Shalom Arshav a publié un rapport qui montre pour la première fois, chiffres à l’appui, que 40% au moins des terres sur lesquelles sont bâties les colonies, même les plus anciennes, appartiennent à des personnes palestiniennes privées. En attendant de traduire ce rapport, voici la tribune publiée ce jour dans Ha’aretz par Dror Etkes, responsable de l’Observatoire de la colonisation de Shalom Arshav et auteur de ce rapport.
Les chiffres qu’a publiés hier l’Observatoire de la colonisation de Shalom Arshav (La Paix Maintenant) à propos des terres privées sur lesquelles sont bâties les colonies, montrent une image effrayante du comportement de l’Etat d’Israël dans les territoires. Environ 40% des terres occupées par les colonies sont des terres qui appartiennent à des personnes privées palestiniennes, chiffres de l’Administration civile. Pour le dire plus simplement : pendant des dizaines d’années, Israël a étendu et renforcé l’entreprise de colonisation en dépossédant des propriétaires palestiniens de leurs terres, propriété que même l’Etat d’Israël ne conteste pas. A rapprocher de l’argument, souvent invoqué par les colons ou par les représentants de l’Etat, selon lequel « les colonies sont établies sur des terres d’Etat. » [1]
Quelles ont été les méthodes utilisées ? De 1967 à 1979, l’administration militaire israélienne (connue sous le nom d’Administration civile) en Cisjordanie a fait un usage intensif de la procédure d’ »acquisition de terres pour raisons de sécurité » pour s’emparer de milliers d’hectares de terres palestiniennes privées. En pratique, ces terres ont servi à l’extension des colonies.
Bien que « l’acquisition de terres pour raisons de sécurité » dans une zone occupée soit permise par le droit international, elle est également limitée dans le temps. La Haute cour de Justice a ainsi rejeté les recours déposés par les propriétaires contre ces acquisitions, en se fondant sur l’argument que les colonies avaient bien une valeur ajoutée en termes de sécurité, étant situées au coeur de zones dont la population est hostile. Ce qui signifie qu’au départ, ces colonies destinées à durer ont été établies sur des terres dont l’acquisition devait être temporaire. Or, à ce jour, des dizaines de colonies doivent leur existence juridique à un rituel absurde : le Commandement central signait une extension du décret d’acquisition des terres sur lesquelles elles sont bâties, tout en déclarant qu’il était convaincu que la terre en question nécessaire « nécessaire à la sécurité ».
Ironie de l’histoire : cette méthode s’est heurtée à un problème à cause du refus des colons de continuer à coopérer avec cette mascarade, au coeur de toutes ces déclarations fournies par l’armée à la Haute cour de Justice. Dans une réponse donnée à la Haute cour par les colons en 1979, alors qu’elle examinait les acquisitions de terres pour la colonie d’Elon Moreh, ce furent les colons eux-mêmes qui refusèrent de reconnaître la nature provisoire de la colonie qu’ils allaient créer, en disant qu’elle n’était pas créée pour des raisons temporaires de sécurité, mais pour répondre à « un ordre divin suprême et moral ». La Haute cour n’eut plus d’autre choix que d’annuler ses décisions précédentes et d’ordonner à l’Etat de s’abstenir d’acquérir des terres destinées à accueillir des colonies. Elon Moreh a dû déménager sur un autre site, mais toutes les colonies qui avaient été créées de cette manière demeurent en place jusqu’à ce jour.
Suite au cas Elon Moreh, la construction de colonies dans les territoires, qui n’a fait que s’accélérer durant cette période, a opté pour deux techniques parallèles. La première, pseudo-légale, où le gouvernement a déclaré terres d’Etat d’immenses portions de Cisjordanie. De cette manière, sans même que les gouvernements israéliens aient eu à rendre quelque compte que ce soit, ni pour la façon contestable dont ces terres ont été déclarées terres d’Etat, ni pour le fait même que ces terres n’ont été allouées qu’à des Juifs (bien qu’ils fussent et restent une petite minorité au sein de la population de Cisjordanie), l’entreprise de colonisation a pu se renforcer.
La deuxième technique utilisée par Israël constitue une étape plus avancée encore du mépris qu’a le gouvernement pour l’état de droit, dont l’application, comme on le pense souvent, est censée être de son ressort : les gouvernements successifs d’Israël ont continué à initier, ou « seulement » à permettre la construction de colonies, de quartiers ou d’avant-postes sur des terres privées sans même prendre la peine de publier des décrets d’acquisition, puisque de toute manière, il était probable que la Haute cour de Justice les annulerait.
Comme cela a été mentionné plus haut, tout cela s’est produit alors que l’Administration civile avait une pleine connaissance de ces faits. Celle-ci n’est d’ailleurs pas restée les bras croisés, et à pris soin de documenter ce phénomène et ses dimensions, tout en soulignant avec insolence son droit de les cacher au grand public. Voici ce qu’a écrit à la cour le bureau du procureur du district de Jérusalem pour motiver son refus de communiquer ses informations : « le sujet de cette procédure est très sensible. Il implique, entre autres, des considérations liées à la sécurité de l’Etat d’Israël et à ses relations internationales. »
S’il est difficile de comprendre de quelles « considérations pour la sécurité » il est question, il est facile en revanche de deviner en quoi les relations internationales d’Israël auraient pu être affectées par ces informations. Malheureusement, il faut en conclure qu’en ce qui concerne sa politique de gestion de la terre, l’Etat d’Israël agit en Cisjordanie comme un Etat mafieux.
Publié par Samizdat.
Lire aussi : Les terres volées aux Palestiniens - Rapport de Shalom Arshav sur la construction des colonies sur des terres privées palestiniennes
Le rapport explosif de Shalom Arshav qui décrit pour la première fois, et avec une précision clinique, la manière dont des terres appartenant à des propriétaires palestiniens ont été détournées au profit des colonies de Cisjordanie, et l’ampleur du phénomène. Samizdat.
[1] Le rapport de Shalom Arshav détaille avec précision la notion de « terre d’Etat », héritée du droit ottoman, ainsi que le statut juridique de « terre privée ». En attendant sa traduction en français, on peut consulter ce rapport en anglais, Peacenow.
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