11 août 2010

Y a-t-il des avancées du féminisme ?

Pour obtenir une réponse courte à une demande de bilan, il est sans doute utile de guider la parole des personnes en posant des pôles comme les termes d'"avancée" et de "défaite". Dans le même temps, ces termes qui justement polarisent sont plutôt contraires à l'esprit d'un bilan, qui implique une recherche d'exhaustivité et suppose d'évaluer, sur beaucoup de thèmes, des évolutions qui ne se laissent pas facilement appréhender comme des victoires totales ou comme des désastres intégraux.
LMSI
Depuis près de quarante ans, Christine Delphy répète inlassablement que l'ennemi principal ce sont les hommes. La thèse pseudo-marxisante, rédigée selon la vulgate maoïste, bien que simpliste et non fondée est devenue politiquement correct.
On constate l'existence de deux modes de production dans notre société : la plupart des marchandises sont produites sur le mode industriel ; les services domestiques, l'élevage des enfants et un certain nombre de marchandises sont produites sur le mode familial. Le premier mode de production donne lieu à l'exploitation capitaliste. Le second donne lieu à l'exploitation familiale, ou plus exactement patriarcale.
DELPHY Christine, L'ennemi principal - Tome I Economie politique du patriarcat, Syllepse, 1998 p.46.
En 2004, elle fait partie de la minorité des féministes qui s'opposent à la loi française sur les signes religieux dans les écoles publiques. Son article Race, caste et genre en France analyse l'oppression des populations maghrébines puis de leurs enfants.

En 2008, elle s'attaque à La domination masculine de Pierre Bourdieu non pour faire l'analyse critique des insuffisances d'un petit ouvrage prétentieux, mais pour lui dénier le droit de parler parce que «faisant partie du groupe des hommes, il ne pouvait être impartial» [DELPHY Christine, Classer, dominer, La Fabrique, 2008].

Le féminisme reste bloqué dans l'impasse théorique du patriarcat, une construction aussi fantasmatique que celle du matriarcat. Le terme, d'origine biblique, n'a jamais été utilisé ni par Friedrich Engels ni par Karl Marx. Friedrich Engels, en reprenant les travaux de Lewis Morgan, évoque la «famille patriarcale» c'est-à-dire :
l'organisation d'un certain nombre d'individus, libres ou non, qui constituent une famille sous l'autorité paternelle du chef de celle-ci. Dans la forme sémitique, ce chef de famille vit en polygamie, les esclaves ont une femme et des enfants, et le but de l'organisation tout entière est la garde des troupeaux sur un terrain délimité.
MORGAN Lewis Henry, Ancient Society, or Researches in the Lines of Human Progress from Savagery, through Barbarism, to Civilization, Macmillan and Co, 1877 p.465-466 cité par ENGELS Friedrich, L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat [1884], Éditions sociales, 1975 [Archive Internet des Marxistes] p.28 - Éditions du Progrès, Moscou, 1976 [UQAC p.45].
Les travaux d'ethnologie comparée de George Murdock montrent que, sur un échantillon de 250 sociétés, 105 ont une descendance patrilinéaire et 140 une règle de résidence patrilocale [MURDOCK George Peter, De la structure sociale [1949], Payot, 1972].

La monographie de Cai Hua, qui décrit la survivance en Chine d'une société qui est à la fois matrilinéaire et matrilocale, remet en cause l'universalisme de la famille.
L'existence de ce contre-exemple indique ainsi de façon frappante les limites des deux théories dominantes en la matière [celle de Radcliffe-Brown et de Lévi-Strauss]. Elle relativise notre connaissance actuelle.
CAI Hua, Une société sans père ni mari - Les Na de Chine, PUF, 2000 p.360.
06/08/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Lire aussi :
• JULLIEN François, De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Fayard, 2008.
• WALLERSTEIN Immanuel, L'universalisme européen : de la colonisation au droit d'ingérence, Démopolis, 2008.
Dossier documentaire & Bibliographie Féminisme, Monde en Question.

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