« La tendance au secret est la pire menace pour la démocratie » (le CEO de l'Associated Press, dans un discours sur l'importance de la transparence).
« La réponse officielle est que nous refusons de répondre » (le directeur des relations avec les médias de l'Associated Press répondant aux questions sur l'AP).
L'AP, selon son site, est l'organisme d'informations le plus ancien et le plus important du monde. C'est l'hippopotame pour la publication d'infos que ses rédacteurs sélectionnent et qui parviennent à un milliard de personnes chaque jour. Alimentée par des milliers de journalistes, de stations de radio et de télévision, l'AP est un support décisif pour que les Américains puissent lire, entendre et voir... et pour qu'ils ne le puissent pas.
Et ce dont ils ne peuvent pas prendre connaissance est profondément important. J'ai travaillé sur une telle carence lorsque j'étais dans les Territoires palestiniens, l'an dernier, pour un documentaire, avec ma collègue (et ma fille) qui filmait mes entretiens.
Le 17 octobre 2004, les forces militaires israéliennes ont pénétré à Balata, une communauté dense, misérable au cœur de la Cisjordanie en Palestine. (Israël fait fréquemment des incursions dans ce secteur, et d'autres). Selon des témoins, les véhicules sont restés pendant une vingtaine de minutes, l'armée montrant son pouvoir sur la population palestinienne. Les témoins déclarent qu'il n'y avait aucun résistant palestinien, ni « accrochage », ni « fusillade », ni même de lancement de pierres. A un moment, après que la plupart des véhicules se soient finalement éloignés, un soldat israélien a calé son arme contre le blindé, visé un enfant tout proche, et a appuyé sur la détente.
Nous sommes allés à l'hôpital et avons rencontré Ahmed, le petit garçon, ses docteurs, sa famille et d'autres personnes. Ahmad avait des bandages tout autour du bas de l'abdomen, les chirurgiens l'avaient opéré à la vessie. Il dit qu'il avait peur des soldats israéliens, il a relevé la jambe de son pantalon pour nous montrer là où il avait déjà été blessé.
A l'hôpital, il y avait un second garçon, lui avait le fémur brisé ; et un troisième, en état critique, avec une balle dans un poumon. Un quatrième garçon, pas un blessé, visitait un ami. Il nous a montré sa lèvre balafrée et des dents qui lui manquaient, des soldats israéliens l'avaient touché à la bouche.
Ce n'était pas une situation inhabituelle. Lorsque j'avais visité des hôpitaux palestiniens lors d'un séjour précédent, j'avais vu beaucoup de victimes identiques, certaines avec des blessures pire encore. Pourtant, très peu d'Américains savent ce qui se passe. Les comportements de l'Associated Press dans le cas précis du tir contre Ahmad peuvent expliquer pourquoi.
Dans ce cas, nous avons découvert qu'un caméraman d'AP avait filmé tout l'incident. Ce caméraman a ensuite suivi ce qui, apparemment, est la routine. Il a envoyé sa cassette vidéo - un document extrêmement précieux étant donné qu'il contenait la preuve filmée d'un crime de guerre - au bureau de la régie de l'AP pour la région. Ce bureau est en Israël.
Ce qui s'est passé ensuite est incompréhensible. L'AP a-t-elle diffusé la cassette ? non. L'AP l'a-t-elle confiée à la bonne personne, disponible pour enquêter sur ce crime ? non.
Selon son caméraman, AP l'a effacée.
Nous avons été étonnés. Nous sommes allés au bureau de la régie de l'AP en Israël. Avec notre propre caméra-vidéo, parfois en filmant, nous avons interrogé le chef du bureau, Steve Gutkin, sur cet incident. Notre information était-elle correcte, ou avait-il une autre version ? Le bureau détenait-il la vidéo, ou l'avaient-ils effectivement effacée ? et si oui, pourquoi ?
Gutkin, jetant un regard répété sur notre caméra et visiblement agité, nous dit que l'AP ne permettait pas à ses journalistes de faire des interviews. Que toutes les questions doivent aller à la Corporate Communications, à New York. Il m'explique qu'ils sont pressés par les délais et qu'ils ne peuvent pas me parler. Je lui dis que je comprends sa contrainte des délais, et je m'assoies pour attendre qu'il ait fini. Quand il a appelé la police israélienne pour nous faire arrêter, nous sommes partis.
Plus tard, de retour aux USA, j'ai appelé la Corporate Communications et ai obtenu le directeur des relations avec les médias, Jack Stokes, porte-parole des relations publiques de l'AP. J'avais déjà discuté avec Stokes précédemment.
Pendant les années passées, j'avais déjà noté des défauts troublants dans la couverture par AP d'Israël et de la Palestine : des faits médiatiques non couverts, des publications envoyées à la presse internationale mais pas à la presse américaine, des récits omettant ou présentant de façon déformée des faits significatifs, des phrases critiques retirées des déclarations.
Je téléphone alors à l'AP proposant la rectification appropriée ou faisant une nouvelle mise en garde. Une fois, j'ai eu comme résultat à propos d'une info viciée qu'elle soit légèrement rectifiée en dernières nouvelles. Dans beaucoup de cas, cependant, il faut que j'appelle la Corporate Communications. Je leur téléphone, leur laisse un message, et j'attends une réponse. Le plus souvent, rien ne vient.
Plusieurs fois, pourtant, j'ai pu avoir une longue conversation avec le porte-parole de l'AP, Stokes. Aucune de ces discussions n'a abouti à ce que l'AP prenne des mesures. Voici quelques réponses typiques :
- le récit non paru n'était « pas médiatique » ;
- il a été considéré par les rédacteurs de l'AP comme médiatique pour le reste du monde - par exemple l'arrestation violente par Israël de 300 jeunes Palestiniens - mais pas pour les USA (le principal allié d'Israël) ;
- enterrer une déclaration selon laquelle les forces israéliennes ont tiré dans la bouche d'une vieille femme palestinienne est justifié ;
- la relation inexacte d'un incident où un officier israélien crible de balles une fillette de 13 ans à bout portant est sans importance.
En dépit de cette relation peu réceptive, quand j'ai appris, de première main, que le bureau de l'AP avait effacé le film d'une atrocité, j'ai encore appelé la Corporate Communications. Je n'avais plus beaucoup d'espoir pour que l'AP fasse le moindre rectificatif, mais je comptais recevoir quelque information. J'ai donné à Stokes, le porte-parole, les nombreux détails de l'incident que nous avions recueillis sur place et lui ai posé les mêmes questions qu'à Gutkin. Il m'a dit qu'il regarderait et qu'il me tiendrait au courant.
Après plusieurs jours sans nouvelles, je l'ai rappelé. Il a indiqué qu'il avait regardé à propos de l'incident, et que l'AP avait décidé qu'il s'agissait d'une « question interne » et qu'ils ne donneraient aucune réponse.
Alors que j'aurais dû m'en douter, je fus encore surprise. Car l'AP violait ouvertement les règles journalistiques fondamentales de notre déontologie, et elle ressentait clairement qu'elle en avait le pouvoir.
Le journalisme, selon la Déclaration de principe de la Société américaine des rédacteurs de presse, est une « parole inviolable ». Elle est une protection pour une société de libertés, elle est si nécessaire au fonctionnement d'une démocratie que nos ancêtres ont affirmé sa primauté dans la Déclaration des Droits.
Selon la Société des Journalistes professionnels, l'un des quatre principaux fondements de l'éthique journalistique est « d'être responsable ». Selon le code d'éthique de la SPJ :
- les journalistes sont responsables de leurs lectrices et lecteurs, de leurs auditrices et auditeurs, de leurs téléspectatrices et téléspectateurs et réciproquement ;
- les journalistes doivent :
- éclaircir et expliquer le reportage et inviter le public au dialogue sur la tenue journalistique ;
- encourager le public à exprimer ses observations contre la presse d'information ;
- admettre leurs erreurs et les corriger promptement ;
- dénoncer les pratiques contraires à l'éthique des journalistes et de la presse d'information ;
- respecter les mêmes règles de valeur qu'ils attendent des autres.
Enfin, cette semaine, en dernière minute sur un article couvrant Israël et la Palestine, j'ai encore essayé de conforter certaines de mes déclarations à l'AP. C'est vrai, j'ai senti que pendant la « Semaine de Transparence », l'AP allait répondre. Partie prenante de cette campagne sur la transparence, le CEO de l'AP et son Président, Tom Curley, se déplacent partout dans le pays, faisant des discours sur la nécessité de transparence et de responsabilité (pour le gouvernement) et insistant sur « la franchise qu'une démocratie efficace requiert ».
« La tendance au secret, a fait remarquer le président de l'AP, est la plus grande menace contre la démocratie ».
J'ai adressé par mail mes questions à l'AP, j'ai parlé à Stokes au téléphone, et je lui ai dit encore de me répondre. Une nouvelle fois, je suis allée le voir. Et là, dans un échange surréaliste, il m'a fait part de la réponse de l'AP : « La réponse officielle est que nous refusons de répondre ». Comme je lui posais question sur question - beaucoup étant aussi simples que la confirmation du nombre de bureaux que l'AP avaient en Israël et Palestine - sa réponse fut le silence ou alors il me répétait : « la réponse officielle est que nous refusons de répondre ».
Le jour suivant, j'ai essayé de téléphoner au président Curley directement. Je n'ai pu l'avoir étant donné qu'il était sur la route, faisant ses discours de la Semaine de Transparence (« Le secret, disait Curley, c'est pour les perdants »), j'ai laissé un message pour lui à son assistante. Elle a dit que quelqu'un me répondrait.
J'attends toujours.
Il est grand temps d'aller voir les supérieurs de l'AP. En effet, l'AP est une coopérative. Elle n'est pas la propriété du porte-parole de la Corparate Communications ou de son CEO, ni même de son conseil d'administration. Elle est la propriété des milliers de journalistes et de stations dans tous les Etats-Unis qui se servent des infos de l'AP. Ces journalistes et stations de radio et télévision sont les vrais dirigeants de l'AP, et ils sont responsables de ses couvertures d'informations.
Finalement, il apparaît que la seule façon pour que les Américains puissent être complètement informés, avec des reportages impartiaux de l'AP sur Israël et sur la Palestine, c'est que tous ceux qui sont ses propriétaires demandent une telle couverture de l'info de la part de leurs employés, au Moyen-Orient et à New York. Aussi longtemps que les propriétaires de l'AP se sentiront trop occupés ou seront trop négligents pour remplir leur fonction et assurer une juste couverture Israël-Palestine, la poignée de personnes dans l'AP qui déforment les informations sur cette question tragique, cruciale et déstabilisante pour le monde entier, continueront probablement à agir.
En fin de compte, il nous appartient à nous tous, - le public - d'intervenir. Toute personne croyant que les Américains ont le droit et le besoin d'être informés, sans dénaturer l'information sur toutes ces questions, notamment sur Israël et la Palestine, doit agir. Nous devons exiger de notre presse d'informations qu'elle remplisse son devoir extrêmement important, et nous devons nous-mêmes apporter les informations cruciales et décisives que nos médias ont laissées.
Si nous n'agissons pas, personne d'autre ne le fera.
Alison Weir
20 mars 2006
Publié par CCIPPP selon IMEMC News.
Alison Weir, ancienne journaliste, est directrice exécutive de "Si les Américains savaient", elle travaille actuellement à une analyse statistiques de la couverture par l'AP de l'information sur Israël et la Palestine, qui sera communiquée dans quelques mois. L'organisation a créé des cartes faisant part des agissements de l'AP pour que les gens les diffusent dans les communautés.
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