08/08/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde
• Penser le cinéma documentaire : leçon 1, 1/2 – Le documentariste et ses outils à travers les âges, Canal-U
Le cinéma documentaire est né de la rencontre entre le désir des cinéastes d’explorer le monde et la passion des inventeurs d’enregistrer le réel :
Entre Louis et Auguste Lumière, filmant le déjeuner en famille avec une caméra cinématographe noir et blanc muette et Dominique Cabréra se filmant elle-même avec une caméra DV numérique en couleurs et sonore, il y a cent ans d’écriture documentaire et d’inventions techniques.
Les cinéastes ont cherché à transmettre, avec leur point de vue, la vie quotidienne de leurs contemporains en s’approchant progressivement au plus près de leur intimité, jusqu’à parfois devenir les propres "acteurs" de leurs films.
Pour en arriver là, un dialogue permanent s’est établi entre eux, des inventeurs et des ingénieurs. il a fallu alléger les caméras, les installer sur des trépieds fluides, domestiquer la couleur de la pellicule, mener une véritable conquête pour entendre en direct les personnes que l’on filme, réunir sur un même support l’image et le son avec l’arrivée de la vidéo, inventer de nouvelles techniques de montage plus simples et plus rapides, miniaturiser tous ces équipements pour parvenir aux caméscopes que nous connaissons actuellement.
• Penser le cinéma documentaire : leçon 1, 2/2 – L’invention de la mise en scène documentaire, Canal-U
L’adjectif qualificatif est attesté dès 1876 (Dictionnaire Robert). Appliqué au film , il apparaît en 1896.
Le mot, en langue française, devient substantif en 1915. L’abréviation "docu" est attestée en 1967, mais on peut supposer qu’elle existait bien auparavant dans le langage parlé. Le familier (et péjoratif) "docucu" est encore plus récent.
En langue anglaise, "documentary" apparaît en 1926, dans un article du New York Sun écrit par John Grierson sur Moana de Flaherty : "Moana, being a visual account of events in daily life of polynesian youth and family, has documentary value." D’après Paul Rotha, le mot est emprunté au français, et sert alors à qualifier "des films de voyage et d’expédition qui ne seraient pas d’ennuyeux comptes rendus de voyage".
Sans doute cet article de Grierson a-t-il contribué à donner à Robert Flaherty la figure mythique de "père du documentaire".
Historiquement, cette statufication est sujette à examen : dès 1895, des films pourraient être qualifiés de documentaires. Le débat historique et théorique sur la question risque d’être infini et inextricable, sauf à se tenir aux observations suivantes :
Comme pour la littérature, on devra dater l’apparition d’un genre cinématographique au moment où il est reconnu et identifié. Les films qui précèdent cette date seront à voir comme des promesses, des prémices, des frayages que seule une conception téléologique de l’histoire de l’art permettrait d’annexer a posteriori au genre , et qu’on valorise alors arbitrairement sous la rubrique des origines. Il n’y aurait pas une origine, mais des commencements. Il est donc vain de chercher à tout prix un "premier documentaire de l’histoire du cinéma français". Le genre naît progressivement, et apparaît entre 1915 (France) et 1926 (Grande – Bretagne).
"Documentaire", comme tous les mots de la langue, a subi des glissements de sens, au point qu’un spectateur d’aujourd’hui a une certaine difficulté à accepter comme tels, par exemple, L’homme d’Aran ou Louisiana Story ; pour un oeil contemporain, la direction d’acteurs non-professionnels, le procédé du slight narrative (expression de Paul Rotha), rangeraient plutôt ces films du côté de la fiction. Il faut donc admettre que des films classés comme documentaires peuvent maintenant ne plus être perçus selon les mêmes catégories, et que ce changement fait partie de l’histoire du genre.
"Documentaire" : film didactique montrant des faits réels et non imaginaires" (Robert)
La veine didactique du documentaire est inscrite dans son nom même, étymologiquement dérivé du latin docere : enseigner, instruire, montrer, faire voir. Un documentum est un exemple, un modèle, une leçon, un enseignement, une démonstration. ici encore, le glissement historique des mots est à prendre en compte. Actuellement, on en vient à considérer que la transmission des connaissances, dans un documentaire, est peut être un effet secondaire, et pas forcément indispensable, l’essentiel étant alors la donation d’un point de vue à propos d’une réalité.
• Penser le cinéma documentaire : leçon 3 – Théorie du film documentaire, Canal-U
Films sociaux, ethnographiques, scientifiques ou politiques, développant des formes autobiographiques, portrait, journal filmé : les formes du documentaire sont tellement variées qu’il serait réducteur de l’assimiler à un "genre". "C’est un champ complexe qui relève aussi bien de critères économiques que de réseaux de fabrication, de diffusion, de références cinématographiques. C’est une zone de travail, un geste : celui d’aller vers le réel… Cette réflexion introductive propose de s’appuyer sur la fausse distinction entre documentaire et fiction pour reposer la question de la partition entre le vrai et le faux et pour montrer que la production de sens spécifique au film documentaire peut se développer dans différents cas…
• Penser le cinéma documentaire : leçon 4, 1/2 – La mise en scène documentaire, Canal-U
Le cinéma est à la fois fiction (un plan de chien enragé ne mord pas) et documentaire (tout film documente au moins ses acteurs en train de jouer). Mais bien évidemment la visée documentaire diffère considérablement de celle de la fiction. La vérité historique n’est pas du même ordre (de production, de croyance) que la vérité dramatique ; elles ne réfèrent pas au monde de la même façon (même si elles peuvent se mêler) et ne relèvent pas du même geste, de la même intention (ni donc de la même réception).
La nature documentaire du cinéma, de la prise de vue comme prise de vie, engage deux ordres de questionnement :
1) la question de la réalité et de la vérité à l’écran vis à vis du spectateur ;
2) la question de la relation filmeur/filmé, des conditions et directives de tournage, qui vont elles-mêmes guider (tromper ou détromper) la croyance du spectateur.
Car filmer, plus spécialement en documentaire, ce n’est pas seulement représenter, c’est aussi agir directement sur le monde et ses protagonistes ; en documentaire bien plus qu’en fiction, la relation entre l’action du filmeur et les actions des filmés (au tournage comme au montage) est non seulement le moteur du film, mais partie intégrante de son motif et de son sens. Si en fiction, selon l’adage godardien, "un travelling c’est une question de morale" (comme on dirait "le style c’est l’homme"), en documentaire "la morale est bien une question de travelling" (citation moins connue mais antérieure de Luc Moulet), dans la mesure où on ne filme pas les personnages d’une histoire (une représentation au sens théâtral et une vision d’auteur) mais l’histoire des gens, qui valent et répondent d’eux-mêmes devant la caméra, et le documentariste doit répondre de leur présentation.
C’est pourquoi nous parlerons ici d’analyse "esth-éthique", au sens où la compréhension du documentaire exige une critique pragmatique en plus d’une analyse sémiologique (ou iconique).
• Penser le cinéma documentaire : leçon 4, 2/2 – Débat sur la mise en scène documentaire, Canal-U
Un débat organisé à partir de l’ouvrage de François Niney : "Le documentaire et ses faux-semblants" qui interroge la nature des images à la télévision et au cinéma.
A quoi reconnaît-on un documentaire ? Qu’est-ce qui distingue, à l’écran, le monde réel d’un monde fictionnel ? Entre ceux qui croient aveuglément à l’objectivité des prises de vue (actualités ou archives) et ceux qui leur dénient toute vérité, n’y voyant que "mise en scène", le chemin est étroit et parfois sinueux (du fait que s’y croisent réel et imaginaire) mais c’est celui que ce livre cherche à tracer. Aucune prise de vue ne saurait à elle seule prouver un quelconque événement, mais elle montre bien quelque chose du monde à un certain moment (c’est toute la magie du cinématographe). Il convient donc de l’interroger sur son sens, sur ce qu’elle a capté, voulu montrer, sur les circonstances qui la commandent et qu’elle relatent plus ou moins, et comment elle se donne à croire au spectateur (on ne croit pas de la même façon à ce que raconte "La mort aux trousses" ou "Le chagrin et la pitié" ; le "comme si" de la fiction qu’on accepte diffère du "comme ça" du documentaire qu’on peut mettre en doute). Il s’agit donc de clarifier la distinction (et parfois le mélange, amusant ou douteux) entre documentaire et fiction, en s’appuyant sur des exemples, pour élargir la palette des traits discriminants (ou communs).
Ce n’est pas seulement la nature – supposément réelle ou imaginaire en soi – de ce qui est filmé qui va déterminer le caractère documentaire ou fictionnel du film, c’est tout autant la relation du filmeur au filmé, le partage des points de vue à travers l’objectif, la tournure de la mise en scène et du montage, la façon qu’a le film de s’adresser au spectateur, de l’entraîner à voir à l’écran notre monde commun ou un monde ajouté ("inventé"), de se faire comprendre comme une énonciation sérieuse (documentaire) ou feinte (fictive)… Sans compter qu’il y a bien des usages documentaires de la fiction (commenté par le réalisateur ou le chef décorateur, à la façon de certains bonus de DVD, un film devient ipso facto un document sur son propre tournage), tout comme il y a certaines fictions qui feignent de n’en être pas et, pour des raisons propagandistes ou commerciales, voudraient bien nous faire croire que "ça s’est vraiment passé comme ça" !
• Penser le cinéma documentaire : leçon 5 – Le documentaire et les images d’archives, Canal-U
De Dziga Vertov à Frédéric Rossif, en passant par Alain Resnais et Chris Marker, de grandes signatures se sont prêtées à cet exercice bien particulier, qui consiste à faire un film sans tourner une seule image, un film qui va s’écrire entièrement sur la table de montage. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle bien souvent les documentaires d’archives des "films de montage".
Images d’actualité, émissions de télévision, archives industrielles, militaires, éducatives, films de famille, d’explorateurs ou d’ethnologues, les terrains de chasse du documentaire d’archives sont diverses et variées. Mais quelque soit l’origine du fonds qui va constituer la matière première du film à faire, il convient au préalable de savoir décrypter et déchiffrer ces images, afin d’en révéler la nature profonde. Une image n’est pas une preuve de vérité, elle est toujours faite dans un but précis, elle peut dire vrai comme mentir vraiment. "Tous les documents doivent être analysés comme des documents de propagande, préconise l’historien Marc Ferro. Mais le tout, c’est de savoir de quelle propagande il s’agit. Les images d’archives ne sont pas mensongères au moins sur un point : ce que l’on a voulu dire aux gens. Ça, c’est une vérité historique !"
Autres questions qui s’imposent comme des impératifs catégoriques avant de rentrer en salle de montage : comment ne pas ajouter de la manipulation à la manipulation? Quels principes de montage se donner pour éviter de tomber dans le piège de répondre à la propagande par de la contre-propagande ? Comment ne pas se contenter de plaquer un discours sur des images prétextes, dont la seule fonction sera d’illustrer et de valider le point de vue initial des auteurs ?
Nous verrons, à partir d’exemples précis, quels sont les différents styles d’écriture empruntés par le documentaire d’archives, sans exclusive, mais en privilégiant toutefois les formes les plus innovantes et singulières.
1.Le contexte historique de l’usage des images d’archives dans le cinéma et à la télévision.
- Les différentes formes de documentaires d’archives : archive de guerre, film de famille, documentaire historique, scientifique, expérimental…
- Une utilisation classique : le document témoignage comme preuve d’une réalité historique
- Une utilisation contemporaine : L’archive comme moteur du récit, le document d’archive est ré-interrogé, il sert un champ d’expérimentation des formes narratives cinématographiques…
2. Le statut des images d’archives : Histoire ou Propagande ?
- Vérité et mensonge dans le documentaire historique, le faux et le vrai, la réalité et le matériau cinématographique.
L’image d’archive est une trace "historique", le réalisateur doit s’interroger sur la signification et la fonction qui lui ont été assignées : c’est le refus de l’archive comme simple illustration et preuve du réel !
- Exemple de la polémique sur les images des camps de concentration : Shoah de C. Lanzman / versus D.D. Huberman
3. Les spécificités de l’ écriture pour un scénario de film documentaire à base d’archives ?
- Appréhender les archives par une méthodologie de réalisation.
- Ethique du montage : comment appréhender au montage des images que l’on a pas conçues ? comment intégrer les archives à une nouvelle stratégie narrative ?
4. Les dispositifs de la mise en scène des images d’archives dans le documentaire télévisé :
- Ecrire ou reécrire l’histoire ?
- Le statut et l’écriture du commentaire : le rôle de la voix off
- Le traitement sonore : le rôle de la musique, bruitage et ambiance sonore.
5. L’archive comme matériau cinématographique
• Penser le cinéma documentaire : leçon 6 – Les différents modes du documentaire, Canal-U
Nous nous inspirons de l’universitaire américain Bill NICHOLS pour distinguer dans l’ensemble documentaire des modes, rendant compte à la fois des caractéristiques des films et des démarches de leurs auteurs.
Ces modes apparaissent au cours de l’histoire du documentaire, mais ils perdurent. D’autre part ils peuvent parfaitement se combiner ou se succéder à l’intérieur d’un même film. On les distingue aisément d’après une série de critères opératoires.
1) les divers modes de l’ensemble documentaire
2) le mode observation
3) le mode exposé
4) le mode poétique
5) le mode interactif-participatif
6) le mode réflexif
7) le mode performatif
8) utilité de cette classification
• Penser le cinéma documentaire : leçon 7 – Les stratégies de réalisation documentaire, Canal-U
Cette leçon est une invitation à découvrir l’œuvre de Denis Gheerbrant et à s’interroger sur notre rapport au réel :
Pourquoi a t-il choisi le Cinéma Documentaire ? Est-ce pour se confronter à l’imaginaire du monde ?
Qu’est-ce qui se répète d’un film à l’autre : L’expérience de la parole ?
Comment perçoit -il les évolutions d’une œuvre à l’autre ?
Quelle est sa manière d’organiser le champ sonore dans ses films (le réalisateur n’ajoute pas de commentaire à ses films, utilise que des sons directs…) ?
Quels sont les moyens d’expression cinématographique qu’il a choisi pour raconter la "réalité" : Le rapport Filmeur – Filmé
Quels sont les notions du cinéma qu’il utilise principalement : la voix off, le montage, le plan séquence, le hors champ…
Comment conçoit-il une écriture documentaire singulière sur chaque film (scénario, tournage et montage)
DENIS GHEERBRANT :
"Le cinéaste en situation documentaire agit comme le bricoleur, il a un projet avec une forme et souvent des couleurs dans la tête. Pour moi le projet, en ce sens, n’est pas tant un sujet qu’une question, une question à l’œuvre tout au long du processus d’un film, des repérages au mixage, je pourrais même dire jusque dans son achèvement par le spectateur.
Ce qui me permet d’articuler le déroulement d’un film, qui vient travailler cette question, c’est une parole dans un corps qui émerge comme dans une première fois d’abord pour celui qui l’énonce. C’est cela que je cherche à provoquer, cette émotion de la pensée qui affleure, là, devant nous. C’est dans cette émotion que je peux construire une ligne d’image, comme on dit une ligne mélodique, souvent des paysages, des fragments de l’espace urbain, comme de haïkus."
"La rencontre du cinéma direct, c’est justement quand les scénarios du réel rencontrent nos scénarios imaginaires. L’imaginaire des gens qu’on filme rencontre notre propre imaginaire et ils se construisent un scénario."
"Le problème n’est pas d’être discret, ni d’être derrière la porte mais d’être encore plus là. Notre problème, c’est de filmer par rapport à quelqu’un d’autre, le grand absent de cette histoire : le spectateur. Nous sommes en train de faire quelque chose pour quelqu’un d’autre, qui est signifié par la caméra."
"Quand je filme seul, ce qui m’intéresse, c’est de casser le flux du vécu : on est dans une relation, on interrompt la relation, et on entre dans un film. Mon regard ne soutient plus la relation. C’est le fait de filmer qui est la relation. C’est violent, c’est beau et c’est fort, et là on fait un film pour les autres qui n’est jamais l’enregistrement d’une relation."
Lire aussi :
• Dossier documentaire Cinéma documentaire, Monde en Question.
• Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
• Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.
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