bout de bras par la « gauche », représente 1/4 de la société israélienne et une bonne partie des 500000 Israéliens installés dans les territoires conquis en 1967 s’en réclame.
Bien sûr, l’arrivée au pouvoir des disciples de Jabotinsky en 1977, avec la déroute électorale de la « gauche » face à Begin, ressemble à un tournant historique. C’en est un surtout parce que, pour la première fois, l’électorat séfarade sanctionne les fondateurs de l’Etat d’Israël tout en faisant le jeu de la droite raciste.
En 1987, Yitzhak Rabin est ministre de la défense quand la première Intifada est réprimée avec une très grande brutalité.
En 1993, cette même « gauche » semble avoir accepté l’idée de « la paix contre les territoires » en signant les accords d’Oslo. Pendant les quelques mois qui séparent ces accords de l’assassinat de Rabin, 60000 nouveaux colons sont installés. Pourquoi ?
L’épisode de Shimon Pérès au pouvoir avant sa défaite face à Benjamin Nétanyahou est une succession de crimes destinés à relancer la guerre : massacre du village de Cana au Liban, assassinat à Gaza de Yahia Ayache, « artificier » du Hamas (d’après Pérès) en pleine période de trêve (1996).
À partir de cette période, la « gauche » sioniste participe à de nombreux gouvernements de coalition. C’est un ministre « de gauche » (Fouad Ben-Eliezer) qui est à l’origine du mur qui balafre la Cisjordanie (appelé clôture de séparation en novlangue). C’est un ministre travailliste réputé sensible aux questions sociales (Amir Péretz) qui, en tant que ministre de la défense, organise l’attaque contre le Liban en 2006. Et c’est un autre ministre « de gauche », Ehud Barak qui commande le carnage qui vient d’être commis à Gaza.
Il y a tellement peu de différence entre « gauche » et droite sionistes que, quand Ariel Sharon (un pur disciple de Jabotinsky), plus clairvoyant que ses anciens compagnons, décide d’évacuer Gaza (pour mieux pouvoir détruire cette région), une partie des travaillistes (avec Shimon Pérès à leur tête) le rejoint dans le parti Kadima.
À l’origine du consensus
Juste avant d’attaquer à Gaza, Tzipi Livni a consulté l’ensemble des partis sionistes et tous ont donné leur accord, y compris le Meretz dont plusieurs dirigeants étaient à l’origine des accords d’Oslo. L’ancien mouvement de masse Shalom Arshav (La Paix Maintenant) est devenu un appendice du parti travailliste. Les grands écrivains considérés comme des consciences morales (Amos Oz, Avraham Yehoshua, David Grossman) ont approuvé l’agression contre Gaza après avoir approuvé celle contre le Liban deux ans auparavant.
Michel Warschawski a toujours considéré que la minorité anticolonialiste en Israël est une petite roue. En 1982, cette petite roue en avait entraîné une grande et des centaines de milliers de manifestants avaient dénoncé l’invasion du Liban et les tueries de Sabra et Chatila. C’est fini. Les manifestations contre le carnage à Gaza (en dehors de celles organisées par les Palestiniens d’Israël), n’ont rassemblé que 10000 participants. La frontière ne passe pas en Israël entre « gauche » et droite. Elle sépare les sionistes des non sionistes ou des antisionistes.
Le « complexe de Massada » a réussi à convaincre la majorité de la population israélienne qu’elle est en danger, qu’on veut la détruire, que les victimes, ce sont les Juifs, qu’il n’y a pas de partenaires pour la paix et que les Palestiniens poursuivent le projet d’anéantissement nazi. Le Hezbollah et le Hamas ont été habilement érigés en épouvantails infréquentables. Puisque l’ennemi est monstrueux, le permis de tuer existe et il n’y a pas de question à se poser. Le discours des fanatiques religieux (« les Palestiniens sont des Amalécites, la Torah dit qu’il est permis de les tuer ainsi que leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux ») est devenu le discours dominant. D’ailleurs le rabbinat militaire a officialisé ce discours raciste et intégriste en excusant à l’avance tous les crimes de guerre commis à Gaza. Les barrières morales se sont écroulées.
Les électeurs ont préféré l’original à la copie
Les dernières élections en Israël, c’est un peu comme si l’OAS avait gagné la guerre d’Algérie et que des élections françaises se jouent entre Philippe de Villiers, Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen.
Sans doute l’ancien gouvernement Livni-Barak avait des arrière-pensées électorales en attaquant Gaza et s’imaginait y gagner des voix. Il est symptomatique de voir que les trois partis qui sont arrivés en tête aux dernières élections israéliennes sont trois « héritiers » différents de Jabotinsky.
Celui qui apparaît le plus infréquentable a été videur dans une boîte de nuit en Moldavie. Avigdor Lieberman, comme un certain politicien célèbre en France, a la réputation de dire tout haut ce qu’une bonne partie de l’opinion publique israélienne pense tout bas. Il a proposé, il y a quelques années, qu’on lance une bombe atomique sur Téhéran ou qu’on bombarde le barrage d’Assouan. Ce « diplomate » un peu particulier est aujourd’hui ministre des affaires étrangères. Son succès électoral est venu d’une idée plus que centenaire, celle qui a été à la base de tous les nationalismes meurtriers : un état ethniquement pur. Il propose sans rire que le million et demi de Palestiniens d’Israël prêtent allégeance au dieu sionisme, et qu’en cas de refus, ils soient déchus de leur nationalité et expulsés. Il ne se dit pas opposé à un Etat Palestinien du moment qu’Israël garde l’essentiel, à savoir les colonies. Si son succès était prévisible dans l’électorat russophone, son discours sécuritaire (qui a failli aboutir à l’interdiction des partis politiques des Palestiniens d’Israël) lui a permis d’énormes progrès, dans les colonies ou à Sdérot. Il est cocasse d’entendre les médias français se demander si son arrivée au ministère ne va pas « mettre un coup d’arrêt au processus de paix ». Quel arrêt ? Quel processus ? Quelle paix ?
L’héritier « légitime » de Jabotinsky, Bégin et Shamir, c’est Nétanyahou. Il n’a pas varié, il est toujours hostile à tout Etat Palestinien. Face à la question démographique (5 millions et demi de Juifs et 5 millions de Palestiniens entre Méditerranée et Jourdain), sa stratégie, c’est le Grand Israël et l’Apartheid : confiner les Palestiniens dans des zones de plus en plus restreintes, les pousser à partir, installer 300000 nouveaux colons. N’ayant rien à proposer aux Palestiniens, même pas quelque chose qui pourrait remettre en selle l’Autorité Palestinienne, il fait diversion en proposant une attaque « préventive » contre l’Iran. Cette idée est populaire en Israël où l’on a toujours préféré noyer la question palestinienne dans un univers plus grand : celui du choc des civilisations et de la guerre du bien contre le mal.
Héritière de Jabotinsky et de Sharon, qualifiée de « centriste » par les médias, Tzipi Livni (ancienne du Mossad où elle a organisé des attentats contre des Palestiniens) est à l’origine du carnage à Gaza. Sans doute, Barack Obama aurait préféré qu’elle gagne les élections pour maintenir la fiction de négociations possibles. Les Etats-Unis essaieront sûrement de la ramener au pouvoir d’ici quelque temps. Le parti Kadima ne se dit pas hostile à un Etat Palestinien à condition qu’Israël garde Jérusalem Est, Maale Adoumim, Ariel, les blocs de colonies, la vallée du Jourdain … Bref, il y aurait des bantoustans éclatés, non viables reliés par des tunnels et on appellerait cela l’Etat Palestinien.
Une classe politique nulle
Et les autres partis ? L’empressement d’Ehud Barak à rallier le parti travailliste à l’extrême droite n’a rien de surprenant. Rien ne les oppose sur le fond. C’est Barak qui a imposé l’idée qu’il n’y a pas de partenaire de la paix et qu’il n’y a aucune alternative à l’écrasement du Hezbollah ou du Hamas. C’est Barak qui a convaincu les hésitants à l’idée d’une guerre sans fin. Son alliance rappelle les pires moments de la guerre d’Algérie quand les « socialistes » Guy Mollet, Robert Lacoste, Max Lejeune faisaient cause commune avec les militaires « pacificateurs » (les généraux Massu et Bigeard), les adeptes de la torture ou les futurs dirigeants de l’OAS. Le parti socialiste français a mis 20 ans à s’en remettre. Laminé aux dernières élections, le parti travailliste israélien risque de subir le même sort.
À sa gauche, le Meretz est dans l’impasse. Prisonnier du sionisme, il a échoué dans l’idée d’un « sionisme à visage humain » qui accepterait grosso modo un retrait sur les frontières d’avant 1967. De toute façon, cette frontière internationalement reconnue (la ligne verte) n’existe plus. Elle ne figure sur aucune carte israélienne. L’annexion n’est plus rampante, tout a été fait pour la rendre définitive. L’autoroute Tel-Aviv-Jérusalem traverse les territoires occupés à Latrun. De gigantesques entreprises s’installent en Cisjordanie occupée. Les ruines d’Hérodion ou de Qumran (Cisjordanie) sont devenues des parcs nationaux israéliens, la plus grande partie de Jérusalem Est a été transformée en banlieue résidentielle. Les routes de contournement ont redessiné la carte de la Cisjordanie. Pour que la solution de « deux peuples, deux Etats » sur la base de la ligne verte existe, il faudrait que les 500000 colons partent ou acceptent de devenir citoyens palestiniens. L’un comme l’autre sont devenus plutôt irréalistes. Faute d’avoir posé les questions essentielles (le colonialisme, l’égalité des droits), le Meretz n’a plus rien à proposer.
Du côté des religieux, ceux qui ont conservé méfiance ou aversion vis-à-vis du sionisme (comme le groupe Nétouré Karta) sont aujourd’hui très minoritaires. Ce qui a le vent en poupe repose sur une synthèse entre messianisme fanatique (« Dieu a donné cette terre au peuple juif »), nationalisme guerrier et racisme. Ainsi, le chef spirituel du Shass (parti séfarade religieux ayant 11 députés), le rabbin Ovadia Yossef, a pu déclarer que les Palestiniens étaient tous des serpents et que la Shoah était une punition divine contre les Juifs qui s’étaient mal conduits. Le franco-palestinien Salah Hamouri est en prison pour être soupçonné (sans preuves) d’avoir eu des intentions hostiles contre ce chef « spirituel » d’une autre époque. Les partis religieux rivaux ne valent pas mieux.
Ce qui unifie la classe politique israélienne, c’est la corruption. Sharon et ses fils ont eu affaire à la justice. Ehud Olmert aussi, mouillé dans des affaires de permis de construire monnayés quand il était maire de Jérusalem, a dû démissionner. Nétanyahou lui-même a connu des moments d’éclipse. Lieberman est aujourd’hui poursuivi pour des détournements sur le financement des partis qui pourraient lui coûter son poste. Il y a deux ans, une membre de son parti, Esterina Tartman, a menti effrontément sur ses diplômes pour pouvoir devenir ministre des sciences (à la place d’un « Arabe » pressenti à ce poste). Elle a été poussée à la démission quand la vérité est apparue. Au moment du déclenchement de la guerre du Liban, le général en chef de l’armée Dan Halutz avait fait un délit d’initié en vendant toutes ses actions et en précipitant la chute (de 8%) de la Bourse de Tel-Aviv. Quand les dirigeants israéliens ne sont pas poursuivis pour détournements, ils le sont pour délits sexuels comme l’ancien président Moshé Katzav, accusé de harcèlement sexuel et de tentative de viol.
Il n’y a rien à attendre de cette classe politique où le fric et l’individualisme sont devenus les valeurs dominantes. Il est peu probable que sorte de cette classe quelqu’un comme le Sud-Africain De Klerk, capable de négocier un compromis historique et de se projeter dans l’avenir. Rabin a payé de sa vie le fait d’avoir paru l’être.
Quel espoir ?
Les Palestiniens ont retenu de leur histoire tragique qu’il faut résister, ne plus partir. On en est à la 4ème génération depuis la Naqba. Le rêve fou des sionistes, que les Palestiniens disparaissent en se fondant dans le monde arabe environnant ou qu’ils ne soient plus (à l’image des Amérindiens aux Etats-Unis ou des Aborigènes d’Australie) en situation de réclamer leurs droits n’est pas possible. En même temps, aucune paix juste ne sera possible tant que le projet sioniste sera à l’œuvre parce que ce projet a toujours reposé et repose sur la négation de la Palestine.
Alors ? Peu avant le carnage à Gaza, les élections municipales de Tel-Aviv avaient donné un résultat surprenant. La principale liste d’opposition était dirigée par un jeune membre du Hadash (le parti communiste) qui était refuznik (= objecteur de conscience) et antisioniste. Il y avait des Palestiniens de Jaffa sur cette liste qui a obtenu 36% des voix. Il semble que les jeunes aient massivement voté pour un refuznik (c’est un indice). Mais le score obtenu montre une aspiration à vivre « normalement » sans une guerre tous les deux ans, sans une mobilisation permanente, sans cette fuite en avant criminelle et suicidaire. Tout Israélien qui réfléchit sait que la politique actuelle de destruction de la Palestine et de crimes répétés ne peut pas durer indéfiniment sans des conséquences très graves pour les Israéliens.
Si la société israélienne prenait le temps de se retourner, elle aurait le temps de voir ses vrais problèmes : la violence, l’ultralibéralisme, l’effacement des identités, le militarisme, la segmentation, la perte des repères et des valeurs.
Le dépassement du sionisme suppose de répondre à ces défis. Mais pour quand ? Le temps passe, les crimes s’accumulent. Ce changement indispensable et cette rupture du « front intérieur » urgent.
Pierre Stambul
10/04/2009
Publié par UJFP.
Mythes fondateurs d’Israël
L'historien israélien, Shlomo Sand remet en question les mythes fondateurs d'Israël et même l'existence d'un peuple juif. Dans cet entretien à l'Humanité, il développe les idées essentielles de son livre, Comment le peuple juif fut inventé.
Quelle est la genèse d'un tel livre ? Est-ce d'abord une préoccupation purement israélienne ou vous adressez-vous à l'ensemble du monde ?
Shlomo Sand : Il y a un intérêt, qui m'étonne d'ailleurs, qui s'exprime un peu partout. Pourquoi ai-je écrit ce livre ? Cette idée qui me fait mettre en doute, sur le long terme, l'existence d'un peuple juif, n'est pas nouvelle. Il suffit d'ailleurs de regarder les Juifs pour voir qu'ils n'ont pas la même origine, comme on dit. De cette idée critiquant les visions racistes concernant les Juifs, je me suis tourné vers l'écriture d'un livre. J'ai pensé qu'en tant qu'historien, il était de mon devoir de me confronter à l'une des choses les plus importantes de la conscience historique des Israéliens. Des Juifs israéliens mais aussi de beaucoup de Juifs du monde. Cette vision est qu'ils seraient venus autrefois d'une patrie qui s'appelle Judée ou Palestine ou, comme on dit dans la terminologie sioniste, « Eretz Israël ». Ce peuple aurait erré pendant deux mille ans, serait arrivé à Moscou, aurait fait demi-tour et serait retourné. C'est la légitimation de cette colonisation en Palestine qui a été faite par le mouvement sioniste. À chaque étape de ce travail, j'ai été très choqué de constater le fossé existant entre les productions vraiment professionnelles issues de milieux restreints de l'université et la conscience historique des gens, en Israël et ailleurs. Il suffit de regarder les manuels en France, on y parle aussi de peuple juif exilé. Le livre se termine sur une question politique : « Pourquoi je parle ? » Le « pourquoi » contient ce devoir d'historien mais aussi ce côté politique que j'ai pour changer la vie, changer les opinions. C'est essentiel pour changer la société dans laquelle je vis, qui se trouve dans une crise et un conflit permanents.
Comment maniez-vous le concept de Juif, celui d'Israélien ?
Shlomo Sand : Je suis très israélien. Je suis d'origine juive. Le capital symbolique que j'ai n'est pas européen, il est surtout israélien. Les premiers mots d'amour que j'ai prononcés étaient en hébreu ! Il est intéressant de constater que le sionisme ne reconnaît pas de peuple israélien. Il continue de parler de « peuple juif ». Donc, ni le nationalisme arabe ni le sionisme ne reconnaissent le fait qu'au Proche-Orient est née une société, une culture et même, on peut dire, un peuple nouveau, qui parle une langue. Pourtant, il n'y a pas un cinéma juif mais un cinéma israélien. Il n'y a pas un théâtre juif mais un théâtre yiddish. Il n'y a pas de littérature juive mais une littérature israélienne. Pourquoi le sionisme se comporte-t-il tellement mal vis-à-vis de sa propre création ? Pour le sionisme, de gauche comme de droite, la société israélienne est une branche du peuple juif. Pour le nationalisme arabe c'est aussi une branche d'une invasion juive au Proche-Orient. C'est le même concept, qui ne veut pas reconnaître les faits. C'est ainsi que j'ai commencé à toucher à la légitimation historique de la colonisation sioniste. L'acte de propriété du sionisme sur la terre de Palestine, c'est la Bible. Après avoir expliqué ce qu'est un peuple, ce qu'est une nation, en théorie, le premier chapitre du livre est sur la Bible. Là, je m'appuie sur les travaux des archéologues israéliens, même sionistes. Ils ont mis en exergue la différence entre les découvertes archéologiques et les récits bibliques. Mais pour moi, ils n'allaient pas assez loin. Par exemple, la sortie d'Égypte n'a pas eu lieu. Pourtant, j'étais persuadé que c'était un fait historique. La Bible comme livre historique était décomposée. J'ai commencé à chercher à quel moment la Bible est devenue un livre historique.
D'abord parce que trois catégories, dans l'histoire, ont vraiment lu la Bible. Ce ne sont pas du tout les Juifs. Ce sont les karaïtes (mouvement juif scripturaire remettant en cause le monopole des sages d'Israël en matière d'exégèse biblique - NDLR), les protestants et les sionistes. La vraie Bible de la foi était le Talmud. Je montre donc comment dans l'historiographie du XIXe siècle, qui commence à se cristalliser autour de l'idée nationale juive, le premier modèle c'est l'idée nationale allemande. Une idée nationale qui n'est pas républicaine, qui n'est pas civique, qui s'appuie sur la notion « d'où on vient » et non pas sur « où on va » comme l'idée nationale en France ou aux États-Unis.
C'est ainsi qu'a été créée une histoire linéaire, complètement imaginaire, qui commence avec la Bible. C'est pourquoi je dis qu'elle sert d'acte de propriété pour le sionisme. L'idée très importante et d'une incroyable richesse littéraire est que cette ligne idéologique n'est pas du tout historique. Exactement comme l'Odyssée d'Homère n'est pas un livre historique mais qui contient des récits historiques. C'est un livre légendaire, fantastique, poétique, comme la Bible. Le sionisme (et même le pré-sionisme), qui commence avec l'idée nationale juive, forge la Bible et prend le Livre comme le début d'un long récit : l'histoire du peuple d'Israël. Je montre que c'est une légende et qu'on voit déjà cela dans l'écriture biblique qui apparaît beaucoup plus tard que l'histoire qu'on raconte. D'ailleurs, je ne suis pas sûr qu'il existait un monothéisme juif dans la région avant la destruction du deuxième temple, avant la destruction du royaume de Judée. Il y a beaucoup d'archéologues qui pensent qu'il n'a jamais existé un grand royaume d'Israël. Il y avait autrefois un petit royaume d'Israël et un petit royaume de Judée. Je suis allé beaucoup plus loin en m'appuyant sur les chercheurs non israéliens. Ils montrent que la Bible est un simple écrit mobilisateur pour créer un peuple élu de dieu.
Vous vous attachez ensuite à la notion d'exil ?
Shlomo Sand : C'est la base de toutes les croyances nationales en Israël. Et pas seulement en Israël. J'imagine que beaucoup de communistes en France utilisent le terme de « diaspora ». Chaque enfant en Israël sait qu'en 70 après J.-C., Titus a exilé le peuple juif. Je suis allé à la bibliothèque pour consulter des livres sur l'Exil. L'Exil, c'est un élément fondateur de l'histoire des Juifs, non ? Pouvez-vous imaginer qu'il n'existe même pas un seul livre de recherches sur l'Exil ? Les spécialistes savent donc qu'il n'y a pas eu d'exil, mais le peuple doit apprendre qu'il y a eu Exil ! S'il n'y a pas eu exil, qu'est-ce qu'on fait là-bas, en Palestine ? Donc, j'ai cherché à savoir le destin de ces Juifs qui n'étaient pas partis en exil. Il s'est passé quelque chose. À ma grande surprise je me suis aperçu que Ben Gourion, grand sioniste, a cru jusqu'à la fin des années 1920 que les vrais descendants des « Judéens » (un terme que j'emploie dans le livre), sont les paysans palestiniens qui n'ont jamais quitté le pays. Il y a des élites qui ont émigré. Mais, comme toujours dans l'histoire, les larges couches de producteurs de nourriture ne sont pas parties.
Surtout qu'ils n'étaient ni pêcheurs ni commerçants. Je ne pense pas que les Palestiniens soient les vrais descendants, la région ayant été le lieu de passage de tant de conquérants, on peut penser que chacun a laissé sa trace biologique. Les Palestiniens sont un peuple mélangé exactement comme tous les autres peuples dans le monde. Si les Juifs n'étaient pas exilés, où vivaient-ils ? Je n'avais pas fait attention que le royaume de Judée a fait se convertir, par la force, tous les peuples autour. Au début avec l'épée, comme chaque religion, et ensuite avec les convictions. Le judaïsme est prosélyte jusqu'à la victoire du christianisme. Ensuite, il devient une religion fermée sur elle-même. J'ai trouvé de plus en plus de traces de ce prosélytisme. Pas seulement chez les Berbères, qui ont été judaïsés. Mais vous savez, je n'ai rien découvert historiquement. J'ai tiré des choses qui avaient été glissées sous le tapis, qui avaient été poussées vers les marges pour constituer un récit linéaire national. J'ai organisé différemment, et une autre histoire des Juifs est sortie, complètement antiraciste. Le Juif n'est pas une essence. C'est une grande religion. On ne peut pas comprendre les cultures du monde occidental (au sens « non asiatique ») sans le judaïsme, sans la présence de la religion juive. Mais le judaïsme n'a jamais été un peuple, toujours une religion prosélyte. Je pense que l'origine de 80 % des Juifs au XXe siècle est de l'Europe de l'Est. Ils sont plutôt khazars et slaves. Donc l'origine du judaïsme est plurielle.
Au bout du compte, si l'on parle d'Israël depuis 1948, quelle est la signification de vos recherches ?
Shlomo Sand : Ma thèse, qui montre que les Juifs sont pluriels avec une incroyable richesse des origines, est contradictoire avec la politique identitaire en Israël. En Israël, nous avons un régime profondément non démocratique parce que c'est un régime qui ne cherche pas à servir la société mais l'ethnie juive dans le monde, c'est-à-dire ce n'est pas un État des Israéliens. On ne dit pas Israël appartient aux Israéliens. Pas du tout. Il appartient à Alain Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy plus qu'à mon collègue de l'université qui est originaire de Nazareth. Cette contradiction profonde de la citoyenneté israélienne va le faire éclater et c'est en contradiction avec toutes les raisons historiques que j'ai avancées dans mon livre. En Israël, souligner que Juif est une ethnie définit un État qui n'est pas « démocratique » mais « ethnocratique ». Mais BHL et Finkielkraut ne veulent pas vivre sous la souveraineté juive.
C'est donc un État qui a beaucoup de problèmes, qui occupe un autre peuple sans aucun droit, se définit comme un État qui ne sert pas ses propres citoyens. C'est contradictoire avec la vision historique que j'ai avancée. L'idée d'ethnie est une idée complètement légendaire. Je me suis révolté comme historien mais aussi comme citoyen et comme un homme qui s'est impliqué dans la politique. Je veux « désioniser » la société israélienne. Mais, et j'insiste, comme projet politique, j'adopte toujours l'idée de deux États mais pas pour deux peuples. Deux États pour deux sociétés. J'accepte l'hégémonie de culture judéo-israélienne mais je n'accepte pas son exclusivité. Je ne crois pas qu'on puisse proposer aux Juifs israéliens de devenir, du jour au lendemain, une minorité.
Il faut qu'Israël se retire de tous les territoires occupés. Mais je souligne à la fin du livre que le jour où il y aura une paix sur les frontières de 1967, le vrai cauchemar va naître : que les jeunes palestino-israéliens en finissent avec cette crainte apparue avec la Nakba chez plusieurs générations de Palestiniens et qui leur fait refuser de vivre dans un État qui n'est pas leur propre État. Ils n'ont pas été invités dans cet État comme des immigrés. Ils étaient là avant nous. Ils ont le droit de vote, ils sont des citoyens, mais sur le niveau mental, symbolique, juridique, ce n'est pas leur État. En Espagne, personne ne va dire que l'État appartient aux Castillans. En Grande-Bretagne, il n'y a pas un fou qui va dire qu'elle appartient aux Anglais. Mais en Israël, c'est ça la réalité. Le Centre dit que l'État n'appartient pas à ses citoyens mais à la couche dominante linguisto-culturelle qui s'appelle « Juif ». Après mon livre, on ne sait peut-être pas très bien ce qu'est être juif. Mais en Israël on sait très bien : ça veut dire ne pas être arabe. C'est catastrophique. Cela peut transformer la Galilée en un Kosovo. La politique sioniste consiste à dire et à répéter que l'État d'Israël n'est pas un État des citoyens israéliens puisque c'est l'État des Juifs.
Comment en sortir alors que tous les partis en Israël sont des partis sionistes ou des partis arabes, à l'exception notoire du Parti communiste ?
Shlomo Sand : Nous assistons à un phénomène qui dure depuis trop longtemps. Il y a des partis de gauche arabes, des partis de gauche juifs. C'est à partir de 1965 et la scission du Parti communiste qu'on a fait le constat qu'on ne peut pas créer un grand parti politique de masse qui est composé de Juifs et d'Arabes. La raison principale est que la gauche dominante a toujours été sioniste et a donc insisté pour que l'État d'Israël soit juif. Malheureusement, il y a aussi des mythes de l'autre côté, c'est-à-dire dans le camp arabe. C'est difficile pour moi de le dire, parce que je suis privilégié, parce que je suis juif dans l'État d'Israël. Mais tant qu'il existera cet oxymore développé par les leaders israélo-palestiniens ou arabes qui reconnaissent l'État d'Israël et demandent en même temps le droit au retour des réfugiés palestiniens, on ne pourra pas créer un grand mouvement de gauche, exactement de la même manière que tant que persistera cet oxymore qu'un État juif peut être démocratique. Il faut faire un grand travail pour décomposer les mythes. Il y a une jeunesse israélienne qui a voté dernièrement pour un candidat qui, comme tout le monde le savait, n'était pas sioniste, c'était le candidat communiste, député, Dov Khenin. C'est la première fois en Israël qu'un candidat à la mairie de Tel-Aviv, non sioniste, recueille 34 % des suffrages. Comme disait Gramsci, il faut « avoir le pessimisme de l'intelligence et l'optimisme de la volonté ». J'ai écrit ce livre avec un grand pessimisme, mais avec une volonté forte de changer.
Entretien réalisé par Pierre Barbancey
14/04/2009
Publié par l'Humanité.
À l'invitation de l'association Pour Jérusalem que dirige Danièle Bidard, Shlomo SAND sera le samedi 18 avril à partir de 16 heures à la librairie ImagiGraphe située 84, rue Oberkampf, Paris 11e (métro Parmentier, bus 96).
Quelle est la genèse d'un tel livre ? Est-ce d'abord une préoccupation purement israélienne ou vous adressez-vous à l'ensemble du monde ?
Shlomo Sand : Il y a un intérêt, qui m'étonne d'ailleurs, qui s'exprime un peu partout. Pourquoi ai-je écrit ce livre ? Cette idée qui me fait mettre en doute, sur le long terme, l'existence d'un peuple juif, n'est pas nouvelle. Il suffit d'ailleurs de regarder les Juifs pour voir qu'ils n'ont pas la même origine, comme on dit. De cette idée critiquant les visions racistes concernant les Juifs, je me suis tourné vers l'écriture d'un livre. J'ai pensé qu'en tant qu'historien, il était de mon devoir de me confronter à l'une des choses les plus importantes de la conscience historique des Israéliens. Des Juifs israéliens mais aussi de beaucoup de Juifs du monde. Cette vision est qu'ils seraient venus autrefois d'une patrie qui s'appelle Judée ou Palestine ou, comme on dit dans la terminologie sioniste, « Eretz Israël ». Ce peuple aurait erré pendant deux mille ans, serait arrivé à Moscou, aurait fait demi-tour et serait retourné. C'est la légitimation de cette colonisation en Palestine qui a été faite par le mouvement sioniste. À chaque étape de ce travail, j'ai été très choqué de constater le fossé existant entre les productions vraiment professionnelles issues de milieux restreints de l'université et la conscience historique des gens, en Israël et ailleurs. Il suffit de regarder les manuels en France, on y parle aussi de peuple juif exilé. Le livre se termine sur une question politique : « Pourquoi je parle ? » Le « pourquoi » contient ce devoir d'historien mais aussi ce côté politique que j'ai pour changer la vie, changer les opinions. C'est essentiel pour changer la société dans laquelle je vis, qui se trouve dans une crise et un conflit permanents.
Comment maniez-vous le concept de Juif, celui d'Israélien ?
Shlomo Sand : Je suis très israélien. Je suis d'origine juive. Le capital symbolique que j'ai n'est pas européen, il est surtout israélien. Les premiers mots d'amour que j'ai prononcés étaient en hébreu ! Il est intéressant de constater que le sionisme ne reconnaît pas de peuple israélien. Il continue de parler de « peuple juif ». Donc, ni le nationalisme arabe ni le sionisme ne reconnaissent le fait qu'au Proche-Orient est née une société, une culture et même, on peut dire, un peuple nouveau, qui parle une langue. Pourtant, il n'y a pas un cinéma juif mais un cinéma israélien. Il n'y a pas un théâtre juif mais un théâtre yiddish. Il n'y a pas de littérature juive mais une littérature israélienne. Pourquoi le sionisme se comporte-t-il tellement mal vis-à-vis de sa propre création ? Pour le sionisme, de gauche comme de droite, la société israélienne est une branche du peuple juif. Pour le nationalisme arabe c'est aussi une branche d'une invasion juive au Proche-Orient. C'est le même concept, qui ne veut pas reconnaître les faits. C'est ainsi que j'ai commencé à toucher à la légitimation historique de la colonisation sioniste. L'acte de propriété du sionisme sur la terre de Palestine, c'est la Bible. Après avoir expliqué ce qu'est un peuple, ce qu'est une nation, en théorie, le premier chapitre du livre est sur la Bible. Là, je m'appuie sur les travaux des archéologues israéliens, même sionistes. Ils ont mis en exergue la différence entre les découvertes archéologiques et les récits bibliques. Mais pour moi, ils n'allaient pas assez loin. Par exemple, la sortie d'Égypte n'a pas eu lieu. Pourtant, j'étais persuadé que c'était un fait historique. La Bible comme livre historique était décomposée. J'ai commencé à chercher à quel moment la Bible est devenue un livre historique.
D'abord parce que trois catégories, dans l'histoire, ont vraiment lu la Bible. Ce ne sont pas du tout les Juifs. Ce sont les karaïtes (mouvement juif scripturaire remettant en cause le monopole des sages d'Israël en matière d'exégèse biblique - NDLR), les protestants et les sionistes. La vraie Bible de la foi était le Talmud. Je montre donc comment dans l'historiographie du XIXe siècle, qui commence à se cristalliser autour de l'idée nationale juive, le premier modèle c'est l'idée nationale allemande. Une idée nationale qui n'est pas républicaine, qui n'est pas civique, qui s'appuie sur la notion « d'où on vient » et non pas sur « où on va » comme l'idée nationale en France ou aux États-Unis.
C'est ainsi qu'a été créée une histoire linéaire, complètement imaginaire, qui commence avec la Bible. C'est pourquoi je dis qu'elle sert d'acte de propriété pour le sionisme. L'idée très importante et d'une incroyable richesse littéraire est que cette ligne idéologique n'est pas du tout historique. Exactement comme l'Odyssée d'Homère n'est pas un livre historique mais qui contient des récits historiques. C'est un livre légendaire, fantastique, poétique, comme la Bible. Le sionisme (et même le pré-sionisme), qui commence avec l'idée nationale juive, forge la Bible et prend le Livre comme le début d'un long récit : l'histoire du peuple d'Israël. Je montre que c'est une légende et qu'on voit déjà cela dans l'écriture biblique qui apparaît beaucoup plus tard que l'histoire qu'on raconte. D'ailleurs, je ne suis pas sûr qu'il existait un monothéisme juif dans la région avant la destruction du deuxième temple, avant la destruction du royaume de Judée. Il y a beaucoup d'archéologues qui pensent qu'il n'a jamais existé un grand royaume d'Israël. Il y avait autrefois un petit royaume d'Israël et un petit royaume de Judée. Je suis allé beaucoup plus loin en m'appuyant sur les chercheurs non israéliens. Ils montrent que la Bible est un simple écrit mobilisateur pour créer un peuple élu de dieu.
Vous vous attachez ensuite à la notion d'exil ?
Shlomo Sand : C'est la base de toutes les croyances nationales en Israël. Et pas seulement en Israël. J'imagine que beaucoup de communistes en France utilisent le terme de « diaspora ». Chaque enfant en Israël sait qu'en 70 après J.-C., Titus a exilé le peuple juif. Je suis allé à la bibliothèque pour consulter des livres sur l'Exil. L'Exil, c'est un élément fondateur de l'histoire des Juifs, non ? Pouvez-vous imaginer qu'il n'existe même pas un seul livre de recherches sur l'Exil ? Les spécialistes savent donc qu'il n'y a pas eu d'exil, mais le peuple doit apprendre qu'il y a eu Exil ! S'il n'y a pas eu exil, qu'est-ce qu'on fait là-bas, en Palestine ? Donc, j'ai cherché à savoir le destin de ces Juifs qui n'étaient pas partis en exil. Il s'est passé quelque chose. À ma grande surprise je me suis aperçu que Ben Gourion, grand sioniste, a cru jusqu'à la fin des années 1920 que les vrais descendants des « Judéens » (un terme que j'emploie dans le livre), sont les paysans palestiniens qui n'ont jamais quitté le pays. Il y a des élites qui ont émigré. Mais, comme toujours dans l'histoire, les larges couches de producteurs de nourriture ne sont pas parties.
Surtout qu'ils n'étaient ni pêcheurs ni commerçants. Je ne pense pas que les Palestiniens soient les vrais descendants, la région ayant été le lieu de passage de tant de conquérants, on peut penser que chacun a laissé sa trace biologique. Les Palestiniens sont un peuple mélangé exactement comme tous les autres peuples dans le monde. Si les Juifs n'étaient pas exilés, où vivaient-ils ? Je n'avais pas fait attention que le royaume de Judée a fait se convertir, par la force, tous les peuples autour. Au début avec l'épée, comme chaque religion, et ensuite avec les convictions. Le judaïsme est prosélyte jusqu'à la victoire du christianisme. Ensuite, il devient une religion fermée sur elle-même. J'ai trouvé de plus en plus de traces de ce prosélytisme. Pas seulement chez les Berbères, qui ont été judaïsés. Mais vous savez, je n'ai rien découvert historiquement. J'ai tiré des choses qui avaient été glissées sous le tapis, qui avaient été poussées vers les marges pour constituer un récit linéaire national. J'ai organisé différemment, et une autre histoire des Juifs est sortie, complètement antiraciste. Le Juif n'est pas une essence. C'est une grande religion. On ne peut pas comprendre les cultures du monde occidental (au sens « non asiatique ») sans le judaïsme, sans la présence de la religion juive. Mais le judaïsme n'a jamais été un peuple, toujours une religion prosélyte. Je pense que l'origine de 80 % des Juifs au XXe siècle est de l'Europe de l'Est. Ils sont plutôt khazars et slaves. Donc l'origine du judaïsme est plurielle.
Au bout du compte, si l'on parle d'Israël depuis 1948, quelle est la signification de vos recherches ?
Shlomo Sand : Ma thèse, qui montre que les Juifs sont pluriels avec une incroyable richesse des origines, est contradictoire avec la politique identitaire en Israël. En Israël, nous avons un régime profondément non démocratique parce que c'est un régime qui ne cherche pas à servir la société mais l'ethnie juive dans le monde, c'est-à-dire ce n'est pas un État des Israéliens. On ne dit pas Israël appartient aux Israéliens. Pas du tout. Il appartient à Alain Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy plus qu'à mon collègue de l'université qui est originaire de Nazareth. Cette contradiction profonde de la citoyenneté israélienne va le faire éclater et c'est en contradiction avec toutes les raisons historiques que j'ai avancées dans mon livre. En Israël, souligner que Juif est une ethnie définit un État qui n'est pas « démocratique » mais « ethnocratique ». Mais BHL et Finkielkraut ne veulent pas vivre sous la souveraineté juive.
C'est donc un État qui a beaucoup de problèmes, qui occupe un autre peuple sans aucun droit, se définit comme un État qui ne sert pas ses propres citoyens. C'est contradictoire avec la vision historique que j'ai avancée. L'idée d'ethnie est une idée complètement légendaire. Je me suis révolté comme historien mais aussi comme citoyen et comme un homme qui s'est impliqué dans la politique. Je veux « désioniser » la société israélienne. Mais, et j'insiste, comme projet politique, j'adopte toujours l'idée de deux États mais pas pour deux peuples. Deux États pour deux sociétés. J'accepte l'hégémonie de culture judéo-israélienne mais je n'accepte pas son exclusivité. Je ne crois pas qu'on puisse proposer aux Juifs israéliens de devenir, du jour au lendemain, une minorité.
Il faut qu'Israël se retire de tous les territoires occupés. Mais je souligne à la fin du livre que le jour où il y aura une paix sur les frontières de 1967, le vrai cauchemar va naître : que les jeunes palestino-israéliens en finissent avec cette crainte apparue avec la Nakba chez plusieurs générations de Palestiniens et qui leur fait refuser de vivre dans un État qui n'est pas leur propre État. Ils n'ont pas été invités dans cet État comme des immigrés. Ils étaient là avant nous. Ils ont le droit de vote, ils sont des citoyens, mais sur le niveau mental, symbolique, juridique, ce n'est pas leur État. En Espagne, personne ne va dire que l'État appartient aux Castillans. En Grande-Bretagne, il n'y a pas un fou qui va dire qu'elle appartient aux Anglais. Mais en Israël, c'est ça la réalité. Le Centre dit que l'État n'appartient pas à ses citoyens mais à la couche dominante linguisto-culturelle qui s'appelle « Juif ». Après mon livre, on ne sait peut-être pas très bien ce qu'est être juif. Mais en Israël on sait très bien : ça veut dire ne pas être arabe. C'est catastrophique. Cela peut transformer la Galilée en un Kosovo. La politique sioniste consiste à dire et à répéter que l'État d'Israël n'est pas un État des citoyens israéliens puisque c'est l'État des Juifs.
Comment en sortir alors que tous les partis en Israël sont des partis sionistes ou des partis arabes, à l'exception notoire du Parti communiste ?
Shlomo Sand : Nous assistons à un phénomène qui dure depuis trop longtemps. Il y a des partis de gauche arabes, des partis de gauche juifs. C'est à partir de 1965 et la scission du Parti communiste qu'on a fait le constat qu'on ne peut pas créer un grand parti politique de masse qui est composé de Juifs et d'Arabes. La raison principale est que la gauche dominante a toujours été sioniste et a donc insisté pour que l'État d'Israël soit juif. Malheureusement, il y a aussi des mythes de l'autre côté, c'est-à-dire dans le camp arabe. C'est difficile pour moi de le dire, parce que je suis privilégié, parce que je suis juif dans l'État d'Israël. Mais tant qu'il existera cet oxymore développé par les leaders israélo-palestiniens ou arabes qui reconnaissent l'État d'Israël et demandent en même temps le droit au retour des réfugiés palestiniens, on ne pourra pas créer un grand mouvement de gauche, exactement de la même manière que tant que persistera cet oxymore qu'un État juif peut être démocratique. Il faut faire un grand travail pour décomposer les mythes. Il y a une jeunesse israélienne qui a voté dernièrement pour un candidat qui, comme tout le monde le savait, n'était pas sioniste, c'était le candidat communiste, député, Dov Khenin. C'est la première fois en Israël qu'un candidat à la mairie de Tel-Aviv, non sioniste, recueille 34 % des suffrages. Comme disait Gramsci, il faut « avoir le pessimisme de l'intelligence et l'optimisme de la volonté ». J'ai écrit ce livre avec un grand pessimisme, mais avec une volonté forte de changer.
Entretien réalisé par Pierre Barbancey
14/04/2009
Publié par l'Humanité.
À l'invitation de l'association Pour Jérusalem que dirige Danièle Bidard, Shlomo SAND sera le samedi 18 avril à partir de 16 heures à la librairie ImagiGraphe située 84, rue Oberkampf, Paris 11e (métro Parmentier, bus 96).
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