Secrétaire général de l’Initiative nationale palestinienne, une formation qui se veut une alternative aux factions existantes, Moustapha Al-Barghouthi analyse la crise actuelle dans la bande de Gaza et évoque les perspectives d’avenir.
« Israël est le seul responsable de la situation à Gaza »
Al-ahram hebdo : Comment qualifiez-vous l’attaque militaire sans précédent menée par Israël contre la bande de Gaza ?
Moustapha Al-Barghouthi : Ce qui se passe à Gaza peut être un véritable génocide contre notre peuple, un acte sauvage, barbare qui va à l’encontre de toutes les lois internationales. Israël est une force d’occupation de Gaza, qui est en train d’anéantir sa population par des attaques aériennes. Gaza, un territoire ayant la plus grande densité démographique au monde, est aujourd’hui victime des attaques aériennes et terrestres israéliennes, alors qu’elle se trouve sous occupation. Le nombre de martyrs et de blessés est le plus élevé depuis 1967. Devant l’opinion internationale, Israël prétend avoir l’intention de s’attaquer uniquement aux éléments du Hamas. Il a même prétendu auparavant posséder une technologie qui lui permet d’effectuer des opérations presque « chirurgicales » sur le terrain.
— L’Etat hébreu affirme pourtant avoir pour seul objectif de détruire le Mouvement de la résistance islamique (Hamas) ...
— Toutes les allégations d’Israël ne sont rien d’autre que des mensonges. En réalité, la guerre n’est pas dirigée contre le Hamas, mais plutôt contre tout le peuple palestinien. L’objectif réel des Israéliens est de briser la volonté palestinienne, de mettre les Palestiniens à genoux et de les obliger d’accepter un règlement injuste, en rayant, par exemple, le droit d’avoir Jérusalem pour capitale, ou le refus du droit au retour des réfugiés. Les Israéliens veulent obliger les Palestiniens d’accepter le règlement qu’ils ont essayé de leur imposer à la conférence d’Annapolis (novembre 2007), mais ont échoué.
Ce qui se passe en ce moment est très dangereux, car en s’attaquant de cette manière si féroce à notre population, Israël veut détruire la volonté et la résistance du peuple palestinien et nous imposer ses propres règles par la force.
En effet, Israël ne s’attaque pas uniquement au Hamas. Il a comme principale cible, la démocratie palestinienne. C’était très clair : les attaques israéliennes ont détruit le siège du Parlement palestinien et l’Etat juif a arrêté 45 de nos parlementaires. Les Israéliens se sont attaqués au gouvernement d’Unité nationale qui représentait 95 % des électeurs palestiniens et ont fortement contribué à l’effondrement de ce gouvernement. Et lorsque ceci a eu lieu, ils ont commencé à propager l’idée que les Palestiniens étaient responsables de leurs divisions internes. Tout cela n’était qu’un jeu dont le but était de briser la volonté politique palestinienne et l’attachement de notre peuple à son droit légitime à la résistance. Un autre mensonge qu’Israël tente de faire passer dans les médias américains et européens est celui que la trêve a été rompue par le Hamas, alors qu’en réalité, c’est Israël qui l’a rompue, en novembre dernier, un mois avant ces attaques.
Le troisième mensonge qu’Israël essaye de propager est celui que les Israéliens sont les « victimes » et que les Palestiniens sont les « attaquants ». Or, on constate que de leur côté, ils n’ont eu qu’une seule victime, alors que du côté palestinien nous avons perdu plus de 500 martyrs, jusqu’à dimanche dernier.
Les observateurs sont unanimes à expliquer les attaques israéliennes contre la population de Gaza par la course électorale en Israël. Tzipi Livni et le parti Kadima ne veulent pas paraître faibles face à leurs opposants de la ligne dure du Likoud ou du parti du Travail.
— Quelles sont les différences entre les trois candidats aux prochaines élections israéliennes ? Est-ce que vous pourriez imaginer un scénario particulier pour chaque candidat ?
— Il n’y a aucune différence entre eux. Aussi bien Livni que Netanyahu ou Olmert, ils sont tous originaires du Likoud. Quand à Barak, il n’a rien à envier aux autres en matière de férocité et de racisme. Ce qui est désolant, c’est qu’Israël est devenu, dans sa totalité, une nation raciste au sens propre du terme. Ils ont créé un système d’apartheid et de barrières racistes. Ils ne veulent pas qu’un seul Palestinien puisse lever la tête. Peu importe qui va gagner les élections, s’il n’y aura pas de différence dans leur position vis-à-vis des Palestiniens. Ils adoptent et suivent tous la même vision politique sioniste qui refuse l’existence d’un Etat palestinien indépendant, que Jérusalem soit la capitale de la Palestine et que le droit au retour des réfugiés se fasse. Livni a bien dit qu’aucun réfugié ne serait accepté par Israël. Alors quelle différence y a-t-il entre elle et Netanyahu ? Cette guerre est faite juste pour que chacun d’entre eux puisse montrer ses muscles et le prix de cela est le sang des Palestiniens. Et le pire de tout, c’est que malgré toute la férocité démontrée par le gouvernement d’Israël contre les Palestiniens, le Likoud se renforce de plus en plus dans les sondages.
— Que pensez-vous de la stratégie du Hamas dans sa gestion de la résistance militaire ? Y aurait-il eu une erreur stratégique ou de calcul de leur part en tirant les roquettes contre le sud d’Israël ?
— Il n’y a pas du tout eu d’erreur commise par Hamas. Jusqu’au mois de novembre dernier, le Hamas avait arrêté les tirs de roquettes, et même empêché toute sorte d’attaque venant de Gaza. Celui qui a rompu l’accalmie était Israël. Les Israéliens sont entrés, attaqué et abattu 6 Palestiniens. C’est à ce moment que les roquettes ont commencé à être lancées depuis Gaza. En réalité, c’était le Hamas qui se défendait en tirant des roquettes sur Israël. Et nous savons tous que ces roquettes n’ont pas d’importante capacité de destruction. Mais il s’agissait d’une manière symbolique de se défendre contre les attaques des forces d’occupation. Nous ne pouvons pas jeter la responsabilité sur les victimes alors que les véritables agresseurs sont les Israéliens.
Tout cela a été soigneusement planifié. Au cours des derniers mois, l’on pouvait lire dans les journaux israéliens qu’Israël avait besoin de quelques mois d’accalmie afin de préparer son armée à une attaque majeure. Et cela est exactement ce qui se produit maintenant.
— Y a-t-il aujourd’hui une possibilité de rétablir la réconciliation palestinienne ?
— Le seul chemin cohérent à suivre, à mon avis, est celui de la reconstitution d’une administration politique unifiée en Palestine, et la formation d’un gouvernement d’unité nationale. Par la suite, nous devrons avoir des élections auxquelles prendront part tous les représentants des tendances palestiniennes, sans exception ou discrimination. Ces élections devront être transparentes et crédibles et avoir lieu dans l’ensemble des territoires occupés. Et, enfin, il faut absolument qu’il y ait des garanties que l’on acceptera inconditionnellement ses résultats.
— Pensez-vous que l’élection de Barack Obama aux Etats-Unis apportera du changement dans la position de Washington dans le conflit israélo-palestinien ?
— C’est sûr que nous avons l’espoir d’un changement dans la politique étrangère américaine, mais je ne veux pas me faire des illusions. Nous espérons que le président Obama aura au moins une meilleure compréhension de la situation dans cette région. Contrairement à George Bush, le président Obama est sensé être plus sensible aux causes justes comme c’est le cas de la nôtre. Mais la question que nous nous posons est la suivante : est-ce qu’il pourra affronter le lobby israélien aux Etats-Unis ? Nous attendons pour voir comment il agira.
Mais ce que nous notons maintenant, c’est que l’administration Bush fait tout, jusqu’au dernier moment, pour qu’en arrivant, le président Obama retrouve une situation intenable et pour qu’il soit dans l’impossibilité d’opérer des changements dans la politique américaine vis-à-vis de cette région. L’administration Bush, conjointement avec Israël, est en train de construire trois murs qu’Obama pourra difficilement franchir en vue d’avoir des influences positives sur ce conflit. Le premier de ces murs est celui des engagements assumés par Bush vis-à-vis d’Israël où il a réduit, à travers une résolution du Conseil de sécurité, le processus de paix d’Annapolis. Le deuxième mur, ou entrave à l’action future d’Obama, est le feu vert donné par l’administration Bush à ce massacre des Palestiniens. Et le troisième point, qui est le plus important, c’est qu’à travers la tension produite par cette confrontation et ce massacre des Palestiniens, elle tente de détruire le plan annoncé par Obama d’entamer un dialogue avec la Syrie, l’Iran et toutes les forces de la région.
Propos recueillis par Randa Achmawi
Publié par Al-Ahram hebdo Semaine du 7 au 13 janvier 2009, numéro 748 (Invité).
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