17 août 2009

Le bourbier afghan


Les Afghans n'aiment pas les envahisseurs. Ils les chassent : les Anglais, les Russes, les Soviétiques. Les Américains et leurs supplétifs, notamment français, pourraient bien devenir les prochains à être vaincus par ce pays violent et âpre. Après huit ans de guerre, malgré toute la technologie occidentale, le commandant en chef américain en Afghanistan a dû reconnaître que les talibans gagnaient. La bataille d'Afghanistan partait pourtant de nobles objectifs : libérer un pays de ces combattants obscurantistes qui brûlent les écoles de filles et veulent imposer un ordre islamiste moyenâgeux. Il s'agissait aussi de vaincre ce qu'il reste d'Al-Qaeda et de Ben Laden, réfugié entre les montagnes afghanes et pakistanaises. Cette guerre a échoué. Les Américains et leurs alliés ont privilégié les objectifs militaires au mépris de la population, qui perçoit l'étranger comme un ennemi. Les troupes occidentales n'ont apporté que terreur et instabilité aux populations civiles. Politiquement, l'Occident s'appuie sur Hamid Karzaï, un président inefficace, notoirement corrompu, qui mène une douteuse campagne pour sa réélection. Les milliards d'aides déversés en Afghanistan ont enrichi ses proches, alors que ses concitoyens doivent survivre sans routes, sans écoles, sans un système de santé même basique. Obama a décidé, à juste raison, de se retirer d'Irak, alors qu'il entend accroître l'effort de guerre en Afghanistan. Mais on perçoit mal quelle part la France, son président, ses militaires ont pris dans l'élaboration de cette nouvelle stratégie à hauts risques.

Libération

L'Afghanistan est le plus vieux bourbier militaire qui connaît, depuis les années 1970, une succession de débâcle des forces d'invasion. Au temps de la lutte idéologique entre Américains et Soviétiques, les Afghans ont prouvé qu'ils ne pouvaient s'accommoder d'aucune hégémonie militaire extérieure sur leur territoire, mettant à mal la toute puissante armée soviétique, par le moyen d'une guérilla dont les acteurs, animés par la foi, étaient tout de même armés par les USA ou la CIA, alors présents sur le terrain pour contrecarrer l'expansionnisme soviétique dans la région. Les Américains connaîtront le même destin, une décennie plus tard, avant de se retirer en douce, laissant le soin aux troupes lieutenantes de Chah Massoud, de repousser les forces talibanes. Ce fut un échec sans précédent, les talibans, soutenus, moralement et militairement, par des factions pakistanaises qui ont également maille à partir avec le pouvoir du général proaméricain Musharraf, finirent par faire leur entrée triomphale à Kaboul, prenant le pouvoir, que les Américains refuseront de leur laisser longtemps, pour une question de géostratégie du pétrole de long terme, mais sous couvert d'un humanisme démocratique mû, médiatiquement, par le spectacle de la tyrannie talibane quotidienne contre les femmes, les monuments historiques et les dissidents.

La Nouvelle République

La voiture a explosé juste devant l'entrée du quartier général de la force de l'OTAN en Afghanistan, à une centaine de mètres des ambassades britanniques et américaines. Cette attaque visant une des zones les plus sécurisées du pays a été revendiquée par les talibans. Leur porte-parole l'a confirmé à l'agence Reuters : «La cible était l'ambassade des Etats-Unis, mais nous n'avons pas pu l'atteindre. Le kamikaze s'est fait exploser près du quartier général de l'Isaf (Force internationale d'assistance à la sécurité de l'OTAN) et a tué plusieurs soldats étrangers.»

Plusieurs membres de la force internationale seraient au nombre des victimes. «Il y a malheureusement des victimes, mais je ne fournirai pas de chiffres. Il y a des civils et des militaires de l'Isaf», a déploré le général canadien Eric Tremblay, un des porte-parole de l'Isaf. L'explosion a détruit une grande barrière de béton protégeant la base militaire en faisant voler en éclat les vitres des habitations du quartier. Selon un journaliste de l'AFP, les membres d'Isaf ont puissamment fortifié la base immédiatement après l'attentat. Le président afghan Hamid Karzaï a fustigé «les ennemis de l'Afghanistan qui tentent de semer la peur parmi le peuple en cette période électorale». Cette nouvelle démonstration de force des talibans intervient à cinq jours de l'élection présidentielle, un scrutin dont M. Karzaï est le grand favori. Les insurgés islamistes avaient juré de perturber les scrutins présidentiel et provinciaux, prévus jeudi 20 août, les considérant comme «une imposture orchestrée par les Américains». La multiplication des attaques, une explosion de violence sans précédent depuis la chute des talibans en 2001, fait craindre un taux d'abstention élevé et donc un scrutin peu crédible. Oubliée, la guerre en Afghanistan revient à la Une des médias internationaux avec ses vérités amères que les occupants avaient tout fait pour taire. La situation y est telle que même les dirigeants locaux, pourtant installés par la CIA, ne peuvent plus s'en cacher. C'est le cas du président Hamid Karzaï qui ne s'est pas empêché de tirer la sonnette d'alarme, et de demander secours à ses voisins «ennemis» du Pakistan pour venir à bout de l'offensive des talibans et d'Al-Qaïda, qui a gagné en ampleur ces derniers mois et qui empêche, depuis maintenant plus de sept ans, la «pacification» de ce pays comme l'avaient planifié les forces d'occupation.

Après l'Irak, le spectre de l'échec plane sur l'Afghanistan. Et tout le monde s'en plaint aujourd'hui ; même le Premier Ministre britannique Gordon Brown, qui en était arrivé à réclamer le remplacement de l'OTAN par les forces de l'ONU dans ce pays. Ce sentiment d'impuissance a commencé à s'aggraver sérieusement après l'affaire des otages sud-coréens, détenus en 2007. A cela s'ajoutait les divergences sur le rôle des Pakistanais, soupçonnés de «liens» avec les talibans…
Alors que Karzaï, comme Washington, considèrent officiellement le Pakistan comme un partenaire dans la recherche de la paix, l'armée américaine accuse Islamabad de «jouer sur les deux tableaux dans les rues de l'Afghanistan» et surtout dans les régions frontalières, où les talibans ont imposé leur loi. Très inquiets de la détérioration de la situation dans la région, les pays de la coalition occidentale s'interrogent sur la stratégie à adopter pour contrer l'offensive des talibans, lesquels, en deux ans de redéploiement ont réussi à reconquérir des provinces entières et contrôlent au moins un quart du territoire afghan.
Cette guerre est aussi une épreuve pour le nouveau président américain, qui a décidé le maintien des forces américaines dans ce pays, contrairement à ce qu'il a décidé pour l'Irak. La «cause afghane» étant jugé plus défendable et plus consensuelle aux yeux de la communauté internationale, au motif que les groupes affiliés au réseau Al-Qaïda y trouvent toujours refuge. Barack Obama a même suggéré de renforcer la présence des forces de l'OTAN, mais n'a pas précisé les formes de soutien devant être au processus politique aujourd'hui menacé d'écroulement.

La Nouvelle République

Les observateurs de la situation sécuritaire et politique en Afghanistan estiment que les élections, sur lesquelles Ahmed Karzaï tablait en vue de se faire réélire et consolider sa position au pouvoir, sont très sérieusement perturbées par ce qui est arrivé, les talibans ayant fourni la preuve militaire de leur puissance en pénétrant au cœur de la capitale et en touchant, symboliquement, les forces de l'Otan qui sont censées être là pour veiller au rétablissement de la paix dans ce pays et au retour à une vie politique et institutionnelle normale.

Les Américains, dont la stratégie dans la région semble avoir été réorientée, depuis l'arrivée de Barak Obama à la Maison-Blanche, priorisant l'action militaire contre les talibans en Afghanistan et optant pour un retrait progressif d'Irak jusqu'à l'horizon 2011, devraient voir se réveiller, dans leurs rangs, les démons des bourbiers vietnamien et irakien, avec les échecs patents qu'ils y ont connus.

Cela d'autant que les forces de l'Otan, multinationales et essentiellement occidentales, pourraient subir les contrecoups médiatiques de leurs opinions nationales respectives, générant des pressions qui pourraient faire se désolidariser, de la stratégie offensive américaine dans ce pays, quelques pays européens. C'est déjà arrivé en Irak, et si la situation s'avère non maîtrisable au fil des semaines à Kaboul et dans l'ensemble de l'Afghanistan, il est à prévoir que ce scénario serait le plus probable.

Destitués de Kaboul, les talibans semblent insaisissables et même plus puissants qu'avant, alors que les Occidentaux n'ont jamais accepté de guerre où ils pourraient chaque jour compter leurs morts.

La Nouvelle République

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