Il n’est bien sûr nul besoin de rappeler que dans statistique, il y a État. On sait le faible apport de l’étymologie à l’étiologie. Il faut donc se demander pourquoi les nombres sont omniprésents dans le discours politique – et donc bien au-delà du discours étatique. Sur ce point, la littérature est abondante, marquée notamment par l’œuvre d’Alain Desrosières (1993, 2008).
Il y a un siècle déjà, Max Weber voyait dans une rationalisation croissante de l’action publique une caractéristique majeure des États modernes. La bureaucratie qui incarne ce mouvement historique tire sa légitimité de sa compétence – un savoir et un savoir-faire, une science et une technique, qui se nourrissent de chiffres. Ceux-ci vont devenir un marqueur déterminant du langage qu’elle utilise. Le tournant dit « néolibéral » de ces dernières décennies, tout entier fondé sur l’hégémonie supposée de la rationalité individuelle, va placer l’évaluation des performances au cœur de l’action publique. Plus largement, l’impression domine de nos jours que les chiffres ont colonisé le politique sous toutes ses formes. Si l’on « gouverne par les instruments » (Lascoumes, Le Galès, 2004), et notamment par l’instrument statistique, ce sont tous les acteurs politiques qui manient les données quantifiées dans tous les compartiments de leur jeu.
Comme un clin d’œil à cette tendance lourde de l’évolution du discours politique, ce numéro spécial, le centième de la revue, est consacré aux chiffres et aux nombres en politique. Cette thématique a suscité une forte adhésion de la part de chercheurs venant d’horizons disciplinaires différents. L’éclairage vient à la fois des sciences du langage, de la communication et du politique, et porte sur des objets, des époques et des lieux particulièrement variés. Les supports discursifs, de forme écrite ou orale, sont nombreux : discours officiels (discours sur l’état de l’Union, discours des Pères fondateurs de la République), institutionnels (comptes rendus des débats du Parlement), discours publics sur des questions de société de dimension nationale ou internationale, documents issus de négociations électorales locales, textes historiques…
Mais l’objectif est toujours le même. Il s’agit de prendre la mesure de la place des nombres dans les discours politiques, et plus spécialement de leur portée argumentative, à travers des études qui nous parlent d’évaluation, de palmarès (Bouchard, 2008), de pourcentages, d’indices, de tableaux et de graphiques, de batailles de chiffres et de luttes des nombres.
Lire la suite… Le langage des chiffres en politique in Mots. Les langages du politique nº100, 2012.
Lire aussi : Dossier documentaire Statistiques & Sondages, Monde en Question.
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