6 juillet 2009

Haro sur le corps des femmes


DAMIENS Caroline, Le corps des femmes n’est pas un champ de bataille, Indésens, 2005
Ce fichu foulard, il y a quelques mois, je m’en « fichais ». Mais le consensus qui traverse l’ensemble de la classe politique de Lutte Ouvrière au Front National sur ce sujet, l’hystérie de certains profs qui vont jusqu’à faire grève pour protester contre une ou plusieurs élèves voilées dans leur établissement, et bien sûr, le vote d’une loi à l’encontre de ces mêmes élèves obligent à prendre position. [...]

Au nom du combat pour l’égalité, de nombreuses « féministes » se sont élevées contre le voile. Quelle égalité ? Quel féminisme ? Tout d’abord, il faut remarquer que ce féminisme ne se focalise que sur l’apparence physique, faisant de cette apparence la preuve de toutes les oppressions sans jamais avancer le moindre fait et se réduisant à ce seul slogan : « Le voile, symbole de l’oppression des femmes, hors de l’école ». Le combat se porte sur le symbole de l’oppression et non sur l’oppression elle-même. La bonne oppression, c’est celle qui ne se voit pas. Nous ne parlerons donc pas ici des violences exercées envers les femmes, violences qui ne font pas de différence quant à la couleur de la peau ou l’origine géographique ou sociale des victimes et des agresseurs. La loi s’applique seulement à la disparition du foulard (de la même manière que les lois Sarkozy ont pour ambition de faire « disparaître » les prostituées des rues). On cherche à éliminer l’apparence, la partie visible du problème. Et la partie visible, c’est le corps des lycéennes et collégiennes voilées : la visibilité de leur volonté de rendre leurs corps invisibles.

[...]

On ne libère personne contre son gré. « L’émancipation ne s’obtient pas par l’humiliation, la sommation et la répression. » Cela paraît la moindre des évidences. L’alibi féministe sur lequel repose cette loi et l’hystérie qui l’accompagne ne tiennent plus. Mais qu’y a-t-il donc de caché sous ce foulard ?

[...]

Il faut bien rattacher la loi qui vient d’être votée aux événements relatifs au 11 septembre et qui ont servi de prétexte à une campagne qui a laissé éclater le racisme latent dans la société française. Entourants le débat politique, les articles les plus délirants ont fleuri, relevant tous de ce même fantasme : si on laisse une fille venir à l’école avec un foulard sur la tête, c’est la porte ouverte à l’intégrisme islamiste. C’est que désormais une femme voilée représente l’islam tout entier, voire carrément Al-Qaida. De nombreuses couvertures de magazines ont fait clairement apparaître cet amalgame en montrant une femme voilée et en titrant sur la « montée de l’islamisme », « de l’intégrisme », « du terrorisme ». C’est comme si, dans la nouvelle guerre plus ou moins déclarée selon les endroits de la planète, qui oppose le monde occidental au monde arabo-musulman (sous l’appellation de « guerre contre le terrorisme », « guerre contre l’axe du mal », « tempête du désert », « justice sans limite »...), le conflit en France prenait corps précisément dans le corps de ces collégiennes et lycéennes voilées. Ici aussi, devant tant de fantasmes, le récent concept de la « guerre préventive » entre en action. Ces jeunes filles exclues de l’école publique sont-elles les « dommages collatéraux » de la présente guerre ou bien le champ de bataille proprement dit ?

On peut rapprocher cette « bataille du foulard à l’école » à ce qu’on a appelé à l’époque la « bataille du voile ». Pendant la guerre d’Algérie, le « dévoilement » des femmes algériennes, c’est-à-dire l’enlèvement de force du foulard, était couramment pratiqué par des soldats français dans un but d’humiliation. Le 16 mai 1958, au cours d’une manifestation pro-française à Alger, on « dévoila » un petit groupe de femmes « aidées par des Européennes bien mises (...) au cours d’une cérémonie savamment chorégraphiée ». La guerre coloniale avait alors lieu aussi sur le corps des algériennes.

[...]

Comme dans la « bataille du foulard », les femmes sont instrumentalisées, c’est-à-dire qu’on en fait les instruments de quelque chose, ce qui présuppose qu’on doit d’abord en faire des instruments au sens propre, des choses, des objets. Pour cela, il faut les mettre sous tutelle : ce sont des victimes, des êtres mineurs (des femmes ou des enfants, c’est la même chose). Avoir choisi des collégiennes et des lycéennes, qui sont pour la plupart (mais pas toutes) juridiquement mineures, comme corps de la bataille, relève de cette même mise sous tutelle. [...] En refusant d’entendre ou de prendre en compte leur parole, et ce, avec un mépris affiché, les partisans de la loi montrent ce qu’ils pensent de ces jeunes filles musulmanes : leur parole ne compte pas ; elles sont mineures (il faut dire qu’elles cumulent les « tares » infériorisantes : jeunes, femmes, arabes et de couche populaire) ; et nous devons les protéger d’elles-mêmes. Or, au-delà ce que l’on peut penser de l’islam et du statut des femmes dans cette religion, il se trouve que ces filles disent quelque chose et que ces paroles émanent de leur bouches. Ne pas considérer leur volonté, les déposséder de leurs capacités de juger signifie les laisser dans un état de mineure. Que des « féministes », sous couvert de combat pour l’égalité et la libération des femmes, ne comprennent pas cela fait dresser les cheveux sur la tête.

Dans la bataille qui se joue dans le corps de ces jeunes filles, on oublie, sciemment ou inconsciemment, à qui il appartient. Et ce fichu foulard, ce misérable mètre carré de tissu devient le lieu où se croise racisme, sexisme et guerre mondiale. Le corps des femmes n’est pas un champ de bataille. Osons affronter les faits dans les yeux et ne rendons pas responsables d’une guerre celles qui ne le sont pas. La libération des femmes commence au moment où elles - toutes les femmes - reprennent ce qu’on ne cesse de leur refuser : la parole. Et face aux nouveaux slogans récemment apparus pour la circonstance, il serait bon de se souvenir de celui que les femmes scandaient il y a trente ans : « Mon corps m’appartient ».


FRIGON Sylvie et KÉRISIT Michèle (sous la direction de), Du corps des femmes - Contrôles, surveillances et résistances, Presses de l'Université d'Ottawa, 2000 [BooksGoogle]
Peint et chanté, voilé ou dévoilé, usé et abusé, le corps féminin est depuis toujours au centre de la creation artistique occidentale. Cet ouvrage collectif a pour premier objectif d'amorcer ce travail critique en débusquant les logiques patriarcales qui dominent les discours savants développés dans les différentes disciplines des sciences sociales et mettant en scène le corps des femmes. Ce faisant, il montre également comment se sont historiquement construites, et se construisent encore, des représentations de corps de femmes illégitimes ou transgresseurs ou dangereux.

Répulsion



Fascination



WEIBEL Nadine B., Par-delà le voile - Femmes d'Islam en Europe, Complexe, 2000, [BooksGoogle]
Entre un islam tranquille, "domestique", prêt à adapter les contraintes religieuses aux conditions de vie imposées par les sociétés séculières, et un islam politique, se profile en Europe un islam d'un nouveau type : loin du modèle occidental et des valeurs traditionnelles de leur culture d'origine, de nombreuses jeunes musulmanes tente de vivre aujourd'hui selon les principes d'un islam scrupuleux qu'elles associent pourtant à la modernité. Paradoxalement, les règles vestimentaires et comportementales imposées par leur religion n'entravent en rien leur dynamisme de femmes actives, décidées à s'investir socialement. C'est sur l'islam qu'elles s'appuient pour défendre leur droit à l'instruction, au travail, à plus d'équité face au monde des hommes, estimant que des coutumes profanes sont venues, au cours des siècles, léser les femmes musulmanes des privilèges que l'islam leur avant accordé. En empruntant des voies qui souvent étonnent, elles redéfinissent leur identité féminine et réactualisent, au cœur de l'Europe, des repères séculaires qui leur permettent de s'inscrire d'une manière originale dans l'époque contemporaine. C'est à l'exploration au quotidien de l'univers, jonché à la fois d'interdits et de comportements novateurs, de ces musulmanes d'un autre type, que convie cet ouvrage.

Le voile en Europe



Les cinq fonctions du hijab


• Bibliographie Vêtement, Monde en Question.
• Bibliographie Voile & Burqa, Monde en Question.
• Revue de presse Burqa (2009), Monde en Question.
• Revue de presse Voile (2004), Monde en Question.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il faut doser. Qu’est-ce qu’il faut doser…

http://ysengrimus.wordpress.com/2008/06/16/le-chene-et-le-roseau-pourquoi-l%E2%80%99epanouissement-identitaire-serait-il-un-communautariste-pourquoi-le-repli-identitaire-serait-il-un-multiculturalisme/

Prudence et patience…
Paul Laurendeau