12 novembre 2006

Une pub royale

Depuis le 8 novembre, une vidéo circule sur Internet. Le 10, les médias dominants s'en emparent. Une affaire démarre... qui pourrait tourner à l'avantage de Marie-Ségolène Royal.

Discours de Ségolène à Angers devant la fédération en janvier 2006

Il existe cinq versions quasi identiques du même document :
  • Ségolène et les profs : le plan caché, 02:01, mis en ligne le 8 novembre 2006 par Jules-Ferry, Dailymotion, [109061 vues au 12/11/2006 à 21:33].
  • Profs : Ségolène en off, 02:01, mis en ligne le 8 novembre 2006 par Jules-Ferry, Dailymotion, [356387 vues au 12/11/2006 à 21:33].
  • Profs : Ségolène en off, 01:59, mis en ligne le 8 novembre 2006 par Jules-Ferry, Dailymotion, [65765 vues au 12/11/2006 à 21:33].
  • La fin de l'intervention sur les enseignants à Angers..., Serge Bardy, PS Maine et Loire
  • Ségolène Royal à Angers (intégrale), 02:20, mis en ligne le 10 novembre 2006 par arnohie, Dailymotion, [18598 vues au 12/11/2006 à 21:33].

  • Les médias dominants ont d'emblée présenté la publication de cette vidéo de manière partisane :
  • Le 9 novembre, Le Monde cite le blog politique Nues Blog et conclue : «Sa publication, à une semaine du vote des militants socialistes pour choisir leur candidat à l'élection présidentielle, n'est sans doute pas un hasard de calendrier.» [1].
  • Le 10 novembre, l'AFP trace l'argumentaire qui sera repris au fil des heures et des jours par tous les médias dominants [2].
    - La vidéo est qualifiée de "vidéo pirate" sans apporter aucune preuve de cette allégation.
    - Le communiqué de l'AFP précise, toujours sans preuves, que : «Des internautes hostiles à la présidente de Poitou-Charentes qui la diffusent à l'envi y voient un "plan caché" de Ségolène Royal.»
    - Citant Gilles Savary, un des porte-parole de Ségolène Royal, l'AFP relaie la version officielle de la candidate à la candidature : «[Gilles Savary] a vu dans cette diffusion une "rouerie de fin de campagne". Il a jugé "pas très honorable de faire circuler un document pris à l'insu de quelqu'un".»
  • L'AFP et tous tous les médias dominants, qui recopieront la dépêche, reprennent les commentaires des responsables du camp de Marie-Ségolène Royal sans les mettre en perspective ni émettre le moindre doute sur la crédibilité de cette version de l'événement.
  • Selon leur habitude, les médias dominants s'abstiennent de réaliser une enquête pour établir les faits, mais jouent les procureurs à charge sans apporter de preuves.

  • Les faits :
    1) Les deux versions furent mises en ligne sur le site Dailymotion de manière anonyme, sous le couvert d'un pseudonyme.
    2) Les deux versions présentent une coupure, mais pas au même endroit [3].
    3) En publiant une version baptisée "l'intégrale", le PS a authentifié celle mise en ligne sous le pseudonyme de Jules Ferry.
    4) Les deux versions proviennent de la même source, celle du parti socialiste.
    5) La vidéo a été tournée de manière officielle par un membre du parti socialiste d'Angers.
    6) Elle ne témoigne que de la proposition de Marie-Ségolène Royal, faite publiquement au cours d'une réunion de la fédération du Maine et Loire en janvier 2006.
    7) Entre la version soi-disant tronquée et la version soi-disant intégrale, la différence ne porte que sur 19 petites secondes pendant lesquelles Marie-Ségolène Royal explicite les moyens qu'elle entend mettre en œuvre pour appliquer son programme "révolutionnaire".

    Ces faits posent plusieurs questions :
    1) En quoi la vidéo de Jules Ferry serait une "vidéo pirate" ? Cette qualification, fournie par les amis de Marie-Ségolène Royal et reprise par les médias dominants, est un abus de langage à visée polémique.
    2) En quoi il serait scandaleux que les militants socialistes et l'opinion publique aient connaissance des propositions de la candidate à la candidature ? Les propos de Marie-Ségolène Royal furent publics et argumentés.
    3) En quoi il ne serait "pas très honorable de faire circuler un document" même sans l'accord de l'intéressée ? Il y a une contradiction flagrante entre ses déclarations sur la démocratie participative et son refus d'être contrôlée.
    4) Qui a diffusé cette vidéo ? Les médias dominants ont repris les accusations du camp de Marie-Ségolène Royal : le coupable serait Dominique Strauss-Kahn ! Cela a air de déjà entendu puisque chacun se souvient de l'affaire de la cassette Méry concernant Jacques Chirac. C'est une hypothèse, mais on peut légitimement en évoquer d'autres.

    Envisager d'autres scénarios, implique de se demander qui peut profiter de cette affaire ?
    Ni Laurent Fabius ni Dominique Strauss-Kahn. Il est évident que les soupçons, même non fondés, pèsent sur les deux autres candidats à la candidature. Si quelqu'un de leur camp a pris cette initiative, il est peu vraisemblable qu'il ait agit sur ordre car le risque politique l'emporte sur les éventuels bénéfices.
    La seule qui puisse profiter de cette affaire est celle qui se présente en "victime" [4]. Elle joue à fond cette carte émotionnelle pour arracher le vote des militants hésitants en sa faveur. Elle évite tout débat interne sur ses propositions, mais les fait passer grâce à un plébiscite de sa personne. Elle peut se permettre d'attaquer ses deux concurrents, incapables de répliquer sur le même ton. Et, elle ne s'en prive pas :
    Dans un entretien au Journal du Dimanche, Ségolène Royal affirme que "sa légitimité n'est plus contestable", après les six débats au sein du Parti socialiste auquel elle reproche toutefois d'avoir "pris le risque" de l'"affaiblir".
    "A l'issue de ce processus, ma légitimité n'est plus contestable et le PS en sort grandi. C'est bien!", déclare-t-elle dans les colonnes du journal où elle estime être "la seule à pouvoir l'emporter sur la droite".
    Ségolène Royal constate que "le parti a pris le risque d'affaiblir son candidat" quand il a accepté les débats internes exigés par ses deux rivaux Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius.
    "Doutant de mes capacités, ce sont les deux autres qui ont voulu ces débats. Et s'ils ont exigé six, c'est qu'ils pensaient que je ne tiendrais pas la distance", dénonce la présidente de la région Poitou-Charentes.
    Ségolène Royal estime que sa légitimité n'est plus "contestable", Reuters, 11/11/2006, 10:18 CST.

    Marie-Ségolène connaît bien les ficelles du marketing politique : faire parler de soi, en bien ou en mal qu'importe, mais faire parler de soi. La publicité faite par les médias dominants autour de la diffusion d'une vidéo du PS lui fait une pub royale.

    Serge LEFORT
    12 novembre 2006

    Sélection de sites :
    - Actualités Présidentielle 2007, Yahoo. Comme presque tous les quotidiens se contentent de reprendre tel que les dépêches d'agence, autant lire l'original que ses multiples copies.
    - Le Monde Citoyen
    - Nues Blog

    En faveur de Marie-Ségolène Royal :
    - Réponse de Serge Bardy aux allégations malveillantes, PS Maine et Loire
    - André Gunthert, Ségolène et les pirates, Actualités de la recherche en histoire visuelle. Détournement d'un site de l'EHESS au profit de la chouchoute des médias. Un must de mauvais foi.

    [1] Quand Mme Royal proposait de "faire les 35 heures au collège", Le Monde, 09/11/06 | 18h48 • Mis à jour le 10/1106 | 09h38.
    Réactions des abonnés du Monde.fr, Le Monde, 09/11/06 | 18h48 • Mis à jour le 10/11/06 | 09h38. La dernière mise à jour consultée est du 12/11/06 | 19h21.
    [2] Enseignants : une vidéo pirate de propositions de Royal sur internet, AFP, 10/11/2006, 11h49.
    Une vidéo pirate sur les profs de collège pourrait nuire à Ségolène Royal, AFP, 10/11/2006, 14h04.
    [3] Verbatim des coupures dans les deux versions.
    • Dans la version dite "tronquée", après la proposition de soutien scolaire gratuit par les professeurs de collège, il manque :
    "parallèlement, il faut des moyens matériels".
    "Si les profs avaient des bureaux dans les collèges... et moi j'ai vu quelques collèges expérimentaux fonctionner comme ça".
    "On n'a pas globalement tiré les enseignements de toutes les choses expérimentales qui marchent bien, qui cassent un peu les logiques traditionnelles ou les pesanteurs institutionnels".
    • Dans la version baptisée "l'intégrale", il manque la phrase :
    "Moi, j'ai fait une proposition. Par ailleurs, je ne vais pas encore la crier sur les toits parce que je ne veux pas me prendre des coups des organisations syndicales enseignantes".
    [4] Cela n'implique pas que son camp soit à l'origine de la fuite, mais qu'au moins il sait utiliser cette opportunité à son avantage.

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