Les fêtes de Noël furent l'occasion pour certains médias de réactualiser le « péril jaune », mythe raciste né à la fin du XIXe siècle [1], en manipulant un communiqué de presse d'Eurostat [2]. Les quatre sous-titres du communiqué : « Plus de 80% des jouets importés dans l'UE25 proviennent de Chine », « Trois quarts des exportations de vins mousseux proviennent de France », « 97% des guirlandes de Noël importées proviennent de Chine » et « 80% des arbres de Noël naturels importés proviennent du Danemark » furent résumés en une phrase-choc « Les produits chinois envahissent le marché de Noël ».
L'utilisation récurrente des termes « invasion », « menace », « péril » n'est pas neutre, elle vise à provoquer la peur et nous convaincre que les difficultés de certains secteurs de l'économie nationale seraient imputables à ces « hordes barbares » – Attila et Gengis-Khan sont réactivés dans l'imaginaire collectif. Ce réflexe nationaliste en politique et protectionniste en économie ne résiste pas à l'épreuve des faits.
Dans le cas de la France, la division internationale du travail a depuis longtemps réduit la production nationale des industries du jouet et du textile. La mondialisation des échanges a accéléré le processus de transfert de la production des vieux pays industriels vers de plus jeunes : Japon, Asie du Sud-Est, Brésil et Mexique hier, Inde et Chine aujourd'hui. Ce transfert fut réalisé par l'intermédiaire d'accords bilatéraux et multilatéraux, dont le dernier en date fut l'entrée de la Chine dans l'OMC en 2001.
Parler de « l'invasion des produits chinois » relève donc d'un grossier mensonge. Ce procédé incantatoire masque la volonté des industriels des pays riches de délocaliser leurs usines vers les pays pauvres pour profiter de coûts de production plus bas, essentiellement celui de la main-d'œuvre. Il masque aussi le développement des importations vers la Chine de produits très rentables (produits financiers, armement [3], aviation civile [4], télécommunications) et des investissements étrangers (153 milliards de dollars en 2004)
Au lieu de parler de « l'invasion des produits chinois », il faudrait insister sur le fait que les échanges internationaux, organisés par les grandes puissances, profitent surtout aux multinationales au détriment des petits entrepreneurs nationaux et des pays dits émergents. Ainsi, entre 2001 et 2003, 474 maquiladoras [5] ont été transférées du Mexique en Chine. Partout ce sont les salariés qui en font les frais.
Au lieu de parler de « l'invasion des produits chinois », il faudrait tenir compte du fait que tous les pays qui commercent avec la Chine acceptent, concurrence oblige, l'inégalité des échanges [6] pour « être présent » sur un marché considéré comme l'Eldorado du XXIe siècle. Cette perte relative est présentée par les responsables économiques et politiques comme un investissement dont ils attendent en retour des privilèges.
Faute de pouvoir remettre en cause l'OMC, les élites économiques et politiques entonnent le refrain de « l'invasion des produits chinois », afin de masquer leur responsabilité des déséquilibres économiques et du chômage qui en résulte. En définitive, ce discours, complaisamment mis en scène par les médias, vise à convaincre les travailleurs – de plus en plus précaires –, les chômeurs et les exclus que les « barbares chinois » seraient responsables de leur misère.
Serge LEFORT
26 décembre 2005
[1] La recherche pour "péril jaune" sur Google aboutit à 30 600 pages en français ! Voici une sélection d'articles :
• 07/11/2005, Régis Poulet, Le Péril jaune, La revue des ressources
En ce début de XXIe siècle, nos oreilles sont rebattues de mises en garde, de propos alarmistes relatifs au danger que l'Asie ferait courir à l'Occident dans les domaines économiques, sociaux voire culturels. Cela fait plus d'un siècle que le Péril jaune est brandi régulièrement. Examinons-en l'origine, les caractéristiques et tentons de comprendre ce qu'il révèle des représentations occidentales.
• 26/10/2005, Gaétan POULIOT, La Chine représente-t-elle un nouveau péril jaune ?, Alternatives
Une certaine fièvre protectionniste s'empare des gouvernements qui, pourtant, affirment que le libre-échange est la planche de salut du développement des États du tiers-monde. Lorsque des multinationales européennes, américaines ou canadiennes parviennent à percer le marché chinois, ce sont de bonnes nouvelles pour les économies occidentales. Toutefois, le contraire apparaît comme un danger, une menace pour nos économies locales.
• 1996, Nayan SHAH, White Label et « péril jaune » : race, genre et travail en Californie, fin XIXe-début XXe siècle, Clio
Au tournant du siècle, les syndicats américains tendent à présenter les immigrants chinois comme la principale menace contre les travailleurs syndiqués blancs. Par une analyse des discours sur le danger racial, la santé publique et les rôles sexués qui permettent la sécurité familiale, cet article examine la façon dont l'image de la menace sanitaire représentée par les Chinois a fini par être partie intégrante des campagnes en direction des consommateurs orchestrées par les syndicats américains.
[2] 22/12/2005, Commerce extérieur en produits de Noël, Eurostat (PDF).
[3] Voici une sélection d'articles :
• 21/12/2005, Les ventes d'armes en forte hausse, Le Nouvel Observateur
• 10/07/2005, Les chiffres impressionnants du commerce des armes d'Israël vers la Chine, De defensa
• 23/02/2005, Chine : l'Europe souhaite lever son embargo, RFI
[4] Après la visite de Wen Jiabao en France, le gouvernement s'est félicité d'avoir vendu des 150 Airbus sans préciser l'humour du Premier ministre chinois : « Il faut 800 millions de chemises pour acheter un Airbus » (Les Échos).
[5] Entreprises sous-traitantes américaines concentrées le long de la frontière.
« Le véritable essor de la zone frontalière date du milieu des années 1960, quand les deux pays se sont mis d'accord pour permettre l'installation sur le territoire mexicain d'une série d'usines destinées à l'exportation vers les États-Unis [maquiladoras].
La répartition des tâches entre les deux pays s'est concrétisée par la création d'usines jumelles (twin-plants), situées de part et d'autre de la frontière. Au nord, un établissement rassemble les fonctions d'encadrement et de gestion. Au sud, les centres de production fonctionnent sous le contrôle des administrateurs nord-américains. Les marchandises sont assemblées sur place à partir d'éléments importés du pays voisin. »
in MUSSET Alain, Le Mexique entre deux Amériques, Ellipses, 1994, p.21.
[6] Le déséquilibre de la balance commerciale au profit de la Chine (43,2 milliards de dollars en 2000) s'observe aussi en Europe au profit de l'Allemagne par exemple (51,8 milliards de dollars en 2000).
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