24 avril 2006

Pour en finir avec les sondages (1)

À en croire les sondages publiés par les médias, les élections présidentielles de 2007 seraient jouées d'avance. Le deuxième tour se déroulera entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, qui l'emportera inévitablement...

Les mêmes organismes de sondage et les mêmes médias, qui avaient pronostiqué un duel Chirac-Jospin en 2002, multiplient les annonces triomphales d'un duel Royal-Sarkozy en 2007. Le 4 mars, quatre hebdomadaires - Le Nouvel Observateur, Le Point, Paris-Match et VSD - consacrent tout ou partie de leur Une à Ségolène Royal. Trois sondages - Ipsos le 13 avril, Sofres le 20 avril et CSA le 23 avril - donnent Royal gagnante dans les mêmes termes : "Un nouveau sondage donne Ségolène Royal victorieuse face à Nicolas Sarkozy à la présidentielle" (Le Monde du 20 avril) ; "Un nouveau sondage donne Ségolène Royal victorieuse d'un duel contre Nicolas Sarkozy" (Le Nouvel Observateur du 24 avril).

Qu'il s'en amuse ou non, chacun sait que les pronostics électoraux ont autant de valeur que les prédictions numérologiques. Les deux approches reposent sur une conception magique des chiffres pour maîtriser les événements futurs. Le problème n'est pas l'utilisation des chiffres, ni leur véracité ou leur fausseté, mais la croyance superstitieuse qu'ils feraient sens pour dire quelque chose de crédible sur l'avenir collectif ou individuel.

Nostradamus a eu l'habileté d'écrire ses prophéties, régulièrement rééditées, en les enrobant dans une phraséologie polysémique qui, selon la loi du genre, a suscité autant d'interprétations que d'exégètes auto-proclamés. Les Nostradamus modernes réalisent leurs prophéties dans un langage pseudo-scientifique. Personne ne discute la méthode, qui repose sur des hypothèses rarement explicitées, mais les experts commentent les résultats comme s'ils avaient une valeur prédictive.

Cette course effrénée aux pronostics électoraux, aussi fiables que les pronostics hippiques, relève d'une propagande visant à nous convaincre qu'il n'y a pas d'autres choix possibles. Les commanditaires des sondages, les organismes qui les réalisent, les experts qui les analysent et les commentent, et les médias qui les publient, fabriquent quelque chose qui a l'apparence de l'information et qui est vendu comme telle, mais qui est de l'information "Canada Dry". Ce discours ne fait sens que parce qu'il est martelé matin, midi et soir.

La critique des sondages n'est plus à faire, celle des sondages d'opinion préélectoraux nécessite d'analyser la méthode [1]. Les sondages produisent des chiffres, des analyses et des commentaires sur les chiffres et des discours sur les commentaires. En bref, ils produisent un récit visant à crédibiliser et à rendre acceptable l'inacceptable : la fausse alternative Royal-Sarkozy. La question n'est pas la vérité ou la fausseté du récit, mais son existence même. Le Dr. Goebbels l'avait compris avant les publicitaires, ce n'est pas le contenu d'un message qui importe, mais sa répétition. Répéter en boucle, comme le font les médias, le même message a pour effet d'en valider le contenu.

La seule réaction d'auto-défense intellectuelle face à cette marée superstitieuse des sondages préélectoraux nécessite de refuser de prendre au sérieux ces pronostics, mais de les analyser comme des paroles magiques visant à créer un effet de réel. La critique doit moins viser les énoncés que leur procès de production et de circulation.

Serge LEFORT
24 avril 2006

Questions à se poser

  1. Quels sont les commanditaires du sondage ?
    1.1. liens avec l'organisme de sondage
    1.2. liens avec les analystes
    1.3. liens avec les commentateurs
    1.4. liens avec les médias
  2. Quels sont les objectifs du sondage ?
  3. Quel organisme réalise le sondage ?
  4. Quel est le protocole du sondage ?
    4.1. questionnaire
    - nombre de questions
    - ordre des questions
    - nature des questions
    4.2. méthode de recueil des réponses
    4.3. dates du recueil des réponses
    4.4. nombre de personnes interrogées
    - nombre de refus
    - nombre de questionnaires/nombre d'enquêteurs
    4.5. méthode de traitement des réponses
    - données brutes
    - données corrigées
  5. Qui analyse le sondage ?
    5.1. analyse de la totalité ou d'une sélection des questions et des réponses
    5.2. liens avec les commanditaires
    5.3. liens avec l'organisme de sondage
    5.4. liens avec les commentateurs
    5.5. liens avec les médias
  6. Qui commente le sondage ?
    6.1. commentaire de la totalité ou d'une sélection des questions et des réponses
    6.2. liens avec les commanditaires
    6.3. liens avec l'organisme de sondage
    6.4. liens avec les analystes
    6.5. liens avec les médias
  7. Quels médias publient le sondage ?
    7.1. publication de la totalité ou d'une sélection des questions et des réponses
    7.2. publication de la totalité ou d'une sélection des analyses
    7.3. publication de la totalité ou d'une sélection des commentaires
    7.4. liens avec les commanditaires
    7.5. liens avec l'organisme de sondage
    7.6. liens avec les analystes
    7.7. liens avec les commentateurs
  8. Quels sont les écarts ?
    8.1. totalité et sélection des questions et des réponses
    8.2. totalité et sélection des analyses
    8.3. totalité et sélection des commentaires
    8.4. totalité et sélection des publications


[1] Sélection bibliographique :
• BESSON Jean-Louis (sous la direction de), La cité des chiffres - Ou l'illusion des statistiques, Autrement, 1992.
• BOURDIEU Pierre, Questions de sociologie, Minuit, 1984.
• CHAMPAGNE Patrick, Faire l'opinion - Le nouveau jeu politique, Minuit, 1990.
• KLATZMANN Joseph, Attention, statistiques ! - Comment en déjouer les pièges, La Découverte, 1996.
• MEYNAUD Hélène-Yvonne et DUCLOS Denis, Les sondages d'opinion, Repères n°38, La Découverte, 1996.

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