«Que la victime ait été juive a conduit à des développements dont je désire souligner l'incohérence absolue.»
Je voudrais revenir sur l'un de ces sujets, douloureux et révoltant, jusqu'à se qualifier lui-même de barbare, le meurtre d'Ilan Halimi. Que la victime ait été juive a conduit à des développements dont je désire souligner l'incohérence absolue. Cette incohérence est due d'abord à la précipitation, au désir de définir d'emblée la chose horrible avant d'en connaître les péripéties, les coupables et l'enchaînement des faits ; incohérence, ensuite, dans la diffusion d'éléments contradictoires issus soi-disant ou réellement de l'enquête policière des représentants du parquet. Enfin, incohérence dans le droit que se sont spontanément attribué certains de décréter «antisémites» le choix de la victime et son assassinat.
Autant je peux comprendre et partager l'émotion, autant je récuse une précipitation qui non seulement empiète sur les responsabilités de la justice, mais, de surcroît, met celle-ci au défi d'inscrire l'événement dans un contexte préalablement déterminé. Il y a d'autres manières de respecter la mémoire de la victime et la douleur de sa famille, de ses amis et même de sa communauté. [...]
Ce que je voudrais affirmer, une fois de plus, et sans être cette fois-ci mieux entendu qu'auparavant, c'est que l'antisémitisme est un phénomène politique majeur qui ne doit pas être confondu avec l'insulte ou la voie de fait émanant d'individus ou de groupes spontanés dont les actes relèvent directement de la justice et du bon sens des juges. A cet égard, je reconnais volontiers qu'une telle volonté politique existe sans doute dans le terrorisme, même simplement verbal, du fondamentalisme musulman ; mais, là encore, parler d'antisémitisme, c'est aider ce mouvement dans son action contre la société démocratique en détournant l'attention sur les juifs.
[...]
Les faits qualifiés d'antisémitisme relèvent de l'ordre public dont le gouvernement et la justice ont la charge. Ce n'est pas le juif qui est d'abord atteint, c'est le citoyen, et c'est à ce titre qu'il doit défendre son droit et le respect de sa personne et de sa singularité. Dans un pays qui connaît tant de difficultés à reconnaître et à intégrer les différences, il est important de situer le respect de chacun dans le cadre établi pour le respect de tous. Je voudrais illustrer cette affirmation par le propos cité par le Monde (3 et 4 mars 2006) : «T'as raison, reprend Djibril Issaka, je voudrais qu'on bouge pour moi, mais pas parce que je suis noir, mais français.»
Théo KLEIN
14 mars 2006
Publié par Libération
KLEIN Théo, Le manifeste d'un Juif libre, Liana Levi, 2002.
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